Les Institutions militaires et les armées/02

Les Institutions militaires et les armées
Revue des Deux Mondes3e période, tome 25 (p. 649-678).
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LES
INSTITUTIONS MILITAIRES
ET LES ARMEES

On raconte que les gens de San-Francisco, devenue presque soudainement l’une des plus grandes et plus riches cités du Nouveau-Monde, voulant rendre définitives les habitations en briques et à massifs pans de bois, vastes et solides, mais provisoires, élevées sur le sol par les premiers immigrans, n’ont pas reculé devant l’effort de les soulever dans leur masse entière, pour les asseoir sur des fondations à pierre et à chaux. Je crois que, lorsqu’en France la fièvre « de l’organisation de l’armée » se sera calmée, nous ne pourrons pas reculer devant l’effort de soulever l’énorme machine militaire qu’elle a produite, pour l’asseoir sur des fondations plus solides et plus durables que celles qu’elle a. Ces fondations à pierre et à chaux, ce sont les institutions militaires.

Cette réflexion ne contient pas, à l’adresse de nos organisateurs, le reproche détourné d’avoir manqué à l’inflexible règle qui veut qu’en toute chose « on commence par le commencement. » Ils ont fait ce qu’ils ont pu et comme ils ont pu, allant au plus pressé, au milieu des calamités de la guerre civile et des menaces de la guerre étrangère. Le gouvernement lui-même, tout entier aux difficultés et aux périls de la situation, n’avait eu ni la liberté d’esprit ni le temps de réunir et de coordonner les principes fondamentaux des institutions et les règles ou les faits relatifs à l’organisation, dans un travail d’ensemble préparé par les spécialités de l’armée qui l’auraient défendu devant l’assemblée politique délibérante, appelée à le consacrer par la loi. Ce fut au contraire l’assemblée, jetée par les événemens hors de son rôle, qui eut pendant longtemps l’initiative de cette œuvre si spéciale en même temps que si difficile et si compliquée. De là les tâtonnemens, les incertitudes, les lenteurs, le décousu qui ont caractérisé le laborieux enfantement de cette grande réforme ; ils pèsent encore aujourd’hui et ils pèseront jusqu’à la fin, dans les assemblées qui ont succédé à la première, sur la discussion des lois complémentaires dont le vote est attendu.

Le gouvernement et les assemblées, entraînés par l’état de l’esprit public et par leurs propres excitations, ont concentré tous leurs efforts, avec des chances variables de réussite, sur l’organisation de l’armée. Ils ont donné du premier coup au nouvel édifice, sans en élargir et fortifier proportionnellement la base, des dimensions excessives, en demandant au pays des sacrifices énormes qu’il a consentis avec un patriotique empressement. Il en est d’ailleurs récompensé par ce résultat considérable, qu’il a dès à présent une armée nombreuse, déjà cohérente relativement, pleine de bon vouloir et qui travaille beaucoup. J’estime que la France est aujourd’hui en mesure d’opposer à une guerre d’agression des forces bien plus puissantes que celles qu’elle pouvait autrefois mettre en mouvement pour porter l’offensive au dehors. Mais si, comme quelques-uns le croient, malgré les nuages qu’on voit à l’horizon de la politique internationale, l’Europe gardait le bienfait de la paix, la France, qui d’ailleurs ne s’engagera et ne se laissera engager désormais dans la guerre qu’à bon escient et de son plein consentement, devrait s’appliquer sans retard à la solution de deux problèmes :

1° Introduire dans sa nouvelle législation militaire les modifications dont les expériences actuellement en cours feront avant longtemps ressortir le besoin[1] ;

2° Développer dans l’armée les institutions, en fonder de nouvelles dans le pays pour l’armée.

La solution du premier de ces problèmes ne rencontrera que de passagères difficultés de discussion et d’exécution. La solution du second se heurtera à de graves difficultés de budget. Les institutions militaires ne se fondent pas gratuitement, et comment faire de nouveaux appels à la nation qui se croit, en ce qui touche l’armée, au terme de ses efforts contributifs ? Il faut pourtant, sur ce point comme sur tous autres, lui dire la vérité, qu’il lui a coûté si cher de ne pas connaître avant les douloureux événemens de la dernière guerre. Il faut la préparer à ces nouvelles exigences de l’avenir, en formant l’esprit public, par la discussion, à l’intelligence des questions si diverses et si peu connues en France, d’où l’existence, la puissance et la durée des armées dépendent. C’est ce que j’entreprends, en publiant une série d’études militaires où je rencontrerai plus d’une fois le pénible devoir de juger contradictoirement la France et les pays étrangers, dans des comparaisons qui ne seront pas toujours à son avantage : elles pourront blesser, je le sais, parmi nous, des sentimens naturels, respectables, que j’éprouve moi-même, mais qu’il faut combattre parce qu’ils sont dangereux ; c’est à leur exagération que notre pays a dû ses plus cruelles et ses plus humiliantes épreuves.


I

En France, l’esprit public, au plus haut point impressionnable, est d’abord saisi par les effets. Pour remonter jusqu’aux causes, pour les analyser, pour en étudier l’enchaînement et les enseignemens, il n’a pas la patience et la gravité nécessaires. Dans les questions militaires, où son jugement prend invariablement pour guides l’orgueil national et les récits emphatiques du champ de bataille, les apparences lui suffisent. Il a regardé par exemple Magenta et Solferino comme les équivalens d’Austerlitz et d’Iéna, et je rappelle ici qu’à chacune de ces grandes revues, de ces parades militaires, qui sont le spectacle favori de la nation, tout ce qu’elle y voit, tout ce qu’elle en entend dire, tout ce qu’elle en lit, la remplit des sentimens d’une satisfaction confiante que résumaient naguère trois mots traditionnels : « notre invincible armée. »

Il n’y a pas d’armées invincibles, et elles le sont d’autant moins qu’on le leur dit plus.

Dans cet esprit, depuis les grands succès des guerres de la révolution, suivis des éclatantes victoires des guerres du premier empire, la France, tout entière à sa légitime sollicitude, à ses sympathies, à son admiration pour l’armée, qui est la force produite, a perdu à peu près complètement de vue les institutions militaires, qui sont la force génératrice. Elle s’est dit, raisonnant spécieusement, que, puisqu’elle avait des armées, elle devait avoir des institutions militaires, et, confondant celles-ci avec celles-là, elle est restée aveuglée par ce dangereux mirage jusqu’au jour des grands revers. L’ont-ils entièrement dissipé, et l’effort qui vient d’accroître, en les transformant, les forces militaires du pays, a-t-il fondé dans l’esprit public les principes et les règles que les générations doivent se transmettre pour que cet effort, de législatif et budgétaire qu’il est, devienne national, pour qu’il soit dans tous les temps la loi commune et imprescriptible, pour qu’il soit dans les revers possibles de l’avenir le salut ? On voit qu’en posant cette question au sujet des institutions militaires, je les ai en quelque sorte définies. Elles créent les armées, elles les font durer, elles font revivre celles qu’ont accablées les vicissitudes de la guerre.

