Les Jeux rustiques et divins/Stances

Mercure de France (p. 272-273).
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STANCES


Si ta colère un soir, égorge dans ta vie
Quelque cygne dormant sur l’eau des jours passés,
Prends garde de revoir sur ta main avilie
Le sang pur que la nuit n’aura pas effacé.

Ne trouble plus l’eau calme où se voit et se songe,
Nue entre les roseaux et dans l’onde sans pli,
Au reflet qui la double encore et la prolonge
L’Heure à jamais vivante au lac noir de l’oubli.

Le cygne impatient, pris à l’herbe des rives,
Qui s’entrave, se plaint, s’acharne et se débat.
Fut peut-être, jadis, lui dont l’aile est captive,
L’essor miraculeux qu’on admire d’en bas ;

Le roseau qui fut vert et jaunit dans la boue
Et qui courbe sa tige où l’Avril a chanté
Gémit au vent qui passe et où déjà s’enroue
L’Hiver mélancolique en peine de l’Été.


Supporte au vieux miroir en larmes de la vie
Ce qui vient s’y mirer silencieusement,
Car chacun d’être double en un autre s’oublie
Et l’Ombre, hélas ! dit vrai à l’homme qui lui ment.