Les Métamorphoses (Apulée)/Traduction Bastien, 1787/II/Remarques sur le Livre X

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REMARQUES

SUR

LE DIXIEME LIVRE.


(1) Du brodequin je monte au cothurne, c’est-à-dire, je passe d’un stile familier et enjoué, à un stile sérieux et tragique. Ceux qui jouoient la comédie, avoient une chaussure basse et ordinaire aux personnes du commun ; les Latins la nommaient soccus, que j’ai exprimé par brodequin ; et ceux qui jouoient la tragédie usoient d’une autre chaussure qui étoit fort élevée, qu’ils appelloient cothurne.

(2) Un ancien valet qu’elle avoit. Il y a dans le texte, dotali servo, un esclave qui faisoit partie de sa dot. Les esclaves que les femmes amenoient à leurs maris, comme faisans partie de leur dot, et qui étoient pour cela appelés dotales, passoient au pouvoir de leurs maris, comme tous les autres effets qui composoient leur dot. Elles en avoient quelquefois d’autres qu’elles se réservoient à elles en propre ; on les appelloit receptitii ; reservés. Les uns et les autres étoient d’ordinaire entièrement dévoués à leurs maîtresses, avec qui ils avoient été dès leur enfance dans la maison de leur père, et étoient fort peu fidèles aux maris dans les choses où les femmes avoient des intérêts opposés aux leurs.

(3) Un courier après lui. Parmi les esclaves, il y en avoit dont l’emploi étoit d’aller et de venir pour les affaires de la maison ; et dans les comédies on leur donne ordinairement le nom de dromo qui signifie coureur. Quelques gens de qualité ont encore aujourd’hui de ces sortes de valets qu’ils nomment coureurs.

(4) Part du bûcher qui étoit préparé. Les anciens, comme on a déjà dit, gardoient les corps des défunts huit jours, et pendant ce temps-là on dressoit le bûcher pour les brûler, et l’on préparoit le reste des choses nécessaires pour la pompe funèbre. Les plus proches parens du mort tournoient le dos au bûcher en y mettant le feu, pour marquer que c’étoit avec regret qu’ils lui rendoient ce funeste office.

(5) A être cousu dans un sac. J’y ai ajoûté, et jetté dans l’eau, pour faite entendre cet endroit qui regarde le supplice des parricides, parce qu’il ne suffisoit pas dans la traduction de dire simplement cousu dans un sac. La coutume étoit d’enfermer dans ce même sac avec le criminel un singe, un serpent et un chien, et on le jettoit en cet état dans la mer ou dans un lac ou une rivière, en cas qu’on fût trop éloigné de la mer.

(6) Ils y trouvèrent l’anneau de fer. Au commencement de la république romaine, les chevaliers et même les sénateurs ne portoient aux doigts que des anneaux de fer ; le luxe s’étant accru dans la suite, ils en portèrent d’or enrichis de pierres précieuses, et ceux de fer restèrent aux esclaves.

(7) Une haine aussi terrible entre nous, que celle qui étoit entre Etéocle et Polynice. Ces deux fils d’Œdipe qui les avoit eus de Jocaste sa propre mère, après s’être fait long-temps la guerre, résolurent de la terminer par un combat singulier, où ils se tuèrent tous deux, et leurs corps étant mis sur un même bûcher, la flamme se partagea en deux, sans qu’on pût jamais la réunir, ce qui marquoit même après leur mort, l’inimitié irréconciliable qui avoit été entre eux.

(8) Les Harpies qui emportoient les viandes de la table de Phynée. Le roi Phynée ayant fait crever les yeux à ses enfans d’un premier lit, à la persuasion de leur marâtre, en fut puni par les Dieux qui l’aveuglèrent et qui envoyèrent les Harpies qui enlevoient les mets de dessus sa table. Ces Harpies étoient des oiseaux monstrueux qui avoient le visage de fille. A la fin, elles furent chassées par les deux fils de Borée, Zethés et Calais, et confinées dans les isles Strophades.

