Les Lettres d’Amabed/Réponse 3 de Shastasid

Les Lettres d’Amabed
Les Lettres d’AmabedGarniertome 21 (p. 448-449).


RÉPONSE
DU BRAME SHASTASID AUX TROIS LETTRES PRÉCÉDENTES D’ADATÉ.


Vertueuse et infortunée Adaté, épouse de mon cher disciple Amabed, Charme des yeux, les miens ont versé sur tes trois lettres des ruisseaux de larmes. Quel démon ennemi de la nature a déchaîné du fond des ténèbres de l’Europe les monstres à qui l’Inde est en proie ! Quoi ! tendre épouse de mon cher disciple, tu ne vois pas que le P. Fa tutto est un scélérat qui t’a fait tomber dans le piège ! Tu ne vois pas que c’est lui seul qui a fait enfermer ton mari dans un fosse, et qui t’y a plongée toi-même pour que tu lui eusses l’obligation de t’en avoir tirée ! Que n’exigera-t-il pas de ta reconnaissance ! Je tremble avec toi : je donne part de cette violation du droit des gens à tous les pontifes de Brama, à tous les omras, à tous les raïas, aux nababs, au grand empereur des Indes lui-même, le sublime Babar, roi des rois, cousin du soleil et de la lune, fils de Mirsamachamed, fils de Semcor, fils d’Abouchaïd, fils de Miracha, fils de Timur, afin qu’on s’oppose de tous côtés aux brigandages des voleurs d’Europe. Quelle profondeur de scélératesse ! Jamais les prêtres de Timur, de Gengis-kan, d’Alexandre, d’Ogus-kan, de Sésac, de Bacchus, qui tour à tour vinrent subjuguer nos saintes et paisibles contrées, ne permirent de pareilles horreurs hypocrites ; au contraire, Alexandre laissa partout des marques éternelles de sa générosité. Bacchus ne fit que du bien : c’était le favori du ciel ; une colonne de feu conduisait son armée pendant la nuit, et une nuée marchait devant elle pendant le jour[1] ; il traversait la mer Rouge à pied sec ; il commandait au soleil et à la lune de s’arrêter quand il le fallait ; deux gerbes de rayons divins sortaient de son front ; l’ange exterminateur était debout à ses côtés, mais il employait toujours l’ange de la joie. Votre Albuquerque, au contraire, n’est venu qu’avec des moines, des fripons de marchands, et des meurtriers. Coursom le juste m’a confirmé le malheur d’Amabed et le vôtre. Puissé-je avant ma mort vous sauver tous deux, ou vous venger ! Puisse l’éternel Birma vous tirer des mains du moine Fa tutto ! Mon cœur saigne des blessures du vôtre.

N. B. Cette lettre ne parvint à Charme des yeux que longtemps après, lorsqu’elle partit de la ville de Goa.


  1. Il est indubitable que les fables concernant Bacchus étaient fort communes en Arabie et en Grèce, longtemps avant que les nations fussent informées si les Juifs avaient une histoire ou non. Josèphe avoue même que les Juifs tinrent toujours leurs livres cachés à leurs voisins. Bacchus était révéré en Égypte, en Arabie, en Grèce, longtemps avant que le nom de Moïse pénétrât dans ces contrées. Les anciens vers orphiques appellent Bacchus Misa ou Mosa. Il fut élevé sur la montagne de Nisa, qui est précisément le mont Sina ; il s’enfuit vers la mer Rouge ; il y rassembla une armée, et passa avec elle cette mer à pied sec. Il arrêta le soleil et la lune ; son chien le suivit dans toutes ses expéditions, et le nom de Caleb, l’un des conquérants hébreux, signifie chien.

    Les savants ont beaucoup disputé, et ne sont pas convenus si Moïse est antérieur à Bacchus, ou Bacchus à Moïse. Ils sont tous deux de grands hommes ; mais Moïse, en frappant un rocher avec sa baguette, n’en fit sortir que de l’eau ; au lieu que Bacchus, en frappant la terre de son thyrse, en fit sortir du vin. C’est de là que toutes les chansons de table célèbrent Bacchus, et qu’il n’y a peut-être pas deux chansons en faveur de Moïse. (Note de Voltaire.)

    Voyez, sur Bacchus et Moïse, la note, tome XI, page 80.