Les Martyrs/Remarques sur le livre XXIV

Garnier frères (Œuvres complètes de Chateaubriand, tome 4p. 546-552).

LIVRE VINGT-QUATRIÈME.


1re Remarquepage 320.

Depuis la ceinture jusqu’à la tête, etc.

Les détails de cette maladie de Galérius sont historiques, et je n’ai fait que traduire Lactance (de Mort. Persecut.). La réponse du médecin, rapportée dans mon texte un peu plus bas, est également vraie.


2e. — page 321.

Cette franchise plonge Galérius dans des transports de rage.

Il n’en fut pas toujours ainsi : Galérius, dompté par la colère céleste, donna des édits en faveur des chrétiens, mais il étoit trop tard, et la main de Dieu ne se retira point de dessus la tête du persécuteur.


3e. — page 321.

Les monts lointains de la Sabine, etc.

Cette belle couleur des montagnes de la Sabine a pu être remarquée par tous ceux qui ont fait le voyage de Rome.


4e. — page 321.

Portant sur la tête une ombelle.

Espèce de chapeau romain pour se garantir du soleil.


5e. — page 321.

La foule vomie par les portiques, etc.

Les ouvertures par où la foule débouchoit sur le théâtre s’appeloient vomitoires. J’ai fait cette description d’après la connoissance que j’ai du Colisée à Rome, des arènes à Nîmes et de l’amphithéâtre à Vérone. Pour les grilles d’or, les eaux parfumées, les statues, les tableaux, les vases précieux, on peut consulter la plupart des historiens latins ; et Gibbon (Fall of the Roman Empire) a réuni les autorités. On fit paroître quelquefois des hippopotames et des crocodiles dans des canaux creusés autour de l’arène. Je n’aurois pas osé fixer le nombre des cinq cents lions, si je ne l’avois pas trouvé rapporté dans une description des jeux. Les cavernes où l’on renfermoit les bêtes féroces avoient deux issues, l’une s’ouvrant en dehors et l’autre s’ouvrant en dedans de l’édifice. Certaines voûtes (fornix) servoient de lieux de prostitution. (Horace.)


6e. — page 322.

Comme aux jours de Néron, etc.

Dans une fête donnée par Tigellin à Néron, les premières dames romaines parurent mêlées dans les loges avec les courtisanes toutes nues.


7e. — page 322.

On vous a donné un front de diamant, etc.

Écriture. Ce verset se lit encore aujourd’hui dans la Fête des Martyrs.


8e. — page 322.

Composé à Carthage par Augustin, ami d’Eudore.

J’ai suivi une tradition qui attribue le Te Deum à saint Augustin. Ainsi, des deux amis de la jeunesse d’Eudore, l’un lui envoie son épouse chrétienne pour mourir avec lui, et l’autre compose un hymne pour sa mort.


9e. — page 323.

Eudore, chrétien.

« On lui fit faire le tour de l’amphithéâtre, ayant devant lui un écriteau où on lisoit ces paroles en latin : « Attale, chrétien. » (Martyre de saint Pothin, Actes des Martyrs, t. I, p. 88.)


10e. — page 323.

Ô Rome ! j’aperçois un prince, etc.

Voilà, ce me semble, le règne de Constantin et le triomphe de la religion bien annoncés ; et cette prophétie est convenablement placée dans la bouche d’Eudore.


11e. — page 323.

Vous ne serez point obligés, etc.

Allusion à la mort de Vitellius. Les soldats lui piquoient le menton avec la pointe de leur épée, pour le forcer à lever la tête.


12e. — page 323.

Une seule étoit restée.

Petite circonstance préparée depuis longtemps dans le livre ixe.


13e. — page 324.

Les gladiateurs, selon l’usage, etc.

« Comme ils furent arrivés aux portes de l’amphithéâtre, on voulut leur faire prendre des habits consacrés par les païens à leurs cérémonies sacriléges aux hommes, la robe des prêtres de Saturne, etc. » Act. Mart., in sanct. Perpet.)


14e. — page 324.

Il se souvient du pressentiment qu’il eut jadis dans ce même lieu.

(Voyez le ive livre, à la fin.)


15e. — page 324.

L’empereur n’étoit point encore arrivé.

Ceci donne le temps de retourner à Cymodocée et de montrer l’accomplissement de la scène dans le ciel pendant qu’elle s’achève sur la terre.


16e. — page 325.

Et vous, honneur de cette pieuse et fidèle cité.

Saint Pothin et saint Irénée, à Lyon.


17e. — page 325.

