Les Martyrs/Remarques sur le livre XIV

Garnier frères (Œuvres complètes de Chateaubriand, tome 4p. 490-495).

LIVRE QUATORZIÈME.


1re Remarquepage 188.

À l’entrée de l’Herméum, etc.

On appeloit Herméum en Grèce certains défilés de montagnes où l’on plaçoit des statues de Mercure. Plusieurs Herméums conduisoient de la Messénie dans la Laconie et dans l’Arcadie. Je fais suivre à Démodocus l’Herméum que j’ai moi-même traversé.


2e. — page 188.

Cachée parmi des genêts à demi-brûlés.

Voici un passage de mon Itinéraire :

Route de la Messénie à Tripolizza. « Après trois heures de marche, nous sortîmes de l’Herméum, assez semblable dans cette partie au passage de l’Apennin, entre Pérouse et Tarni. Nous entrâmes dans une plaine cultivée, qui s’étend jusqu’à Léontari. Nous étions là en Arcadie, sur la frontière de la Laconie. On convient généralement que Léontari n’est point Mégalopolis… Laissant à droite Léontari, nous traversâmes un bois de vieux chênes, reste vénérable d’une forêt sacrée. Nous vîmes le plus beau soleil se lever sur le mont Borée. Nous mîmes pied à terre au bas de ce mont, pour gravir un chemin taillé perpendiculairement dans le roc. C’étoit un de ces chemins appelés chemins de l’Échelle, en Arcadie… Nous nous trouvions dans le voisinage d’une des sources de l’Alphée. Je mesurois avidement des yeux les ravines que je rencontrois : tout étoit muet et desséché. Le chemin qui conduit du Borée à Tripolizza traverse d’abord des plaines désertes, et se plonge ensuite dans une longue vallée de pierres. Le soleil nous dévoroit. À quelques buissons rares et brûlés étoient suspendues des cigales qui se taisoient à notre approche. Elles recommençoient leurs cris dès que nous étions passés. On n’entendoit que ce bruit monotone, le pas de nos chevaux et la chanson de notre guide. Lorsqu’un postillon grec monte à cheval, il commence une chanson qu’il continue pendant toute la route. C’est presque toujours une longue histoire rimée qui charme les ennuis des descendants de Linus. Il me semble encore ouïr le chant de mes malheureux guides : la nuit, le jour, au lever, au coucher du soleil, dans les solitudes de l’Arcadie, sur les bords de l’Eurotas, dans les déserts d’Argos, de Corinthe, de Mégare ; beaux lieux où la voix des Ménades ne retentit plus, où les concerts des Muses ont cessé, où le Grec infortuné semble seulement déplorer dans de tristes complaintes les malheurs de sa patrie ! »

....Soli periti cantare
Arcades !


3e. — page 188.

C’est par le même chemin que Lyciscus, etc.

Dans la première guerre de Messénie, l’oracle promit la victoire aux Messéniens s’ils sacrifioient une jeune fille du sang d’Épytus. Il y avoit plusieurs filles de la race des Épytides. On tira au sort, et le sort tomba sur la fille de Lyciscus. Celui-ci préféra sa fille à son pays, et s’enfuit avec elle à Sparte. Aristodème offrit volontairement sa fille pour remplacer celle de Lyciscus. La fille d’Aristodème étoit promise en mariage à un jeune homme, qui pour la sauver prétendit qu’il avoit déjà sur elle les droits d’un époux, et qu’elle portoit dans son sein un fruit de son amour. Aristodème plongea un couteau dans les entrailles de sa fille, les ouvrit, et prouva aux Messéniens qu’elle étoit digne de donner la victoire à la patrie.


4e. — page 189.

Et commence à descendre vers Pillane, etc.

Cette géographie est tout à fait différente de ce qu’elle étoit dans les premières éditions. Mon exactitude m’avoit fait tomber dans une faute singulière. Je n’avois voulu faire parcourir à Démodocus que le chemin que j’avois moi-même suivi. Mais comme j’allai d’abord à Tripolizza, dans le vallon de Tégée, et que je revins ensuite à Sparte, je ne m’étois pas aperçu que Démodocus se détournoit d’une trentaine de lieues de sa véritable route. Le faire arriver à Sparte par le mont Thornax étoit une chose étrange : voilà ce que la critique n’a pas vu, quoiqu’elle ait doctement déclaré que le tombeau d’Ovide étoit de l’autre côté du Danube. Quant aux monuments dont il est question dans la route actuelle de Démodocus, on peut consulter Pausanias, in Lacon., lib. iii, cap. xx et xxi.


5e. — page 189.