Cette définition des institutions militaires ne procède pas d’une théorie spéculative, comme beaucoup d’officiers pénétrés du vieil esprit ne manqueront pas de le dire. Elle exprime un fait, un fait dont on comprendra l’importance supérieure, si on considère qu’après les générations françaises d’aujourd’hui, dont les yeux ont vu, dont les cœurs ont saigné, dont l’orgueil a été brisé, d’autres générations viendront qui n’auront pas été violentées par ces douloureuses impressions. Elles n’auront pas payé de leurs mains la rançon du territoire national. Elles n’auront pas vu nos frères d’Alsace et de Lorraine s’en aller en captivité. Et il se sera formé une croyance populaire qui leur expliquera par la trahison ou par l’incapacité les désastres virtuellement inévitables de 1870 et 1871, comme elle nous expliquait naguère à nous autres, par la trahison ou par l’incapacité, les désastres virtuellement inévitables de 1814 et 1815[2] ! Ainsi trompées grossièrement par l’interprétation des effets sur la leçon des causes, ces générations de l’avenir auront retrouvé tout l’équilibre, toute la confiance, peut-être tout l’orgueil que nous n’avons plus. Quelle sauvegarde auront-elles contre les résultats de l’aveuglement gouvernemental ou de l’erreur publique qui les précipiteraient, après nous et comme nous, dans les aventures de la politique et de la guerre ? Les institutions militaires.

Une nation qui a la richesse peut, comme autrefois Carthage, entretenir de puissantes armées et couvrir la mer de ses vaisseaux ; mais entre toutes les fortunes humaines, la plus variable et la plus incertaine, c’est la fortune de la guerre, et un jour vient où elle abandonne les victorieux. Reportons-nous un instant à ces souvenirs classiques de la grande lutte des Carthaginois et des Romains. Les Carthaginois, qui ont audacieusement traversé l’Espagne, passé le Rhône et franchi les Alpes, ont accablé les Romains dans trois grandes batailles et les ont achevés dans une quatrième. Maîtres, du pays qui semble n’avoir plus de forces organisées à leur opposer, ils se heurtent aux institutions militaires romaines, dont les ressorts préexistans et dès longtemps expérimentés redoublent d’énergie réparatrice : elles reconstituent les moyens, elles relèvent la confiance publique, elles préparent et elles réalisent une succession d’efforts nouveaux qui ramènent la victoire sous le drapeau des vaincus. Ils traversent à leur tour les mers et pénètrent sur le territoire carthaginois. Une grande bataille, une seule, leur en assure la possession, car leurs adversaires, qui n’ont pas d’institutions militaires, sont incapables de refaire, pour l’action, les forces que la richesse avait réunies. Ils succombent pour ne plus se relever.

Les Ottomans, riches des dépouilles de l’Asie, de l’Afrique, d’une part de l’Europe, marchent, depuis la conquête de Constantinople, de victoire en victoire, d’envahissement en envahissement ; ils n’ont pas plus, ils ont moins d’institutions militaires qu’ils n’en ont aujourd’hui. Et cependant ils peuvent opposer un jour, dans la mer Ionienne, aux flottes réunies de la chrétienté de l’Europe méridionale, une flotte de plus de deux cents vaisseaux (galères) portant plus de 30,000 soldats. Cette force navale, l’une des plus puissantes qu’on vit jamais, est anéantie à Lépante, et c’est le 7 octobre 1571 que finit l’effrayant effort sur l’Europe de la conquête ottomane, que commence, pour ne plus s’arrêter, la décadence de l’empire ottoman.

La France, sous l’empereur Napoléon Ier, voit en 1805 ses forces maritimes détruites à Trafalgar. C’est vainement que l’empire, maître à peu près incontesté de l’Europe continentale, s’affirme aux yeux du monde entier par les plus éclatantes manifestations de la puissance militaire et de la richesse. Il n’a pas d’institutions maritimes, bien que subsistent encore théoriquement les règlemens de Colbert, dont les événemens de la révolution ont désorganisé l’application effective. Il ne peut pas refaire sa force navale. Disposant des plus grands ports, des plus grands arsenaux, de frontières maritimes d’une immense étendue[3], d’une population maritime spéciale infiniment nombreuse, il se sent impuissant et il renonce à mettre en œuvre ce vaste ensemble de moyens. A l’apogée de sa domination souveraine et de sa gloire, l’empereur assiste, après la destruction de sa flotte de guerre, à la destruction successive de sa marine de commerce naviguant au long cours et de sa marine côtière. L’homme qui avait entendu imposer à l’Europe entière la loi violente du blocus continental subit dix ans l’humiliation du blocus de tous les ports français. Les Anglais, ses tenaces adversaires, auraient pu perdre une grande bataille navale et recommencer peu après la lutte sur les mers. Ils ont de fortes institutions maritimes dont l’éducation nationale et l’esprit public sont les premiers auxiliaires. Les moyens de création, d’entretien, de renouvellement du personnel et du matériel sont multipliés, puissans, et de simples particuliers entrepreneurs de constructions navales, dans des centres industriels dont l’importance égale celle des grands établissemens de l’état français, peuvent coopérer avec l’état anglais pour la construction et l’équipement des escadres.

Ces faits authentiques de l’histoire ancienne et nouvelle, que je pourrais multiplier beaucoup, montrent que la richesse et les armées n’ont pu suffire en aucun temps à fonder solidement et d’une manière durable la sécurité des nations. Mais, de nos jours, nous avons sous les yeux l’exemple, — qu’il est douloureux, mais qu’il est nécessaire de rappeler à notre pays, — de ce que peuvent les institutions militaires sans la richesse et sans les armées !

La Prusse en 1807 avait perdu son armée avec la moitié de son territoire. Elle devait à la France une contribution de guerre de 120 millions, et l’exécution des clauses du traité était surveillée par une occupation française. C’est à partir de cette situation désespérée que Stein, Scharnhorst et d’autres hommes d’état dont, au cours de cette étude, l’œuvre sera sans cesse présente à mon esprit, firent prévaloir dans l’ordre politique, surtout dans l’ordre administratif et militaire, leurs grandes vues de réformation et de progrès. L’Europe de ce temps-là eut sous les yeux un spectacle digne de toute son attention, et qui est aujourd’hui particulièrement digne de la nôtre. Les gouvernans prussiens, très hautement et sagagement inspirés, firent tout pour l’avenir, ne pouvant rien pour le présent. Les gouvernés, oubliant leurs griefs réciproques et leurs colères, s’associèrent patriotiquement à l’entreprise, et tout le monde en Prusse, malgré la violente agitation des esprits, se mit à l’œuvre de la réparation du désastre. Personne ne pensa à faire enquête sur ses causes et sur ses effets. Il s’agissait, non pas uniquement, mais principalement, de fonder des institutions militaires nouvelles, et les hommes d’état de ce pays ne jugèrent pas que le but pût être atteint par la rectification et la refonte des anciennes, — que Stein appelait une machinerie[4], — quelque éclat qu’elles eussent reçu, dans un passé encore présent à tous les esprits, des prodigieux succès militaires et politiques du grand Frédéric.

