Les Kabyles du Djurdjura
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 56 (p. 562-601).
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LES
KABYLES DU DJURDJURA

I.
LA SOCIETE KABYLE AVANT LA CONQUÊTE.

L’insurrection algérienne de 1865 a mis en relief un contraste digne de fixer l’attention : tandis que des tribus arabes rompues depuis longues années à la domination de la France prêtaient leur concours à la révolte, la partie du Tell la dernière conquise, la plus peuplée, la mieux appropriée à la résistance, demeurait calme et fidèle. Nous voulons parler de la Grande-Kabylie, ce redoutable massif montagneux qui commence à seize lieues est d’Alger, sur la rive droite de Tisser, se prolonge jusqu’à Bougie entre la mer au nord et la rive gauche de l’Oued-Sahel au sud et à l’est, mesure 170 kilomètres de côtes[1], offre 900,000 hectares de surface, et peut armer plus de 80,000 combattans sur 500,000 âmes de population[2].

Tant que l’insurrection était debout, on ne devait se préoccuper que de la vaincre, et le soldat d’Afrique a marché au feu, comme toujours, sans compter ni ses ennemis ni ses alliés ; mais au lendemain de la crise, quand surtout rien n’assure qu’elle ne se puisse renouveler, n’est-il pas à propos de considérer sérieusement les amis indigènes qu’on a gardés, moins pour s’aveugler sur leur dévouement que pour travailler à le raffermir ? C’est à ce titre que nous voudrions rechercher les causes qui expliquent l’attitude favorable des Kabyles de la Grande-Kabylie, — examiner si leur conduite d’aujourd’hui est un symptôme passager, ou si elle ne promet pas plutôt des auxiliaires précieux à notre œuvre de civilisation et de progrès en Afrique.

Et la question n’est pas d’un faible intérêt. Le peuple kabyle appartient à la grande famille berbère, maîtresse jadis de tout le nord de l’Afrique. Ses origines et son histoire nous le montrent bien antérieur à l’élément arabe en Algérie, dérivant d’une race toute distincte, parlant une langue toute différente. Ce peuple occupe, soit dans les montagnes du Tell, soit dans les oasis du Sahara, près du tiers de l’Afrique française[3]. Si en des points divers il a subi l’influence du contact arabe, il n’a nulle part complètement perdu le souvenir de son origine, et toujours il aimera, croyons-nous, à revenir aux traditions de sa vraie race.

Le foyer de cette race le plus considérable se trouve dans la Grande-Kabylie ; mais son essence vraiment pure s’est concentrée sur les versans mêmes du Djurdjura et sur les rives du Haut-Sébaou[4]. C’est la contrée que les indigènes nomment fièrement le cœur de la Kabylie ; là vivent les tribus guerrières par excellence, fortes ensemble de 35,000 fusils[5]. Seules elles ont conservé intactes la langue, la coutume, les institutions nationales, parce que seules elles n’ont plié sous aucune domination avant la nôtre[6], et leur prestige est tel que leur tranquillité suffit à garantir la paix générale de la Grande-Kabylie.

Il faut avoir parcouru le Djurdjura pour se douter de la force défensive qu’il présente. La chaîne principale atteint par points une altitude de 2,200 mètres ; quand les neiges ne la couvrent pas[7], les grands rochers qui la couronnent suffisent à rendre périlleux les passages entre les deux versans. De quelque côté qu’on aborde le pays, ce sont ou montagnes abruptes offrant des défilés qu’une poignée d’hommes défendrait contre une colonne, ou vallées profondes, souvent infranchissables, qui servent de fossés à une série de forteresses naturelles séparées. Sur les pitons se dressent les villages, bâtis en pierres solides et entourés de ravins, de chemins creux, de retranchemens, de haies vives. Qu’on se figure, au sein de ce pays, à une population beaucoup plus serrée que la population moyenne de la France[8], et l’on mesurera toute la portée qu’aurait prise l’insurrection, si elle avait compté de pareils alliés.

Or est-ce la force des armes qui a maintenu ces Kabyles dans le devoir ? Non ; deux mille hommes à peine occupaient leur territoire. Auraient-ils ignoré les nouvelles du théâtre de l’insurrection ? Pas davantage : il est dans le Djurdjura des tribus voyageuses dont les colporteurs vont aux extrémités de l’Algérie. Chaque semaine en ramenait plusieurs au pays, qui venaient sur les marchés raconter et grossir les événemens. Aucune des phases de la guerre ne leur est restée inconnue ; les imaginations avaient même toute matière à s’exalter avec des bruits merveilleux et étranges comme ceux-ci : « marcherait-on trois jours dans le camp du chef de la révolte, qu’on n’en verrait pas la fin… La tente du chérif n’était qu’or et argent ; rien n’égalait le luxe des insoumis dans leurs vêtemens et les harnachemens de leurs chevaux… Les rebelles s’appuyaient sur de formidables amis à l’ouest et à l’est : c’était tantôt l’empereur du Maroc qui leur envoyait des renforts commandés par son propre frère, et un contingent de nègres dont l’armement dépassait toute perfection, tantôt le bey de Tunis qui annonçait à ses bataillons kabyles qu’ils iraient bientôt manger la figue chez leurs frères du Djurdjura… Le sultan de Constantinople, comme chef de la religion, avait béni la guerre sainte ; secrètement lié à l’Angleterre, il projetait d’expulser les Français de l’Algérie. Abd-el-Kader lui-même dirigerait les opérations, et déjà de sa personne il s’était mis à la tête des mouvemens du sud pour reprendre pied sur cette terre qu’il allait reconquérir[9]. »

Enfin les sollicitations et les promesses des rebelles n’ont pas été, comme bien l’on pense, épargnées aux Kabyles, mais sans plus de succès. Quelques Zouaouas entre autres, appartenant à la plus grande confédération djurdjurienne, traversaient, dans la province d’Oran, le territoire des Flittas, lors du soulèvement de cette importante tribu. Ils se voient entourés, accueillis, choyés ; bientôt des ouvertures leur sont faites. « L’heure a sonné pour la Kabylie de prendre les armes, disent les Flittas. Si les Français divisent leurs forces, ils sont perdus ; en aidant à notre délivrance, vous assurerez la vôtre.

« — Fort bien, reprennent les Kabyles ; mais en 1857, quand nous supportions tout le poids de l’armée française, que faisiez-vous ?

« — "Nous étions en paix.

« — Vous étiez en paix ? Eh bien ! nous y sommes à notre tour, et nous voulons y rester. »

La tranquillité de la Grande-Kabylie n’a donc sa raison d’être ni dans la pression de la force, ni dans l’ignorance des événemens, ni dans le défaut de sollicitations de la part des insurgés ; alors à quoi tient-elle ? L’opinion algérienne est unanime à répondre qu’elle tient à l’heureuse organisation que donna aux Kabyles du Djurdjura en 1857 la conquête française. Avant ce temps, à chaque tribu de la Grande-Kabylie qui faisait sa soumission, il était d’usage d’appliquer la même organisation politique qu’en pays arabe, sans tenir compte de la répugnance naturelle à une population républicaine comme les Kabyles pour toute forme aristocratique de gouvernement. Après la campagne de 1857, rompant soudain avec les erremens du passé, le vainqueur[10] laissa au peuple du Djurdjura, sous le contrôle de l’autorité française, la libre jouissance de son administration nationale. On recueille maintenant les fruits de ce système ; que l’honneur en revienne à qui a su l’inaugurer.

Certes l’impression était saisissante lorsque, nouveau débarqué avant l’expédition de 1857, on regardait d’Alger le Djurdjura se dressant à vingt-cinq lieues vers l’orient, et qu’on entendait dire : « Le Djurdjura n’est pas encore à nous ! » Et cependant dès 1842 le maréchal Bugeaud avait senti que l’indépendance de la Grande-Kabylie était pour les tribus voisines une provocation constante à l’insurrection, et que, sans perdre de notre force morale, nous ne pouvions laisser presque aux portes d’Alger un peuple insoumis témoin vivant de notre impuissance. Dans des campagnes successives, il poussa ses armes victorieuses jusque sur la rive droite du Sébaou ; mais en 1847 même, dernière année de son glorieux commandement, alors qu’il parcourait en vainqueur la vallée de l’Oued-Sahel, il disait, montrant les tribus djurdjuriennes : « Nous ne sommes pas assez forts pour aller là ! »

C’était aussi un des axiomes du maréchal Bugeaud, que « pour posséder bien, il faut posséder tout. » Et en effet, tant que le Djurdjura, resté libre, put servir d’exemple à la révolte, les insurrections des tribus kabyles que l’on croyait conquises furent incessantes. On eut beau, durant des années, resserrer progressivement le blocus du massif djurdjurien, cette citadelle de la Grande-Kabylie voulait, avant de se rendre, les honneurs d’un suprême assaut ; elle les a eus. Ceux qui assistaient au dernier effort des Kabyles savent s’il fut énergique, et les soldats de Malakof, de Magenta, de Solférino, n’ont qu’à dire si le feu qu’ils ont entendu sur ces grands champs de bataille efface dans leur mémoire la terrible fusillade du combat d’Icheriden[11].

Le souvenir de cette campagne a vieilli trop vite. C’est peut-être qu’elle eut lieu au lendemain de la guerre de Crimée, à la veille des victoires d’Italie. Entre ces deux brillantes sœurs, elle ne prit pas le relief qu’elle méritait : a-t-on jamais su dans le public de France qu’à la vue de nos tentes assises sur les crêtes du Djurdjura les indigènes des vallées s’écriaient avec admiration : « Les Français sont un grand peuple, ils sont montés là-haut[12] ? » A-t-on songé qu’il y avait un fait historique considérable dans la conquête de toute une population que les plus puissans dominateurs du nord de l’Afrique, anciens ou modernes, n’avaient pas assujettie ? Se rappelle-t-on seulement que cette soumission achevait, il y a huit ans, la pacification générale de notre colonie algérienne sur une profondeur de cent trente lieues vers le sud et une étendue, le long de la côte, de deux cent cinquante lieues ?

Les temps sont changés depuis cette belle époque de sécurité et d’espérance ; mais l’attitude actuelle de la Grande-Kabylie rajeunit l’œuvre de 1857 et lui rend son éclat, car ce fut plus qu’une œuvre de guerre habile et victorieuse, ce fut une œuvre d’organisation et de paix étudiée, mûrie, fondée sur les institutions nationales des vaincus. En même temps que Fort-Napoléon s’élevait sur la cime de leurs montagnes pour bien montrer que désormais on les voulait dominer, le maintien de leurs immunités nationales témoignait qu’on ne les voulait pas asservir. Ils furent contens alors, ils le prouvent aujourd’hui.

En vérité, l’opinion étrangère accuse trop volontiers la France de ne savoir pas organiser ses conquêtes : l’on accordera bien au moins que le repos de la Kabylie est un sérieux succès d’organisation ; mais, s’il est vrai même que le caractère français nuise par ses impatiences au développement et à la conservation de nos colonies, l’influence d’un grand peuple ne se mesure pourtant pas aux seules traces matérielles qui subsistent ou au profit qu’il recueille. Est-ce que, pour avoir perdu les Indes, la Louisiane, le Canada, la France y a laissé moins vivant le prestige de son nom ? Et, s’il doit jamais se fonder quelque chose de stable au Mexique, ne sera-ce pas encore grâce au drapeau français, symbole d’ordre et de civilisation dont le souvenir restera là-bas comme le plus sûr garant de l’œuvre qu’il aura commencée ?

Malheureusement c’est en France peut-être que l’Algérie compte parmi les esprits prompts à désespérer ses plus violens adversaires ; ils sont las de s’occuper d’elle : elle n’est plus à leurs yeux qu’une terre ennemie, qui pèse sur la métropole comme un lourd fardeau. Plus que jamais c’est un devoir, ce nous semble, pour qui connaît un peu ce cher pays d’Afrique, de jeter, si faible qu’elle soit, quelque vraie lumière sur ce qui le touche. Dans les découragés d’aujourd’hui, il serait aisé de reconnaître les trop confîans d’hier. À ceux-là, ingrats envers la mère-patrie de nos jeunes gloires militaires et la précieuse école de notre armée, il importe de répondre que la crise algérienne n’a pas tout compromis, puisqu’elle a rendu plus manifeste l’heureuse tendance du pur élément kabyle à se concilier avec nous.

Que l’affinité de la race kabyle pour la nôtre se trouve en germe dans ses institutions nationales, qu’elle ait été heureusement exploitée déjà par la conquête française, qu’elle soit susceptible de s’accroître encore, c’est ce que nous pensons prouver en examinant successivement l’état de la société kabyle du Djurdjura avant la campagne de 1857, — l’organisation que la conquête lui a donnée, — les progrès enfin que les aspirations kabyles, aussi bien que l’intérêt français, peuvent réclamer ou permettre. Au reste, une simple esquisse comparative des physionomies, des caractères distincts du Kabyle et de l’Arabe, mettra vite en lumière ce que nous avons de commun avec l’un plutôt qu’avec l’autre. L’Arabe a le teint brun, la barbe noire ; l’air de gravité majestueuse qu’il affecte exclut de son visage toute mobilité d’expression. La tête du Kabyle, blonde aussi souvent que brune, paraît moins fine, mais porte davantage le cachet de l’intelligence ; son aspect est franc, son œil vif, sa figure parle. — L’Arabe, indolent, paresseux, ami du luxe et de l’ostentation, s’absorbe volontiers dans la mollesse d’une vie contemplative ; le Kabyle est l’homme du travail : dès qu’il cesse de remuer le sol avare de sa montagne, c’est l’industrie, c’est le commerce qui l’occupent ; content du nécessaire le plus strict, il ne met jamais de luxe qu’à son fusil, à l’arme qui doit protéger son honneur et sa liberté. « L’Arabe ressemble au chat, disent les Kabyles ; caressez-le, il fera gros dos ; frappez-le, il se fera petit. » En effet, l’Arabe est vain, mais il s’humilie devant le coup de bâton. La fierté du montagnard n’aime à s’abaisser devant personne ; le dernier des Kabyles ne souffrirait point qu’on le frappât sans se venger. — L’Arabe est habitant de la tente et pasteur ; le Kabyle habite une maison de pierres ; il tient de cœur à sa montagne, à son village, à son foyer, qu’il ne quitte jamais que pour son commerce et avec esprit de retour. — L’organisation de la société arabe est aristocratique, presque féodale, celle de la société kabyle démocratique et égalitaire ; chacun de ses membres prétend s’ingérer dans la direction des affaires publiques.

