Les Jeux rustiques et divins/Le Départ

Les Jeux rustiques et divins. Les Roseaux de la flûte
Mercure de France (p. 134-135).
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LE DÉPART


Nous partirons. Voici l’aurore, et le vent pâle
De l’aube a ridé l’herbe aux jointures des dalles
Où, sur la pierre en feu, gratte et piaffe au dehors
Le dur sabot de fer auprès du sabot d’or,
Car mon cheval est lourd et le tien est ailé
Peut-être, et les dieux bons, en secret, ont mêlé
Un destin de déesse à mon sort de mortel.
Partons. Le fruit coupé jute encor sur l’autel ;
L’encens fume à travers les guirlandes encore
Quittons le seuil enfin que la porte va clore ;
Les chiens de porte en porte aboieront sur nos pas,
Car dans la vie immense on ne nous connaît pas.
Vers quel soir, heure à heure, allons-nous à jamais ?
Le laurier croît, hélas ! à l’ombre du cyprès,
La route où l’on s’en va ramène d’où l’on vient..
Reverrons-nous encor cet enclos ancien
Et ses murs blancs et les fenêtres où se pose
Jusqu’aux vitres en feu la bouche en sang des roses,

Et l’âtre où, dans l’espoir de la dernière nuit,
La cendre tiède qui d’hier fait aujourd’hui
A réchauffé l’adieu de nos deux mains tendues ?
Reverrons-nous, un jour, au bout de l’avenue,
Le clair verger, le doux jardin, les treilles mûres,
La corde au puits qui grince et les clefs aux serrures
Et les bassins, les grands bassins graves où j’ai,
Don propitiatoire, en partant, égorgé
Et, goutte à goutte, vu, sur le marbre de l’eau.
Le cou du cygne blanc saigner sous le couteau ?