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VI


Assis sur des escabeaux dont le bois était adouci d’un coussin, en une pièce aux murailles revêtues de boiseries de chêne, et qu’éclairaient d’étroites fenêtres en ogives, achevaient de déjeuner tout en devisant autour d’une table massive, messire de Boisjoly, dame Jacqueline et le chapelain du château, leur hôte ce matin.

La serve emportait, figeant dans une sauce grasse relevée d’ail, de fenouil, de poivre, d’hysope, de gingembre, les restes d’un oison flanqué de pigeonneaux farcis, et qu’entouraient des assiettes de raifort et de radis.

Dame Jacqueline offrit au gourmand chapelain des pâtisseries à la cannelle, des fruits cuits au miel, dont elle le savait friand.

Jolie sous ses cheveux bruns relevés en lourdes nattes, les yeux noirs brillants, la lèvre dédaigneuse, Jacqueline de Boisjoly portait un surcot de fine laine pourpre retissée de fils de soie brillante. Des manches larges, ourlées de fourrure, glissaient sur ses bras qu’encerclaient des bracelets d’argent ciselé.

Les mains croisées sur son ventre, quand il ne buvait ni ne mangeait, messire de Boisjoly avait revêtu sa ronde personne d’une houppelande chamarrée qu’une haute ceinture de cuir serrait à la taille et dont le bas se découpait en languettes. Ses fortes jambes s’emprisonnaient de chausses collantes. De moelleux escarpins chaussaient ses pieds.

Le chapelain avait robe de bure. Sa grosse tête rase dodelinait tandis qu’il parlait.

Si, au foyer de Guillemette, un feu de bourrées brûlait chichement, d’énormes bûches répandaient en la salle à manger de messire de Boisfleury une béate douceur. Ce n’était d’eau ni de cervoise aigre que l’intendant refraîchissait le gosier altéré de son convive, mais de vin de Laon aromatisé. Et le petit pain de pur froment que rompait dame Jacqueline n’avait aucune ressemblance avec la miche noirâtre que se partageaient Frappe-Fort et ses compagnons.

-Notre sire, dit le chapelain, dut promettre douze mille livres tournois pour la délivrance de sa captivité.

— Que de bel argent ! soupira Jacqueline de Boisfleury.

— Il faudra le trouver, hé, hé, rit le chapelain.

— Peuh ! ceci ne souffre point chicane, riposta dame Jacqueline haussant les épaules, n’en a-t-on point découvert lorsqu’Enguerrand de Coucy partit pour les combats.

— Où, dit-on, il brilla fort peu, hé, hé, dit le chapelain que le vin de Laon rendait bavard.

— Nobles sont-ils faits pour se battre ? N’est-ce point là occupation de vilains !

— C’est avis que je partage, fit messire de Boisjoly. À tailler dans le vilain, on trouve toujours à recoudre, l’étoffe n’y manque point. Vilain foisonne, comme vermine au soleil.

— Dieu les créa de grande croissance, car il jugea que vingt manants ne valaient pas le petit doigt d’un seigneur.

— Hola, sire chapelain, vous me voyez marri d’ouïr comparer le petit doigt d’un seigneur à la matière grossière dont est bâti un vilain. Nous-mêmes sommes certainement d’autre essence.

De bonne foi, l’intendant le croyait. Il n’eut certes point fallu gratter l’enveloppe pour retrouver en lui le rustre qu’était resté son grand-père, métayer besogneux, dont le fils, par bassesse et servilité, avait su devenir l’indispensable pourvoyeur des œuvres criminelles de Bertrand de Coucy et l’exécuteur de ses cruautés.

Le petit-fils se montrait tout autant âme vile et cupide, s’emparant insolemment du nom de Boisjoly dont, par dérision, Bertrand de Coucy avait affublé le père. Auprès d’Enguerrand, l’intendant remplissait toutes les fonctions serviles reçues en héritage, et c’était des mains de son seigneur qu’il avait accepté en mariage Jacqueline, fille du métayer d’une des fermes que louaient les Prémontrais à quelques laïcs.