(9) Du poisson accommodé avec une sauce extraordinaire. Il y a dans le texte. Assaisonné d’une sauce étrangére. C’étoit une espèce de saumure qui leur venoit particulièrement d’Espagne.

(10) Et que me regardant comme une espèce de monstre, &c. En effet, il auroit paru prodigieux et monstrueux qu’un âne, sans avoir été instruit, eût si bien imité l’homme. Au reste, pour peu qu’on ait lu Tite-Live, on y aura trouvé une infinité d’exemples de monstres ou d’animaux prodigieux immolés et jettés dans la mer, ou détruits par quelque autre manière que ce soit, par ordre des Haruspices, afin d’expier par leur destruction tout ce qu’ils présageoient de sinistre.

(11) Pasiphaé, fille du Soleil, femme du roi Minos, s’amouracha d’un taureau, d’où vient ce fameux Minotaure, dont les poëtes parlent tant.

(12) De faire périr son enfant. C’étoit un usage chez les anciens de faire mourir ceux qu’il leur plaisoit de leurs enfans, si-tôt qu’ils étoient nés ; lorsqu’ils jugeoient qu’ils en auroient eu un trop grand nombre, à proportion du bien qu’ils avoient pour les élever. Ils faisoient mourir les filles plus ordinairement que les garçons, parce que la dot, qu’il falloit donner aux filles pour les marier, leur étoit à charge.

(13) La potion sacrée. C’étoit une médecine faite avec de l’ellébore.

(14) Sachant donc bien que les mères héritent de leurs enfans par leur mort. Ces sortes de successions, dont les pères et les mères héritoient de leurs enfans, contre l’intention ordinaire de la nature, s’appelloient immaturæ, prématurées ; tristes ou luctuosæ, tristes ou déplorables. C’est l’empereur Claudius qui le premier a accordé aux mères la succession de leurs enfans, pour les consoler en quelque façon de leur perte.

(15) Cependant j’étois accablé d’une grande tristesse. J’ai passé légèrement sur plusieurs expressions trop libres, qui sont dans l’original en cet endroit.

(16) La danse Pyrrhique. Elle avoit été inventée par Pyrrhus qui la dansa le premier autour du tombeau de Patrocle, l’ami intime de son père Achille.

(17) Avec un grand manteau brodé de couleurs différentes. Il y a dans le latin. Barbaricis amiculis humeris defluentibus ; avec un manteau à la mode des Barbares, c’est-à-dire, à la Phrygienne, ou brodé ; car, quoique les Grecs appellassent tous les autres peuples barbares, ce sont les Phrygiens dont l’auteur entend parler ici, à cause de l’art de broder qu’ils ont inventé ; c’est pourquoi phrygiones en latin, veut dire brodeur en françois : on les appelloit aussi Barbaricarii.

(18) De Castor et de Pollux. Ils étoient, comme tout le monde sait, fils de Jupiter et de Leda, femme de Tindarus roi de Sparte. Ils furent changés en astres, et placés dans la troisième maison du Zodiaque, sous le nom de Gemini.

(19) Un casque rond sur la tête. Ces casques ronds représentoient les deux moitiés de la coque de l’œuf, dont ces deux Dieux étoient sortis, et les étoiles qui étoient dessus, représentoient leurs astres.

(20) Une fontaine de vin où l’on avoit délayé du saffran. C’étoit la coutume de ces temps-là de faire jaillir, par le moyen de petits tuyaux, dans les théâtres une liqueur, soit d’eau ou de vin, où l’on avoit délayé du saffran qui répandoit ainsi son odeur dans toute l’assemblée. Pline, liv.2, chap. 6, parlant du saffran, dit : Sed vino mire congruit præcipuè dulci tritum ad theatra replenda. Le saffran s’accommode merveilleusement bien avec le vin, dans lequel on le délaye pour remplir les théâtres de son odeur. Properce, liv. 4, élégie 1.

Pulpita solemnes non oluere crocos.

Le théâtre n’a point été parfumé de saffran à l’ordinaire.


Fin des Remarques du dixième Livre.


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