La chaîne des montagnes du Taygète.

Je suis, je crois, le premier auteur moderne qui ait donné la description de la Laconie d’après la vue même des lieux. Je réponds de la fidélité du tableau. Guillet, sous le nom de son frère La Guilletière, ne nous a laissé qu’un roman, et c’est ce que Spon a très-bien prouvé. Vernhum, compagnon de Wheler, avoit visité Sparte, mais il n’en dit qu’un mot dans sa lettre imprimée parmi les Mémoires de l’Académie royale de Londres. M. Fauvel m’a dit avoir fait deux ou trois fois le voyage de la Laconie, mais il n’a encore rien publié. M. Pouqueville, excellent pour tout ce qu’il a vu de ses yeux, paroît avoir eu sur Sparte des renseignements inexacts. Wheler, Spon et d’Anville avoient averti que Sparte n’est point Misitra, et l’on s’est obstiné à voir Lacédémone dans cette dernière ville, d’après Guillet, Niger et Ortellius. Misitra est à deux lieues de l’Eurotas, ce qui trancheroit la question, si cela pouvoit en faire une. Les ruines de Sparte sont à Magoula, tout auprès du fleuve ; d’Anville les a très-bien désignées sous le nom de Palæochori, ou la vieille ville. Elles sont fort reconnoissables, et occupent une grande étendue de terrain. Ce qu’il y a d’incroyable, c’est que La Guilletière parle de Magoula sans se douter qu’il parle de Sparte.


6e. — page 190.

Dès le soir même Cyrille commença les instructions, etc.

Ce livre a peut-être quelque chose de grave qui contraste avec la description plus brillante d’Athènes, et qui rappelle naturellement au lecteur la sévère Lacédémone. Il m’a semblé qu’on verroit avec quelque plaisir le christianisme naissant à Sparte et la foi de Jésus-Christ remplaçant les lois de Lycurgue.


7e. — page 191.

Que peux-tu contre la croix ?

On voit par ce mot que ce démon solitaire n’avoit point assisté à la délibération de l’enfer.


8e. — page 193.

Aux deux degrés d’auditrice et de postulante.

Pour les différents degrés de catéchumènes, et pour les différents ordres du clergé, des veuves, des diaconesses, etc., voyez Fleury, Mœurs des chrétiens.


9e. — page 193.

C’est la fille de Tyndare, couronnée des fleurs du Plataniste, etc.

Île et prairie où les filles de Sparte cueillirent les fleurs dont elles formèrent la couronne nuptiale d’Hélène. (Voyez Théocrite.)


10e. — page 194.

Près du Lesché et non loin des tombeaux des rois Agides.

« Dans le quartier de la ville appelé le Théomélide on trouve les tombeaux des rois Agides. Le Lesché touche à ces tombeaux, et les Crotanes s’assemblent au Lesché. » (Pausan., lib. iii, cap. xiv.) Les Crotanes formoient une des cohortes de l’infanterie lacédémonienne.

Il y avoit à Sparte un second Lesché, connu sous le nom de Pœcile, à cause des tableaux ou peintures qu’on y voyoit.

Les rois Agides étoient les descendants d’Agis, fils d’Eurysthène et neveu de Proclès, deux frères jumeaux en qui commencent les deux familles qui régnoient ensemble à Sparte.


11e. — page 194.

Éloignée du bruit et de la foule, etc.

Citer les autorités pour les églises et les cérémonies de l’Église primitive, ce seroit répéter mon texte. Il suffira que le lecteur sache que tout cela est une peinture fidèle. Il peut consulter Fleury, Mœurs des chrétiens et Histoire ecclésiastique.


12e. — page 194.

Leurs tuniques entr’ouvertes, etc.

Le vêtement des femmes de Sparte étoit ouvert depuis le genou jusqu’à la ceinture. Lycurgue, en voulant forcer la nature, avoit fini par faire des Lacédémoniennes les femmes les plus impudiques de la Grèce.


13e. — page 194.

Aux fêtes de Bacchus ou d’Hyacinthe.

Les fêtes d’Hyacinthe se célébroient à Amyclée avec une grande pompe. Elles duroient trois jours : les deux premiers étoient consacrés aux pleurs, le troisième aux réjouissances.


14e. — page 194.

La fourberie, la cruauté, la férocité maternelle, etc.

Le vol et la dissimulation étoient des vertus à Sparte. On apprenoit aux enfants à voler. On connoît la cryptie, ou la chasse aux esclaves. On sait que les Lacédémoniennes s’applaudissoient de la mort de leurs enfants. Elles disoient à leurs fils partant pour la guerre, en leur montrant un bouclier : ἤ τάν, ἤ ἐπὶ τάν.