— Il est grand temps, reprit messire de Boisjoly, que la domination d’un maître se fasse sentir céans. Dame de Coucy sait prier plus que gouverner, notre sire Harold ne s’en soucie aucunement. L’insolence en grandit d’autant. N’ai-je point hier failli me voir désarçonné par l’un de ces rustres, alors que je me rendais au château.

Dame Jacqueline, qui paraissait témoigner un mince respect à cet époux si gonflé d’importance, eut un rire de moquerie.

— Vous ne m’avez point narré cette aventure.

— J’avais à gré, ma mie, de ne point vous inquiéter en vain.

Le sourire qui voltigeait aux lèvres de Jacqueline de Boisjoly annonçait pourtant peu de tendre inquiétude.

— Vraiment, soupira le chapelain, les voies de Dieu sont insondables. Comment put-il permettre que tant de nobles sires soient tombés en captivité alors que tant de ces manants n’étaient point taillés en pièces. On ne pouvait donc les faire combattre sans merci.

— Oh ! fit Jacqueline en riant, je les aperçois guerroyant ! Je vois Pascal le laboureur tapant dessus les Anglais avec son fléau, et ce forgeron insolent les abattant à grand effort de marteau, et tous armés de fourches et de houes. La belle armée en vérité ce serait là !

Ainsi disant, d’un ton de mépris, la dame de Boisjoly se leva.

— Venez-vous-en au château, sire chapelain, tandis que je m’y rends ?

— Nenni, répondit l’intendant, nous devons, auparavant, juger des mérites de ce vin cuit.

— Donc, à vous revoir, je vous quitte.

Sur un geste léger d’adieu, Jacqueline de Boisjoly les laissa, puis s’étant enveloppée d’une chape et coiffée d’une huque de drap fin, contourna le domaine et prit le chemin qui montait au manoir des Coucy.

Deux enceintes le défendaient des agressions d’un ennemi toujours possible. On traversait la première, que précédait la barbacane formant sentinelle sur la campagne, quand on avait franchi le pont-levis jeté sur un large fossé empli d’eau. Elle donnait accès à la cour nommée bayle où se tenaient des hommes d’armes. Là aussi se trouvait, d’abord en avancée, la demeure du premier officier de la maison de Coucy appelé le châtelain et qui, ayant suivi son maître à la guerre, n’en était point revenu, puis les dépendances, le logis des serviteurs, la citerne et une chapelle plus ancienne que le château. Encerclée de quatre énormes tours, reliées par des courtines avec leur chemin de ronde, la deuxième enceinte laissait pénétrer dans une seconde cour plus vaste. Trois immenses salles voûtées y étaient installées, surmontées de l’énorme donjon de forme ronde, portant à son sommet, la tour du guet. Au-dessus de la porte du donjon, une sculpture évoquait le sire Enguerrand II terrassant un lion, exploit qu’en Palestine avait accompli l’ancêtre de la famille actuelle. Et dominant la roche, les piliers du pilori où se balançaient les victimes de la justice seigneuriale, exposées aux yeux de tous, afin de frapper de terreur l’imagination des manants, gibier de potence auquel le jugement de Dieu n’accordait point forcément réparation selon le droit et l’équité.

Dans une des salles, dite salle des preux, des neuf statues de granit qui s’y dressaient, communiquant avec l’extérieur par un étroit escalier creusé dans la roche, se tenait habituellement les hôtes du château. La muraille représentait, à fresques, d’un côté une chasse au sanglier, de l’autre le départ du sire Enguerrand II pour la croisade. Au fronton de la monumentale cheminée, placée entre les deux fenêtres arrondies, le blason des Coucy. De lourdes tapisseries couvraient un panneau et cachaient les portes d’entrée. Un coffre sculpté faisait face à la cheminée, des sièges recouverts de housses brodées étaient disposés autour d’un haut fauteuil portant les armes de Coucy. Sur un de ces sièges se tenait Margaine de Coucy.

