Les Mémoires de Footit et Chocolat/Intro


Pierre Lafitte et Cie (p. 3-6).


Quelques mots pour présenter les
Mémoires de Footit et Chocolat.



L’habituel préfacier de Footit et de Chocolat est, soit un jongleur à cheval, soit un écuyer serré dans son habit bleu de ciel, possesseur d’une paire de superbes moustaches et d’une raie magnifique sur des cheveux soigneusement cosmétiqués !

Aujourd’hui, Mesdames et Messieurs, vous ne vous trouvez pas sur des fauteuils de cirque et celui qui vous présente Footit et Chocolat ne brandit pas la chambrière avec laquelle il s’agit d’exécuter des 8 savants ; il n’est armé que d’un maigre porte-plume, il travaille dans un paisible cabinet, il n’a même pas l’accent anglais !…

Cela ne l’empêcha point, d’ailleurs, de savourer avec un intérêt passionné le récit que vous allez lire. J’avais, comme tout le monde, applaudi les deux clowns ; j’avais même assisté à la journée Footit — car il y eut une « journée » en l’honneur de Footit comme en celui de Sarah Bernhardt : les artistes de Paris vinrent présenter leur hommage à ce camarade illustre ; on y fit une conférence, on y récita des vers et le héros de la fête parut, à la fin, dans ses créations les plus célèbres ; il fut l’écuyère débutante qui trébuche sur le « panneau », il fut le poète qui court après un insaisissable papillon et j’ai encore dans les oreilles le bruit des acclamations qui le saluèrent…

Mais nous sommes plus exigeants. Il ne nous suffit pas de constater la gloire de nos favoris, nous voulons encore savoir comment ils y parvinrent.

C’est ainsi que naquit l’idée des Mémoires de Footit et de Chocolat.

Ils firent leurs confidences à Franc-Nohain. Franc-Nohain écrivit des vers clownesques, des vers désarticulés comme l’homme-serpent, agiles comme la danseuse de corde, des vers qui sautent en l’air comme des chats et « retombent toujours sur leurs pattes », selon l’expression d’un autre poète, Théophile Gautier. Footit et Chocolat lui dirent tout.

Ils lui contèrent leurs débuts, la misère du pauvre négrillon vendu comme un esclave, tour à tour valet d’écurie, groom, ouvrier dans une usine à Bilbao, les vicissitudes du jeune Footit, né dans les cirques et cherchant sa voie jusqu’au moment où — si blanc ! — il rencontra Chocolat — si noir !

Et Chocolat, avec un sourire ravi, devint le souffre-douleur de Footit !

Mais les gifles que donne le second au premier ne sont pas des gifles méchantes, ce sont des gifles fatales ; il est dans la destinée de Footit de les envoyer et dans celle de Chocolat de les recevoir : voilà tout. Cela ne l’empêche pas de sourire d’ailleurs, ni d’être fier de son bel habit rouge, de ses escarpins vernis, de ses bas de soie, de son gilet blanc et de son « petite châpeau », un melon qu’il plante sur ses yeux et qu’il époussète avec un soin attendri chaque fois qu’il tombe à terre — ce qui lui arrive souvent ; les gifles, n’est-ce pas !…

Au cirque, Chocolat, quand il ne joue pas un travesti, garde ce costume, …et sa couleur naturelle — sale nègre ! a coutume de lui reprocher son compère quand il est à bout de claques et de coups de pied ! — Footit, au contraire, s’enfarine le visage et s’habille en clown classique étincelant de broderies d’or et d’argent.

Par exemple, dans la rue, Footit n’est plus qu’un gentleman blond et trapu, vêtu avec une correction toute britannique, tandis qu’on reconnaît Chocolat ; les tout petits le montrent au doigt : « Maman ! Totolat ! » On se trompe même parfois et certains nègres qui n’y ont aucun droit, bénéficient ainsi de la popularité de leur congénère !

Vous allez donc apprendre comment le jeune Footit et le jeune Raphaël (c’est le vrai nom de Chocolat) parvinrent au sommet de leur art. Vous trouverez dans ce récit où tout est vrai un reflet de certains romans qui vous passionnèrent, tel Sans famille — avec cette énorme différence pourtant, qu’il s’agit ici de personnages en chair et en os et d’une histoire vécue.

Footit est un novateur ; il invente les histoires qui nous amusent tant. Exemple unique de clown complet, réunissant l’agilité et l’esprit : il sait exécuter à merveille un saut périlleux et trouver un mot qui fait éclater de rire. Il est aussi et surtout, peut-être, un mime prodigieux. Vous vous souvenez de lui en Pierrot-soldat, tremblant de peur devant sa guérite, avec un terrible fusil qui l’embarrasse.

Chocolat, lui, remplace à la fois Auguste qui n’amusait que par sa gaucherie et son inutilité, et l’écuyer qui donnait seul, jadis, la réplique au clown. Cet écuyer était trop beau, trop bien coiffé, trop correctement sanglé dans son habit pour jouer avec conviction un rôle d’idiot. Ainsi, le clown traçait un rond, mettait l’écuyer au milieu et se plaçait à côté de lui, puis il disait :

— Il y a deux hommes dans ce rond : un intelligent et un imbécile.

— Oui, clown.

— Si l’intelligent s’en va qui est-ce qui reste ?

— L’imbécile !

En parlant, le clown sortait sournoisement du rond et l’écuyer y restait, mais avec un sourire supérieur. Il n’était pas, avec conviction, l’imbécile annoncé par le clown ! Chocolat, au contraire, prouve une fois de plus « qu’il ne faut pas être bête pour faire la bête ». Il essuie des gifles comme s’il avalait des éclairs au café et ne s’étonne pas de recevoir trente coups de poing dans les côtes sous prétexte que Footit, jouant au conducteur d’omnibus, a besoin de faire semblant de pointer les correspondances !

Vous allez savoir grâce à quel hasard, à quel coup bienfaisant de la Destinée, Footit né à Nottingham (Angleterre) rencontra à Madrid le jeune Chocolat (né à La Havane). Chocolat avait admiré Footit. Ils ne devaient plus guère se séparer. Il n’est pas mauvais, en amitié, qu’un des deux amis admire l’autre !

Aujourd’hui ils sont arrivés au sommet de leur art ; on les imite sans les égaler et nous devons plaindre par avance nos petits-neveux qui ne connaîtront que par ouï-dire Footit et Chocolat.

Grâce à Franc-Nohain qui a recueilli fidèlement leurs Mémoires, il restera d’eux, pourtant, quelque chose de plus que leur nom. On saura que l’existence de ces deux clowns, existence qui ne fut pas toujours facile, se dénoua à la façon des contes de fée : « ils furent heureux et eurent beaucoup d’enfants !… »

Maintenant, lecteur, prends place, sans avoir besoin d’un contrôleur, ni d’une ouvreuse. Les écuyers s’alignent en achevant de mettre leurs beaux gants blancs, le chef d’orchestre lève son bâton ; l’auditoire frémit d’impatience ; Footit bondit sur la piste en deux bonds prodigieux ; Chocolat arrive, inquiet, les pieds en dedans, gardant tant bien que mal l’équilibre de son fameux chapeau : c’est Footit ! c’est Chocolat ! la joie resplendit dans tous les yeux. Êtes-vous prêts ? ou plutôt :

— Are you ready ?

— Yes !

— Miousic !