15e. — page 195.

Le lecteur monta à l’ambon.

Le lecteur étoit un diacre ou sous-diacre, qui faisoit une lecture. L’ambon étoit une tribune.


16e. — page 195.

Habitants de Lacédémone, il est temps que je vous rappelle l’alliance qui vous unit avec Sion.

On peut voir tout ce passage dans le livre des Machabées.


17e. — page 195.

Entre tous les peuples de Javan, etc.

Javan, dans l’Écriture, est la Grèce proprement dite, Séthim est la Macédoine, et Élisa l’Élide ou le Péloponèse.


18e. — page 195.

Ah ! qu’il seroit à craindre, etc.

« Timeo cervicem, ne margaritarum et smaragdorum laqueis occupata, locum spathæ non det. » (Tertull., de Cultu fem.)


19e. — page 195.

Pour un chrétien, etc.

« Auferamus carceris nomen, secessum vocemus. Etsi corpus includitur, etsi caro detinetur, omnia spiritui patent. Vagare spiritu, spatiare spiritu, et non stadia opaca aut porticus longas proponens tibi, sed illam viam quæ ad Deum ducit. Quotiens eam spiritu deambulaveris, totiens in carcere non eris. Nihil crus sentit in nervo, cum animus in cœlo est. Totum hominem animus circumfert, et quo velit transfert. » (Tertull., ad Martyr.)


20e. — page 197.

Les portes de l’Église s’ouvrent, et l’on entend… une voix, etc.

« Ceux à qui il étoit prescrit de faire pénitence publique venoient le premier jour du carême se présenter à la porte de l’église, en habits pauvres, sales et déchirés… Étant dans l’église, ils recevoient de la main du prélat des cendres sur la tête et des cilices pour s’en couvrir, puis demeuroient prosternés, tandis que le prélat, le clergé et tout le peuple faisoient pour eux des prières à genoux. Le prélat leur faisoit une exhortation, pour les avertir qu’il alloit les chasser pour un temps de l’église, comme Dieu chassa Adam du paradis pour son péché ; leur donnant courage, et les animant à travailler, dans l’espérance de la miséricorde de Dieu. Ensuite il les mettoit en effet hors de l’église, dont les portes étoient aussitôt fermées devant eux. » (Fleury, Mœurs des chrétiens.)


21e. — page 197.

Tel est le lis entre les épines, etc.

Ce chant est tiré du cantique de Salomon. Le chant païen qui suit est imité de l’épithalame de Manlius et de Junie, par Catulle. Ce ne sont point des objets de comparaison, ce sont des beautés d’un genre différent. Les images orientales prêtent facilement à la parodie ; et Voltaire s’est égayé sur le Cantique des Cantiques. Il suffit d’omettre quelques traits qui choquent notre goût, pour faire de cette élégie mystique ce qu’elle est, un chef-d’œuvre de passion et de poésie. Au reste, j’ai beaucoup abrégé les deux imitations dans la présente édition.


22e. — page 198.

La tombe de Léonidas.

Les os de Léonidas furent rapportés des Thermopyles quarante ans après le fameux combat, et enterrés au-dessous de l’amphithéâtre, derrière la citadelle, à Sparte. J’ai cherché longtemps cette tombe, un Pausanias à la main. Il y a dans cet endroit six grands monuments aux trois quarts détruits. Je les interrogeois inutilement, pour leur demander les cendres du vainqueur des Perses. Un silence profond régnoit dans ce désert. La terre étoit couverte au loin des débris de Lacédémone. J’errois de ruine en ruine avec le janissaire qui m’accompagnoit. Nous étions les deux seuls hommes vivants au milieu de tant de morts illustres. Tous deux barbares, étrangers l’un à l’autre autant qu’à la Grèce, sortis des forêts de la Gaule et des rochers du Caucase, nous nous étions rencontrés au fond du Péloponèse, moi pour passer, lui pour vivre sur des tombeaux qui n’étoient pas ceux de nos aïeux.


23e. — page 200.

Cymodocée, dit Eudore, ne peut demeurer dans la Grèce, etc.

Ainsi la séparation des deux époux et le voyage de Cymodocée à Jérusalem, sont très-suffisamment et très-naturellement motivés. Cymodocée est presque chrétienne et presque épouse d’Eudore ; les chrétiens sont au moment d’être jugés. À chaque livre, l’action fait un pas.


24e. — page 200.

Comme un courrier rapide.

« Transierunt omnia illa tanquam umbra et tanquam nuntius percurrens. » (Sap., cap. v, v. 7.)