C’était l’époque où la noblesse ayant rapporté de l’Orient le goût des ajustements voluptueux, abandonnait la ligne sévère et pure des modes barbaresques.

Margaine de Coucy portait une cotte hardie de damas bleuté garnie d’hermine. Retenues à ses épaules par un mince bourrelet, des manches longues et flottantes laissaient à découvert d’autres manches étroitement collantes. Un collier d’or orfévré fermait à son cou une fine gorgerette. Ses cheveux fauves étaient prisonniers d’une crépine de fils d’argent qu’un bandeau de pierreries ajustait à son front. Des mules pointues annonçaient la prochaine chaussure à la poulaine qui allait nécessiter l’usage de la chaînette la tenant recourbée.

Quand entra Jacqueline de Boisjoly, Margaine de Coucy jouait avec un petit chien blanc.

— Bonjour, mignonne, répondit-elle au salut de la visiteuse, serait-il deux heures ?

— Point encore, assura Jacqueline laissant glisser sa chape et retirant sa huque.

— Viens ça, jolie, notre homme sans doute ne tardera point à paraître. Crois-tu qu’il songe à ce qui l’amène ?

— Je ne saurais l’imaginer, mais cela m’étonnerait fort. Ces êtres grossiers ne sont point capables de réflexion.

Jacqueline vint s’asseoir sur un coussin aux pieds de Margaine de Coucy dont elle baisa la main. Son enjouement, un orgueil sachant plier en flatterie, sa grâce, avaient fait d’elle une confidente intime.

— C’est merveille, reprit la noble damoiselle caressant les beaux cheveux bruns de Jacqueline, que tu m’aies trouvé qu’elle était sa sœur. Il possèdera certainement grande joie de la revoir.

— Surtout de si près, fit Jacqueline avec une moue moqueuse.

Elles eurent toutes deux un rire cruel.

— Ma tante ne saurait nous déranger, dit Margaine, elle ne songe, ainsi qu’Éliane, à s’occuper en la librairie à des besognes de scribe, copiant des enluminures. Il est séant que revienne mon oncle pour animer cette demeure.

— C’est vérité, notre sire revient.

— Un courrier nous l’apprit, en la soirée d’hier, tu as dû le voir de même.

— Certes. Il n’est point reparti, je gage ?

— Point encore.

— Sire Enguerrand aura-t-il changé en captivité ?

— Ah ! ah ! joli minois, ceci t’inquiète de savoir si quelque Anglaise blonde n’aura point fait oublier des nattes sombres.

— Oh !

Dame Jacqueline feignit de cacher une rougeur qui n’animait point ses joues.

Mais un pas pesant retentit. Toute gaieté s’effaça des traits de Margaine de Coucy que remplaça une dureté impitoyable. Soulevant la tapisserie, un homme d’armes s’inclinait sur le seuil.

— Le forgeron Frappe-Fort prétend qu’il est attendu. Dois-je le laisser pénétrer ?

— Qu’il entre, et qu’on aille me quérir Eloi.

Margaine de Coucy s’était dressée pour prendre place dans le haut fauteuil.

— Sieds-toi près de moi, dit-elle à Jacqueline qui prit un siège à son côté, voici notre homme.

Frappe-Fort entra. Sans un geste, la demoiselle de Coucy le regarda s’avancer. Très calme d’apparence, le forgeron traversa la salle et se détournant de Jacqueline à laquelle il avait jeté un coup d’œil qu’avec rage elle sentit méprisant, il salua Margaine de Coucy, et attendit.

— C’est toi qui t’appelles Frappe-Fort ?

— C’est moi.

— Tu ne reçus point d’autre nom ?

— Depuis longtemps j’ai oublié que j’en portais un autre.

Le ton respectueux ne marquait point de crainte. Par sa haute taille, le forgeron se tenait face à face avec Margaine de Coucy. Malgré sa haine contre cet homme dont l’audace avait bravé son courroux, la noble demoiselle pressentait en lui une force qu’elle voulait, à tout prix, humilier.