Enfin, — et nous touchons ici le point capital, — l’Arabe ne connaît d’autre loi que sa loi religieuse ; c’est une source vive où son antagonisme contre nous se retrempe constamment. Le Kabyle, bien que musulman comme l’Arabe, place ses devoirs de citoyen au-dessus des devoirs religieux, sa coutume nationale au-dessus du Koran. Ainsi ce terrible obstacle de la religion, qui se dresse toujours entre nous et l’Arabe, ne vient plus entre le Kabyle et nous qu’en seconde ligne : au premier plan, nous trouvons sa passion d’égalité civile et politique, son amour du travail et de l’industrie ; sur ce terrain, il est tout accessible au progrès, et si nous savons flatter en lui le travailleur et le citoyen, de plus en plus peut-être le musulman s’effacera. On le voit, l’élément kabyle se rapproche de nous par les côtés mêmes qui l’éloignent de l’Arabe ; il est donc permis de le dire assimilable et perfectible, et c’est chose vraiment encourageante de penser que ce que nous ferons pour son développement matériel et moral pourra bien à la fois satisfaire ses goûts et profiter à notre domination.


I

Avant la conquête, la Kabylie du Djurdjura formait une république fédérative sans gouvernement central. L’unité politique et administrative de la fédération était le village ou dechra[13] ; chaque dechra constituait à elle seule une vraie république indépendante. Ce type d’organisation a été maintenu dans ses traits essentiels, et ce que nous essaierons d’en dire gardera sur plus d’un point l’intérêt de l’à-propos.

En pays arabe, l’œil a souvent peine à découvrir des traces d’habitation et de vie ; la couleur sombre des tentes se confond tristement avec le sol. C’est au contraire un vivant aspect que celui des villages kabyles placés en relief au faîte des mamelons et montrant, par-delà une ceinture d’oliviers, de figuiers, de cactus et de frênes, l’amas de leurs maisons blanches couronnées de gaies toitures en tuiles rouges. À voir ces villages avec leurs maisons de pierres, leurs rues étroites, les obstacles de terrain qui les entourent, on croirait toutes ces défenses préparées contre la conquête étrangère. Non, c’est avant tout contre l’influence des autres villages que l’orgueilleuse individualité de chacune de ces petites républiques a prétendu abriter derrière une sorte de forteresse le jeu libre de ses institutions municipales[14].Cependant, la passion d’individualité une fois satisfaite, chaque village, sentant quelle serait sa faiblesse le jour où un puissant ennemi du dehors le viendrait attaquer, a dû se chercher des alliés ; les plus naturels étaient les plus voisins, et une alliance fondée quelquefois sur d’antiques liens de famille, mais commandée toujours par la configuration du sol, a réuni un certain nombre de dechras en un groupe qui est l’arch, c’est-à-dire la tribu[15]. Par une logique extension de ce principe, les tribus les plus voisines se sont respectivement associées pour former des ligues nommées kebila[16]. C’est la réunion de toutes les kebilas qui compose la nation kabyle, et l’étymologie du nom de kabyle ou kebaïle, qui dérive directement du mot kebila, dit d’elle-même que le peuple kabyle est le peuple de la fédération.

Ainsi l’ensemble des dechras forme l’arch, l’ensemble des archs forme la kebila. C’est surtout une loi topographique qui préside à ces associations, et l’on peut presque établir que la kebila comprend une chaîne de montagnes, l’arch un contre-fort, et la dechra un point militaire du système[17].

Il n’est point de village si humble dans le Djurdjura qui ne présente une organisation complète de la société kabyle ; on l’y retrouve tout entière avec son gouvernement, sa constitution civile, son caractère et ses passions. La forme du gouvernement est simple ; c’est la forme démocratique pure. Tous les pouvoirs politiques, administratifs, judiciaires, sont concentrés dans la djemâ ou assemblée du peuple, qui se réunit régulièrement chaque semaine, — extraordinairement, quand il est besoin. La djemâ délègue le pouvoir exécutif à un magistrat, l’amine, nommé par le suffrage ; la durée du pouvoir de l’amine est, suivant les usages locaux, annuelle ou sans limite, sous cette réserve que, si la confiance publique vient à lui manquer, l’amine offre volontairement de se démettre pour éviter une déchéance.

Cependant au sein du village ou dechra, véritable unité politique, se distinguent et s’agitent des unités secondaires dites kharoubas, dont chacune comprend un groupe de plusieurs familles ayant une origine commune et conservant entre elles des rapports intimes de fraternité. Ces kharoubas affectent, elles aussi, dans l’administration du village, une individualité tranchée : également jalouses de leur liberté propre, elles ne permettent pas à l’amine de s’immiscer dans leurs affaires intérieures, et tandis que la djemâ élit son amine, chaque kharouba se nomme un représentant ou tamen qui sert d’intermédiaire entre elle et l’autorité exécutive.

L’assemblée suprême décide de la paix et de la guerre, rend la justice, ordonne les corvées, impose les contributions et les amendes, soumet enfin les actes de l’amine à son contrôle souverain ; elle réalise par sa composition même le gouvernement de tous ; chaque citoyen en fait partie du jour de sa majorité, et le Kabyle est majeur vers quatorze ou quinze ans[18], dès qu’il a supporté une fois le jeûne du rhamadan[19]. L’amine ouvre et préside les séances de la djemâ. Il veille en temps de paix à l’exécution des lois et des décisions de l’assemblée, à la rentrée des impôts et amendes ; dans les prises d’armes, c’est lui qui indiqué l’heure des rassemblemens et distribue les munitions ; c’est lui qui a l’honneur de marcher au combat à la tête de ses concitoyens. Un oukil, comptable des deniers de la djemâ, et un khodja, secrétaire ou greffier, complètent l’organisation administrative. Toutes les fonctions publiques sont gratuites.

Voilà donc le village constitué en vraie commune indépendante et présidé par un chef électif qui est en quelque sorte un maire ayant les tamens pour adjoints de son administration ; voilà le Kabyle à la fois électeur, député, juge, soldat, partie active dans la direction de la chose publique. Voilà bien, en un mot, le régime égalitaire par excellence ; mais tout ce qui est fait pour élever l’homme au-dessus de ses pareils n’en garde pas moins, là comme ailleurs, son prestige : l’intelligence, l’éloquence, le renom militaire, la fortune, la naissance même, sont autant de titres à l’influence dans la djemâ, et le pouvoir de l’amine, quelque soumis qu’il paraisse au contrôle de l’assemblée populaire, grandit singulièrement par la valeur de celui qui l’exerce. C’est assez dire le rôle capital que joue l’élection d’un amine dans la vie politique de la société kabyle. Sauf le cas exceptionnel où l’amine est désigné d’avance par la voix publique, il faut compter, dans toute élection, avec la personnalité ardente et orgueilleuse du compétiteur kabyle, avec l’ambition de chaque kharouba, qui aspire au pouvoir pour l’un de ses membres. Quelques tribus du pays des Zouaouas avaient établi sagement que tout village demanderait son amine à chacune de ses kharoubas tour à tour. Cet usage n’a point prévalu ; le caractère kabyle se plaît à la lutte et à la recherche. Plaçons-le donc dans sa véritable sphère et mettons deux partis en présence. Les orateurs ne manquent point pour exalter devant la djemâ les mérites de leurs candidats. Le Kabyle aime la parole, volontiers il en subit le charme ; mais l’éloquence elle-même a fort besoin d’une bonne voix qui se fasse écouter au milieu des querelles, des interruptions et du tumulte. Si l’on finit par s’accorder ou qu’une forte majorité se dessine, l’amine est acclamé, et un marabout lit la prière du fatah qui appelle la bénédiction du ciel sur l’assemblée et son nouvel élu. Si aucun des partis ne cède et que leurs forces se balancent, le village peut rester sans amine, c’est l’anarchie ; le temps est alors venu de l’intervention des marabouts, qui ont un rôle reconnu de tous, le rôle sacré de la conciliation.

Que sont ces marabouts admis ainsi comme médiateurs ? Leur nom le dit, des hommes attachés à Dieu[20]. Si, en montrant un village de marabouts, vous demandez à un Kabyle : « Qui habite ce village ? » il vous répondra : « Ce ne sont pas des Kabyles, ce sont des marabouts. » La tradition leur donne en effet une origine arabe : les premiers marabouts du Djurdjura seraient des Arabes de l’ouest, peut-être des Maures chassés d’Espagne qui vinrent demander asile comme serviteurs de Dieu et comme proscrits. Les différends étaient nombreux, les guerres civiles fréquentes dans la montagne ; pieux et désintéressés au sein de ces luttes, les marabouts furent naturellement choisis pour arbitres, et s’établirent là même où leur neutralité servait à séparer les parties hostiles. Avec le temps, ils formèrent des kharoubas, des dechras, même des tribus spéciales. Pour se faire mieux accepter de la société kabyle, ils prirent ses institutions et sa coutume, adoptèrent sa langue, sans cesser d’être les interprètes du Koran, et aux yeux des populations de la montagne, qui presque toutes ne savent ni lire ni écrire, ils ajoutèrent à leur caractère religieux le prestige du savant et du lettré.

« Les marabouts ne se battent pas, » dit le proverbe kabyle[21] : il leur appartient par cela même d’intervenir dans les luttes et de les apaiser ; mais, si écoutés qu’ils puissent être, ils ne réussissent pas toujours à se faire entendre, soit que deux partis d’égale force répugnent à toute concession, soit qu’une minorité mécontente refuse absolument de se soumettre. Alors la poudre parle[22] ; c’est à elle qu’on a recours en dernier ressort, c’est le juge suprême des conflits, et nous ne disons pas seulement des conflits politiques : sur chaque question litigieuse, sur chaque débat d’intérêt local, le pour et le contre forment deux camps opposés qui peuvent en venir aux mains. À ces deux camps, les Kabyles ont donné le nom caractéristique de soff. Soff signifie rang, on se range de tel côté ou de tel autre. L’unanimité est rare ; chaque village offre généralement deux soff, dont la composition ne demeure pas invariable ; les circonstances la peuvent modifier, et la corruption même n’est pas impuissante à entraîner quelque membre influent d’un soff dans le soff opposé, où il amène avec lui ses partisans. Ce qui importe, c’est que personne ne reste neutre ; l’abstention n’est pas permise : il faut se placer dans un soff ou dans l’autre, sous peine d’être victime des deux. Les membres d’une même kharouba sont d’ordinaire du même soff, car au sein de cette société, où chacun prend part à la vie politique et civile tout ensemble, le soff n’est pas seulement un parti politique, mais un abri protecteur, une chaîne étroite entre des citoyens prêts à défendre ou à venger, — au besoin par la poudre, — les droits et l’injure d’un seul.

Lorsque les passions excitées ne connaissent plus de frein, le combat est un mal nécessaire. Celui des deux soffs qui attaque donne le signal par un coup de fusil tiré en l’air. Sans cet avertissement, il y aurait lâcheté dans l’attaque ; la mort d’un citoyen serait un meurtre. Une fois le signal entendu, tout devient de bonne et loyale guerre. La défense de chaque kharouba est favorisée par la disposition de ses maisons, qui forment un même groupe, et chaque maison semble une petite forteresse. N’ayant qu’un rez-de-chaussée composé de deux pièces, l’une qu’habite la famille, l’autre les animaux, elle offre à peine quelques lucarnes percées dans les murs et n’a d’autre communication au dehors que la porte d’entrée[23]. À l’approche de la lutte, les portes sont barricadées, des obstacles construits, des créneaux ouverts, des fossés creusés ; puis c’est la guerre des rues, ce sont des sièges de maisons : on tente des assauts, on pratique des brèches au moyen d’une perche à bout ferré que deux ou trois hommes manœuvrent, abrités sous un épais bouclier de bois. Souvent, par une tactique habile, les plus diligens ont couru dès l’abord s’emparer des fontaines, afin de couper l’eau à l’ennemi… Quand un soff est vaincu, il s’incline d’ordinaire devant le jugement des armes ; mais que, trop irrité de sa défaite, il veuille faire scission, quitter le village, aller grossir le village voisin, les marabouts trouvent encore moyen d’intervenir, et ils ont été parfois jusqu’à obtenir du soff vainqueur qu’il se déclarât vaincu, pour retenir par ce généreux mensonge ceux dont le départ affaiblirait la dechra. Si la lutte se prolonge sans résultat, que les pertes soient égales des deux parts, la tâche devient facile aux conciliateurs : on s’est battu, il n’y a ni vainqueurs ni vaincus, l’amour-propre est satisfait ; chacun peut donc, sans humiliation ni faiblesse, faire à l’intérêt public le sacrifice de ses ressentimens.

