Les Marchands de Voluptés/26

Édition Prima (p. 157-162).

XXVI

Et d’autres…


Les questions d’Henriette Assourbanipal avaient plongé Amande dans une grande stupeur. Elle regarda son interlocutrice avec une grande envie de rire, puis demanda :

— Avant que je me retire, madame, me ferez-vous l’honneur de m’expliquer en quoi la belote et la peinture des cartes de premier avril importent pour pénétrer dans un… dans une…

La matrone la regarda avec tristesse, et riposta :

— Madame, je suis une femme méthodique et je contrôle avec soin ce que me disent les postulantes. En sus, je ne veux que des femmes du vrai monde dans ma maison.

— Je comprends cela, fit poliment la jeune femme. Il n’y a que nous pour savoir ce qu’il faut…

— Ah ! vous êtes du monde ? demanda Henriette.

— Ma foi, madame, sauf le cas ou il faudrait un certificat de la police, je me crois autorisée à le dire.

— Mais, en ce cas, comment ne savez-vous pas peindre sur cartes postales ?

— Jamais une telle idée ne m’est venue, en vérité.

— Eh bien, c’est la première fois que je vois une personne de bonne éducation ignorer cet art, que l’on enseigne dans les couvents à toutes les jeunes filles convenables.

Amande pouffa :

— Bon ! je commence à deviner. Mais que faites-vous des cartes postales coloriées que font vos pensionnaires.

— Oh, madame ! j’ai une entreprise du ministère des Colonies. On les distribue comme encouragement en Afrique, aux nègres qui payent leurs impôts. Il paraît que les recettes ont doublé depuis que je suis concessionnaire…

— Bon ! Mais vous expliquerez moins facilement pourquoi vous tenez à ce que je sache jouer la belote ?

— Parce que c’est le seul authentique jeu des salons parisiens, et on reconnaît une femme bien d’une rôdeuse à ce que la rôdeuse ne sait pas jouer ce jeu raffiné…

— Alors, madame, je crains en effet de ne pouvoir vous satisfaire. Permettez-moi de m’excuser et de me retirer.

— Oh ! je puis faire un essai avec vous. Entrez donc ici.

C’était une pièce tendue en noir avec des larmes peintes le long des murs.

— Vous avez perdu quelqu’un ? demanda Amande.

— Mais non ! c’est ici le lieu où je veux vous montrer à un de mes meilleurs clients. Il ne se trouve en forme que si le décor est funèbre. Encore celui-ci ne l’est-il pas assez à son goût. Les jours normaux il avertit la maison de Borniol de lui fournir en complément trois croque-morts pour être témoins de ses amusements.

— C’est gai !…

— Mais ce monsieur est très amusant…

— Je vous crois. Et alors il est là ?

— Oui. Il attendait que vienne sa favorite, une jeune comtesse qui a été aux huit dixièmes empoisonnée par mégarde en mangeant des cornichons toxiques, et qui possède vraiment un physique harmonisé au décor.

— Et moi, vous croyez que je lui plaise ?

— Sans doute. Je vais vous mettre une robe de mariée et vous ferez la morte.

— Merci, dit Amande qui se tordait. Je ne suis pas du tout portée vers ce genre de carnaval funèbre et amoureux. Si vous n’avez pas un amateur plus normal, je vous abandonne.

— J’en ai bien un, mais il voudrait autre chose.

— Dites toujours.

— Voilà, il faut s’habiller en tricolore et lui chanter la Marseillaise.

— C’est facile.

— Oui, mais il ne faut pas s’arrêter de chanter tant qu’il n’est pas satisfait.

— Oh ! alors c’est un travail de manœuvre.

— D’autant plus que ça dure longtemps.

— Et puis, dit Amande, il faut savoir La Marseillaise et ne je connais pas cet hymne.

— Eh bien, je vais vous faire une autre proposition. Voulez-vous faire la violée dans une scène de tableau vivant ?

— La violée… Je crains encore des difficultés…

— C’est fort simple. Je donne de petites représentations comme cela, les jours de gala, et c’est aujourd’hui.

— Parfait !

— On prépare en ce moment une scène qui se passe chez les cannibales. Il y aura un naufrage et des nègres sauteront sur les naufragés pour leur faire subir, sans distinction de sexe…

— Le sort de Lucrèce.

— C’est bien cela.

— Mais vous aviez déjà le personnel nécessaire ? demanda Amande.

— Oui, certes ! Toutefois vous devez être fort bien faite et vous donneriez à tous un spectacle inédit, n’étant pas habituée à ce genre de divertissement.

— Eh bien, faisons cela ! décida Amande.

— Ah ! je suis heureuse, s’exclama Henriette Assourbanipal.

Et on passa aussitôt dans la pièce où se préparait le numéro de tableaux vivants.

Il y avait là quatre hommes à la peau noircie au permanganate de potasse, avec des femmes nues qui dressaient les décors marins et insulaires propres à donner l’illusion d’une catastrophe océanique.

— Voilà, dit la patronne, une violée de plus.

— Qu’elle se mette vite en tenue, dit un des sauvages. On va commencer.

Amande fut conduite dans un petit salon, et en un instant elle fut nue.

Henriette Assourbanipal la regardait avec attention :

— Vous allez plaire à tout le monde. Ah ! si vous connaissiez la belote !

— Quoi, fit la jeune femme interdite, C’est encore exigible !

— Hé oui ! Nous jouons devant un parterre d’invités, pour les enflammer. Mais, sitôt la scène close, les amateurs choisissent, parmi celles ou ceux qu’ils ont vus en action, la personne qui leur plaît le mieux pour l’intimité d’une belote.

— Diable ! fit Amande.

— Comment, cela vous déplaît ? Mais ne veniez-vous pas ici dans le but de trouver de l’homme ? Eh bien vous en aurez à votre disposition une fois la belote finie.

— Heu ! avoua Mme de Baverne d’Arnet, je venais pour ça et pour autre chose. Vous savez, ces questions-là ne sont pas simples et faciles à expliquer.

— Allons !… Je vous promets de ne pas vous en donner plus de deux pour le jeu et l’amour.

— C’est peut-être encore trop.