— Je t’ai fait mander. Ton habileté est grande, dit-on ?

Frappe-Fort demeurait immobile.

— Tu es un homme libre ? reprit Margaine de Coucy.

— Je me suis racheté.

— Sans doute as-tu racheté ta famille en même temps que toi.

Le doute horrible qui déjà avait étreint le forgeron lui serra le cœur à la façon d’un étau. D’une voix pourtant tranquille, il dit :

— Non, je ne l’ai pu.

— Qui donc alors des tiens est demeuré en servage ?

Il fallut à Frappe-Fort un effort de volonté pour répondre, paisible :

— Ma sœur.

— Ta sœur, et comment la nommes-tu ?

— Loyse.

— Loyse ! ne serait-ce point une serve qui besogne ici, à de grossiers travaux d’étable et d’office ?

— C’est elle.

— La reconnais-tu ?

Du doigt elle désignait le fond de la salle vers lequel Frappe-Fort se tourna.

Une femme jeune, mais déchue par toutes les flétrissures du servage, se tenait debout, pieds nus, les mains liées, les cheveux rasés, à peine couverte d’une souquenille en lambeaux. Et derrière elle, une présence terrible que Frappe-Fort reconnut avec épouvante.

— Le bourreau ! songea-t-il.

La terreur le bouleversa. Pourtant, ne sachant encore où voulait en venir Margaine de Coucy, il se retourna vers elle d’un mouvement très lent. Leurs yeux se bravèrent, et Margaine, dont la rancune grandissait à ne point le voir souffrir encore, demanda :

« Est-ce bien là ta sœur ?

— C’est elle, répondit Frappe-Fort d’une voix plus sourde mais qui ne tremblait pas.

— J’en suis aise, répondit Margaine de Coucy, ainsi pourras-tu apprendre pourquoi tu ne la verras plus.

— Pourquoi ne la verrais-je plus ? interrogea le forgeron dont une sueur glacée mouillait les tempes.

— Cette serve est une coupable qu’il faut châtier.

Frappe-Fort se contraignit à interroger :

— Qu’a-t-elle fait ?

— Éloi, fais-la avancer, dit Margaine de Coucy sans daigner répondre, que son frère la reconnaisse mieux.

Frappé d’horreur, le forgeron vit l’être hideux, face camarde, où nul sentiment humain ne se pouvait lire, corps trapu et noueux dont le vêtement de cuir demeurait taché d’une pourpre qui tournait au noir, il vit cet être pousser rudement Loyse.

Elle chancela, mais ne tomba pas. Frappe-Fort avait voulu s’élancer, la soutenir. La voix de Margaine de Coucy ordonnait éclatante :

— Ne la touche pas, ou elle périt à l’instant.

— Laisse, dit Loyse d’une voix faible.

Et elle eut le courage de sourire à son frère. Frappe-Fort leva les bras comme pour en appeler à la divinité impitoyable qui laissait accabler le peuple des serfs, puis il les laissa retomber, vaincu en la douce chair sœur de sa chair. Il tourna vers Margaine de Coucy, dont les yeux étincelaient de plaisir, une face enfin bouleversée.

— Grâce pour elle, dit-il, c’est une femme.

— Une femme ! s’écria Margaine, ce n’est qu’une serve qui mérite châtiment.

— Quelle fut sa faute ? répéta le forgeron.

Margaine de Coucy eut un rire insultant.

— Ne le sais-tu pas vraiment, qu’à la veillée on put souvent la voir quitter le sous-sol où elle devait demeurer, pour aller vers le village, ceci grâce à certain homme d’armes complice qui, lui a déjà expié.

— Est-ce donc un si grand crime, demanda Frappe-Fort, de venir trouver un frère ?

— Quand un de mes chiens s’échappe, je l’enchaîne. Puisque tu es si habile forgeron, je t’offre l’occasion d’exercer ton métier.

— Que me demandez-vous ? interrogea Frappe-Fort d’une voix altérée.

— Rien que de naturel. Écarte-toi, Éloi.

