Les Marchands de Voluptés/20

Édition Prima (p. 121-126).

XX

Chez Mouste


Le premier amant d’Amande avait admirablement réussi à émouvoir les sens de cette jeune femme que son mari délaissait pour des filles de la zone. Il en acquit dans l’esprit curieux de la jeune femme infiniment d’autorité.

Aussi, lorsqu’il proposa à la femme d’Adalbret de Baverne d’Arnet d’entrer dans la maison de rendez-vous de Mouste, rue d’Ecbatane, elle approuva avec des battements de mains enfantins.

La vérité, c’est qu’elle y voyait, outre la possibilité de renouveler perpétuellement les affres du plaisir, la chance amusante et d’autant plus exquise de berner et de cocufier son mari à cornes que veux-tu.

Et elle se disait :

« Ah ! il ne veut pas divorcer… Eh bien je dirai à tous mes amants qui je suis. Et ils le rediront, j’espère. De la sorte, tout le monde saura bientôt que Mme la baronne de Baverne d’Arnet est en maison de prostitution.

« Si cela ne leur fait pas admettre le divorce, je veux bien être pendue haut et court… »

Or le divorce, pour elle, c’était en somme la porte du paradis.

Il est entendu que l’aventure pouvait déplaire beaucoup au père d’Amande, mais elle n’en avait plus cure. Il venait de profiter de l’ignorance de sa fille pour la colloquer à un individu qui ne connaissait, de femmes, que les plus hideuses. Il fallait agir sans se préoccuper de cet écrivain dont l’égoïsme ne méritait aucun ménagement.

Et Amande en prit son parti avant de quitter la chambre, où le plaisir l’avait tour à tour assommée, foudroyée et torturée. Elle resta un moment sur le lit, témoin de sa défaillance charnelle et de ses premières extases amoureuses, tandis que tout joyeux de l’acceptation de sa victime, l’amant courait en hâte rue d’Ecbatane chez Mme Mouste.

Là, si la femme en valait le prix, on lui promit deux billets de mille une fois examen passé de cette merveille qu’il annonçait.

Il avait pris rendez-vous avec Amande pour le lendemain. Elle y fut un peu en retard à cause d’une délicieuse lassitude de ses reins.

On prit un taxi et on alla chez Mouste. Cette personnalité importante du Tout-Paris occupait un bel appartement de quinze pièces dans la rue d’Ecbatane, face à la statue de l’amiral Le Kelpudubec, le héros de la conquête aléoute, celui qui creusa aussi le canal qui fait communiquer par mer la Guadeloupe et la Martinique…

C’est, cette rue d’Ecbatane, un des endroits les plus peuplés de Paris, et des plus mondains.

Mme Mouste était une femme forte, aux seins importants comme un traité d’atomistique, couverte de bijoux solaires, et qui parlait, en maniant un face-à-main d’or, d’une voix languissante et pâmée.

Elle demanda à Amande :

— Vous êtes toute jeune, madame ?

— En effet, le retour d’âge ne me menace pas. Demain j’ai vingt ans.

— Des papiers d’identité ?

— Oui, certainement je ferai faire, si c’est utile, un acte notarié. La grosse dame se mit à rire :

— Elle est plaisante.

— N’est-ce pas utile ici, de plaire ?

— Et vous voudriez…

— Mon Dieu, oui !

— Vous êtes docile et obéissante ?

— Pas du tout.

Mme Mouste se mit à rire encore.

— Vous le deviendrez…

— J’espère que non. Mais je suis très maîtresse de moi, sauf, lorsque…

— Lorsque ?

— Lorsque je perds le commandement de mes sens…

— Ah ! cela vous arrive ?

— Cela m’est arrivé une fois, ou plutôt un seul jour, mais j’espère que cela se renouvellera. C’est une des raisons qui m’amènent ici…

— Elle est drôle, dit Mme Mouste avec indulgence.

Et avec autorité :

— Déshabillez-vous.

Désireuse de prouver que la vergogne n’était pas son vice, et qu’elle savait parfois obéir sans murmure, Amande quitta en un tour de main sa robe et sa combinaison. C’était tout ce que son corps portait à cette heure, plus une sorte de ceinture qui lui caparaçonnait le ventre, et tenait les jarretelles de ses bas, d’un rose exquis, tendre et fané.

Mme Mouste regarda cette forme de chair pleine et sans défaillance. Elle pensa :

« Elle vaut bien les deux billets promis. Cette petite fera de l’or. »

Et à voix haute :

— C’est naturel, ce petit signe sur la cuisse ?

— Madame, dit Amande, tout est naturel en moi. Je ne sais pas s’il en est pour se faire de faux naevi en des lieux pareils, mais ce ne sera jamais mon fort. Je me crois présentable telle que je parais, sans ornements adventices.

— Ah ! vous appelez ça des « naevi ».

— Mais oui. C’est le nom scientifique.

— Vous êtes instruite ?

— Sans doute, mention bien au bachot lettres philo. Je tiens le coup, quoi…

Mme Mouste continua d’admirer ce corps plein et renflé. Les seins étaient hauts et écartés, sur une poitrine que les sports avaient bien placée et gonflée. La ligne des épaules apparaissait chargée de courbes entrelacées et harmonieuses. Le torse s’effilait vers la taille. Il marquait les muscles partout. Les hanches s’élargissaient avec une forte douceur. Cela faisait, en quelque sorte, l’épanouissement d’un écu de blason ovalaire. Et les jambes apparaissaient, comme deux belles colonnes, pour soutenir cette architecture de muscles, sans défauts et sans fléchissements.

Une ombre fine et roussâtre ornait l’angle des aines. Amande, sûre d’être belle, se tenait droite avec un sourire de triomphe.

Mme Mouste, qui avait parfois des goûts pervertis, pensait : « Voilà une enfant par qui j’aimerais à être adorée ».

Mais l’intérêt lui dicta de rester froide, car, trop intime, cette jolie femme aurait jeté quelque trouble dans la comptabilité de la maison.