Éditions Prima (Collection Gauloise ; no 135p. 1-5).

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Vie de jeune fille



Mlle Agacette Duflan était une jolie jeune fille qui aimait la vie.

Qui, au surplus lui pourra donc reprocher cet amour ? Agacette avait pour elle tout ce qui rend l’existence agréable et riche en plaisirs. Elle avait des parents cossus, qui ne lui reprochaient jamais rien et satisfaisaient à tous ses désirs. Elle était, nous avons eu le plaisir de le dire, jolie comme le jour, active sportive et audacieuse. Les jours futurs se présentaient enfin à son espoir comme un tissu de joies et de caprices. Qu’eût pu vouloir de plus cette enfant au sourire obstinément émerveillé ? Rien, évidemment, et elle goûtait la satisfaction d’être dans son intégralité.

Voilà pourquoi, ce matin-ci, nous trouvons Agacette Duflan en train de prendre l’apéro au bar de la Pie-Grièche.

Cela se passe dans une station dite balnéaire, où l’on est heureux de voir des maillots féminins bien remplis, où le triomphe d’une joueuse de tennis est plus important que la chute d’un ministère, où savoir nager le crawl avec vigueur donne plus de renom que si l’on avait écrit la Comédie Humaine.

Une station balnéaire, pour tout dire, qui se nommait Pignarou-les-Bains…

Agacette était donc en train de boire l’apéritif. C’est une chose agréable et qui, jusqu’à ce que le pays devienne « sec », chose encore lointaine, sera estimée et propre à divertir sans nul danger pénal.

Agacette buvait un Martini. Non pas de ce vermouth fasciste, qui, d’ailleurs, est gastronomiquement assez estimable, mais un cocktail riche en gin, et qui vous gratte le gosier comme une rape à fromage.

Et Agacette souriait de toutes ses dents, qui étaient belles et rangées selon la tradition.

— Dites donc, Agacette, fit son voisin, avec lequel elle avait précédemment triomphé dans un double mixte, par six sets à trois. Dites donc, vous ne trouvez pas qu’il fait un temps à se marier.

— Ho ! répondit la jeune fille, c’est bien possible, mais je ne vois pas nettement en quoi.

— C’est une intuition, riposta l’autre. Ça ne vous tente donc pas ?

— Pour l’instant, moins que de prendre un autre Martini.

— Mais c’est très dangereux d’en abuser vous savez ?

— Pas tant que de s’adjoindre un époux, mon cher.

— Alors vous voulez rester vieille fille.

— Jusqu’à la semaine prochaine sûr ! Mais pas tant que Napoléon sera mort…

— C’est rassurant.

Elle se mit à rire.

— Seriez-vous candidat à ma main ?

— Dame, bien entendu ? Maïs je préfère vous avertir tout de suite que la main ne me suffit pas.

— C’est pourtant bien, et magnifique, fit Agacette en pouffant et se contemplant la paume. Ce qu’on peut en faire avec ça…

— Oui, j’y consens. Mais je vous dis ce que je pense.

— Merci. Je suis avertie. On s’en va ?

— Allons ! Alors vous ne voulez donc pas vous marier avec moi ?

— Mon Dieu, mon cher, c’est une idée qui ne m’était encore pas venue. Il faut la regarder de près. Cela ne se fait pas comme ça en prenant l’apéritif.

— Quand me direz-vous votre réponse ?

— Heu… Qu’est-ce que vous diriez de trois ou quatre ans. Il faut bien ça ?

— C’est un peu plus long que ma patience.

— Vous êtes exigeant. Eh bien, on verra ça.

— Agacette…

— Oui. Eh bien ?

— Je vous aime.

— Mais moi aussi, mon cher ami. Je vous adore.

— Ne riez pas. Vous vous moquez de moi.

— Je me moque rarement. Vous êtes un chic type, vous jouez un peu près du filet, mais cela n’est pas grave pour un mari. Vous nagez mieux sur le dos que sur le ventre, mais on vous dressera…

— Vrai ?

— Je vous le promets. Enfin vous êtes un parti sortable. Du moins pour les jours de cérémonie…

— Agacette, vous me charriez ?

— Fi ! le mauvais garçon qui parle argot. Comment, ne seriez-vous pas un homme du monde pour adopter le langage des gens du « milieu » ?

— Vous êtes tragique, Agacette,

— Dame, il vaut mieux l’être que cul-de-jatte, je pense ?

Il y eut un silence.

— Allons déjeuner !

— C’est ça. Notre repas froid pourrait rechauffer…

Ils s’en allèrent côte à côte vers l’hôtel de la Coquecigrue et de Hollande.

Le ciel était beau comme un chromo, les villas se profilaient partout, sur le bleu parfait comme si un architecte venait de les passer à l’aquarelle. La mer ronronnait avec des airs câlins.

Et le sable, plus blond qu’une fille de Norvège, gardait des empreintes de corps qui évoquaient les secrets des physiologistes secrètes qui, sur lui, s’étaient allongées sans souci.

— Agacette ?

— Eh bien, mon cher. J’ai la dent !

— Oui, mais regardez comme c’est joli autour de nous.

— C’est le démon de midi qui vous fait voir ça si agréable, quoiqu’il soit près d’une heure…

— Vous attaquez le rêve et la poésie à l’arme blanche.

— Vous exagérez ! Tout au plus avec un chasse-mouches.

— Ah ! Agacette, comme je voudrais vous épouser.

— Vous y tenez donc tant que ça ?

— Plus qu’à ma vie.

— C’est trop et je n’en demande pas tant.

— Que voulez-vous, moi, je suis un homme qui ne compte pas.

— Que si, mon cher, vous n’avez pas donné cent sous de pourboire au garçon pour les Martini.

— Je ne parle pas de ça.

— Oui, on ne parle jamais de ça, je le sais, mais j’ai faim.

— Voici l’auberge !

— Il n’est que temps. Pourvu que le menu soit potable. Je sens que s’il y a du veau marengo, ma faim disparaîtra illico.

Et ils entrèrent à l’hôtel, en riant tous deux, la raquette sous le bras.

— Là-bas, leurs familles, déjà à table, les attendaient.

— À tout à l’heure, Agacette !

— Oui. Au tennis, à quatre heures.

— C’est ça. On fichera à nouveau la volée aux Anglais,

— Bien entendu.

— Bon appétit !

— À vous itou !