Les Métamorphoses (Apulée)/Traduction Bastien, 1787/II/Remarques sur le Livre VIII

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REMARQUES

SUR

LE HUITIEME LIVRE.


(1) A la pointe du jour. Le texte dit, noctis gallicinio ; à l’heure de la nuit que les coqs chantent. A la pointe du jour veut dire la même chose, et est mieux en françois.

(2) Cependant quand Carite fut unie au vertueux Tlépolême. Il y a dans le latin. In boni Tlepolemi manum convenerat. Voyez la note 38 du sixième livre, où j’ai expliqué les trois sortes de mariages des anciens.

(3) Ne commencez point vos nôces par un parricide. Le crime de Thrasile se pouvoit nommer un parricide, puisqu’il avoit tué son ami, et Carite en eût été en quelque façon complice, si elle eût épousé le meurtrier de son mari.

(4) L’agréable image de mon cher époux, que vous regardez comme votre frère, est encore présente à mes yeux. Le texte dit ensuite. Adhuc odor cinnameus ambrosii per nares meas percurrit ; Mon nez est encore tout parfumé de l’agréable odeur de son aimable corps. Quelque tour que j’eusse pu donner à cette phrase, je n’ai pas cru qu’elle présentât une idée agréable à l’esprit.

(5) Le temps qu’il faut pour porter le deuil de sa mort. Les veuves étoient obligées de porter le deuil de leurs maris pendant une année ; mais cette année n’étoit que de dix mois du temps de Romulus, et quoique dans la suite elle fût de douze mois, par l’addition qu’on y fit de Janvier et de Février, les veuves se régloient toujours sur l’ancienne coutume, jusqu’au temps de Théodose, qui ordonna qu’elles porteroient le deuil pendant l’année entière de douze mois, et elles étoient notées d’infamie, si elles se remariaient pendant ce temps-là.

(6) On prit son corps, et après l’avoir lavé avec beaucoup de soin. C’étoit la coutume de laver les corps des défunts, avant que de les porter sur le bûcher, pour y être réduits en cendres. On recueilloit ces cendres dans une urne qu’on enfermoit dans un tombeau. Toutes les cérémonies des funérailles des anciens sont fort bien détaillés dans le sixième livre de l’Enéide.

(7) Résolu de se laisser mourir de faim, &c. Le texte dit : Inedia statuit elidere sua sententia damnatum spiritum. Il y a un bel exemple d’une pareille résolution dans une ancienne inscription rapportée par Pricæus, et tirée d’un monument où s’étoit enfermée une désespérée, comme celui-ci : La voici. Inferno Plutoni Tricorporique uxori carissimæ, tricipitique Cerbero munus meum ferens, damnatam dedo animam, vivamque me hoc condo monimento, &c. Je livre à Pluton, Dieu des enfers, à sa très-chère femme la Triple-Hécate, et à Cerbère à trois têtes, mon ame que j’ai condamnée à la mort, dont je leur fais présent, et je m’enferme toute vive dans ce tombeau, &c.

(8) Je vous conjure par ce que vous avez de plus cher au monde, et par vous-même. Je me suis servi de ces expressions, qui sont plus à notre usage et plus intelligibles, que si j’avois mis, comme il y a dans le texte : Je vous conjure par vos fortunes et par vos génies ; per fortunas vestrosque genios. Les anciens étoient persuadés qu’il y avoit un génie universel, comme une espèce d’intelligence répandue dans toute la nature. Ils croyaient encore une infinité de Génies particuliers, dont les uns présidoient aux empires, aux provinces et aux villes, d’autres aux maisons des particuliers, à leurs familles, et à leurs personnes mêmes, que ce Génie particulier, qu’ils croyoient fils de Jupiter et de la Terre, présidoit à la nativité de tous les hommes, et que l’esprit de cette divinité étoit de les porter à l’usage de la vie la plus délicieuse, à rechercher toutes les occasions de plaisir, et à les regarder comme de véritables dons du ciel, qui passent rapidement, et dont on doit ménager avec soin tous les momens ; et lorsque, suivant l’esprit de cette divinité, ils se livroient à la joie et au plaisir, cela s’appelloit genio indulgere. Chacun sacrifioit tous les ans à son Génie, et particulièrement le jour de sa naissance. Ces sacrifices étoient accompagnés de jeux, de danses et de festins. On n’y offroit ordinairement que des parfums, des essences précieuses, des fleurs et l’effusion du vin délicieux, et jamais on n’y immoloit des victimes. Ils regardoient comme une cruauté et comme une chose qui pouvoit avoir de mauvaises suites, d’ôter la vie à quelque animal le jour qu’eux-mêmes l’avoient reçue.