Pour les puissans de ce monde, quelle marque frappante de la fragilité de leurs résolutions et de leurs vues ! Pour les accablés, quel champ d’observations, de réflexions et d’espérances ! L’empereur Napoléon Ier veut consacrer la ruine de la puissante militaire de la Prusse, et, dans cette pensée, il fait suivre le traité de Tilsitt de la stipulation violente et humiliante du 8 septembre 1808, qui limite étroitement à 42,000 hommes le chiffre de ses soldats. Les hommes d’état prussiens, liés par cette clause, s’efforcent d’y échapper par des mesures d’administration intérieure, et dans cette ardente recherches ils découvrent, plus de soixante ans avant son adoption par les autres peuples militaires, la grande loi de la constitution des armées pour la guerre moderne. Ils la découvrent dans l’application réelle du principe (déjà connu en Prusse, mais bien plus féodalement que nationalement pratiqué) du service obligatoire à court terme, combiné avec la création des réserves échelonnées (réserve et landwehr), qui substituent, sous les apparences d’un effectif restreint, à l’armée chargée de défendre la nation, la nation tout entière armée, prête à se défendre elle-même !

Quand, après notre désastre de 1812 (campagne de Russie) et la défection d’York, la Prusse se prépare pour les luttes de 1813, 1814 et 1815, l’armée de 42,000 hommes se transforme sans effort en une armée de 150,000 hommes[5] suffisamment dressés, bien pourvus, dont l’action très régulière et très énergique devient, comme on sait, décisive vers la fin de ce grand drame militaire, à Waterloo ! Ainsi la stipulation limitative de 1808 qui, dans les desseins de l’empereur Napoléon, achevait l’abaissement de la Prusse, devait être, dans les desseins de la Providence, l’origine du rétablissement de la fortune prussienne et l’une des causes les plus effectives de la ruine en 1814 et 1815, surtout en 1870, de la fortune napoléonienne et française.

Jamais, je pense, dans l’histoire des vicissitudes des nations, on ne vit plus manifestement que l’adversité dont la leçon est comprise prépare leur salut, que la prospérité qui les éblouit jusqu’à l’aveuglement les perd.

Ainsi les armées ne sont que le moyen, les institutions militaires sont le but, pour les peuples jaloux de conserver et de transmettre à l’avenir le dépôt de l’indépendance nationale et des biens accumulés par les générations, qu’ils ont reçu du passé. Malheur à ceux qui ne discernent pas entre le moyen et le but, et qui jugent que celui-là doit suffire toujours, parce qu’il a suffi quelquefois ! L’erreur où ils sont et la faute qu’ils commettent ont deux causes principales ; 1° L’orgueil du succès dont j’ai déjà parlé ; 2° l’affaiblissement de l’esprit de sacrifice par les jouissances du bien-être et de la richesse. La création et l’entretien des armées n’imposent en effet aux nations que des efforts limités, intermittens, proportionnels aux promesses de paix ou aux menaces de guerre que contiennent les événemens. Pour fonder et pour faire durer les institutions militaires qui sont indépendantes des événemens, il faut que les nations consentent de lourds sacrifices auxquels les riches et les pauvres sont indistinctement soumis et dont le caractère est permanent. Il est donc plus facile, peut-être devrais-je dire plus commode, d’avoir des soldats que des institutions. J’insiste sur cette observation, qui est fondamentale et peut-être nouvelle, au moins en France, où la question de la défense nationale, — question de vie ou de mort, à présent que nos frontières sont à l’avance pénétrées, — n’a pas été, que je sache, étudiée de ce point de vue.

Je vais plus loin. Je dis que la valeur des institutions militaires est directement proportionnelle à la grandeur des sacrifices que font les nations pour s’en assurer le bénéfice. Ainsi, lorsque la France, recrutant une grande part de son armée et la plus grande part de ses cadres inférieurs par le remplacement et par l’exonération, libérait du devoir et du risque des armes toutes les classes qui possédaient, les sacrifices qu’elle faisait pour la guerre étaient assurément un minimum auquel répondait un minimum proportionnel de puissance et de ressort dans les institutions militaires. Lorsqu’à côté d’elle la Prusse, depuis plus d’un demi-siècle, assujettissait toutes les classes de la nation à la loi commune du service militaire, ses sacrifices pour la guerre étaient assurément un maximum auquel répondait un maximum de puissance et de ressort dans les institutions militaires. Quel pouvait être, — en dehors et au-dessus des considérations passionnées, injustes, incompétentes, secondaires dans tous les cas, qu’on a fait valoir pour l’expliquer, — le résultat de la rencontre sur le champ de bataille de ce minimum et de ce maximum ? Le résultat qu’on a vu en 1866 de Trautnau à Sadowa, en 1870 de Wissembourg à Sedan, c’est-à-dire le problème de la guerre résolu avec une décision, une rapidité et des succès dont l’histoire des armées n’offre pas d’exemples.


II. — POURQUOI NOS INSTITUTIONS MILITAIRES SONT INSUFFISANTES. — LA LEGENDE.

Les institutions militaires sont exclusivement l’œuvre des longues paix. Pour en étudier et en trouver les principes, pour en fixer les règles, pour les faire pénétrer dans l’esprit public et dans les mœurs, pour les perfectionner progressivement à l’aide des expériences qu’on fait et que font les autres, il faut beaucoup de temps, beaucoup de recherches attentives et de travaux assidus ; toutes conditions qui ne sont pas réalisables dans l’état de guerre. J’ai montré le caractère singulier des événemens par lesquels la Prusse avait été comme providentiellement forcée de réformer ses institutions militaires, en déguisant leur force effective. Celles qu’elle adopta étaient assurément les vraies ; mais quel complément de fortune pour ce pays d’avoir eu depuis 1815, après un premier essai, cinquante ans de paix non interrompue pour les conduire au degré d’achèvement où elles sont !

En France, la périodicité alternante des guerres et des révolutions ne nous a pas laissé ces loisirs. C’est par l’effet du court passage aux affaires de quelques hommes d’état de capacité et de volonté que nous avons acquis, sans plan d’ensemble et comme au hasard, le fonds d’institutions militaires incohérentes et marquées du double cachet de l’ancien régime et de la révolution, sur lequel, depuis Louvois, Carnot et l’empereur Napoléon Ier, nous avons vécu. Ce décousu traditionnel ne nous a pas empêchés d’avoir un premier rang parmi les nations heureuses à la guerre, parce que nos armées ont une brillante valeur, du dévoûment, des qualités de bonne humeur et d’activité, qui les rendent, à leur heure, infiniment redoutables, et parce que la guerre, quelquefois conduite par des hommes d’une habileté supérieure, l’a été de nos jours par un homme du plus extraordinaire génie, l’empereur Napoléon Ier. Mais l’habileté supérieure est rare, le génie extraordinaire est unique, et les peuples qui comptent sur eux mettent à la loterie leur fortune et leur indépendance.

Nos succès à la guerre d’ailleurs ont contribué à nous perdre, parce qu’ils nous ont accoutumés à ne la préparer qu’au moment de la faire, dans une confiance de parti-pris commune à la nation, à son gouvernement et à son armée. On peut dire qu’en dehors d’un petit nombre de cas d’exception bien connus, nous avons toujours improvisé la guerre, parce que nous croyons de bonne foi que nous sommes toujours prêts. Cette erreur dangereuse, où la vanité nationale a une bonne part, nous a trop souvent coûté cher. Aussi, par une sorte de réaction du bon sens public, avons-nous fait dans nos annales militaires une notoriété historique spéciale à ceux de nos hommes d’état ou de nos hommes de guerre qui furent plus prêts que les autres, à Sully, à Richelieu, à Louvois, à Carnot, à Napoléon Ier.

