Éditions Prima (Collection Gauloise ; no 135p. 5-10).

ii

Jeux dangereux


Agacette Duflan fut à quatre heures au tennis et, avec son compagnon, qui répondait au nom galant de Sosthène Vladivity, collabora à gagner une nouvelle partie.

Assise ensuite sur un fauteuil transatlantique, elle soufflait en pouffant.

Sosthène à son côté demanda :

— Qu’est-ce qui vous fait rire ?

— C’est que vous avez oublié votre demande en mariage.

— Mais pas du tout. Je ne pense qu’à ça !

— C’est un peu trop. Alors, cela vous tient toujours ?

— Oui. Mais on n’est pas à l’aise ici pour parler intimement.

— Vous trouvez. Moi je trouve qu’on est épatant.

— Vous vous contentez de peu.

— Que voulez-vous. Il ne faut pas trop demander à la vie. Je crois que c’est un bon moyen de ne pas avoir de déboires.

— Que de sagesse !

— Hé oui ! Alors on va prendre un autre apéro. J’ai soif.

— Courons ! Mais pas au bar. Au dancing.

— Ça va. On en guinchera une petite.

— C’est vous qui parlez maintenant l’argot du milieu.

— Mais oui. Je suis un peu affranchie.

— Vous me faites peur, Agacette.

— Ça vous la coupe ? Il ne faut pas grand’chose…

Ils étaient arrivés au Casino et on entendait le jazz occupé à faire pâmer les couples enlacés.

— Mon cher, fit Agacette, j’aime cette musique.

— Un peu brutale et sans nuances.

— Il ne faut pas trop demander. J’aime ça. Allons, venez pour un petit tango.

Ils s’enlacèrent et continuèrent à converser.

— Agacette, vous êtes merveilleusement faite.

— Vous voulez l’adresse des fabricants ?

— Je ne ris pas. Vous êtes pareille à une statue.

— Il y en a de bien moches.

— Oui, mais celles qui vous ressemblent sont belles.

— Oh !… fit la jeune fille en riant, ne me serrez pas comme ça.

— Je vous ai fait mal ?

— Pas du tout, mais enfin…

— Dites quoi ?

— Les mots sont rares pour exprimer la chose. Quoi, vous m’avez mis en contact avec vous-même de façon bien étroite.

— Avec moi ?

Sosthène ne comprenait pas.

— Oui ! avec vous, que voulez-vous m’entendre dire ? Vous êtes un homme et cela comporte des reliefs que vous m’avez imprimés dessus, comme si vous vouliez m’en faire garder l’empreinte. C’est de trop.

Agacette riait, ce disant, avec un regard en coulisse et des airs amusés qui démentaient son indignation.

Sosthène rougit.

— Vous avez une façon de tout dire…

— Vous aimeriez mieux me l’entendre taire ? C’est comme la fameuse légende d’un dessin militaire : J’en entends un qui ne compte pas…

— Agacette, venez boire un verre dans le petit coin, là-bas où l’on n’est pas vu.

— Bon ! Ce soir pas de Martini. Je veux un Manattan.

— Vous êtes capricieuse.

— Pas du tout. Ah ! on est bien dans ces fauteuils anglais. On se sent prise de partout.

— Ça serait pareil si vous vouliez m’épouser.

— Ah ! on y revient. Eh bien, mon cher, je ne dis pas non. Mais faites-vous aimer.

— Vous m’avez dit que vous m’adoriez.

— Je vous adore, mais pas comme époux, comme joueur de tennis, copain pour plonger du haut du toboggan, camarade pour prendre des glasses dans les mastroquets.

— C’est tout ?

— C’est énorme. Je crois même que c’est le commencement de l’amour. Allons, faites un petit effort pour vous faire aimer tout à fait.

Un silence.

— Ah non, pas comme ça ! fait Agacette, qui pousse un petit cri et repousse la main envahissante de Sosthène.

— Je croyais que c'était un moyen…

— Il est mauvais. C'était bon du temps des crinolines et des vertugadins, ces jeux-là. On avait des choses à retrousser pour passer la main…

Elle montra ses jambes nues jusqu’au delà du genou.

— Mais aujourd’hui que toute la besogne de troussage est déjà faite, vous êtes un de ces types qui partiraient pour attraper un papillon avec une mitrailleuse.

— Alors, comme ça.

Il l'avait embrassée fortement, imprimant, sur les lèvres gracieuses et fardées un baiser pénétrant et passionné, Agacette eut un rire léger et ses yeux se colorèrent ainsi que ses pommettes.

— C'est déjà mieux…

Le jeune homme la regarda amoureusement.

— Ah ! Agacette si nous étions ailleurs…

— Allons-y, si vous voulez.

— Vous voulez que nous nous promenions un instant près des rochers ? :

— Pourquoi non ?

— Sortons donc. Il n’y avait pas assez de glace dans ces cocktails, n’est-ce pas. Et tiède, c'est mauvais.

— Le mien était bon. Il était parfumé…

Elle riait.

— Parfumé à quoi ?

— Parfumé à votre baiser.

Voici la falaise où les deux amoureux continuent de progresser doucement en conversant.

Bientôt ils deviennent invisibles. Au-dessus d'eux, les roches montent à pic et, tout autour, c’est un entassement où nul ne saurait les épier.

— Agacette, je vous aime !

— Vous me l’avez déjà dit, mon cher.

— Je vous désire. Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/11 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/12