À l’instar des soffs qui divisent un village, on voit des soffs se former au sein des tribus, au sein des kebilas ; mais un gouvernement central organisé comme celui du village, on n’en retrouve plus. Dans les grandes circonstances, il est vrai, alors que le chrétien menace et que toute rivalité de soffs disparaît devant le danger commun, les amines d’une tribu ont coutume de se choisir un chef, nommé amine-el-ouména, c’est-à-dire amine des amines, qui doit conduire au combat tous les contingens de la tribu. Cependant une kebila n’élit jamais un chef unique ; elle penserait créer une sorte de sultan, et rien ne répugne davantage au caractère kabyle : même lors de leurs guerres contre nous, l’unité, si nécessaire au commandement, fut sacrifiée à cette répugnance, et en 1857 les sages du Djurdjura qui avaient vieilli dans les luttes savaient bien nous dire : « Vous êtes les plus forts, mais vous nous avez surtout vaincus parce que, pour vous commander, vous avez une seule tête, quand nous, nous en avons cent ! »

Sur ce théâtre plus vaste, il importe de ne pas confondre les alliances appelées soffs avec les fédérations qui dérivent des lois topographiques, et que nous avons nommées tribus et kebilas. Celles-ci restent immuables ; les soffs au contraire varient, grandissent ou tombent avec les événemens. Par cela même que le village est seul un centre organisé où les intérêts privés et publics se débattent constamment, les occasions de querelles et de luttes entre soffs de village sont plus fréquentes qu’entre soffs de tribu et de kebila ; la susceptibilité kabyle demeure cependant partout en éveil : pour une question générale ou particulière qui se discute sur un marché, tel soff de tribu ou telle tribu entière peut se trouver froissé et vouloir vengeance. Si les concessions offertes et l’intervention des marabouts sont impuissantes à l’apaiser, c’est encore la guerre, et non pas la guerre à demi ; on déploie même ardeur, même acharnement que si l’on avait l’étranger devant soi. Des règles chevaleresques président d’ailleurs aux provocations : deux tribus ont échangé par exemple, comme gage de paix, un fusil, une arme quelconque[24] ; celle des deux qui veut rompre renvoie à l’autre l’arme en dépôt, et la lice est ouverte. Le Kabyle, armé en guerre, avec une simple tunique de laine[25], les jambes et les pieds nus, la cartouchière autour de la taille, une calotte sur la tête ou même la tête découverte, muni de son fusil, de son flissa[26], de sa petite hache, entre en campagne[27]. Il s’embusque, fait le coup de feu et prend soin de chercher un appui à son arme pour tirer plus juste ; puis, la lutte s’animant, on en vient à couper des arbres, à détruire des maisons. Il n’y. a trêve que pour enterrer les morts ; toute la djemâ assiste aux funérailles, chaque citoyen aide à creuser la fosse, et aussitôt après on retourne à l’action. L’assaillant sait ouvrir des tranchées pour se rapprocher des villages ; l’assiégé ferme les rues par des retranchemens, et transforme en réduits les habitations les plus propres à la défense ; les femmes elles-mêmes entonnent le chant de guerre, et, parées comme en un jour de fête, elles vont exciter leurs maris, leurs frères ou leurs fils au combat.

Il est difficile d’imaginer combien le Kabyle est prêt à tout sacrifice pour une question de niff, c’est-à-dire de point d’honneur. On en a vu mettre le feu à leurs propres maisons pour qu’il n’y fût pas mis par le soff opposé. Quoi d’étonnant qu’à pareille école, au sein d’une telle société, l’homme devienne soldat en même temps que citoyen, et cesse de l’être alors seulement que ses forces le trahissent ? Audace, intelligence du terrain, justesse du tir, ce sont toutes qualités qu’il acquiert vite, ayant si souvent à les exercer, et le besoin de lutte inhérent à la nature même de la population a valu au pays kabyle de vigoureux soldats formés de bonne heure ; mais cette humeur remuante, ces ambitions jalouses, ces luttes continuelles, comment n’ont-elles pas livré dès longtemps la nation épuisée aux mains de l’étranger ? C’est qu’elle a eu toujours deux sauvegardes, l’amour de l’indépendance[28] et le respect de la loi. Cette loi, vraie souveraine de la montagne, supérieure aux djemâs, aux amines, à tous les pouvoirs qui varient ou qui passent, n’est pas une loi écrite dont les auteurs soient connus ; c’est la tradition, la coutume, eurf ou ada, charte séculaire reçue des ancêtres et strictement conservée et observée par tous.

Un kanoun ou code pénal[29]règle dans chaque village les peines qui doivent réprimer les infractions à l’ada. Par l’ada sont prévus tous les besoins sociaux ; la djemâ et les amines ne peuvent pas plus refuser d’en appliquer les principes que l’individu de les subir ; ils se courbent tous, parce qu’ils sont tous égaux devant la loi. D’une kebila, d’une tribu, parfois d’un village à un autre, l’ada subit des modifications de détail ; mais dans tout le pays kabyle les dispositions fondamentales en restent les mêmes, et d’un accord commun, à travers les révolutions locales, la coutume est démesurée invariable, parce que, si au lendemain de chaque lutte le parti vainqueur se fût permis de la changer, l’organisation sociale, ruinée dans sa base, aurait bientôt péri sans retour.


II

C’est dans ses lois surtout qu’un peuple grave le cachet de son esprit. La coutume du Djurdjura offre dès l’abord un trait qui frappe, — original et remarquable plus qu’aucun autre, et propre à toutes les peuplades africaines de race kabyle, aux Berbères du Maroc comme aux Thouaregs du Soudan : nous voulons parler de l’anaïa[30].

Police et force publique sont choses inconnues à la société kabyle. Il fallait pourtant, dans l’intérêt de l’ordre, si souvent menacé, que, sans même attendre l’intervention des marabouts, on pût clore les conflits par une mesure immédiate ; il fallait, dans l’intérêt du commerce et de la sûreté individuelle, que la circulation fût garantie sur les chemins pendant les guerres intérieures. L’anaïa répond à ce double besoin : elle donne à tout citoyen le droit de suspendre les luttes par un seul mot, d’assurer par un sauf-conduit protection et asile au voyageur.

Deux hommes se battent : un tiers intervient qui prononce entre eux le mot anaïa ; le combat cesse sous peine d’amende contre qui le continuerait. Deux tribus sont en guerre : une troisième jette entre elles son anaïa ; la trêve est forcée, sinon la tribu médiatrice se tournerait contre celle qui déclinerait sa médiation. Pourquoi la décliner d’ailleurs ? La coutume ordonne, c’est à elle seule qu’on cède ; des deux parts, l’honneur et l’orgueil sont saufs. Quand la guerre éclate dans quelque coin de la montagne, une kebila, une tribu, un village, peuvent couvrir de leur anaïa tel terrain, telle partie de route. Ainsi se trouvent protégés les chemins réservés aux femmes ; les marchés sont des terrains légaux d’anaïa. Un voyageur a-t-il à parcourir des tribus diverses où il craint une attaque, il se munit successivement d’un gage d’anaïa donné par un membre de chaque tribu ; ces gages d’anaïa sont une lettre, un anneau, un objet quelconque, et d’asile en asile le voyageur arrivera sain et sauf à sa destination. Il va de soi que plus un homme est influent et renommé, plus l’anaïa qu’il donne a d’importance au loin ; mais en principe l’anaïa du plus humble des Kabyles ne passe pas pour moins inviolable, elle représente un intérêt d’honneur que l’individu n’est pas seul à défendre ou à venger ; sa famille, sa kharouba, sa dechra, le vengeront avec lui[31]. L’anaïa d’ailleurs a une sanction plus sûre encore que la vengeance : c’est que chacun voit en elle comme un ami dont il aura besoin dans les mauvais jours.

Si l’anaïa offerte ou consentie par le protecteur fait défaut, il est une autre anaïa qui vous couvre de plein droit dans le péril, par cela seul que vous êtes sans défense. Un étranger traverse un territoire hostile ; on l’arrête, on le somme de dire ce qu’il vient faire, où il va : « Je vais chez un tel, répond-il, et j’invoque son anaïa, » Cela suffit, on le laisse libre. Au voyageur, assailli sur une route est acquise d’avance l’anaïa d’un Kabyle qui passera, et qui, sans même le connaître, lui devra aide et assistance. Tout fugitif qui cherche asile dans une maison a droit à l’anaïa du maître de la maison ; tout Kabyle qui, poursuivi dans une tribu, se réfugie sur le territoire d’une autre y trouve un abri certain sous l’anaïa de cette tribu.

Mais c’est assez d’exemples pour placer l’anaïa sous son jour à la fois moral et utile. L’anaïa grandit le citoyen par le droit de médiation et de protection qu’elle lui donne ; elle resserre les liens d’une société souvent divisée en laissant ouverte partout, en guerre comme en paix, la porte de l’hospitalité. « L’anaïa est notre sultan, » disent les Kabyles, et voici en quels termes éloquens une djemâ du Djurdjura répondait un jour au commandant supérieur de Dra-el-Mizan, pour défendre l’inviolabilité de ce grand principe : « Vous nous en voulez parce que nous donnons refuge à des gens qui sont vos ennemis, et cependant nous ne faisons que suivre la loi de Dieu. Quelle confiance aurez-vous en nous, quand vous entrerez dans nos montagnes, si dès à présent nous vous livrons ceux qui sont venus nous demander asile ? Répondez, et dites-nous si vous ne feriez pas vous-mêmes ce que vous nous reprochez. Notre anaïa est le pouvoir qui nous a gouvernés jusqu’à ce jour ; la poudre a fait taire les familles qui voulaient porter le trouble parmi nous. Nous aimons et l’anaïa et la poudre, parce que toutes deux nous ont permis de régler nos affaires sans recourir à l’étranger ; le jour où nous cesserons d’en faire cas sera celui de notre décadence[32]. »

Dans l’anaïa, nous n’avons saisi qu’un trait particulier à la coutume ; or, pour prendre une idée exacte de l’état social d’un peuple, il le faut nécessairement juger sur des questions d’intérêt général, comme celles qui touchent à la famille et à la propriété. La comparaison avec des sociétés différentes fournit alors à l’étude un élément précieux.

La famille se constitue en Kabylie, comme ailleurs, par le mariage. La polygamie est rare, elle est permise cependant ainsi que dans la loi arabe ; mais, en ce qui regarde la situation de la femme, une différence profonde sépare la coutume kabyle de la loi musulmane aussi bien que de la nôtre. La femme kabyle, que nous voyons sortir librement de sa maison, aller aux fontaines et par les chemins sans se voiler le visage, diriger les travaux de l’intérieur, s’asseoir même au repas devant son mari, — cette femme, aux yeux de la loi, n’est pas une personne. Le père, en mariant sa fille, la vend au plus offrant ; pour l’époux, la femme est une chose qu’il achète. Le mariage en effet a tous les caractères d’un marché. La demande est adressée au père par un tiers qui débat avec lui le prix de sa fille[33]. Le prix marchand d’une femme peut varier entre 70 et 1,200 fr., suivant sa beauté, l’importance de sa famille, l’amour qu’elle a inspiré. Dans quelques villages, la coutume spécifie un taux qu’on ne saurait dépasser ; plus généralement, la valeur de la femme subit, avec les années bonnes ou mauvaises, des hausses et des baisses qui suivent le mouvement de la fortune publique. Une fois l’achat conclu, plusieurs marabouts et témoins se réunissent ; le prix est stipulé verbalement devant eux ; on ne rédige aucun acte[34], on ne demande à la fiancée aucun consentement ; la simple stipulation du prix faite devant témoins, suivie de la lecture du fatah, suffit à consommer le mariage légal.

Souvent l’on marie une fille avant l’âge de douze ans[35] ; si elle est réputée trop jeune pour suivre son mari, elle continue à vivre sous le toit paternel, où se donnent grand repas et grande fête le soir du mariage. L’époux ne paie la somme convenue que le jour où il conduit sa femme à la demeure conjugale. Elle s’y rend à dos de mule, recouverte d’un burnous qui la cache complètement aux regards, et des coups de fusil, des cris de joie, une fête nouvelle l’accueillent dans sa nouvelle famille.

Quand il lui plaît, sans alléguer aucun motif, le mari peut dire à sa femme : « Va-t’en, je te renvoie. » Elle est obligée d’aller attendre chez ses parens qu’il la veuille rappeler. S’il s’y refuse, la répudiation devient définitive, et le mari reste libre d’épouser une autre femme ; mais la chaîne du premier mariage, brisée pour lui, ne cesse point de lier injustement la femme, qui n’obtient que par le divorce le droit de se remarier[36]. Lorsque l’époux, au lieu de la renvoyer simplement, lui dit : « Je divorce, » ce mot, prononcé devant témoins, suffit à rompre le mariage. Le divorce n’aura toutefois ses pleins effets à l’égard de la femme que du jour où sa famille rendra au mari le prix d’achat qu’il avait donné en l’épousant[37]. Si les parens ne paient pas, la femme n’a plus à espérer son rachat que d’un autre homme qui, pour l’épouser, acquittera sa dette envers le premier mari. Les conjoints trouvent donc au divorce plus d’avantage qu’à la répudiation. Ils reprennent ensemble leur liberté, le mari reprend de plus son argent, et la plupart des Kabyles ne font pas fi d’une somme qui leur économisera les frais des secondes noces. On en a vu cependant qui, par vanité, dédaignaient le divorce et achetaient une autre femme sans vouloir se faire rembourser de la première ; il faut être riche pour se donner le luxe de la répudiation.

Malgré la facilité qu’il a de punir sa femme en la chassant, le Kabyle est toujours un mari jaloux ; il dit volontiers comme l’Arabe que « si la Juive précède le diable, la musulmane le suit de près. » Cependant la moralité des femmes est beaucoup plus grande en Kabylie qu’en pays arabe ; la coutume, il est vrai, châtie rudement leurs désordres : elle condamne l’enfant adultérin ou naturel à périr dès sa naissance et livre la mère à la vengeance du mari ou aux coups de la famille qu’elle déshonore. Pour se défendre au reste contre les poursuites des séducteurs, la femme a un moyen sûr et légal : dès qu’elle dénonce à son mari tel homme comme lui ayant dit des paroles ou fait des propositions honteuses, le mari n’a qu’à prendre son fusil et à tuer l’offenseur ; la coutume l’y autorise, l’usage le lui prescrit même sous peine de lâcheté. Si sévèrement traitée que soit la femme par la loi kabyle, elle y trouve une disposition protectrice qui l’autorise à fuir les mauvais traitemens de son mari en se retirant dans la demeure paternelle, où l’époux n’a plus le droit de la venir chercher. Les parens eux-mêmes, lorsqu’ils savent leur fille malheureuse après le mariage, peuvent la rappeler, et la femme qui, dans ces conditions, fuit le toit conjugal avant d’être répudiée conquiert la liberté de se remarier, pourvu que son époux lui en donne l’exemple.

