Les Métamorphoses (Apulée)/Traduction Bastien, 1787/II/Remarques sur le Livre XI



REMARQUES

SUR

L’ONZIEME LIVRE.


(1) La puissance de cette grande Déesse, c’est la lune qui, sous le nom d’Isis, Hécate, Proserpine, &c. est prise pour toutes les divinités féminines, comme sous le nom d’Osiris, on doit entendre toutes les divinités masculines, comme Jupiter, Apollon, Bacchus, &c.

(2) Que tous les corps qui sont dans les cieux, s’augmentent ou diminuent suivant qu’on la voit croître ou décroître. On croyoit anciennement, et même à présent, c’est une opinion assez générale, que les poissons qui sont dans les coquillages de la mer, comme les huîtres, les moules, &c. s’augmentent ou diminuent suivant le croissant ou le décours de la lune, aussi-bien que la moëlle qui est dans les os des animaux, et la sève qui est dans les plantes ; mais les physiciens d’aujourd’hui ne sont plus dans cette opinion, ils ont fait plusieurs expériences qui les en ont désabusés.

(3) Et vais me laver dans la mer. Les anciens avoient coutume de se purifier en se baignant dans la mer ou dans les rivières, avant que de s’employer aux choses qui regardoient la religion. Les Romains avoient dans leurs temples l’eau lustrale, dont ils se purifioient. Les Turcs encore aujourd’hui pratiquent ces ablutions avant que d’entrer dans leurs mosquées, aussi-bien que les Indiens et plusieurs autres nations.

(4) Je plonge ma tête sept fois dans l’eau. On a observé de tout temps le nombre de sept, comme renfermant quelque chose de mystérieux dans la religion. Nous voyons même qu’Elisée commanda à Naaman de se plonger sept fois dans le Jourdain, pour se guérir de sa lepre. On pourroit en citer bien d’autres exemples.

(5) Soit que vous soyez la bienfaisante Cérès. J’ai déjà remarqué que c’est la même divinité que la lune ; ainsi tous les autres noms qu’il lui donne ensuite, n’expriment que la même Déesse, suivant les différens effets qu’on lui attribue.

(6) Dans le magnifique temple d’Ephèse. On fut 220 ans à bâtir ce temple aux dépens de toute l’Asie mineure, il passoit pour une des sept merveilles du monde : un particulier nommé Hérostrate y mit le feu 356 ans avant la venue de Jésus-Christ la même nuit qu’Alexandre le Grand vint au monde. On lui demanda pourquoi il avoit commis un si grand sacrilège ; c’est, répondit-il, afin de rendre mon nom immortel. On fit des lois qui défendoient de parler jamais de lui, son nom n’a pas laissé de parvenir jusqu’à nous, et ce qu’il avoit souhaité est arrivé.

(7) Par votre triple forme. On représentoit cette Déesse sous trois figures avec des têtes de différens animaux ; savoir d’un cheval, pour marquer la vitesse de la lune dans le ciel ; d’un cerf, pour marquer qu’elle étoit Diane, la déesse de la chasse ; et d’un chien, pour marquer qu’elle étoit Proserpine, la déesse des enfers, ou le chien Cerbère.

(8) Des sillons qui s’élevoient en forme de serpens. C’est parce que les sillons sont faits comme des serpens qui rampent, ou parce que le char de Cérès est tiré par des serpens aîlés. Minutius donne à cette déesse un serpent pour ceinture.

(9) Tantôt d’un blanc clair et luisant, tantôt d’un jaune de saffran, et tantôt d’un rouge, couleur de roses. La lune paroît rouge quand elle se lève, à cause des vapeurs de la terre, au travers desquelles nous la voyons ; quand elle est plus haute au-dessus de l’horison, elle paroît jaune, et quand elle est vers le milieu de son cours, elle paroît blanche, parce qu’entre elle et nous, il n’y a plus assez de vapeurs pour empêcher qu’on ne la voie dans son pur éclat.

(10) Un vase d’or en forme de gondole. Les Egyptiens représentoient Isis avec un vase à la main, en forme de gondole ou petit bateau, pour signifier le cours des eaux et particulièrement les inondations du Nil.

(11) Je représente en moi seule tous les Dieux et toutes les Déesses. On voit par-là que les anciens, (au moins ceux qui avoient de l’esprit) ne reconnoissoient qu’un Dieu sous plusieurs noms ; ils appelloient même quelquefois les Déesses du nom masculin, Dieu, Pollentemque Deum Venerem ; le puissant Dieu Vénus, dit Calvus, poëte ancien.

