Les Lettres d’Amabed/Lettre 13b d’Amabed

Les Lettres d’Amabed
Les Lettres d’AmabedGarniertome 21 (p. 468-469).


TREIZIÈME LETTRE
D’AMABED.


Tandis que cette ville est partagée sourdement en petites factions pour élire un vice-dieu, que ces factions, animées de la plus forte haine, se ménagent toutes avec une politesse qui ressemble à l’amitié, que le peuple regarde les Pères Fa tutto et Fa molto comme les favoris de la Divinité, qu’on s’empresse autour de nous avec une curiosité respectueuse, je fais, mon cher Shastasid, de profondes réflexions sur le gouvernement de Roume.

Je le compare au repas que nous a donné la princesse de Piombino. La salle était propre, commode, et parée ; l’or et l’argent brillaient sur les buffets ; la gaieté, l’esprit et les grâces, animaient les convives ; mais, dans les cuisines, le sang et la graisse coulaient ; les peaux des quadrupèdes, les plumes des oiseaux et leurs entrailles pêle-mêle amoncelées, soulevaient le cœur, et répandaient l’infection.

Telle est, ce me semble, la cour romaine ; polie et flatteuse chez elle, ailleurs brouillonne et tyrannique. Quand nous disons que nous espérons avoir justice de Fa tutto, on se met doucement à rire ; on nous dit que nous sommes trop au-dessus de ces bagatelles ; que le gouvernement nous considère trop pour souffrir que nous gardions le souvenir d’une telle facétie ; que les Fa tutto et les Fa molto sont des espèces de singes élevés avec soin pour faire des tours de passe-passe devant le peuple ; et on finit par des protestations de respect et d’amitié pour nous. Quel parti veux-tu que nous prenions, grand Shastasid ? Je crois que le plus sage est de rire comme les autres, et d’être poli comme eux. Je veux étudier Roume, elle en vaut la peine.