Ils y mêlèrent trois rayons de la vengeance éternelle, etc.

On voit qu’il n’y a point de beautés dans la mythologie des anciens qu’on ne puisse transporter dans le merveilleux chrétien. (Voyez Virgile sur les foudres de Jupiter.)


18e. — page 325.

L’archange met un pied sur la mer et l’autre sur la terre.

« Et vidi alium angelum fortem descendentem de cœlo… Et posuit pedem suum dextrum super mare, sinistrum autem super terram. » (Apocal., cap. x, v. 1 et 2.)


19e. — page 325.

Rentre dans le puits de l’abîme, où tu seras enchaîné pour mille ans.

« Et vidi angelum descendentem de cœlo, habentem clavem abyssi et catenam magnam in manu sua, et apprehendit draconem, serpentem antiquum, qui est diabolus et Satanas, et ligavit eum per annos mille. » (Apocal., cap. xx, v. 1 et 2.) Voilà l’action surnaturelle finie : Satan, Astarté, le démon de la fausse sagesse et de l’homicide sont replongés dans l’abîme. Le lecteur connoît le sort de tous les personnages surnaturels et humains qu’il a vus figurer dans l’ouvrage.


20e. — page 326.

Il lève la tête et voit l’armée des martyrs, etc.

L’original de ce tableau est dans Homère, lorsqu’il peint les dieux détruisant la muraille des Grecs. Virgile l’a imité dans le iie livre de l’Énéide. Énée voit les dieux sapant les fondements de Troie et du palais de Priam. Le Tasse vient ensuite, et montre les milices célestes donnant le dernier assaut à Jérusalem, avec les Croisés vainqueurs. Enfin, je me suis servi de la même image pour représenter la chute des temples de l’idolâtrie.


21e. — page 326.

Une échelle merveilleuse.

« J’aperçus une échelle toute d’or, d’une prodigieuse hauteur, qui touchoit de la terre au ciel… Asture y monta le premier… Étant heureusement arrivé au haut de l’échelle, il se tourna vers moi, et me dit : Perpétue, je vous attends. » (Act. Mart., in sancta Perpetua.)


22e. — page 326.

Elle peut à peine étouffer les sanglots de la piété filiale.

Une jeune fille de seize ans mise à une pareille épreuve, et qui la surmonte, ne peut être accusée de foiblesse. J’avoue que je n’aurois pas une opinion bien grande du jugement ni même du courage des chrétiens qui demanderoient plus d’héroïsme ; l’exagération en tout annonce la foiblesse.

Rien n’est beau que le vrai ; le vrai seul est aimable.

Il nous siéroit d’ailleurs assez mal à présent d’affecter le rigorisme en matière de religion : sondons bien nos cœurs, et voyons ce que nous sommes ; après cela nous ferons le procès à Cymodocée.


23e. — page 328.

J’ai lu dans vos livres saints, etc.

Si la fille d’Homère ne connoît pas bien la religion chrétienne, du moins elle en a appris ce qu’il faut pour mourir.


24e. — page 329.

Il tire de son doigt un anneau, etc.

« Ensuite, tirant de son doigt une bague, il la trempa dans son sang, et la donnant à Pudens : Recevez-la, lui dit-il, comme un gage de notre amitié, et que le sang dont elle est rougie vous fasse ressouvenir de celui que je répands aujourd’hui pour Jésus-Christ. » (Act. Martyr., in sancta Perpetua.)


25e. — page 329.

Votre père… il va connoître la vraie lumière.

Prophétie d’Eudore, qui fait voir la fin de Démodocus, et laisse le lecteur tranquille sur la destinée de ce malheureux vieillard.


26e. — page 329.

Ô Cymodocée ! je vous l’avois prédit, etc.

Dans le xve livre, lors de la séparation des deux époux à Athènes.


27e. — page 330.

Je suis chrétien, je demande le combat.

Rien n’étoit plus commun que de voir des chrétiens se dénoncer tout à coup eux-mêmes, à l’aspect des tourments qu’on faisoit souffrir à leurs frères. Dorothée meurt ici, comme Polyeucte, en renversant les idoles : l’ardeur de son zèle, ses imprécations contre les idoles et les idolâtres, forment contraste avec la patience, la résignation et la modération d’Eudore.


28e. — page 330.

Le pont qui conduisoit du palais, etc.

On prétend que Titus se rendoit de son palais à l’amphithéâtre par un pont que l’on abaissoit. On montre à tous les voyageurs l’endroit où ce pont tomboit sur le mur du Colisée.