Frappe-Fort aperçut une enclume et des chaînes que reliaient ensemble des cercles de fer.

— Il y a là un joli collier et de mignons bracelets. Scelle-les au cou et aux chevilles de cette serve rebelle. Ainsi parée, elle courra moins vite.

— Ô Loyse ! s’exclama le forgeron d’un ton déchirant, pourquoi n’as-tu point voulu que je reste serf pour te racheter ? Je pâtirais moins que toi.

— Ne regrette rien, dit Loyse ayant pour son frère un regard de profonde tendresse, il fallait que ce fut ainsi.

— Cette scène eut le don d’exaspérer Margaine de Coucy.

— Plus un mot, ou je la livre à Éloi sur-le-champ. Acceptes-tu ce que je te commande ?

— Jamais.

— Soit, je ne puis te forcer, tu es homme libre. Or donc, sors d’ici aussitôt.

— Qu’allez-vous ordonner ?

— Tu m’interroges, il me semble. Aurais-je à te rendre compte de mes actes de justice ?

— Pitié ! gémit le forgeron.

— Qu’attends-tu pour partir, interrompit glaciale Margaine de Coucy ? Que je te fasse chasser par mes varlets.

— Promettez-moi…

— Tu rêves, manant, quitte cette pièce à l’instant.

Margaine de Coucy fit un geste. Éloi s’avança d’un pas, allait poser sa large main sur l’épaule de la serve. Frappe-Fort regarda égaré autour de lui.

— Et si j’obéis, s’écria-t-il, sera-ce son seul châtiment ?

La noble demoiselle parut hésiter, savourant l’humiliation de Frappe-Fort, la souhaitant plus complète encore.

— Je ne devrais te répondre, mais je suis bonne, et si tu demandes pardon pour elle, puisqu’aussi bien tu partageas sa faute…

Penchée vers le forgeron, une joie féroce animant son visage, Margaine de Coucy éprouvait l’âpre plaisir de la chasse, quand la bête forcée tombe à merci.

Tête basse, Frappe-Fort se taisait, déchiré du combat qui se livrait en lui.

— Frère, supplia Loyse palpitante de cette lutte atroce dont la douleur lui faisait oublier son tourment, frère, je saurai souffrir vaillamment.

— Eh bien ? interrogea, impatiente, Margaine de Coucy, demandes-tu grâce ?

— Moi ?…

Les poings serrés, terrible de colère contenue, Frappe-Fort semblait frappé de folie.

— Frère, ne dis pas cela, dit Loyse.

— Éloi ! dit Margaine de Coucy, finissons ce jeu.

Tremblant à présent comme un enfant, d’une voix presque basse, le forgeron prévint le geste du bourreau.

— Pardon pour elle !

— Plie les genoux, ordonna Margaine.

— Frère, frère, s’écria Loyse éperdue, laisse-moi plutôt périr.

Mais déjà se courbant, tel un arbre terrassé, Frappe-Fort obéissait.

Loyse tordit ses bras liés. Des larmes qui n’avaient point coulé sur sa propre misère jaillissaient de ses yeux à contempler celui qui, pour elle, sacrifiait sa fierté d’homme libre, plus que sa vie.

Margaine de Coucy jouit un moment de son triomphe avant de répondre :

— J’accepte de te pardonner, agis donc promptement.

Sans un mot, à la façon d’un somnambule, Frappe-Fort commença l’horrible tâche. Il souleva le carcan qui pesa à ses mains. Une seconde, l’idée lui vint du meurtre, puis la vision de son inutilité fut en lui.

Se ressaisissant peu à peu, le plus doucement qu’il lui était possible, la rage au cœur, il riva autour du cou de sa sœur agenouillée, les lourdes chaînes qui, du collier de fer, aboutissaient aux chevilles qu’une autre chaîne très courte unissait.

Et quand ce fut fini, au ricanement de Margaine de Coucy, Frappe-Fort posa ses lèvres sur les lourdes entraves.

C’était un serment qu’il scellait.