(12) Les Phrygiens qui sont les plus anciens et les premiers hommes. Les Phrygiens et les Egyptiens étoient en dispute sur l’ancienneté de leur origine, elle fut décidée en faveur des Phrygiens. Voici l’histoire, que rapporte Hérodote sur ce sujet. Psammeticus, roi d’Egypte, voulant savoir qui avoient été les premiers hommes sur la terre, donna deux enfans nouveaux-nés à élever à un berger, et lui ordonna de faire ensorte qu’ils n’entendissent jamais la voix d’aucune personne, et de prendre garde au premiet mot qu’ils prononceroient, si-tôt qu’ils pourroient parler. Le berger les fit nourrir par des chèvres, et au bout de deux ans ; un jour qu’il rentroit dans sa cabane, les enfans se mirent à crier bech, et à le répéter plusieurs fois. Le Roi en ayant été informé, les fit apporter devant lui, et leur ayant entendu prononcer le même mot, donna ordre qu’on s’informât, s’il signifioit quelque chose en quelque sorte de langue que ce pût être ; il se trouva que c’étoit le terme, dont les Phrygiens se servoient pour dire du pain ; et sur cela, l’on jugea qu’ils étoient avant les Egyptiens, et les premiers hommes qui eussent été sur la terre.

Cette histoire ne dément point le caractère fabuleux d’Hérodote, et la raison de décider pour l’ancienneté en faveur des Phrygiens est plaisamment fondée. Le bech que prononçoient ces enfans, semble bien plutôt une imitation du bêlement de leurs mères nourrices les chèvres, qu’une demande de pain, aliment dont ils n’avoient encore aucune connaissance.

(13) Déesse de Pessinunte. Pessinunte est une ville de Phrygie, où Cibèle avoit un temple, d’où sa statue fut enlevée et portée à Rome pendant la seconde guerre punique. On choisit pour la recevoir dans son logis Scipion Nasica, comme le plus honnête homme d’entre les Romains.

(14) Les Athéniens originaires de leur propre pays, le texte dit, Autochtones Attici. C’est l’épithète perpétuelle des Athéniens, parce qu’on croyoit qu’ils n’étoient point venus d’aucun autre pays habiter le leur, comme la plupart des autres nations, mais qu’ils en étoient originaires, et y avoient toujours demeurés.

(15) Minerve Cecropienne. Minerve étoit la Déesse tutélaire des Athéniens ; elle est appellée Cecropienne, parce que ces peuple s’appelloient Cecropii, de Cecrops, leur premier roi.

(16) Dianne Dyctinne. On l’appelloit ainsi d’un mot grec qui signifié rets ou filet, parce qu’on s’en sert à la chasse où elle préside.

(17) Les Siciliens qui parlent trois langues. Ils parloient leur langue naturelle, ils parloient grec aussi par la communication des Grecs qui s’étoient établis chez eux, ensuite ils parlèrent latin, lorsqu’ils furent sous la domination des Romains.

(18) Proserpine Stygienne. Les Siciliens l’appellent Stygienne, parce que ce fut en Sicile que Pluton l’enleva.

(19) Némésis Rhamnusienne. Cette Déesse est appellée ainsi d’une ville qui s’appelloit Rhamnonte dans le pays Attique où elle étoit particulièrement adorée ; elle étoit crue fille de la justice, et regardant de la profondeur de l’éternité les choses d’ici-bas, elle récompensoit les bons et punissoit les méchans. Martianus Capella dit qu’elle étoit la même que la Fortune.

(20) Les peuples de l’Ariane. Ces peuples habitent aux environs de la mer Caspienne, au pied du mont Caucase au-dessus de la Perse.

(21) Après que cette puissante Déesse m’eut ainsi déclaré ses volontés, elle disparut. Le texte dit, in se recessit ; elle se retira en elle-même. Apulée représente ici la Déesse Isis, comme mère de toute la nature et divinité universelle, remplissant toutes choses, elle ne pouvoit donc se retirer nulle part où elle ne fût déjà ; ainsi il dit avec raison qu’elle se retira en elle-même. Je ne l’ai pas exprimé pour éviter l’obscurité. Elle disparut, que j’ai mis à la place, signifie ce que veut dire l’Auteur, quoiqu’à la vérité la manière dont il le dit, est bien plus belle ; mais en françois il faut être clair sur toutes choses.

(22) Consacré au grand Sérapis. Sérapis, divinité des Egyptiens, est la même qu’Apis et Osiris, que les Perses adoroient sous le nom de Mithra, qui est le soleil. Sérapis comprenoit en lui tous les Dieux, de même qu’Isis comprenoit toutes les Déesses.

(23) Un vase d’or fait en forme de mammelle. Ce vase étoit le simbole de la fécondité de la nature.