Ne mettre au monde que des filles, c’est pour la femme kabyle un grand risque de répudiation. Par la naissance d’un enfant mâle au contraire, son importance grandit dans la famille. Tout le village est en joie ; la poudre parle, on félicite les parens ; un repas et une fête réunissent les amis sous le toit de l’heureux père ; musique[38], danse, chants, coups de fusil, you-yous[39] des femmes, rien ne manque ; plus on fait de tapage, plus on pense faire honneur à l’amphitryon. Dans cet usage qui ne permet de fêter que les naissances d’enfans mâles se révèle le caractère dominant de la société kabyle : toujours exposée à la guerre, sa préoccupation première est d’avoir des défenseurs. Or la naissance d’une fille n’accroît en rien la force d’une famille et d’un village, d’où cette loi rigoureuse qui refuse complètement à la femme la qualité d’héritière. Aux hommes seuls le droit de succéder, la terre ne peut appartenir qu’à eux ! Et pourtant, habituée à ces rigueurs, ne rêvant pas des privilèges qu’elle ne se croit pas dus, la femme kabyle ne se juge pas malheureuse. Quand viennent les soirs des beaux jours, que le travail est fini, à voir hommes et femmes causer, rire et chanter ensemble sur le seuil des maisons, on oublie combien les conditions sont inégales. C’est qu’aussi la loi a beau ne la compter pour rien, la femme est partout la femme ; elle a toujours pour elle, comme dit le Kabyle, « les paroles de l’oreiller. » Dans le Djurdjura même, les traditions de gloire et de souveraineté ne lui manquent pas. Le grand historien berbère Ibn-Khaldoun cite une femme appelée Chimsi, qui, vers l’an 1338, gouvernait les Aït-Iraten[40], — et de nos jours Lella-Fathma la prophétesse, l’héroïne de notre dernier combat sur les crêtes djurdjuriennes[41], sut pendant des années dicter au loin ses volontés et ses oracles. Il nous souvient de l’avoir vue, à l’heure où elle devenait notre captive, belle et fière, entourée comme une reine du respect et des hommages de tous.

La constitution de la propriété élève encore une barrière entre la coutume kabyle et la loi musulmane ; mais ici la loi kabyle se rapproche beaucoup de la nôtre. La plus grande partie du sol kabyle est divisée en propriétés melk ou privées, et l’on peut dire que dans tout le Djurdjura la propriété privée se trouve parfaitement définie, limitée, fondée même en général sur des titres écrits que les familles renferment soigneusement dans des coffres ou roulent dans des tubes de roseaux. Ces Kabyles si démocrates sont propriétaires par excellence et sévères comme personne contre les empiétemens du voisin ; point de champ sans limites, point de verger sans haies ou sans clôture de pierres sèches. La coutume entoure elle-même la propriété des plus scrupuleuses garanties. Quand un immeuble a été vendu, tous les membres de la famille du vendeur, de sa kharouba, parfois même de son village, sont autorisés à racheter cet immeuble : c’est ce qu’on appelle exercer le droit de chefâ. — Outre le bien melk, base constitutive de la propriété kabyle, on distingue encore trois sortes de propriétés : la propriété mechmel ou communale, comprenant des terrains vagues et indivis, comme pâturages, chemins, marchés, cimetières ; — le habbouq ou domaine de mainmorte, appartenant à certains établissemens religieux ; — la propriété rabbi ou lot de Dieu, c’est-à-dire lot des pauvres. Qu’un homme de bien dise devant témoins : « A ma mort, je veux laisser aux pauvres tel champ, tels arbres qui m’appartiennent, » les héritiers seront forcés d’en faire l’abandon, et ce legs formera une propriété rabbi ; mais qui paiera les semences ? Une cotisation du village. Qui fournira le labour ? Une corvée générale ou touiza, dont nul citoyen ne sera exempt. Un peuple aussi hospitalier à tous ne pouvait qu’être charitable pour ses pauvres, et les pauvres sont nombreux sur une terre impuissante à faire vivre tous ceux qui l’habitent. Ce n’est pas que la misère y naisse jamais de la paresse : tant qu’il a de force, l’indigent demande courageusement son existence au travail ; mais quand l’âge et les infirmités l’arrêtent, la société accepte comme un devoir naturel de le secourir. Il n’est pas de fête, point de récolte d’où le malheureux revienne les mains vides, et même à la maturité des fruits un usage touchant ouvre aux pauvres l’accès des jardins et leur permet de s’y nourrir. C’est la saison joyeuse où chacun a ses vivres assurés, c’est le bon temps des loisirs qui suivent la moisson ; c’est l’époque des figues, bien connue en Kabylie pour l’époque des exaltations et des ardeurs guerrières. Demandez à un Kabyle pourquoi ; il vous répondra : « Quand le ventre est content, la tête chante ! »

En dehors de ces questions capitales de la famille et de la propriété, la comparaison de la coutume du Djurdjura avec notre législation civile peut présenter encore d’intéressantes analogies ; mais il faut se borner ici à quelques indications principales. La loi kabyle, comme la nôtre, fait de l’adoption un acte solennel : elle veut que l’adoptant soit plus âgé que l’adopté, et que la djemâ réunie assiste à l’adoption. La douceur avec laquelle l’autorité paternelle s’exerce, les règles de la tutelle[42], celles de l’interdiction applicable aux aliénés et parfois aux prodigues autorisent le même rapprochement. Les biens se distinguent comme dans notre code en meubles et immeubles. Les droits d’accession et d’alluvion sont strictement prévus. Ainsi de l’usufruit, ainsi encore des servitudes, qui offrent même une série de cas particuliers dont nous n’avons aucune idée[43].

En matière de successions, la coutume s’écarte, sur trois points, de la loi française : elle n’appelle pas les femmes à hériter, et n’admet ni la représentation ni le bénéfice d’inventaire. « Ouvre les yeux, dit le Kabyle, avant d’accepter une succession ; quand tu l’acceptes, tu en peux recueillir toutes les créances, tu en dois donc payer toutes les dettes, » En matière de donations et de testamens, la coutume diffère également de notre code : par donation, le Kabyle a droit de disposer de tout son bien ; par testament, la quotité disponible est du tiers seulement. Bien peu de Kabyles sachant écrire, le testament légal se fait toujours devant témoins. La loi française ne permet de donner entre vifs ou par testament que si l’on est sain d’esprit ; la coutume kabyle exagère ce principe jusqu’à interdire de donner ou de tester durant un voyage sur mer ou à la veille d’une bataille : elle juge dans ces deux cas qu’il y a trouble d’esprit, parce qu’il y a danger de mort. Les Kabyles connaissent presque tous nos contrats. Pour la vente, ils suivent des principes analogues aux nôtres, sauf le droit de chefâ, qui leur est spécial. La vente des immeubles s’opère avec solennité et se constate le plus souvent par des actes écrits d’une précision irréprochable. Ces actes indiquent minutieusement les limites, les produits, le prix de la chose vendue, et ne manquent jamais de porter cette clause expresse, que « l’argent a été reçu par le vendeur en monnaie bien frappée, en pièces ayant le poids voulu et exemptes de défauts. »

Mais c’est surtout en ce qui regarde les associations que la coutume est curieuse par la diversité des cas qu’elle prévoit. Le goût de l’association forme un trait frappant du caractère kabyle ; l’assurance mutuelle se rencontre partout, dans la tribu, dans le village, dans les familles : le forgeron s’associe au laboureur, le colporteur au tisserand ; si l’un a une année mauvaise, il vit des bénéfices de l’autre. L’association entre familles établit de véritables communautés dans lesquelles entrent parfois jusqu’à vingt ménages différens. L’argent que chacun gagne est versé à la masse, quiconque manquerait à ce devoir serait chassé ; une sorte de pater familias administre et doit ses comptes dès qu’on les lui demande ; tout associé a droit de surveillance sur les femmes et de correction sur les enfans de la communauté.

Formellement proscrit par la loi musulmane, le prêt à intérêt est légal en Kabylie : 33 pour 100, voilà l’intérêt ordinaire, et parfois 60 pour 100 ; on a même vu prêter à 5 pour 100 d’un marché à l’autre, c’est-à-dire pour une semaine. Si énorme que semble ce taux, personne ne songe à le trouver usuraire ; du moment où le contrat existe par consentement mutuel, il est juste. Au reste, dès que le Kabyle a un peu d’argent, il n’aime pas à le laisser dormir : son esprit se tourne vers les conventions aléatoires. Les jeux de bourse lui plairaient sans doute ; il s’y essaie dans sa petite sphère et tente hardiment déjà la spéculation en vendant ou achetant d’avance la moisson future.

L’hypothèque et les privilèges ont aussi leur place dans la loi kabyle. En matière d’hypothèque, la coutume traite durement l’emprunteur et rend le prêteur usufruitier de tout ou partie du bien hypothéqué jusqu’à restitution entière de la somme. Comme notre code, elle reconnaît un privilège au vendeur non payé ou à l’acheteur qui a payé sans que la chose lui fût livrée ; mais pourquoi une créance privilégiée au marchand de talismans ? C’est que les amulettes sont fort en honneur dans la montagne, et le Kabyle se suspend au cou volontiers de petits carrés de parchemin ou de métal couverts de figures et de paroles qui doivent lui porter bonheur.

Quand un Kabyle a des dettes qui paraissent excéder la valeur totale de ses biens, il est passible tout comme nous de l’expropriation forcée. Les créanciers demandent d’abord à la djemâ d’interdire au débiteur de vendre ou d’acheter jusqu’à ce qu’il ait présenté son bilan ; faute de l’avoir dressé avant un terme prescrit, il subit l’expropriation. Enfin la théorie de la prescription a pareillement sa trace dans la loi kabyle, et s’applique, en matière de vente, au droit de chefâ, qui se prescrit dans le bref délai de trois jours. Pour les meubles, possession vaut titre ; mais, quant aux objets volés ou aux immeubles, point de prescription acquisitoire : la chose volée doit être reprise entre toutes les mains, dans n’importe quel délai, et lorsque le propriétaire d’un immeuble possédé même de bonne foi par un autre a pu prouver ses titres, l’occupant est rigoureusement dépossédé, quelle que soit la durée de sa possession.

Ces rapprochemens suffiront à prouver que la coutume kabyle est plus complète et plus voisine de notre législation qu’on ne devait l’attendre d’un peuple primitif. Cette coutume ne se conserve que par tradition dans les mémoires, chaque génération l’enseigne à la suivante, et nous serions certes un sujet de surprise, peut-être de dédain pour le Kabyle, s’il apprenait que dans notre France, où la loi est écrite, bien peu de citoyens connaissent leurs droits et leurs devoirs comme tout Kabyle connaît les siens.


III

Les règles posées par la coutume, qui les applique ? qui rend la justice ? De droit, c’est l’assemblée du peuple ; de fait, — au moins en matière civile, — ce sont des arbitres appelés ulémas (savans) à qui la djemâ cède son pouvoir judiciaire pour ne se réserver que la consécration suprême des jugemens. Les moindres procès, apportés à la barre de la djemâ y pourraient, avec l’animosité des soffs, dégénérer en sujets de querelles et de luttes qui nécessiteraient l’intervention conciliante des marabouts. Avoir recours dès l’abord à cette conciliation où il faudrait en fin de compte aboutir, c’est une mesure d’ordre public que les djemâs ont sagement adoptée. Chaque partie choisit librement un arbitre qui est d’ordinaire un marabout : les deux ulémas opinent-ils de même, la cause est jugée ; sont-ils en désaccord, un troisième arbitre ou au besoin un tribunal de marabouts décide en dernier ressort. Au cas où l’une des parties récuse le marabout présenté par l’autre, c’est la djemâ qui désigne les arbitres, les plaignans restent étrangers à ce choix ; pour leur ôter même toute velléité de corruption, on ne leur fait connaître leurs juges qu’en les conduisant devant eux. Les ulémas reçoivent les preuves, écoutent les témoins, défèrent le serment, et les faux sermens sont rares ; l’usage veut en effet que l’on vienne jurer sur le tombeau de quelque marabout vénéré, et il ne se trouverait guère de Kabyle qui ne croirait s’attirer malheur, s’il osait mentir en face de ces tombes.

Au point de vue pénal, la djemâ est encore de plein droit souveraine ; l’amine n’ouvre pas une séance de l’assemblée sans ces paroles sacramentelles : « Quelqu’un a-t-il connaissance d’un crime, d’un délit, d’une contravention quelconque ? S’il n’y a aucune plainte, tant mieux, car alors nous sommes en paix, et Dieu soit loué ! » Lapidation, bannissement, confiscation des biens, destruction de la maison, amendes, telles sont les peines applicables[44] ; mais, la djemâ ne les prononce (sauf les amendes) que dans des cas exceptionnels où la morale publique et l’honneur du village ont reçu une atteinte directe[45]. En principe, la société ne répond pas des crimes contre la vie et l’honneur des particuliers, c’est la personne lésée qui les venge.

Nous avons montré le mari autorisé, sur la simple dénonciation de sa femme, à tuer l’homme qui l’a outragée ; tout citoyen a le droit d’exercer contre un ennemi qui l’attaque la loi du talion, et ce n’est pas un vain mot : dans certaines tribus, le talion s’exerce avec toute la rigueur biblique. Quand un meurtre est commis, le meurtrier doit mourir ; mais son sang ou à son défaut le sang d’un de ses proches suffit à éteindre la vendetta kabyle, dite rokba, car la rokba n’est pas éternelle comme la vendetta corse ; seulement elle appartient de même au fils, puis au frère ou à l’héritier de la victime. Il y a enfin, de par la coutume, défense expresse de s’interposer entre deux hommes dont l’un doit tirer une vengeance légitime de l’autre, et quiconque renonce à se venger fait une lâcheté dont le village entier ressent le déshonneur[46].

Les amendes, voilà les peines que la djemâ inflige et se plaît à infliger, parce qu’elle y trouve la source principale du revenu public. Les kanouns abondent en articles qui préviennent et punissent les moindres délits, comme querelles, menaces, dégâts commis sur les chemins, empiétemens de propriétés, retards pour assister aux séances de la djemâ ou aux corvées prescrites, etc. Même en matière criminelle, sans préjudice de la vengeance laissée à la victime ou à sa famille, la djemâ impose une amende immédiate au coupable, qui, faute de l’acquitter, verra ses biens confisqués et vendus aux enchères[47]. Tous les vols, longuement énumérés par la loi, sont punis d’amendes plus ou moins fortes, suivant leur gravité[48] ; mais, chose étrange, le recel ne compte pas comme délit ; c’est une lacune des kanouns que le Kabyle explique par une vérité peu morale : « le receleur est utile, on obtient de lui à bon marché ce que le voleur ne rendrait pas. »

Payées d’ordinaire le jour même de la condamnation, recueillies par les tamens et centralisées par l’amine, les amendes vont au trésor du village, où entrent aussi les droits divers que la djemâ prélève sur les successions, mariages, divorces, ou naissances d’enfans mâles[49]. Telles sont les ressources du budget ; elles ont à pourvoir surtout à trois sortes de dépenses[50] : travaux d’utilité publique, — frais d’hospitalité envers les voyageurs étrangers, — distributions de viande faites aux habitans du village et connues sous le nom d’ouzia.