Je ne veux pas diminuer leurs mérites, qui furent grands, puisque c’est toujours entre deux guerres, souvent pendant la guerre, que, sous le rapport dont il s’agit, ils eurent à faire leurs preuves. Mais par cela même, et quelle que fût la portée de leur esprit ou la puissance de leur génie, ils furent réduits aux rôles de préparateurs de guerres prochainement attendues et d’organisateurs d’armées disposées pour l’action, prochaine. Le temps, les moyens d’examen et de comparaison, la liberté d’esprit, tous les élémens et tous les instrumens de création que produisent les longues paix, leur manquèrent pour être les fondateurs de ces institutions qui sont la sauvegarde de plusieurs générations, et les mettent en état de préparation constante devant tous les événemens possibles de la guerre. Ceux d’entre eux qui, à ce point de vue, servirent le mieux l’avenir n’apportèrent aux institutions qu’un contingent de forces relatives, bornées à la création de nouveaux établissemens militaires, à de nouveaux règlemens, à de nouvelles lois. Plusieurs de ces innovations furent très utiles au développement de certains services et à ce que nous appelons « l’organisation de l’armée. » Quelques-unes, notamment en ce qui concerne « l’administration de l’armée, » furent des contre-sens qui faussèrent les vrais principes. Aucun de ces actes gouvernementaux ne fut inspiré par les vues d’éducation militaire nationale et d’intérêt patriotique supérieur qui, si la France veut reprendre son rang dans le monde, feront désormais et pour toujours de l’armée la première de ses institutions sociales et politiques. La visée de ces hommes d’état en cette matière ne s’élevait pas beaucoup au-dessus de celle-ci : obtenir de la nation, pour le temps le plus long possible, le plus de soldats qu’on pouvait, par tous les moyens qu’on supposait ne devoir pas dépasser la mesure de sa résignation. Toutes les guerres de l’empereur Napoléon Ier, celles du milieu de l’empire spécialement, celles de la fin exclusivement (où la mesure de la résignation nationale fut dépassée), se firent sur ces données et d’après ces procédés, qui n’ont aucun rapport, on le reconnaîtra, avec les institutions dont j’ai défini le principe, que je ferai connaître plus tard par leurs noms en indiquant les moyens de les fonder.

C’est ainsi que les institutions militaires, œuvre laborieuse et féconde de la paix, furent en quelque sorte remplacées en France par la légende, œuvre brillante et éphémère des guerres heureuses. La légende offrait à la nation et à ses armées un excitant, spécialement approprié à la vivacité et à la mobilité des imaginations françaises. Violemment servie par la publicité, elle concluait des succès du passé aux succès de l’avenir, faisant de la victoire française un article de foi qui semblait dispenser l’armée de l’étude, du travail et de l’effort Elle affirmait et prouvait notre supériorité militaire, ne permettait à son sujet ni la discussion ni la comparaison, et vouait ses rares contradicteurs au dédain et à la colère publics. Elle créait sous l’ancien régime des types populaires comme le sergent La Terreur, — sous le nouveau, comme le sergent Chauvin, qui symbolisaient dans l’esprit de la foule les titres à l’admiration publique, des soldats vieillis sous le harnais qu’on appela selon les temps « les vieilles bandes, les grognards, les zouaves etc.[6], » qui faisaient métier du service militaire. Ces soldats-là, qui avaient pourtant le mérite relatif de l’esprit de corps, vont, Dieu merci, disparaître pour toujours. Leurs successeurs ne feront que passer sous le drapeau, mais ils auront le mérite plus solide de l’esprit du pays, fruit des principes nouveaux et de l’éducation nouvelle qu’il faut instituer à tout prix.

Tout dans la légende était brillant, tout était conventionnel aussi, et, au jour où la défaite remplaçait la victoire annoncée, il se trouvait que tout était perdu. C’est par elle que la question des armes, — la période de 1792 à 1800 exceptée, — n’apparut plus à la nation qu’à travers l’illusion et le fracas des grandes revues, des articles de journaux, des ordres du jour emphatiques, « des nombreux et brillans états-majors, » des uniformes éclatans, des excès de décorations françaises et étrangères… Le contre-sens militaire vint s’ajouter, comme il devait inévitablement arriver, à tous les autres contre-sens qui menacent les destinées de la démocratie française.

C’est avec la légende de Fontenoy, de Raucoux et de Lawfeldt que les armées du roi Louis XV allèrent à Rosbach, — avec la légende d’Austerlitz, d’Iéna, de Wagram, que les armées de l’empereur Napoléon Ier allèrent à Moscou, — avec la légende de Sébastopol, de Magenta, de Solferino, que les armées de Napoléon III allèrent à Reichshoffen et à Sedan… Douloureuses et peut-être, hélas ! inutiles leçons de philosophie, de logique et de réalité militaires !

La période de paix que les gouvernemens de la restauration et de juillet donnèrent au pays, — de paix, parce qu’elle ne fut marquée par aucune des grandes guerres qui avaient troublé le passé de l’Europe et qui devaient troubler encore son avenir, — aurait pu être mise à profit par la France pour l’étude approfondie de la réforme de ses vieilles institutions militaires et pour la création des nouvelles. Elle y était conviée par l’exemple de la Prusse, qui depuis 1808 était tout entière, — tranquillement et silencieusement, — à cette grande œuvre dont elle avait expérimenté les premiers résultats dans les prises d’armes de la fin de l’empire. Mais la France, qui de tout temps avait eu en cette matière l’habitude et l’attitude du professorat, n’eut pas la pensée d’aller à l’école, et puis les révolutions avec leurs conséquences disposaient, et au-delà, de tout le répit que lui laissaient les guerres. Pourtant c’est dans cette période de paix que les institutions militaires reçurent, sans réforme fondamentale malheureusement, les modifications les plus judicieuses dont elles eussent bénéficié depuis Louvois. Par le maréchal Gouvion Saint-Cyr et par ses successeurs, les lois de recrutement, dans un sens qu’alors on croyait conforme à tous les besoins du temps, furent améliorées. D’autres lois, que leur caractère essentiel rattachait directement aux institutions militaires et dont le principe survivra, vinrent, arracher à l’arbitraire l’avancement des officiers et fixer leur état. Elles réalisaient un progrès considérable. Mais, bien que le conseil supérieur de la guerre et le général Morand, sous la restauration, eussent entrevu la grande réforme du service obligatoire à durée restreinte, ni les hommes de guerre ni les hommes d’état de ce gouvernement et du suivant ne cherchèrent à faire pénétrer dans l’esprit public et dans la loi le principe de l’association directe et effective de la nation à l’effort de la guerre. Le prolétariat devait en rester chargé pendant encore un demi-siècle.

Leur attention d’ailleurs, tant que dura le gouvernement du roi Louis-Philippe, fut détournée, même à certains momens absorbée, par une entreprise militaire et politique, la guerre d’Afrique, du plus haut intérêt national, mais qui devait atteindre profondément l’armée dans son esprit, dans ses habitudes professionnelles, et, comme je vais l’expliquer, fausser irrémédiablement pour plusieurs générations d’officiers, pour le pays, pour son gouvernement, l’optique de la guerre.