Ils attribuoient à ce Génie particulier toute leur bonne conduite dans les affaires, les succès et les prospérités. Ils croyoient devoir à je ne sai quelle influence et inspiration de sa part ces heureux événemens, où il entre quelque chose de plus que les règles de la prudence humaine, et où souvent la fortune décide contre ces mêmes règles.

Ce culte et cette vénération des anciens pour leur Génie faisoit que, lorsqu’on vouloit obtenir une grâce de quelqu’un, on ne croyoit pas pouvoir la lui demander par rien de plus fort et de plus sacré pour lui, que par son Génie.

(9) Qui font demander l’aumône à la déesse de Syrie. C’étoit la grand’mère des Dieux, que l’on nommoit indifféremment, Rheæ, Ops ou Cybèle. On la représentoit couronnée de tours. Son mari étoit Cœlus, qui signifie le Ciel, pour montrer que toutes choses sont produites du ciel et de la terre. Quelques-uns ont cru que cette déesse Syrienne étoit Junon.

(10) Qui lui répond que j’étois de Cappadoce. Il y a une plaisanterie dans la réponse de ce crieur public. Il parle de cet âne comme d’un esclave, ce qui se voit encore mieux dans la suite ; c’est pour cela qu’il dit que cet animal est de Cappadoce ; de toutes les provinces celle dont on amenoit à Rome les meilleurs esclaves et en plus grand nombre. On en peut voir quelques preuves dans Perse, Sat. 6, et dans Juvenal, Sat. 7. La réputation des ânes d’Arcadie étoit grande ; mais, pour ceux de Cappadoce, il n’en est fait mention nulle part.

(11) Et quoique je me rende coupable des peines portées par la loi Cornélia. Ce ne peut être que la loi Cornélia de falsis, dont l’auteur prétend parler ici. Elle est rapportée au 9 liv. du Code, titre 22, et au Dig. titre, ad legem Corneliam de falsis, parce qu’il est parlé dans cette loi de la supposition d’enfans ; car, pour ce qui est du Plagium, qui est le crime de celui qui vendoit un homme libre, comme s’il étoit esclave, il n’y a point de loi Cornélia qui en parle, mais bien la loi Fabia.

(12) Que la toute-puissante déesse Syrienne, &c. Il semble en cet endroit que l’auteur distingue Cybèle de la déesse de Syrie, quoi qu’il y ait apparence que c’étoit la même divinité adorée sous plusieurs noms.

(13) Que le Dieu de Bacchus, &c. Le texte dit : Sanctus Sabazius. On entend par Sabazius, Bacchus, d’un verbe grec, Sabazim, qui signifie faire bien du bruit et du tumulte, comme faisoient les bacchantes dans les orgies. Le mot même de Saboé étoit un de leurs cris, aussi-bien qu’Evyé ; il y a pourtant quelques auteurs qui prétendent que Sabazius étoit le fils de Bacchus, et non pas Bacchus lui-même.

La déesse Syrienne, Sabazius, Bellone et Cybèle avoient la même espèce de prêtres à leur service, comme on le peut voir par cet endroit de Juvénal, Sat. 6.

Bellonæ matrisque Deûm chorus intrat
Et ingens semivir.

Strabon dit aussi, l. 10, que les sacrifices et les cérémonies de Sabazius étoient les mêmes que celles de Cybèle.

(14) La supposition non d’une biche à la place d’une fille. C’est une allusion à ce qui arriva au port d’Aulide, lorsque Diane supposa une biche à la place d’Iphigénie, que les Grecs alloient lui sacrifier.

(15) Et firent cent railleries à leur maître. Il y a en cet endroit bien des saletés retranchées.

(16) Il y avoit parmi eux un jeune homme robuste. J’ai passé tout ce qui suit cela le plus légèrement qu’il m’a été possible.

(17) Faisant des cris et des hurlemens dès le pas de la porte, ils y entrèrent comme des furieux. Remarquez l’insolence de ces misérables ; Ils entrent comme des furieux dans la maison d’un homme de qualité, sans lui en demander seulement la permission. Le respect qu’on a pour la Religion, a de tout temps donné lieu à bien des fripons et des gens indignes de s’en prévaloir.

(18) Se mordant les bras de temps en temps, que chacun d’eux se taillada ensuite. On voit encore en Turquie certains religieux Mahométans qui font la même chose que ceux-ci faisoient.

(19) Les doux accens de la musique Phrygienne. On peut voir dans un de ces fragmens d’Oraisons d’Apulée, qu’on nomme Florides, que le chant ou mode phrygien étoit consacré aux cérémonies de la Religion, comme le Lydien étoit destiné aux plaintes et aux chants lugubres, et le Dorien pour animer au combat.

Fin des Remarques du huitième Livre.


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