Tout citoyen est corvéable en matière de travaux publics et doit sa part de main-d’œuvre. Ces travaux consistent à ouvrir et entretenir les chemins, construire et réparer les fontaines, la mosquée, la maison commune où se réunit la djemâ. La caisse publique achète les matériaux et paie les ouvriers qu’il est nécessaire d’appeler du dehors. — On sait déjà quel sentiment pieux les Kabyles attachent à la pratique de l’hospitalité. Un voyageur arrive dans un village, on l’héberge dans la maison commune et on le nourrit aux frais de la djemâ. Si la caisse est vide, chaque maison s’ouvrira, d’après un ordre établi, pour recevoir les hôtes, et l’amine désignera au voyageur celle où il doit trouver asile et nourriture. — Cependant la dépense principale et la plus unanimement votée de tout budget kabyle, c’est l’ouzia[51]. Au sein d’une vie laborieuse où l’homme a besoin de toute sa force physique, l’hygiène commande autant que la bienfaisance des distributions gratuites de viande dont tous les citoyens, les indigens surtout, puissent profiter. Quand un citoyen paie une forte amende, il y a fête dans le village, parce que toute forte amende est aussitôt transformée en ouzia. De même à chaque solennité, à chaque événement remarquable, la djemâ prend dans sa caisse l’argent nécessaire à l’achat de bœufs et moutons dont la viande se partage entre tous les habitans sur le pied de la plus parfaite égalité ; « l’enfant qui vient de naître a sa part comme le vieillard, » ainsi l’ordonne la coutume. Pour peu que le trésor public ne suffise pas à l’ouzia, une cotisation extraordinaire, proportionnée à la fortune de chacun, vient compléter ce qui manque. Dès que l’ouzia est résolue, chaque tamen déclare à l’amine le nombre de bouches de sa kharouba ; il n’oserait pas exagérer ce chiffre, car une amende sévère le menace, et les autres tamens, intéressés à empêcher la fraude, le contrôlent. Grâce aux garanties sérieuses qui président à ce calcul, le nombre de bouches comptées au moment d’une ouzia représente rigoureusement le nombre des habitans, et ce n’est pas le côté le moins curieux de ce singulier usage que de pouvoir servir de base naturelle et stricte au recensement de la population.


IV

Peu d’années avant 1830, cinq des principaux chefs kabyles de la vallée du Sébaou, — et parmi eux le père de Mohammed-ou-Kaci[52], — étaient attirés dans un guet-apens et traîtreusement massacrés par les Turcs. Un jour que nous demandions à Mohammed-ou-Kaci de nous préciser la date de ce gros événement : « Mon père fut tué, nous dit-il, pendant un rhamadan, à l’époque de la recolle des fèves. » Ce mot, qui rattache le meurtre d’un père au souvenir d’une récolte, peint toute la préoccupation du Kabyle pour la vie positive : enfant d’une terre souvent ingrate, il faut bien qu’avant tout il pense à vivre.

S’il suffisait de soigner beaucoup la terre pour en obtenir beaucoup, le Kabyle aurait la part belle. Il s’entend mieux que l’Arabe à élaguer les mauvaises herbes, à nettoyer et fumer son terrain, à le faire reposer en alternant les produits, et il serait volontiers tout à l’agriculture, si les céréales devaient lui promettre assez pour sa consommation ; mais il a beau manier patiemment la pioche et la charrue[53], il ne peut rien contre l’aridité des roches[54], contre la raideur des pentes et la violence des eaux[55], qui entraînent L’humus dans les vallées. Hors des vallées et de quelques coteaux fertiles, le sol de la montagne est surtout propre à la végétation ligneuse ; les Kabyles le comprennent et concentrent sur leurs arbres à fruits, principalement sur le figuier et l’olivier, leur travail et leurs espérances.

Le figuier est une ressource à la fois alimentaire et commerciale ; il croît vite : si on l’abat, il n’exige que quatre ou cinq ans pour reprendre son développement complet. C’est d’ancienne date que la caprification se pratique dans la Djurdjura. « Qui n’a pas de dokkar n’a pas de figues, » dit un vieux proverbe kabyle. Or le dokkar est le fruit du figuier mâle ou caprifîguier (ficus caprificus) ; ce fruit, petit, à saveur acre, est une espèce hâtive, déjà mûre quand les autres figues sont vertes encore. On le cueille, et l’on en groupe un certain nombre qu’on suspend, sous forme de chapelet, aux branches des figuiers femelles ; le dokkar, en se desséchant, laisse échapper par l’œil du sommet une foule de petits insectes ailés, à corps velu, agens précieux de fécondation, qui s’introduisent dans les fruits femelles et en accroissent la qualité et l’abondance[56]. Écoutez le Kabyle, il vous assurera que « chaque insecte féconde quatre-vingt-dix-neuf figues, et que la centième est son tombeau. » Le caprifîguier ne réussit pas également dans toute la montagne ; il fuit le voisinage de la mer ; les tribus qui en produisent le plus en sont fières et souvent avares[57] : au moindre symptôme de guerre, elles se hâtent d’en défendre l’exportation. C’est à la figue blanche seulement que la caprification s’applique ; l’espèce violette n’en a pas besoin. Pourquoi alors le Kabyle ne la cultive-t-il pas de préférence ? C’est que la figue violette n’est guère bonne que fraîche et se conserve peu ; la figue blanche sert à la nourriture de l’année entière et se prête aux transports les plus lointains. Quand la maturité, des figues paraît proche, il est de tradition que la djemâ se réunisse pour interdire à tout Kabyle, propriétaire ou non, d’en cueillir avant une époque fixée. Lors de la maturité complète, l’assemblée lève l’interdit et punit ceux qui l’ont violé. Séchées sur des claies, les figues, après quinze ou vingt jours, se placent dans des paniers ou des peaux de bouc et s’exportent au loin en pays arabe.

L’olivier est la vache du Kabyle, la richesse du Djurdjura ; il y atteint des dimensions et une fécondité merveilleuses. Nous avons vu des oliviers kabyles mesurer plus de deux mètres de diamètre à la base ; ils forment de vraies forêts chez les Guechtoulas et les Menguellet, et dans la confédération des Aït-Iraten, où cependant ils ne se trouvent qu’épars, on en compte 280,000 sur une surface totale de 61,270 hectares.

L’olivier croît lentement, mais des générations passent sans qu’il meure ; le Kabyle le soigne comme son trésor, et ne néglige jamais de greffer les sauvageons. C’est seulement une année sur deux que la récolte des olives est abondante : la cueillette s’en fait tout l’hiver ; on les conserve dans des enclos de branches, et la préparation de l’huile s’opère en plein air, au printemps. Exposées au soleil pendant plusieurs jours sur le toit des maisons ou tout autre terrain sec, les olives sont amenées à un certain état de fermentation, puis mises dans une auge pour être piétinées par les femmes ou foulées sous de grosses pierres. Dégageant alors le noyau, on porte la pâte qui résulte du foulage dans des sortes d’entonnoirs percés de trous au travers desquels l’huile découle peu à peu ; le résidu, traité par l’eau bouillante, laisse encore surnager de l’huile que les femmes enlèvent avec des cuillers de bois. Voilà le procédé primitif et grossier ; les Kabyles n’ont pas attendu la conquête française pour le perfectionner et se procurer des moulins composés d’une meule verticale qui triture l’olive et d’un pressoir à vis de bois qui fait dégorger la pâte. À vrai dire, les huiles kabyles ne se dépouillent guère par ce système plus que par l’autre de leur très forte odeur, car cette odeur tient à la fermentation première de l’olive : si imparfaites qu’elles soient, elles n’en ont pas moins en Afrique une réputation considérable. Les outres d’huile du Djurdjura n’arrivent pas seulement à Alger et Constantine ; elles pénètrent dans le Soudan : portées par les Kabyles à Bou-Saâda, par les Ouled-Naïl de Bou-Saâda à Mettili, elles vont avec les Chambas dans le Touât, et avec les Thouaregs jusqu’à Tombouctou.

Pour être les plus précieux représentans de la végétation ligneuse dans le Djurdjura, le figuier et l’olivier n’en sont pas les seuls. Sur les pentes et les crêtes kabyles, aux espèces exotiques se mêlent nos espèces européennes : au grenadier et au cactus raquette[58], le noyer, la vigne et les arbres fruitiers de France ; aux caroubier, tuya, micocoulier, laurier-rose, chêne à glands doux et chêne-liège, le pin, le hêtre, l’orme, le peuplier. Le frêne y est de superbe apparence ; le chêne-zen, que nous admirions récemment encore dans la vaste forêt d’Akfadou[59], atteint jusqu’à trente mètres de hauteur ; enfin sur les cimes inhabitables se dresse le cèdre au milieu des rochers.

Industrieux par nature et par besoin, le Kabyle tire parti de tout : il ne perd pas les glands doux, qui, à défaut de froment et de maïs, peuvent servir à préparer son kousskouss, ni les feuilles de figuier et de frêne, qui peuvent nourrir son bétail[60]. En pays de forêt, il devient bûcheron et menuisier, fabrique des portes, des coffres, des ouvrages de bois, et fournit ainsi presque toute la vaisselle indigène de l’Algérie. Ailleurs il taille la pierre, ou se fait forgeron, armurier, orfèvre. Les meules des Aït-Mellikeuch sont renommées, aussi bien que les platines, les canons de fusil, les bijoux. des Aït-Ienni. La femme kabyle aime à se parer ; rarement on la rencontre sans des boucles d’oreille et des bracelets d’argent ou de cuivre ; c’est le bijoutier des Aït-Ienni qui passe pour le grand fournisseur des colliers, des agrafes, des diadèmes ou ferronnières dites thacebt, à pendeloques de corail et de verroteries, que toute mère kabyle porte fièrement à la naissance d’un garçon, — bijoux grossiers, faits pour étonner cependant par le goût qui s’y révèle[61].

Avec le tan de leurs chênes, diverses tribus travaillent le cuir ; d’autres, avec le charbon du laurier-rose, font de la poudre. L’argile, fort répandue dans ces terrains schisteux, sert à la fabrication des tuiles et de poteries souvent remarquables, telles que jarres, vases, lampes de forme étrusque, dues exclusivement à la main des femmes. Jamais la femme kabyle ne nous est apparue plus gracieuse et jolie qu’au retour de la fontaine, avec son amphore remplie d’eau qu’elle porte à l’antique, droite sur l’épaule, où elle la retient de ses deux bras levés. Le tannage des peaux de bouc, la teinture des laines et le tissage sont aussi des industries spéciales aux femmes. Elles tissent dans leurs maisons, sur un métier élémentaire, le lin et la laine, fabriquent des toiles pour l’exportation, et travaillent aux vêtemens des hommes et aux leurs. En cela pourtant elles n’ont pas beaucoup à faire, vu le peu de soin que le montagnard prend de sa personne : chez la femme encore, la coquetterie combat la malpropreté de race ; mais l’homme est sale et porte chemise ou burnous jusqu’à la corde.

Tout peuple industrieux cherche dans le commerce un débouché aux produits de ’son travail. Le Kabyle a de plus à se fournir sans cesse des objets indispensables qui lui manquent : il lui faut donc des marchés fréquens[62] ; il faut que certaines tribus qui ne trouvent pas à se nourrir dans la montagne envoient leurs colporteurs dans les douars, arabes et sur les marchés algériens, où la bonne foi kabyle est devenue proverbiale. En retour de leurs fruits secs, de leurs olives, huiles, épices, etc., ils achètent du blé, des cotonnades, de l’acier, du plomb pour leurs balles[63], du soufre et du salpêtre pour leur poudre. Les Kabyles les plus pauvres, qui n’ont ni coin de terre à soigner, ni commerce à faire, émigrent, et vont louer leurs services dans les villes et les plaines, avec l’espoir constant de retourner un jour vivre au village et d’y employer le pécule qu’ils auront amassé. Plusieurs fois par an les colporteurs rentrent au foyer, quitte à en repartir de nouveau. La grande solennité qui clôt le rhamadan ramène d’habitude tous les émigrés dans le Djurdjura. C’est alors fête générale : on les entoure, on les écoute, car ils ont beaucoup vu et ont beaucoup à dire. On raconte les nouvelles, on rapporte les bruits qui courent, et gaîment l’on devise, et à plaisir l’on médit de l’Arabe, et l’on rit à cœur joie de certaines historiettes semblables à celle-ci, que contait, entre autres, un loustic des Aït-Boudrar : « C’était un jour d’été, en temps de guerre ; un jeune thaleb ou savant arabe, hôte d’une tribu de la montagne, veut se conduire en brave, et, couvert d’une simple gandoura[64] flottante, le tromblon à la main, il sort pour faire le coup de feu. Tandis que prudemment il se tient derrière un rocher, un projectile siffle et le frappe en pleine poitrine. Le thaleb pâlit ; il porte la main à sa blessure ; plus il presse sur la balle maudite, plus elle le déchire. On s’approche, on le soutient, on recueille ses dernières paroles, quand un vieux guerrier, mieux avisé, ouvre la chemise du mourant et regarde la plaie : point de sang ! Le projectile terrible était un gros hanneton qui s’envole, — et le jeune Arabe se sauve, poursuivi des huées kabyles. »

Le Djurdjura a donc des tribus sédentaires et des tribus qu’il est permis d’appeler voyageuses. Le Kabyle voyageur sait toujours un peu d’arabe, parce qu’il lui est utile d’en savoir ; mais dans telle tribu comme celle des Aït-Idjer, qui ne voyage point, sur 10,000 habitans, on aurait peine peut-être à en découvrir un seul parlant l’arabe, excepté les marabouts. Ainsi, lorsque le Kabyle apprend la langue arabe, la langue du Koran, c’est pour les besoins de son commerce, et non dans l’idée de comprendre le livre sacré de sa foi. De là cette conclusion qui a sa portée : c’est que le Kabyle ne place pas seulement sa loi politique et civile au-dessus de sa loi religieuse, mais que même ses préoccupations d’intérêt industriel ou commercial passent avant sa religion.