III. — LA GUERRE D’AFRIQUE.

Toutes les observations et les expériences que j’ai faites au cours d’une longue carrière m’ont montré que l’histoire est moins l’expression de la vérité des faits et de l’impartialité des jugemens que le tableau des passions des contemporains qui l’ont écrite. L’histoire de l’expédition d’Alger (1830) et l’histoire des vingt ans de guerre dont la conquête du territoire algérien fut le prix sont la justification frappante de cette affirmation. Elles sont en même temps la preuve des effets de déviation que l’histoire ainsi faussée produit sur l’esprit public et sur l’esprit des armées. L’expédition et la prise d’Alger, mesurées à la grandeur, aux difficultés, aux risques et enfin aux résultats politiques de l’entreprise, furent certainement, entre tous les événemens militaires et maritimes de ce siècle, l’un des plus extraordinaires et des plus éclatans. Il s’agissait de détruire « un nid de pirates et de renégats à qui toute l’Europe avait payé tribut pendant des siècles, en vue de protéger des intérêts que le tribut ne sauvegardait pas[7], » et le souvenir des efforts faits jusque-là par l’Europe pour descendre sur ces côtes sans abri du nord de l’Afrique et pour venger par les armes tant d’insultes accumulées n’était pas propre à exalter la confiance des marins et des soldats de la France de 1830. Ces efforts du passé comportaient en principal : 1° la célèbre expédition de 1541 conduite par l’empereur Charles-Quint en personne, terminée par la presque destruction, sous Alger, de son armée de débarquement et par la dispersion de sa flotte ; 2° l’immense désastre du roi Sébastien Ier de Portugal, entré en 1578 au Maroc, par Tanger, base, d’opérations qui lui appartenait, avec une armée dont on ne revit jamais ni le chef ni les soldats ; 3° les bombardemens d’Alger, stériles, bien qu’énergiquement exécutés, des escadres de Duquesne en 1682 et de Tourville en 1688 ; 4° le second désastre maritime que l’Espagne était venue chercher devant Alger en 1775. Entre toutes les entreprises tentées contre Alger, une seule, le bombardement de 1816 par l’escadre anglaise aux ordres de lord Exmouth, avait eu de sérieux résultats politiques (mise en liberté des captifs de toutes les nations, et abolition, par traité, de l’esclavage des chrétiens) ; mais les Anglais, favorisés par l’état du temps et de la mer, s’étaient bornés à ruiner par le canon les défenses maritimes de la place et une partie de la ville, sans effectuer de débarquement.

L’expédition maritime et militaire de 1830, si habilement, énergiquement et heureusement exécutée, fut donc au plus haut point glorieuse pour les armes françaises. Elle était digne de mémoire par un autre côté que je veux faire ressortir ici. Elle fut, contemporainement parlant, « la dernière de nos opérations de guerre étudiée et préparée comme on étudiait et préparait autrefois les entreprises qui engageaient la politique et l’honneur du pays. » Par l’étendue des prévisions, comme par l’étude et le choix des moyens, cette préparation est restée à l’état de modèle ; elle avait trouvé le sien dans la préparation de la célèbre expédition d’Égypte, dont les données avaient été fournies trente-deux ans auparavant et suivies dans leurs détails d’application par le général Bonaparte lui-même. L’une et l’autre n’avaient pas duré moins de dix-huit mois, c’est-à-dire six fois plus de temps que nous n’en avons accordé de nos jours à la préparation de chacune des guerres de Crimée, d’Italie, du Mexique et de Prusse ! Quand, le 25 mai 1830, la flotte expéditionnaire française, forte de 77 bâtimens de guerre, de 350 bâtimens de charge, portant une armée de 35,000 hommes avec son matériel, fit voile vers l’Algérie, les gouvernans de ce temps-là eurent le droit de dire au pays « qu’ils n’avaient laissé à la fortune que la part qu’il est impossible de lui ôter. »

Pourquoi cette campagne de guerre, si grande par les incertitudes comme par les périls connus et inconnus qui l’entouraient, par l’étendue des services qu’elle allait rendre à la civilisation, par la rapidité et par l’éclat de sa réussite, n’a-t-elle dans l’histoire française contemporaine, surtout dans les souvenirs populaires, toujours prêts à l’exaltation de nos succès militaires, qu’une place de second rang ? C’est que le pays était ailleurs. Il était tout entier à une autre bataille, préparant la révolution de 1830, l’accomplissant au moment où arrivait en France la nouvelle de la prise d’Alger, enfin cherchant à en organiser les suites dans l’un des plus ardens accès de fièvre politique qu’il eût jamais eus. Pourquoi au contraire, pendant les vingt ans de guerre arabe qui ont suivi la prise d’Alger, l’opinion s’est-elle passionnée, jusqu’à l’excès le plus dommageable à l’esprit militaire dans le pays et dans l’armée, pour les choses de cette guerre et pour les personnes qui y jouaient un rôle ? C’est ce que je vais expliquer.

Dans un commencement de carrière traversé par vingt ans des plus dures épreuves et où ne lui avait manqué aucune des leçons propres à former l’expérience d’un souverain, le roi Louis-Philippe avait pu juger des calamités que la guerre fait peser sur les peuples, des bienfaits que la paix leur vaut. C’est pénétré de cet enseignement qu’appelé au trône par les événemens de 1830, il y montait avec la résolution de faire de la paix la base et le but avoué de sa politique, dans une pensée dont les générations d’aujourd’hui, désolées par la guerre, peuvent mesurer la sagesse et la grandeur. Mais, travestie aux yeux de la nation par les partis intéressés au décri du nouveau pouvoir, cette pensée fut entre leurs mains une arme puissante contre lui. Ils dirent et ils prouvèrent qu’elle attentait à la dignité du pays, et le gouvernement fut incessamment battu en brèche par une presse exaltée qui l’appela, en vertu d’un mot d’ordre devenu populaire, « le gouvernement de la paix à tout prix. »

Quel moyen d’atténuer dans l’esprit des foules les effets de cette dangereuse tactique de l’opposition, sans cesser de faire prévaloir devant la France et devant l’Europe la politique de la paix ? Le gouvernement de 1830 crut le trouver dans l’état de guerre permanent qui était l’inévitable conséquence[8] de l’occupation d’Alger et de son territoire par les troupes françaises, bientôt suivie de l’occupation de quelques autres points importants du littoral algérien. Cette guerre tout à fait spéciale et nécessairement localisée, contre des adversaires à demi sauvages et vivant sous un climat brûlant, habitués dès l’enfance « à faire parler la poudre, » pleins de haine pour l’envahisseur chrétien, à qui ils ne faisaient jamais quartier, avait de l’originalité, de l’intérêt, quelquefois de la grandeur. Elle imposait aux officiers, surtout aux soldats, d’incroyables efforts d’industrie, d’énergie morale et physique, d’opiniâtreté, dans des luttes dont le théâtre, absolument inconnu dans les premiers temps, s’éloignait de plus en plus du littoral, auxquelles par suite manquaient souvent les moyens d’action et de renouvellement. C’est par ces graves et incessantes difficultés que le commandement, en Algérie, fut conduit à l’invention et à l’application journalière de la fameuse et traditionnelle formule du débrouillez-vous, qui était à l’armée d’Afrique sans danger notable pour l’ensemble des affaires militaires, qui devait être plus tard si fatale à nos généraux dans la préparation et dans la conduite de la grande guerre en Europe.

