Les Jeux rustiques et divins/L’Obstiné

Mercure de France (p. 274-275).
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L’OBSTINÉ


Si le paon, la colombe, et si le cygne blanc
Ont volé loin de toi et fui tes mains tendues,
Regarde tournoyer les trois plumes perdues
Éparses de la queue ou du col ou du flanc.

Regarde, lentement, lourde qui fut ailée,
Descendre peu à peu dans le soleil jauni
La plume chatoyante et la plume ocellée
Et celle qui fut blanche et que rien n’a terni.

La première est tombée en l’herbe et se repose
Comme pour y mourir et s’endort, et, plus haut,
L’autre tremble longtemps accrochée à des roses,
Et la dernière glisse et flotte encor sur l’eau.

Ramasse le bouquet des trois plumes divines
Qui furent l’Orgueil rauque et l’Amour qui se plaint
Et celle aussi qui souffre aux pointes des épines
Et dont tu sais le nom éternel et divin.


Et va, puisque le paon, la colombe et le cygne
Ont fui ta main stérile et que le jour est mort,
Cueille au noir cep le sang de la mauvaise vigne
Et regarde dans l’ombre éclater les yeux d’or.

Puisque les beaux oiseaux ont fui ta main ouverte,
Crispe ton poing tordu et laisses-y, debout,
S’y poser, tour à tour, hérissé ou inerte,
Le sinistre corbeau ou le triste hibou.

Implante dans la terre et la mousse vorace
Tes talons obstinés qui ne bougeront plus,
Et que ta jambe prise à l’herbe qui l’enlace
Sente ramper les nœuds des lierres poilus ;

Et funèbre statue au seuil de la Nuit sombre.
Bouche muette aux pleurs et taciturne au cri,
Dresses-y pour jamais ton geste qu’a meurtri
Le bec de la ténèbre ou les griffes de l’ombre.