(24) Le visage à moitié noir et à moitié doré. On représentoit ainsi Mercure ; ces couleurs différentes désignoient le ciel et les enfers, parce qu’il étoit l’ambassadeur et le truchement des Dieux de ces deux Empires.

(25) Une petite urne d’or parfaitement bien travaillée. C’étoit sans doute une représentation bien extraordinaire de la divinité que cette urne ; mais cela ne paroîtra pas si étrange à ceux qui auront lu dans Quinte-Curce, que la figure de Jupiter Ammon ressembloit à un nombril, et dans Tacite, que la représentation de Vénus Paphienne, n’étoit point une figure humaine, mais une piramide ronde. Il y a bien de l’apparence que, par cette urne chargée de figures hiéroglifiques, les Egyptiens avoient voulu marquer le débordement du Nil, qu’ils regardoient comme le plus grand bien de leur pays, et dont ils reconnoissoient avoir obligation à leur Déesse Isis.

(26) Et vous avez trouvé grace devant les Dieux. J’ai cru que cette expression faisoit mieux entendre en françois ce que l’auteur veut dire, que si j’avois mis vous êtes arrivé à l’autel de miséricorde, qui est dans le texte. Il y avoit à Athènes un autel consacré par les Héraclides, c’est-à-dire les descendans d’Hercule, pour conserver la mémoire du secours que les Athéniens leur avoient donné contre Euristée, roi d’Argos. Cet autel se nommoit l’autel de la miséricorde, et servoit d’asyle aux malheureux. Notre auteur y fait ici allusion.

(27) Qu’on avoit purifiée avec une torche ardente, un œuf et du soufre, on y mettoit aussi quelquefois de l’eau. Ovide, l. 7, des Métamorphoses.


Terque senem flammâ, ter aquâ, ter sulphure lustrat.


Elle purifie ce vieillard à trois fois avec du feu, de l’eau et du soufre. C’est Médée qui travaille à rajeunir Eson. Ovide encore dans l’Art d’aimer.


Et veniat quæ lustret anus lectumque locumque,
Referat et tremula sulphuret ova manu.


Et qu’il vienne une vieille qui ait soin de purifier le lit et la chambre, et qui apporte pour cela dans sa main tremblante du soufre et des œufs.

(28) Les Pastophores, c’est-à-dire ceux qui portoient le manteau sacerdotal dans les cérémonies.

(29) Que la cérémonie étoit achevée, et qu’on pouvoit se retirer. Après les cérémonies telles que celles-ci, ou après les sacrifices, un des prêtres congédioit le peuple, en disant ; le peuple peut se retirer

(30) Vêtu de douze robes. Ce pouvoit être pour marquer les douze signes du Zodiaque, par lesquels Isis, qui est la lune, passe tous les mois.

(31) Et des griffons qui naissent chez les Hiperboréens, avec la tête et les aîles d’un oiseau, j’y ai ajouté, et le reste du corps d’un lion, qui me paroissoit manquer à la description entière du griffon, suivant l’idée que nous en avons. Ce prétendu animal que nous nommons griffon, du mot, grips, étoit appellé picus par les anciens Latins, au rapport de Nonius.

(32) Vous illuminez le soleil. Il est aisé de voir par-là, qu’Apulée n’entend pas seulement parler de la lune par cette Divinité, mais de la nature même qui est l’ame du monde, ou plutôt l’être souverain ; car on ne peut pas dire que la lune illumine le soleil.

(33) Au port, j’y ai ajouté d’Ostie, quoiqu’il ne soit pas dans le texte, parce que c’est le port dont l’auteur entend parler, qui est le plus proche de Rome.

(34) Dans cette sainte ville. On appelloit Rome sainte, à cause que toutes les religions du paganisme y étoient reçues, qu’il y avoit quantité de temples et de chapelles, et que le peuple Romain étoit fort religieux.

(35) Je souffrois une peine incroyable dans cette cruelle situation. Il y a dans le texte, quod ait vetus proverbium : Inter sacrum et saxum positus cruciabar ; comme dit le vieux proverbe : Je souffrois une grande peine étant entre la pierre et l’autel. Ce proverbe est pris de la coutume des sacrifices, où le prêtre tuoit la victime au pied de l’autel, en la frappant avec une pierre, et en disant, quand il étoit question d’une alliance jurée avec un autre peuple, Que le premier des deux nations qui violera le traité, soit frappé par Jupiter comme je frappe la victime avec cette pierre.

(36) Dignité de décurion. Il entend par cette dignité ceux qui avoient sous leur conduite un certain nombre de prêtres. On nommoit aussi décurions les sénateurs des villes municipales, et des colonies romaines. On nommoit encore décurion dans les troupes, un officier qui commandoit à dix cavaliers, et quelquefois à un plus grand nombre.


Fin des Remarques du onzième et dernier Livre.