Çà et là s’accomplissaient des drames militaires, restreints dans leurs proportions, car devant un ennemi, — si brave qu’il fût, — sans organisation, très mal armé, forcé à l’économie des munitions, un désastre restait local et ne pouvait pas se généraliser. Mais ces drames avaient de saisissantes péripéties expressément faites pour frapper l’imagination publique, et le gouvernement ne se trompait pas en jugeant qu’indépendamment des grands résultats politiques et coloniaux, — aujourd’hui à peu près acquis, — qu’il poursuivait dans cette guerre, elle lui offrirait une mine inépuisable de prouesses à exploiter, pour donner à l’orgueil militaire de la nation et à ses instincts guerriers des satisfactions qui compenseraient les effets du déraisonnable et insupportable mot d’ordre de la paix à tout prix.

Les princes furent envoyés à l’armée d’Afrique, non pour y servir en princes, mais pour y servir en soldats, tantôt associés aux efforts des troupes, tantôt conduisant ces efforts et ajoutant beaucoup, par cette effective et active participation aux entreprises de la guerre, à l’éclat dont on voulait qu’elles fussent entourées. Le gouvernement, et bientôt le public après lui, furent comme à la piste de tous les faits de guerre grands, moyens et petits, et il ne tint pas à l’armée d’Afrique ou à la presse gouvernementale que les petits ne fussent jugés grands. Dans la forme parabolique, on les comparait aux événemens des grandes guerres du passé, et on finit par croire en France comme en Algérie qu’ils en étaient la glorieuse continuation. Dans la forme hyperbolique, on exaltait les talens et les mérites des personnes, au point de faire en un tour de main de hautes renommées militaires à des officiers qui avaient fait preuve de vigueur dans une difficile et périlleuse défense d’arrière-garde, de vigueur et d’habileté dans la défaite d’un gros rassemblement arabe suivie d’une importante razzia.

On peut juger par un exemple frappant de l’esprit ou plutôt de l’entraînement qui présidait au système : une compagnie[9] d’infanterie disciplinaire occupait un ancien fortin turc tout à coup enveloppé par 10,000 ou 15,000 Arabes en armes. L’isolement de ce petit groupe de soldats, l’incertitude de l’avenir et d’une rescousse, les clameurs sauvages et l’incessante fusillade de l’assaillant leur faisaient assurément une situation très dramatique, très émouvante et bien propre à déprimer leur moral. Ils tiennent ferme pendant quatre jours, ils sont secourus, et cette défense, présentée comme un fait d’armes héroïque sans précédent dans l’histoire des guerres, devient l’objet de l’admiration et de l’enthousiasme universels. Les récompenses leur sont prodiguées, une médaille commémorative consacre le souvenir de leur intrépide conduite, et l’orgueil national éclate. En allant au fond des choses, en comparant notamment les pertes faites par ces braves disciplinaires (trois tués, seize gravement ou légèrement blessés) à la grandeur et à la durée de cette défense en apparence désespérée, on aurait reconnu : qu’à l’abri des murailles du fortin, d’un relief vertical moyen de 5 mètres, ils ne pouvaient être forcés que par voie d’escalade ou par voie de brèche ; que, pour escalader, les assaillans n’avaient pas d’échelles ; que, pour faire brèche, ils n’avaient pas de canons[10]  ; qu’enfin les assaillis, quel que fût l’état de leur moral, ne pouvaient avoir la pensée de se rendre, puisqu’ils savaient tous qu’après une capitulation pas un ne reverrait ses foyers. L’événement ainsi aperçu et jugé dans sa réalité militaire, encore très honorable pour les assiégés, on aurait justement loué leur sang-froid et leur constance, on ne les aurait pas comparés aux soldats des Thermopyles !

Tous les récits qui venaient d’Afrique étaient à ce diapason, et toutes les conséquences qu’on en tirait en France, quant à la valeur des troupes et à la perfection des institutions militaires, étaient dans cette proportion. En fait, les mérites des troupes soumises à de continuelles et souvent accablantes épreuves étaient infinis, et il est vrai de dire que la guerre d’Afrique nous faisait d’excellens soldats, à un certain débraillé près, qui ne les disposait pas à l’observation de la rigoureuse discipline nécessaire dans les guerres d’Europe. Quant aux généraux et aux officiers, accoutumés à rencontrer leurs noms dans des ordres du jour et des rapports commentés par la presse, où les citations individuelles affluaient, très épris de la publicité que leurs moindres travaux recevaient, presque assurés de battre et battant le plus souvent en effet un ennemi qui défendait avec énergie son territoire, mais qui était notoirement hors d’état d’en chasser l’armée française, enfin, bénéficiant pour la plupart d’un mouvement presque toujours très prompt d’avancement, ils se firent avec le temps des mœurs militaires spéciales où la modestie, que « l’habitude de vaincre » ne conseille pas ordinairement, et les études professionnelles, dont ils n’avaient pas besoin, n’eurent plus leur place. Beaucoup se distribuaient entre eux, avec une libéralité trop peu mesurée, des brevets d’officiers d’avenir, de généraux éminens, même de généraux illustres, si bien que le bon sens public, aidé par les railleries que ne leur épargnaient pas les vieux représentons, encore vivans dans ce temps-là, d’Austerlitz, d’Eylau et de Wagram, érigea nos officiers algériens en « société d’admiration mutuelle africaine, » dont pourtant les actions ne cessèrent pas d’avoir cours.

En tant que conception, préparation, exécution, risques et responsabilités, quelles analogies militaires ou politiques pouvaient exister entre ces entreprises de la guerre algérienne, — où quelques milliers d’hommes (par exemple 9,000 à Isly, qui est l’une des principales actions des temps que je rappelle), et ces grandes batailles de la guerre d’Europe qui décident de la destinée des nations par le choc de centaines de mille hommes qu’appuient des centaines de bouches à feu !

Les travaux accumulés des généraux, des officiers et des soldats de l’armée d’Afrique ont doté la France d’une colonie qui est dès aujourd’hui, après moins d’un demi-siècle, qui sera surtout dans l’avenir l’un des plus considérables élémens de sa puissance politique, militaire, maritime et commerciale. C’est à présent que devant les résultats déjà réalisés, les générations qui en bénéficient devraient accorder sans compter, aux services de ces énergiques pionniers de la colonisation algérienne, les louanges qu’ils reçurent autrefois, prématurément et avec excès, des contemporains[11]  : elles seraient justes aujourd’hui autant que méritées, et elles n’auraient pas le dangereux effet qu’elles eurent alors, d’altérer profondément dans l’esprit de la nation et de l’armée le sens vrai des choses militaires, en créant autour des institutions, des personnes et des faits, un mirage que devaient entretenir de premiers succès, — systématiquement exagérés, — dans les guerres d’Europe (Crimée, Italie), que devaient dissiper trop tard d’épouvantables revers.