V

Le Kabyle est en effet un musulman sans fanatisme ni respect excessif pour les prescriptions du Koran. Au besoin il ne craint pas de faire l’esprit fort : s’il a trop soif pendant le rhamadan, il se mettra volontiers, en plein jour, un morceau de glace dans la bouche, sous prétexte que ce n’est ni boire ni manger. S’il tue un sanglier et que la faim le presse, il mangera, sans trop de scrupule, la viande interdite ; Dieu est grand et pardonnera les faiblesses de l’homme. L’histoire est là d’ailleurs pour nous dire que les Kabyles ont apostasie jusqu’à douze fois avant d’embrasser franchement l’islamisme[65] ; les populations du Djurdjura étaient chrétiennes lors de leurs guerres contre Rome[66], et la croix que beaucoup de femmes kabyles portent tatouée sur le front apparaît peut-être comme une trace dernière et fidèle d’une religion oubliée.

Chaque village a généralement sa mosquée, reconnaissable à sa construction plus soignée, à ses murs plus blancs que les autres ; mais la montagne compte en outre certains établissemens religieux d’une importance particulière, destinés tout ensemble à l’hospitalité et à l’instruction : ce sont les zaouias. On a vu comment, à l’origine, les marabouts ont pris pied en Kabylie pour séparer des populations hostiles ; c’est sur le champ de bataille, sur le terrain de poudre des parties belligérantes qu’ils se fixèrent avec le consentement commun des deux parties. Sur chacun de ces terrains, autour de la tombe du premier marabout résidant et par les soins de ses successeurs, s’est généralement élevée une zaouïa.

La zaouïa peut former un vrai village ayant, comme les autres, sa djemâ et son amine. Plus souvent c’est un établissement occupé par des marabouts et comprenant alors une maison hospitalière, une école ou mammera, des habitations pour ceux qui viennent s’y instruire. La zaouïa la plus célèbre en Kabylie, célèbre dans l’Algérie entière, est celle de Sid-Abderraman[67] ; elle fait plus que donner l’hospitalité et l’instruction, elle sert de foyer à une grande association religieuse, où se mêlent Kabyles et Arabes, dont tous les membres se nomment khouans, c’est-à-dire frères, dont l’organisation hiérarchique comprend un khalifa ou grand-maître habitant la zaouïa, et des mekaddems ou délégués du grand-maître établis dans divers centres de la montagne. Cette association fait dans l’ombre des prosélytes nombreux, elle a des pratiques mystérieuses. Sa devise est, « obéissance et pauvreté ; » son mot d’ordre : « haine contre tout ennemi de Mahomet. » Ce sont ses agens secrets qui partout vont ranimer la foi, c’est de son sein que sort tout agitateur qui se dit inspiré et lève le drapeau de la guerre sainte[68]. Les zaouïas servent de but aux pèlerinages ; chacune a sa légende de miracles[69]. Outre les dons en nature et en argent des pèlerins, elles peuvent recevoir par legs testamentaires des propriétés qui prennent le nom de habbous, et sont, comme la terre des pauvres, labourées au moyen de corvées générales que fournissent les villages environnans. La zaouïa dépense son budget en frais d’entretien et d’hospitalité ; les pauvres surtout, dussent-ils frapper vainement à toutes les portes, ont l’assurance que celle d’une zaouïa ne leur sera jamais fermée.

L’école ou mammera s’ouvre à tous les élèves, de quelque point qu’ils viennent, et perçoit d’eux, à leur entrée, pour frais d’instruction, une faible somme une fois payée. Elle leur offre l’enseignement : c’est à eux de subvenir à leur existence par des quêtes ou achours ; ils en font trois par an, après la moisson, à l’époque des figues, à celle des olives, et ne laissent pas de promener leur besace au milieu des fêtes du voisinage[70]. La mammera ne refuse pas l’instruction élémentaire ; toutefois c’est plutôt une sorte d’université où l’on arrive ayant déjà quelques notions de lecture et d’écriture que peut donner dans le village le prieur de la mosquée. Les élèves y séjournent, à leur gré, plusieurs années, recevant les leçons de professeurs divers sur l’explication du Koran, les élémens du calcul et de l’astronomie, la versification, les commentaires du droit musulman.

Il semble aller de soi que, dans les zaouïas kabyles, l’enseignement se fasse en langue kabyle ; non, il se fait en arabe. C’est d’abord que le fond de cet enseignement est religieux, et que, pour toute population islamique, il y a défense expresse d’étudier le Koran dans une autre langue que celle du prophète ; puis la langue kabyle ou berbère, langue entièrement originale, qui n’est ni sœur ni parente de l’arabe, manque complètement d’une écriture qui lui soit propre : les signes qui, dans l’ancien temps, ont dû représenter la langue kabyle écrite ont disparu sans que l’histoire ni la tradition en puissent expliquer la perte. Tout ce qui se trouve écrit, — comme les kanauns des villages, — ou s’écrit aujourd’hui en kabyle emprunte forcément les caractères arabes. Aussi, tandis que la réputation des zaouïas est grande par toute l’Algérie et qu’elle attire des élèves de tous les points de l’Afrique du nord, la Kabylie n’y envoie guère que des fils de marabouts dont les familles tiennent à conserver le prestige de la science et de la religion, et peu de Kabyles savent lire ou écrire parmi ceux-là même qui dirigent les affaires publiques. Il faut le dire d’ailleurs, l’instinct du Kabyle ne le pousse pas à l’instruction ; il n’a point le goût du livré. Son intelligence et sa conception, bien que très vives, ne sont pas portées vers les travaux de l’esprit. Sur sa propre histoire, il manque de tout document sérieux. Ses légendes, les Arabes les savent mieux que lui. De sens historique, il n’en a pas, et quand il parlé de ses anciennes guerres contre le dey d’Alger, il cite sans cesse comme chef des forces ennemies le même bey Mohammed, qui, tout calcul fait, aurait vécu trois cents ans.

La seule littérature nationale et populaire dans le Djurdjura, c’est la chanson. Elle se transmet sans s’écrire, mais simplement de bouche en bouche, en se chantant sur une musique originale, un peu sauvage dans les accens guerriers, traînante et douce dans les couplets d’amour. Sujets de guerre, satires, poésies amoureuses ou légères, la chanson embrasse tout. Dans ce genre de littérature, le seul où il se soit essayé, l’esprit kabyle réussit à merveille ; qu’on en juge par quelques exemples[71].

Quand le maréchal Bugeaud eut, en 1847, amené à soumission, sur la rive droite de l’Oued-Sahel, la fière tribu des Aït-Abbès, un poète se rencontra[72] pour stigmatiser ceux qui s’étaient rendus. Dans sa chanson, il peint en deux mots la figure du maréchal, l’homme sans barbe habitué à imposer l’obéissance, — en deux mots encore la tactique du grand chef français, qui tombe sur son ennemi prompt et terrible comme la panthère, puis :


« Personne ne sait donc plus mourir (s’écrie-t-il) ! Ne sommes-nous plus que des tribus de Juifs ? Oui, nos hommes, jadis des lions, aujourd’hui portent le bât.

« Le chrétien n’a peur de rien, le maudit ! Ses tambours de cuivre donnent le frisson… L’Islam a manqué à la guerre sainte… Nos hommes sont devenus des femmes.

« Honneur aux femmes chrétiennes ! Celles-là peuvent porter haut la tête ; elles au moins, elles ont donné le jour à des braves !… »


En tout pays, certes cela s’appellerait de l’éloquence. Et quel mépris dans la suite du poème pour ceux qui ne se battent pas !

« Les Imsissen[73] ont assisté impassibles au désastre. Ils sont sans cesse à marmotter des prières ou à dire leur chapelet ; qu’ils laissent donc de côté toutes ces pratiques ! Celui qui ne fait pas la guerre ne doit être compté pour rien. »


Le même souffle de patriotisme et d’honneur anime la plupart de leurs chansons de guerre, et toujours, comme trait caractéristique de l’esprit kabyle, on pourra remarquer la précision et la vérité des métaphores. Ce n’est jamais, comme l’Arabe, par goût du style imagé et mystique que le Kabyle fait ses comparaisons ; il les fait parce qu’il les trouve positives et justes. Quand le chansonnier raconte la défense des Maatkas, en 1851, contre le général Pélissier, il dépeint les ghoums arabes « occupés surtout à piller les fruits, » — les zouaves « ne connaissant aucun danger, » — et la montagne « passée au crible par les jambes rouges. » Pour prendre même un exemple plus frappant, lorsque nos soldats débarquèrent en Afrique, leur sac et leur vaste coiffure de 1830 parurent étranges aux indigènes ; voici le portrait qu’en fit alors une chanson kabyle : « Le soldat français ressemble à une bête de somme sans croupière ; son dos est chargé ; sa chevelure inculte est enfermée dans un boisseau… »


Et cependant cette tendance à saisir les aspects matériels n’exclut ni l’élévation ni les élans qui viennent de source, car le poète poursuit :


« Infortunée reine des cités, ô Alger, ville aux beaux remparts, colonne de l’islamisme, te voilà maintenant l’égale des habitans du tombeau ! La bannière française t’enveloppe !… Les fondemens du monde sont ébranlés, la base sur laquelle il reposait s’écroule. Nous, les survivans, nous sommes sur une barque à la surface des eaux, sans commandant et sans pilote… Heureux celui qui dort sous la terre ! Au moins son sommeil est paisible ; les nouvelles de ce monde n’arrivent pas jusqu’à lui. »


Parfois à ses accens guerriers le Kabyle mêle une certaine pointe de vantardise qui a sa couleur : « Le Français parade ! Il s’imagine, le malheureux, que nous allons nous soumettre !… » Ainsi commence une chanson faite en 1856 sur notre expédition contre les Guechtoulas[74], et elle finit par ce trait dont le tour vif et fanfaron porte comme un cachet parisien : « Les grandes capotes[75], c’est peu de chose ; je n’en fais pas plus de cas que du vent ! »

Veut-on de la satire acérée et mordante, le Kabyle la manie en maître. Un poète de la tribu des Boudrar alla un jour demander l’hospitalité chez les Ouassif, dans le village d’Aït-Erba, réputé pour son commerce de cuirs. Le poète, paraît-il, ne se trouva ni reçu ni traité à son gré ; il se vengea par une chanson devenue très populaire dans la montagne, et qui, depuis quarante ans, expose le village en question aux quolibets de tous les autres :


« Chantons Aït-Erba, ce village qui ne se bat pas. Ce n’est dans les rues que cuir puant ; l’odeur en arrive de loin… J’ai rencontré des chiens qui semblaient joyeux ; ils arrivaient quatorze par la même route ; sans doute ils venaient de là où ils auront trouvé ripaille…

« … Les hommes y sont mous comme des chiffons ; ce sont des poules aux mauvaises ailes. Leur honneur ne dépasse pas la haie de leur village[76]… Leurs femmes courent les ravins sans entraves et sans pudeur…

« … Pour moi, j’ai dû dîner dans un village à côté ! »


Le poète a dû dîner « dans un village à côté ! » Voilà le grand mot ! Suivent alors des louanges emphatiques sur la générosité du village où il dîne ; mais le bon dîner ne l’excite que davantage contre ceux qui le lui ont refusé, et : « J’en reviens (ajoute-t-il), à ces vils habitans qui au milieu de leurs voisins sont comme des lézards entre des couleuvres ; ils ne piquent pas… Quand les tribus défendaient l’honneur kabyle, où étaient-ils ? Ils étaient allés faire paître leurs troupeaux…

« Vous pouvez jouer sans crainte devant la bouche de leurs fusils : ils n’ont jamais tué personne. Je les accepterais volontiers comme porteurs de civière, ils sauraient la manœuvrer doucement. »


Cette chanson circulait déjà dans la montagne quand les Aït-Erba se firent gloire d’avoir tué un sanglier dangereux, belle occasion pour le poète, qui s’empressa d’ajouter ce couplet de circonstance :


« Le samedi fut un jour terrible ! Ils commencèrent les hostilités et se mirent en campagne contre un sanglier… L’animal en extermina deux. Le moment était solennel ; survint heureusement un citoyen d’un village voisin, noble enfant qui frappa le sanglier à la tête. Il les a tirés de peine ; sans lui Ils étaient tous perdus. »


Même esprit dans d’autres chansons du même poète, qui, tout en déchirant autrui à belles dents, se délivre volontiers un brevet de justice :


«… Jamais, dit-il, on ne trouvera rien de défectueux dans mes vers ; quand je frappe, c’est que j’ai vu le but… Un jour que j’avais commis quelque faute (le Dieu qui nous conduit l’avait ainsi voulu !), j’allai à Iril-Mahad[77]… J’y trouvai non pas un homme, mais une espèce de perche aux jambes brûlées… On aurait taillé des lanières dans sa peau… Je le vis inquiet ; un tremblement le saisit à mon approche, et il murmura ces mots : « Que chacun aille chez ses amis ! »


Le grand crime de ce pauvre diable était de n’aimer point les parasites, crime impardonnable aux yeux du poète, dont la gourmandise blessée éclate dans ce trait charmant :


« Le kousskouss était en pleine vapeur : le maître du logis n’a même pas eu le cœur de m’inviter ; ce jour-là s’est dévoilée sa honte !… »


Et il ne quitte pas la demeure inhospitalière sans se venger par ce vœu méchant :


« La femme a mis bas sept petits dont l’un me paraît être la faim et l’autre l’usure ; puissent-ils ne jamais sortir de la maison paternelle ! »


Dans le genre léger, — souvent trop léger, — les hommes ont des chansons particulières et les femmes ont les leurs ; il en est aussi qui forment des espèces de duos où hommes et femmes se répondent. À ces duos se mêlent des danses au son du tambourin, d’une petite flûte et d’une clarinette primitives que danseurs et danseuses accompagnent de leurs claquemens de mains. Les chansons d’hommes sont toujours des chants d’amour en couplets détachés :


« Oiseau qui as des ailes, perche-toi sur le figuier ; quand Fatima sortira, baise son joli petit cou.

