Les Jeunes Croyances/II/L’ange et l’enfant.

Alphonse Lemerre, éditeur (p. 35-41).



II



I

L’ANGE ET L’ENFANT.

À M. Franz Grillparzer.


         Il lui disait : « Je suis ton frère ;
         Ne te souvient-il plus des cieux ?
         Leur doux reflet brille en tes yeux :
         Tu n’es pas l’enfant de la terre ! »

Et l’ange souriait et lui tendait les bras ;
L’enfant semblait dormir et ne répondait pas.


         « Déjà les portes éternelles,
         Enfant, sont ouvertes pour toi ;
         Viens ; je te donnerai des ailes :
         Tu t’envoleras avec moi !

         « Bien souvent tu vois dans ton rêve
         Des rubis, des perles, des fleurs ;
         Pour ne te laisser que des pleurs,
         Ce vain songe trop tôt s’achève. »

Et l’ange souriait et lui tendait les bras ;
L’enfant semblait dormir et ne répondait pas.

         « Je ne veux pas que tu t’éveilles ;
         Blond chérubin, remonte aux cieux ;
         Tu retrouveras ces merveilles
         Dont le songe éblouit tes yeux.


         « Viens ; tu courras dans les allées,
         Sur le sable d’un grand jardin ;
         Je te conduirai par la main
         Jusques aux voûtes étoilées. »

Et l’ange souriait et lui tendait les bras ;
L’enfant semblait dormir et ne répondait pas.

         « N’entends-tu pas l’appel des anges ?
         Va jouer dans le firmament ;
         Sors de la vie et de ses langes
         Dans les plis de mon vêtement !

         « Tu verras des fleurs immortelles,
         Des diamants dans les ruisseaux,
         Des fruits d’or, et de blancs oiseaux
         Qui laissent caresser leurs ailes ! »


Et l’ange souriait et lui tendait les bras ;
L’enfant semblait dormir et ne répondait pas.

         « Oh ! que veux-tu que je te donne,
         Frère, si tu viens avec moi ?
         Prends les rayons de ma couronne :
         Ces fleurons divins sont à toi.

         « Tu ne sais pas que la souffrance
         Ici-bas pourrait t’accabler !
         Viens, suis-moi : je vais m’envoler…
         Pauvre ami, je suis l’Espérance ! »

Et l’ange souriait et lui tendait les bras ;
L’enfant semblait dormir et ne répondait pas.

         « Quoi ? tu veux rester sur la terre,
         Tout seul, jouet de la douleur ?

         Et le ciel t’offrait le bonheur !…
         Enfant, dans le ciel est ta mère ! »

Et deux anges fuyaient, heureux, loin d’ici-bas ;
Et l’enfant endormi ne se réveilla pas !

Nîmes, mars 1863.