Ma jeunesse presque tout entière s’est écoulée au milieu des événemens dont j’ai cherché, dans cette courte discussion, à faire ressortir la philosophie. Je n’en ai eu la claire intuition qu’après de longues années remplies par d’autres événemens qui m’ont éclairé dans l’âge mûr, attristé dans la vieillesse, tous m’apportant de solides élémens de réflexion et de comparaison. Cette philosophie se résume ainsi :

Les nations et les gouvernement qui jouent avec la guerre, la considérant dans certaines crises comme un révulsif ou une diversion, paient cher, tôt ou tard, cette erreur grave. La guerre, — fléau sans doute inévitable, puisque la civilisation elle-même est impuissante à l’écarter, — doit être envisagée et doit être faite sérieusement, sincèrement, modestement, si on veut qu’elle forme des hommes de guerre vraiment dignes de ce nom et de leur mission. Je dirai plus loin ce que devrait être dans la paix, au premier degré, l’austère éducation qui leur convient. Quand l’éducation complémentaire de la guerre, qui est comme leur école d’application, est faussée par la louange érigée en système, le contentement de soi et la superbe leur arrivent, précédant le charlatanisme militaire qui n’est pas loin. Les succès sont grossis, les échecs sont déguisés, les fautes sont tues, et la leçon en est perdue pour les peuples et pour les armées.

La guerre d’Afrique, telle qu’elle fut, a cependant formé beaucoup d’officiers distingués. Elle a fait ou plutôt elle a préparé quelques généraux considérables qui seraient peut-être devenus de grands chefs d’armée si la fortune, puissance infinie dont personne ne dispose, qui domine dans la guerre encore plus que dans le reste des affaires humaines, et qui fait, plus souvent que le talent, les renommées militaires, les avait servis. Je veux évoquer ici la mémoire de trois de ces généraux, — hors pair à des titres différens, — tous les trois descendus au tombeau dans la disgrâce des gouvernans, des partis politiques ou des foules, tous les trois abandonnés à l’heure de la disgrâce par ceux-là même qui avaient été à la guerre leurs compagnons : Lamoricière, qui eut les facultés supérieures ; Cavaignac, qui eut le haut caractère ; Bedeau, qui eut la grande vertu. C’est avec un cœur pénétré de respect et plein de souvenirs émus que j’offre à ces morts, à ces généreuses victimes de nos discordes politiques et de notre déchéance morale, qui eurent tour à tour des idolâtres et des insulteurs, les hommages de l’ancienne armée.

Ils avaient eu les leçons et les exemples d’un homme de guerre qui leur était inférieur par l’instruction et par la culture d’esprit, qui les dépassait par l’ampleur des facultés naturelles où le plus rare bon sens tenait le premier rang, qui les dominait de haut par l’expérience de la grande guerre, le maréchal Bugeaud. Celui-là était un soldat d’Austerlitz. Il avait vu se former, marcher, subsister, les armées de cent mille hommes. Il avait vu les grandes lignes de bataille, les grands chocs d’où sortent la victoire avec ses effets d’exaltation sur les troupes, et la défaite avec ses effets de démoralisation et ses retraites disputées. Longtemps aussi, en Espagne, il avait fait avec de brillans succès personnels la guerre d’embuscades et de surprises. Il y avait en lui, à proportions presque égales, du général d’armée, du guérillero, et c’est avec l’autorité de ce double savoir expérimental qu’il réforma les préjugés admis et rectifia les méthodes pratiquées depuis 1830 à l’armée d’Afrique, fondant le solide état moral et consacrant les procédés auxquels sont dus la conquête définitive de l’Algérie et les commencemens de sa colonisation.

Le maréchal Bugeaud fut notre maître à tous, le maître des grandes personnalités dont je viens de rappeler les titres à la gratitude du pays, le maître des petites, parmi lesquelles beaucoup d’officiers de ma génération l’ont vu d’assez près pour le juger. C’est devant lui que tous nous devons nous incliner, comme devant le plus grand des chefs militaires et le dernier des professeurs de guerre qu’ait eus l’armée française contemporaine.


IV. — COMMENT SE FONDENT LES INSTITUTIONS MILITAIRES PAR LES MOEURS PUBLIQUES.

Les anciens et les modernes ont longuement et pertinemment disserté sur les institutions militaires. Je ne me propose pas d’ajouter aux traités qui existent sur la matière un nouveau traité. J’en abandonne toute la partie théorique pour me renfermer, entre cent questions, dans la discussion spéciale d’une seule : Quel est, parmi les divers systèmes d’institutions militaires que la France contemporaine pourrait adopter, celui qui répondrait le mieux à son tempérament particulier, à ses besoins, et contribuerait, le plus efficacement à relever sa fortune ?

Mes vues sur la solution de ce problème, d’un si haut et si général intérêt qu’elle contient la solution de tous les autres problèmes du même ordre, sont anciennes et convaincues. A la question posée ci-dessus, elles répondent sans hésitation : Les institutions militaires qui réaliseront cet avenir, et les seules qui le réaliseront, sont celles qui pénétreront les générations françaises, en commençant par les plus jeunes, de l’esprit militaire succédant à l’esprit guerrier.

Ainsi, principe nouveau réformant l’ancien, éducation nouvelle (pour l’enfance et pour la jeunesse) basée sur cette réforme, voilà, selon moi, les moyens de faire revivre notre puissance militaire par l’enseignement dans les écoles françaises de la vérité substituée à la fiction. J’exprime clairement par là qu’à mes yeux l’esprit militaire, c’est la vérité avec tous ses effets de certitude, de solidité et de durée, que l’esprit guerrier, c’est la fiction avec tous ses effets d’inconsistance, de mirages trompeurs et d’inévitables déceptions.

Veut-on une définition moins philosophique et plus spécialement militaire ? Je dirai que dans ma pensée l’esprit militaire et l’esprit guerrier peuvent l’un et l’autre conduire les nations et leurs armées à la victoire ; que l’esprit militaire seul peut soutenir les nations dans les revers, leurs armées dans les retraites après les batailles perdues et rendre à celles-ci et à celles-là le ressort moral et les moyens qui préparent la revanche. Je ne crois pas faire tort à mon pays et à ses armées en leur rappelant que, si dans le succès et dans l’effort offensif ils ont souvent brillé du plus vif éclat, leur constance et leur ténacité dans l’insuccès et dans l’effort en retraite ont plus rarement mérité d’être notées par l’histoire. Ils ont l’esprit guerrier qui a pour point de départ et pour excitant permanent la légende dont l’imagination publique est remplie ; ils n’ont pas l’esprit militaire qui procède exclusivement des institutions dont l’éducation nationale devrait être et n’est pas en France l’un des élémens essentiels.