« Toi chez qui tout est mignon, tu m’as dépouillé par ta gentillesse ; ma bourse est vide, et tu me dis toujours : Donne !

« O taille de roseau, tu t’es brisée toi-même ; un vieux grisonnant repose sur ton bras.

« Taille ce cep de vigne, pour toi, j’ai quitté ma mère ; je te trouvai à la fontaine, tu me donnas à boire, et je t’embrassai tout à loisir.

« Je passais dans le chemin ; ma calotte est tombée ; ma raison est partie ; elle voyage avec ma bien-aimée.

« Seigneur Dieu qui fais mûrir les fruits, donne-moi Tasadith aux vêtemens précieux.

« Seigneur Dieu qui as créé les grenades, donne-moi Fatima aux cils noircis.

« Seigneur Dieu qui as créé les pommes, fais que Famina me dise : Viens !… »

Et les couplets se multiplient, énumérant tous les fruits du bon Dieu, pour conclure par une pensée philosophique éternellement vraie :

« Seigneur Dieu qui as fait les parts inégales, tu as donné aux uns ! les autres sont jaloux ! »

Quand les femmes chantent seules dans leurs maisons ou à la fontaine, ce sont d’ordinaire de curieuses complaintes contre les maris :

« O ma tendre mère, j’ai épousé un hibou ; il a la figure d’un coq sur un perchoir. Seigneur, Seigneur ! fais-moi vite porter son deuil…

« Hélas ! ma tendre mère, j’ai épousé un fumeur ; quand il rentre au logis, il ne rapporte que pipe et tabac avec l’odeur d’un raton…

« Hélas, hélas ! j’ai épousé Raba ; le jour, il ne me regarde point, la nuit il éteint la lampe. Cette année je me sacrifie, l’an prochain je m’enfuirai. »

En fait de chansons où hommes et femmes se répondent, nous n’en connaissons pas qui respire tour à tour plus de vaillance et de mélancolie que les deux couplets suivans :

LES JEUNES FILLES. — « Qui veut être aimé des femmes, qu’il marche avec les balles, qu’il donne sa joue à la crosse de son fusil, et il pourra crier alors : A moi, jeunes filles ! »

LES JEUNES GENS. — « Vous faites bien de nous aimer, jeunes filles ; Dieu nous envoie la guerre, nous mourrons, et il vous restera au moins le souvenir du bonheur que vous nous aurez donné. »

Les tribus du versant sud du Djurdjura ont un type de chanson tout spécial dont le thème est invariable : c’est la guerre, la neige et l’amour, — trois grandes choses dans la vie du peuple de la montagne. Comme modèle du genre, nous citerons une pièce due à un illustre marabout, poète et savant de l’Oued-Sahel, Si-ben-Ali-Chérif, presque un jeune homme encore, et déjà un vieil ami de la France :

« Stamboul a arboré la bannière verte, et les nations se sont ralliées autour d’elle[78]. C’est elle qui guide au combat les troupes sorties au son du tambour. Il n’y a que de mâles guerriers, c’est Abd-ul-Medjid et ses peuples. Le Russe a vu la ruine portée dans son pays ; on le forcera à se soumettre.

« La neige tombe blanche sur Azrou-Alloul[79], dans une nuit assombrie par d’épais nuages. Elle courbe les rameaux des arbres et les brise en morceaux. Les fruits sont perdus sans espoir. Elle emprisonne les Arabes dans leurs smalahs, elle est descendue jusqu’à Redjas[80].

« Sois mon messager, je t’en conjure, ô faucon au chaperon ; depuis longtemps tu remplis cet office. Si tu es mon ami de cœur, va lui redire mes chants. Pour Dieu ! pose-toi sur les genoux de celle qui cause mon souci. Son nom commence par la lettre T…[81] ; va, dirige-toi vers sa demeure.

« Dis à celle qui est pure comme l’or des pendans d’oreilles, à la jeune fille aux yeux et aux sourcils noirs, dis-lui que pour elle j’ai abandonné le soin de mes affaires. J’ai la tête perdue, nuit et jour je ne peux dormir. Quand je la vois passer drapée dans ses vêtemens, comment modérer l’impatience de mes désirs ?

« Elle m’a dit : O noble jeune homme, nous ne serons pas longtemps séparés. Le serment est inutile, j’ai ta promesse, ô jeune homme brun. Ma belle-mère est méchante, mon mari est fou : tous les jours, il me fait surveiller ; mais, je te l’ai juré sur le livre révélé, je serai à toi, dussent-ils me couper la tête !

« Ces jours derniers, ô mes amis, je l’ai rencontrée. Comme la lune, lorsqu’elle se lève, elle projetait au loin devant elle sa lumière. Elle fait l’admiration des hommes et attire tous les regards. Parmi les Arabes du Sahara et du Tell, il n’y a pas de beauté comparable à la sienne. C’est l’argent, — source de tant d’abus, — qui a lié ma bien-aimée à ce mauvais homme !

« O toi qui sais lire dans tous les livres, si tu comprends les comparaisons, tu saisiras le sens de mes paroles. Cette enfant a été prise pour femme par un ogre ; ses pleurs coulent comme un torrent et flétrissent sa beauté. Seigneur, rends-lui la liberté, qu’elle puisse choisir un homme semblable à elle !

« O mon esprit, toi qui as de l’intelligence, change pour elle de rhythme, chante en langage fleuri ma colombe bien-aimée, aussi svelte que la pousse de l’oranger ! Lorsqu’elle passe avec ses bandeaux flottans, mon cœur aspire à devenir l’époux de cette enfant gracieuse et charmante.

« Voici ma tête en feu qui prépare des chants de toute espèce. Monté sur ma pouliche de deux ans, je parcours le pays en tous sens pour me rassasier d’espace ; mais, rentré dans ma maison, je m’y trouve étranger et seul ; — il n’est plus de société qui puisse désormais me sourire ! »

Voilà par quels chants le Kabyle se distrait dans ses loisirs, ou, pour mieux dire, dans son travail, car sa vie est un labeur constant. Qu’il reste au pays ou qu’il émigre, partout nous le trouvons actif et dur à la peine, et au bout d’une journée de fatigue c’est tout au plus une natte jetée sur la terre qui lui sert de lit, même dans sa maison. À personne les heures ne sont plus précieuses qu’au Kabyle, et pourtant il en consacre fièrement une partie à ses devoirs de citoyen. Nulle population n’a plus besoin d’exporter et d’échanger ses produits, et pourtant le Djurdjura sacrifia son commerce plutôt que de capituler pendant le long et rigoureux blocus dont nous l’avons enveloppé avant de le conquérir ; l’hectolitre de blé se vendait alors jusqu’à 50 francs dans la montagne, l’hectolitre d’orge 30 francs, et souvent on n’y avait de la farine qu’en broyant de la paille ! Ce Kabyle enfin, spéculateur, marchand, ami du gain, on le voit toujours prêt, dans la moindre question de point d’honneur, à oublier tout intérêt, à dédaigner tout profit. Que ne peut-on attendre d’un peuple en qui l’amour de l’argent n’a pas affaibli les susceptibilités de l’honneur !

Telle était avant 1857 l’organisation kabyle. Par ce tableau, que nous osons donner pour fidèle, le lecteur a dû saisir les analogies d’aptitudes, de coutumes, de caractère politique, de tendances sociales, qui rapprochent de nous la race vaillante du Djurdjura. Quel parti la conquête française a-t-elle tiré de semblables élémens ? Quels progrès semblent encore opportuns et possibles pour faire du Kabyle, non pas seulement un sujet soumis, mais un exemple, un instrument même, s’il se peut, de l’action civilisatrice de la France en Algérie ? Il y a là un nouvel ordre de questions qui méritent d’être traitées séparément.