29e. — page 331.

Eudore craignoit qu’une mort aussi chaste, etc.

Quelques personnes auroient voulu qu’Eudore ne laissât pas échapper cette espèce de dernier soupir de la foiblesse humaine : il me semble, au contraire, que l’action d’Eudore est conforme à la nature, sans blesser en rien la religion. Lorsque sainte Perpétue marcha au martyre, « elle tenoit les yeux baissés, disent les Actes, de peur que leur grand brillant ne fît, contre sa volonté, ces effets surprenants qu’on sait que deux beaux yeux sont capables de faire. » (Act. Martyr., in sanct. Perpet., traduct. de Maupertuys, t. I, p. 463.) Ceci, je pense, me justifie assez sous les rapports religieux ; car c’est un sentiment tout semblable qu’éprouve Eudore lorsqu’il ne veut pas que la mort de Cymodocée soit souillée par l’ombre d’une pensée impure, même dans les autres. J’espère aussi que ce n’est pas l’expression qu’on me reproche ; l’expression des Actes de sainte Perpétue est un peu plus franche et plus naïve que la mienne. Seroit-ce le dernier mouvement d’un amour chaste qui brûle dans le cœur d’un époux pour son épouse que l’on blâmeroit dans cette action ? Que penserons-nous alors de l’Olinde du Tasse, qui, attaché sur le bûcher du martyre avec Sophronie, entretient, non son épouse, mais son amante, de la passion qu’il sent pour elle ? Il faudroit bien, quand on se mêle de critiquer, savoir au moins ce que l’on dit, connoître les autorités, et ne pas courir les risques de montrer à la fois son défaut de jugement, son ignorance ou son manque de bonne foi.


30e. — page 331.

On le voyoit debout, etc.

« On voyoit, dit Eusèbe, un jeune homme au-dessous de vingt ans qui se tenoit debout sans être lié, qui avoit les mains étendues en forme de croix, et qui prioit Dieu en la même place pendant que des ours et des léopards, qui ne respiroient que le sang, sautoient sur lui pour le mordre. » (Eusèbe, Hist. eccl., liv. VIII, chap. VII, trad. du présid. Cousin.)


31e. — page 332.

Ah ! sauvez-moi !

C’est le cri de la nature. Si l’on a vu de jeunes missionnaires pousser des cris au milieu des tourments que leur faisoient endurer les sauvages, une pauvre jeune fille de seize ans ne pourra-t-elle avoir un instant peur d’un tigre qui accourt pour la dévorer ? Disons plus : il y a quelque chose de révoltant à exiger plus de fermeté dans Cymodocée. Puissions-nous en pareil cas mourir avec autant de courage ! Je me défie toujours de cet héroïsme qu’il est si aisé d’avoir au coin de son feu, quand on n’a point à combattre. Souvenons-nous de cette belle parole de l’Écriture : Nec glorietur accinctus æque et discinctus. (Reg., lib. iii, cap. xx, v. 2.)


32e. — page 332.

À l’instant la chaleur abandonne, etc.

Le rideau tombe. Il eût été aisé de développer les particularités du martyre ; mais j’aurois présenté un spectacle affreux et dégoûtant. Toute la terreur, s’il y en a ici, se trouve placée avant l’apparition du tigre : le tigre une fois lâché dans l’arène, tout finit ; et l’on ne voit rien de ce qu’on s’attendoit à voir. Cette tromperie est tout à fait commandée par l’art, et convient à mon sujet, qui doit montrer le martyre comme un triomphe et non comme un malheur. Ajoutez que dans les détails de la mort des deux jeunes époux l’imagination du lecteur eût toujours été plus loin que la mienne.


33e. — page 332.

Les dieux s’en vont.

L’ouvrage finissoit ici ; le paragraphe ajouté rend l’action plus complète.

Je ne puis dire avec quel plaisir je termine ces notes. Avoir à chaque phrase, et pour ainsi dire à chaque mot, à relever une erreur de la critique ; être sans cesse obligé de citer les autorités sur des points qui n’auroient pas souffert autrefois la plus légère difficulté ; se rendre soi-même le juge de son livre, je ne crois pas qu’il y ait pour un auteur une tâche plus pénible. Quoi qu’il en soit, voilà mes ennemis à leur aise. Je n’attends d’eux aucune justice. Ils savent que je ne leur répondrai plus. Qu’ils triomphent en sûreté ; qu’ils redoublent leurs outrages : j’aime mieux être la victime que l’auteur de leurs écrits.

fin des remarques.