N. BIBESCO.

  1. Dellys et Bougie sont les deux porte de la Grande-Kabylie. Le petit port de Dellys, à vingt-deux lieues est d’Alger, ne présente pas toujours un abri sûr ; la rade de Bougie au contraire, à trente-six lieues est de Dellys, passe pour la meilleure de tout notre littoral africain.
  2. Les montagnes des Babors, où l’on signale quelques troubles qui préoccupent aujourd’hui l’opinion publique, sont à l’est et complètement en debors de la Grande-Kabylie ; la plus courte distance qui les sépare de l’Oued-Sabel est de quinze lieues. Les Babors occupent un territoire fort restreint ; la population y est bien d’origine kabyle, mais de sang mêlé à l’arabe Peu nombreuse, pauvre, sauvage, sans industrie, elle n’a point de relations avec les habitans de la Grande-Kabylie, qui en aucun temps, — il importe de le remarquer, — ne lui ont envoya des renforts pour nous combattre. D’ailleurs le mouvement actuel des Babors, dirigé contre leurs chers indigènes plus que contre l’autorité française, date déjà du mois de novembre 18G4, sans avoir trouvé d’écho dans la Grande-Kabylie. Conquis en 1853, les Babors nous ont habitués en 1856, 1858, 1860, à des soulèvemens qui n’ont jamais pris de développement grave, et qu’on a réduits sans peine dès que la saison le permettait.
  3. Dans la province d’Alger, les populations de la Métidja, sauf les Beni-Hallil et les Beni-Moussa, sont d’origine kabyle ; il en est de même entre Ténès, Cherchell et Milia-nah, — aux environs de Teniet-el-Had, — dans la confédération des Beni-Mzab, l’oasis de Ouargla, etc. La province d’Oran a des Kabyles entre Sebdou et le Maroc, et les deux tiers de la province de Constantine sont peuplés de Kabyles répandus entre Collo et Djidjelli, dans le caidat de l’Oued-Kébir et dans l’Aurès.
  4. On appelle Djurdjura le pâté de montagnes le plus élevé de la Grande-Kabylie. La chaîne principale, d’où naissent de puissans rameaux, commence à vingt lieues est d’Alger ; elle court, pendant une quinzaine de lieues, parallèlement à la mer, dont elle est distante d’environ dix lieues, puis elle s’infléchit vers le nord et s’abaisse en se rapprochant de la côte ; Le long du versant sud coule l’Oued-Sahel, dont l’embouchure est à Bougie ; le long du versant nord, le Sébaou, qui prend sa source dans le Djurdjura même et se jette dans la mer auprès de Dellys.
  5. Le nombre des fusils est généralement une moyenne entre le quart et le cinquième de la population. Les vrais Kabyles du Djurdjura sont au nombre de 160,000 environ, compris dans tout le cercle de Fort-Napoléon et une partie des cercles de Dra-el-Mizan et de Tizi-ouzou.
  6. Si incomplets que soient les documens historiques qui concernent la Kabylie du Djurdjura, il en ressort qu’elle est demeurée indépendante durant les périodes romaine, vandale, byzantine, arabe et turque. Abd-el-Kader lui-même essaya vainement d’y établir son autorité ; il n’y pénétra qu’une fois, et encore à titre de pèlerin. Quand les Kabyles devinèrent ses projets de domination, ils le prévinrent que, s’il revenait jamais, au lieu d’être reçu avec le kousskouss blanc de l’hospitalité, il le serait avec du kousskouss noir, c’est-à-dire de la poudre.
  7. Il neige dans le Djurdjura depuis novembre jusqu’à la fin de février. Les hivers sont froids et humides, les étés tempérés.
  8. Une statistique fort intéressante, due au général de Neveu, qui commande la subdivision de Dellys, établit que la population spécifique de la Kabylie du Djurdjura est de 77,17 par kilomètre carré ; celle de la France n’est que de 60,27, et celle du pays arabe dans le Tell n’est que de 15. La Kabylie est deux fois plus peuplée que le Cantal, la Haute-Marne et l’Indre, deux fois et demie plus, que les Landes et la Corse, trois fois plus que la Lozère, les Hautes et les Basses-Alpes. Sur les 89 départemens de France, 18 seulement ont une population spécifique supérieure à celle de la Kabylie. Ces 18 départemens sont précisément ceux, qui comprennent les plus grandes villes et offrent les plus fortes agglomérations urbaines, d’où il serait presque permis de conclure que nulle part en France la population agricole n’est aussi dense que la population kabyle.
  9. Ces bruits divers, que nous avons recueillis nous-même dans le Djurdjura durant l’automne de 1864, ont circulé avec persistance pendant toute l’insurrection algérienne sans exciter chez les Kabyles la moindre agitation.
  10. Est-il besoin de nommer le maréchal Randon, qui gouverna l’Algérie de 1851 à 1858
  11. Qu’on ne nous taxe pas d’exagération ; nous avons eu l’honneur d’entendre le maréchal de Mac-Mahon apprécier ainsi le combat d’Icheriden. On ne saurait trouver de meilleur juge. Le rude combat d’Icheriden s’est livré le 24 juin 1857. Icheriden est un village de la confédération des Alt-Iraten, situé sur la crête qui se prolonge vers les Aït-Menguellet. Les Kabyles de tous les points du Djurdjura s’y étaient donné rendez-vous ; ils avaient élevé, en avant du village, une fortification complète en terre, abattis, branchages, qu’ils défendirent avec une vigueur acharnée, et dont nous ne nous rendîmes maîtres que par un mouvement tournant.
  12. Nous avons nous-même entendu cette parole en 1857 dans la vallée du Sébaou,
  13. Le mot dechra est emprunté à la langue arabe.
  14. Les plus gros villages kabyles n’ont pas plus de 3,000 âmes.
  15. Le mot arch est également arabe. — Les tribus kabyles les plus nombreuses comptent de 6,000 à 7,000 habitans.
  16. Les deux kebilas les plus puissantes du Djurdjura sont les Zouaouas, qui comprennent huit tribus, avec une population totale de 34,000 âmes, et les Aït-Iraten, formant cinq tribus, avec irae population de 18,000 habitans.
  17. Chaque village kabyle porte un nom particulier qui exprime le plus souvent un fait matériel ; exemple : Agouni ou Djilbân (le champ de pois), Taguemount ou Kerrouch (la colline du chêne), Taddert ou Fella (le village d’en haut). Chaque tribu porte un nom générique ; c’est tantôt un nom propre, tantôt un nom qualificatif, mais précédé généralement de la particule aït, qui correspond au beni des Arabes et signifie les gens de… ou les enfans de… Par exemple, la tribu des Aït-Yahia est la tribu des enfans de Yahia. Les Aït-Boudrar sont les gens ou les enfans de la montagne, les Ait-Ouassif sont les gens de la rivière. La kebila comprend également sous un seul et même nom les diverses tribus qui la composent ; ce nom peut être précédé de la particule ait, comme dans les Ait-Iraten, ou ne pas l’être, comme dans les Zouaouas.
  18. Il est fort rare qu’un jeune Kabyle ne tienne pas à honneur de remplir, dès qu’il le peut, ses devoirs de citoyen. Si la djemâ vient à savoir qu’un jeune homme capable de porter un fusil néglige de se présenter, elle l’appelle et lui fait subir l’épreuve du fil. On mesure le cou du jeune homme avec un fil, on double cette mesure, on lui place entre les dents les deux bouts du fil, qui forme ainsi une boucle ; — si sa tête peut passer dans la boucle, il sera déclaré majeur.
  19. Le rhamadan dure un mois lunaire, pendant lequel les musulmans doivent s’abstenir de boire et de manger depuis le lever jusqu’au coucher du soleil.
  20. L’étymologie du mot marabout est marabeth, qui signifie attaché, lié.
  21. Excepté en temps d’invasion, car les marabouts ont, tout comme les autres, pris les armes contre nous.
  22. Phrase kabyle consacrée.
  23. Dans l’intérieur, point de meubles, sauf les métiers de tissage des femmes ; contre le mur, de grandes jarres renfermant les grains et des vases contenant l’huile.
  24. Quel que soit cet objet échangé, les Kabyles l’appellent toujours, par un vieux souvenir, mzerag, ce qui veut dire lance.
  25. Le Kabyle a un respect religieux pour un vêtement troué d’une balle, et se garde bien de le jamais réparer.
  26. Le fissa est un grand couteau ou petit sabre droit ; il tire son nom de celui de la tribu kabyle qui le fabrique.
  27. Le Kabyle est essentiellement fantassin ; le cheval est fort rare dans le Djurdjura.
  28. Nous avons trouvé sans cesse les Kabyles du Djurdjura réunis en faisceau pour nous combattre.
  29. Le kanoun est un code écrit ; ce n’est, à bien prendre, qu’un tarif d’amendes.
  30. Le mot anaïa signifie protection, sauvegarde.
  31. Même l’anaïa donnée par une femme au nom de son mari est regardée comme inviolable, et le fait suivant a laissé une impression profonde dans la montagne. Un homme des Aït-Bouyoucef, voulant traverser le pays des Aït-Menguellet, alla demander l’anaïa d’un ami qu’il avait dans cette tribu. L’ami était absent ; sa femme prend sur elle de donner au voyageur, comme signe d’anaïa, une chienne connue dans le pays. Bientôt la chienne revient seule et sanglante au logis : la nouvelle se répand ; on s’inquiète, on cherche, on découvre le voyageur assassiné auprès d’un village. Grande émotion, recours aux armes, guerre déclarée à la dechra coupable par le village offensé, qui garda en souvenir le surnom de village de la chienne.
  32. Lettre adressée en 1851 par une djemâ de la confédération des Guechtoulas au commandant supérieur de Dra-el-Mizan.
  33. A défaut du père, ce sont les frères ou même le tuteur qui la rendent. À défaut de tout parent mâle, c’est la mère qui en dispose.
  34. Les actes de l’état civil sont inconnus en Kabylie pour le mariage comme pour les naissances et décès.
  35. La coutume ne fixe pas d’âge, ni pour les hommes ni pour les femmes.
  36. La femme répudiée s’appelle tamaouok, ce qui veut dire retenue. Une veuve sans enfans doit rentrer dans la maison du père, qui peut la vendre de nouveau. Comme dans la loi musulmane, la veuve attend quatre mois et dix jours avant de se remarier. La divorcée attend trois mois seulement.
  37. Le mari, dans la formule du divorce, peut stipuler un prix moindre que le prix d’achat ; il dit alors devant témoins : « Je divorce à tel prix. »
  38. Un orchestre kabyle se compose d’une petite flûte, d’une clarinette et d’une sorte de grosse caisse.
  39. C’est par le cri you-you indéfiniment répété que les femmes kabyles ou arabes témoignent leur joie.
  40. Ibn-Khaldoun, traduit par le baron de Slane, t. Ier, p. 257.
  41. Le 11 juillet 1857.
  42. La femme elle-même peut être tutrice de ses enfans mineurs.
  43. Telle porte, par exemple, doit rester fermée à certaines heures où elle donnerait vue sur les femmes du voisin ; — sur tel chemin passera la vache et non le veau, sur tel autre la bête de somme en laisse et non en liberté. C’est surtout pour les sentiers interdits aux hommes et réservés aux femmes que les droits de passage sont sévèrement réglés.
  44. La peine de la prison n’existe pas ; elle ne pouvait convenir aux lois d’un peuple aussi jaloux de liberté.
  45. Est passible de lapidation celui qui tue ou livre à ses ennemis un individu protégé par l’anaïa du village, celui qui tue père, fils ou frère pour hériter, ou son hôte pour le voler. — Est banni quiconque, pendant une guerre, a introduit l’ennemi dans le village, — quiconque abandonne son poste ou se montre lâche dans le combat. — La lapidation et le bannissement entraînent la confiscation des biens et la destruction de la maison.
  46. La dia arabe ou prix du sang n’est admise qu’exceptionnellement. Le Kabyle regarde comme honteux de racheter par l’argent le sang d’un homme. On citoyen des Aït-Ouaguenoun ayant laissé le meurtre de son frère impuni, la djemâ de son village l’a banni en déclarant que, pour n’avoir pas vengé la mort de son frère, il devait être complice de l’assassin.
  47. Les kanouns sont les tarifs d’amendes, ils sont écrits, et chaque village a les siens ; mais les crimes et délits punis sont presque partout les mêmes, bien que, suivant les localités, le taux de l’amende puisse varier. La citation de quelques articles tirés de divers kanouns donnera une idée de la sévère prévoyance du législateur :
    réaux (*)
    Un coup porté avec une pierre ou un instrument de fer est puni de 5
    La seule menace de frapper 1
    Armer son fusil et menacer quelqu’un 9
    Vouloir recommencer une dispute après qu’un tiers s’est interposé 6
    Chercher querelle à un homme qui accompagne une femme 5
    Injurier un vieillard ou une femme 20
    Une femme qui injurie un homme ou une autre femme 1
    L’homme qui va à la fontaine des femmes 5
    Accoster une femme sur une route ou dans un bois 20
    Lui faire des propositions honteuses 120
    Porter la main sur elle 160
    Frapper l’émissaire d’une fraction ennemie qui vient déclarer la guerre 10
    Refuser la nourriture à ses père et mère dans le besoin 25
    Porter faux témoignage 10
    S’interposer entre deux hommes dont l’un est en droit de se venger de l’autre 80
    Renoncer par lâcheté à une vengeance légitime 120


    (*) Le réal vaut 8 fr. 50 c.

  48. Des amendes différentes punissent le vol d’une poule, chèvre ou brebis, d’un bœuf, âne ou mulot, de feuilles de frêne ou de figuier, de grains, de paille ou de foin, de légumes et fruits verts ou mûrs. Pour les vols nocturnes, la peine est doublée ; chez les Aït-Mellikeuch, le voleur surpris dans une maison devient comme l’esclave du maître de la maison, qui peut disposer de sa personne et de ses biens.
  49. Ces droits, qui sont réglés dans chaque village, sont en moyenne de 3 réaux (7 fr. 50 c.) pour mariages, divorces et naissances. Le droit sur les successions peut monter jusqu’à 20 réaux (50 fr.), si l’héritage est considérable.
  50. Sans compter les secours aux indigens et l’achat d’armes et de munitions pour les pauvres en temps de guerre.
  51. Grâce à l’ousia, le Kabyle mange en moyenne dix fois plus de viande que l’Arabe.
  52. Mohammed-ou-Kaci, mort maintenant, a été notre dernier bach-agha du Sébaou et s’est conduit toujours en allié brave et fidèle.
  53. Il cultive partout où c’est possible le blé, l’orge, le mais, le sorgho, les fèves, pois, artichauts, pimens, et le tabac.
  54. Les roches du Djurdjura sont parfois calcaires, généralement schisteuses.
  55. Si les grains font défaut, la force motrice ne manque pas aux moulins. En hiver, la plupart des ravins deviennent des torrens ; en été même, la montagne n’est jamais privée d’eau ; les sources y sont abondantes, et l’eau fort bonne à boire. Les rivières du Sébaou et de l’Oued-Sahel, aussi bien que leurs affluens directs, si réduits qu’ils soient par la sécheresse, ne tarissent point.
  56. Le dokkar produit deux sortes d’insectes, des noirs et des rouges ; les noirs seuls sont fécondans.
  57. Les Aït-Fraoucen et les Aït-Iraten.
  58. Appelé vulgairement figuier de Barbarie.
  59. Cette forêt se trouve sur les sommets des Aït-Idjer ; on la traverse pour passer de la vallée du Sébaou dans celle de l’Oued-Sahel, en se rendant à Bougie. La crête d’Akfadou est bien nommée ; Akfadou veut dire en kabyle crête du vent.
  60. Le Djurdjura élève des bœufs, vaches, moutons et chèvres, ânes et mulets. — La chasse y est assez pauvre ; les perdrix et les lièvres sont rares ; on trouve surtout des sangliers. On rencontre la panthère dans le Haut-Sébaou, chez les Aït-Flik, les Aït-Robri et les Aït-Idjer, parfois même le lion, qui cependant recherche davantage le versant de l’Oued-Sahel. Les singes sont nombreux dans les montagnes des Guechtoulas au-dessus de Dra-el-Mizan.
  61. La tribu des Aït-Ienni est également connue au loin pour sa fausse monnaie ; fabriquée dans les ateliers spéciaux d’un de ses villages, cette fausse monnaie se répand jusqu’en Tunisie, où elle se vend sur les marchés comme une vraie denrée.
  62. Chaque tribu a son marché hebdomadaire.
  63. Les balles kabyles, plus petites que les nôtres, sont plus dangereuses et déchirent davantage les plaies, parce qu’on leur laisse les bavures qu’elles ont au sortir du moule.
  64. La gandoura est une longue chemise.
  65. Ibn-Khaldoun, t. Ier, p. 198.
  66. Les historiens et les géographes latins appellent le Djurdjura mons Fetratus (le mont bardé de fer), et ses habitans Quinquegentiani (les cinq tribus). Ces tribus étaient chrétiennes au IVe siècle de notre ère, et Firmus, leur chef, leur fit embrasser le donatisme en l’an 372, par esprit d’indépendance, afin de mieux montrer qu’il ne voulait rien avoir de commun avec les Romains, pas même la religion. De là le nom de firmiens donné aux donatistes. — Voyez Amm. Marcellin, liv. XXIX, ch. V, et saint Augustin, let. 87, t. II, p. 15, édition Poujoulat.
  67. Elle est située dans la tribu des Ait-Small (confédération des Guechtoulas).
  68. Abd-el-Kader lui-même était khouan de Sid-Abderraman. Les savans travaux de M. le général de Neveu et de M. Brosselard ont contribué à élucider la question des khouans, jadis si obscure.
  69. Voici la légende de la zaouïa de Sid-Abderraman. Le saint marabout Sid-Abderraman vivait au commencement de notre siècle. Originaire d’Alger, il passa sa vie et mourut dans le Djurdjura, chez les Aït-Small, qui élevèrent une koubba ou mosquée sur sa tombe. Les Algériens, irrités de savoir son corps en terre kabyle, arrivent nombreux dans la montagne, comme pour prier près du tombeau, et de nuit ils enlèvent les restes du saint, qu’ils emportent à Alger et enterrent dans une koubba nouvelle. Grand émoi des Kabyles ; ils ne parlent de rien moins que de marcher sur Alger quand, dans une dernière visite au tombeau qu’ils croyaient vide, ils y retrouvent intact le corps de Sid-Abderraman. Dieu avait permis que, par miracle, cette dépouille se multipliât, et le saint marabout resta connu depuis sous le nom de Bou-Kobarine (le père aux deux tombes).
  70. Quand les élèves d’une zaouïa sont en nombre, leurs promenades intéressées pèsent comme de durs impôts sur les environs. La zaouïa de Ben-Dris, chez les Illoula-Oumalou, a fini par inspirer ainsi une terreur véritable ; elle sert de rendez-vous aux malfaiteurs et détrousseurs de chemins, et l’on y devient beaucoup plus « thaleb (savant) du bâton » que « thaleb de la science. »
  71. Nous devons en grande partie ces exemples aux obligeantes communications de M. le lieutenant-colonel Hanoteau, qui, durant son commandement de Fort-Napoléon, a recueilli et traduit nombre de chansons kabyles.
  72. Il était de la tribu des Aït-Mellikeuch, sur la rive gauche de l’Oued-Sahel, alors restée insoumise.
  73. Les Imsissen ou Msisnà sont une tribu de la confédération des Aït-Aïdel, sur la rive droite de l’Oued-Sahel.
  74. L’expédition de 1856 prépara celle de 1857 par la soumission des Guechtoulas.
  75. C’est notre infanterie qu’ils désignent de la sorte.
  76. Nous omettons bien des injures qui ne sauraient trouver place ici.
  77. Village de la tribu des Mechdallah, dans l’Oued-Sahel.
  78. Cette chanson a été composée pendant la guerre d’Orient. Si-ben-Ali-Chérif écrit ses poésies, il est même capable de les traduire en français ; il a été le premier pionnier de notre influence dans l’Oued-Sahel.
  79. Village des Aït-Abbès.
  80. Plaine de la Kabylie orientale où la neige tombe rarement.
  81. Tasadith, qui correspond au nom de Félicité.