Supposons un instant qu’après les cruelles angoisses de la guerre extérieure et de la guerre civile, quand le pays était dans cet état moral que je définis ainsi : « prêt à entendre toutes les vérités et à consentir tous les sacrifices, » les hommes d’état et les hommes de guerre, élevant et élargissant leurs vues, lui eussent dit : « Nous ne voulons pas nous borner à la réorganisation de l’armée, pour laquelle l’opinion mal informée se passionne exclusivement, comme si l’effort pour le salut commun que va faire la nation ne consistait que dans la réforme des organes de la machine militaire ; il est bien plus étendu, car le moteur n’est pas moins insuffisant que le mécanisme, et il s’agit de réformer l’un et l’autre, entreprise qui ne peut réussir que par l’association des forces de l’état et des forces du pays. » En défendant énergiquement et en développant devant l’assemblée nationale, en vulgarisant par conséquent dans le pays ce thème préparatoire à l’établissement des institutions militaires, le gouvernement rendait à la France un service considérable. Il portait sur son véritable terrain la discussion d’un de ses plus chers et plus pressans intérêts, remplissant ce grand devoir que j’appelle « l’éducation de la nation par les pouvoirs publics. » Et puis il abordait la première partie de son œuvre, dont j’exposerai brièvement le programme avec le ferme espoir qu’un prochain avenir le réalisera.

Le département de la guerre, de concert avec le département de l’instruction publique, rédige et soumet à l’approbation du gouvernement « un catéchisme militaire, » — que ce mot de catéchisme n’effraie personne, il désigne un petit livre qui ne peut être ni clérical, ni laïque, mais qui sera expressément obligatoire, car il est fait pour tous les enfans du pays ; — « par demande et par réponse, il leur apprend ce que c’est que la patrie ; il dit quel immense intérêt s’attache à sa défense, qui comprend la défense des foyers de toutes les familles françaises ; pourquoi tous les Français ont le devoir des armes, comment il faut qu’il soit entendu, comment il faut qu’il soit rempli, et quels travaux, quelles épreuves, quels sacrifices en accompagnent l’accomplissement. Le livre dit encore que le caractère particulier, le haut mérite et l’honneur de ces travaux, de ces épreuves et de ces sacrifices, c’est la gratuité ; que la récompense de ceux qui ont succombé pour le pays, c’est Dieu qui la donne ; que la récompense de ceux qui ont survécu, c’est le sentiment du devoir rempli et la conscience des services rendus ; que les chances de la guerre sont variables, incertaines et font alternativement des vainqueurs et des vaincus ; que l’une et l’autre fortune ont leurs devoirs spéciaux qui obligent, les vainqueurs à la modération, au respect de l’infortune, au ménagement des populations foulées par la guerre, les vaincus à la fermeté, à la constance, à l’union, à la rigoureuse observation de la discipline, sans lesquelles des revers du moment deviennent des revers irréparables. »

Cet aperçu, que je réduis à l’énoncé de quelques-uns des principes qui formeraient la substance du catéchisme militaire, suffit à faire voir que cet enseignement des jeunes générations françaises, par un livre de cinquante pages, comprend non-seulement le devoir militaire, mais une part du devoir social et du devoir politique. Il leur apprend en effet, par surcroît, la soumission, les respects, le désintéressement, l’esprit de sacrifice. Ne sont-ce pas là les antidotes des maladies morales les plus dangereuses d’une société énervée par la jouissance, par les compétitions égoïstes, par l’esprit d’insubordination, par l’intérêt personnel qui dessèche les âmes et qui exploite tout, jusqu’aux malheurs de la patrie ?

Le catéchisme militaire deviendrait, dans toutes les écoles primaires de France, dans les classes élémentaires de tous les établissemens d’instruction secondaire et spéciale (lycées, collèges libres, écoles professionnelles, etc.), le formulaire d’une éducation virile dont il n’existe pas trace dans les programmes de nos maisons scolaires. Pour les classes moyennes et supérieures, de petits traités complémentaires élèveraient graduellement l’enseignement militaire à la hauteur exigée par l’âge et par le degré de culture intellectuelle des élèves. Catéchisme et traités formant un code de préparation et d’initiation spéciales, nécessaires à toute la jeunesse française, pénétreraient dans les familles. Le pays arriverait ainsi à envisager dans un esprit nouveau le principe et les règles de la profession des armes, sous les aspects vrais, sérieux, sévères qui lui appartiennent et qui doivent l’élever pour tous au plus haut de l’échelle des devoirs publics.

Les fictions, les exagérations, les admirations, les éblouissemens de la légende, qui firent tant de dupes avec tant de victimes, en remplissant les cœurs de vanités si bruyantes et d’illusions si dangereuses, disparaîtraient remplacés par la réalité des doctrines et des facultés militaires effectives. Les Français n’auraient plus pour la guerre ce goût qu’on leur croit et qu’ils se croient ; mais, en la tenant pour un malheur public, ils sauraient la faire quand la patrie les appellerait aux armes, avec une vigueur, une compétence, une autorité qui écarteraient d’eux pour toujours la calamité des revers sans remède, l’humiliant fléau des invasions, l’accablante douleur des démembremens, dont leur histoire contemporaine est remplie. Ils perdraient devant l’Europe cette renommée d’agitateurs et d’agresseurs qui fut l’origine de tant de haines trop souvent justifiées ; mais leur supériorité dans la guerre, due à l’énergique ressort des institutions militaires, de l’esprit public et de l’esprit de l’armée, serait le sûr auxiliaire des revendications légitimes de l’avenir, et elle entourerait notre pays de ce respect, de ce noli me tangere qui garantit aux nations le bienfait des longues paix.

Cette préparation de la population française aux devoirs de la défense nationale, par l’éducation militaire de ses enfans et de ses adultes, serait complétée par un ensemble de mesures qu’il appartient tout à la fois à l’état et aux particuliers de décider et d’encourager, en vue d’assurer à cette éducation des effets pratiques durables. Telle serait la création dans tous les établissemens d’instruction publique d’écoles de gymnastique ? et, pour les classes supérieures, d’exercices militaires (maniement des armes et manœuvres élémentaires), et dans les villes et les bourgs, d’exercices de tir patronnés et primés par les municipalités et par des sociétés de tir, donnant lieu à des concours périodiques entourés d’une certaine solennité. A l’avènement de Colbert aux affaires, dans l’emploi de contrôleur général des finances (1662), la marine française comptait trente-trois[12] navires de guerre. A sa mort (1683), elle en comptait deux cent soixante-seize, et on se demande par quels procédés le département de la marine était parvenu à former le personnel spécial de canonniers qui combattaient dans toutes les mers sur ce formidable instrument de guerre navale. L’ordonnance de 1660, — titre 19, — nous révèle l’un des plus efficaces de ces procédés : « Pour exciter les gens de mer à s’instruire dans l’artillerie, veut sa majesté que tous les dimanches, soient distribués deux prix à ceux qui auront fait meilleure réponse et mieux servi la pièce, savoir : un d’une pistole et un d’une demi-pistole ; et qu’il soit de plus tiré tous les trois mois un prix extraordinaire d’une épée et d’un baudrier à la livrée du roi, de six pistoles, pour être délivré au meilleur tireur. »

Ainsi : l’éducation militaire nationale par le catéchisme militaire à l’école communale, et par les traités complémentaires dans les établissemens d’instruction secondaire, les exercices gymnastiques et militaires dans les mêmes établissemens, les exercices et concours de tir, dans les centres habités de quelque importance, seraient le point de départ des institutions dont les armées sont le produit définitif et achevé. Ce n’est pas en un jour, je le reconnais, que l’ensemble de ces créations, qui malheureusement en France dépendent à peu près exclusivement de l’initiative et de l’impulsion gouvernementales, peut se faire une place dans la sollicitude et dans les habitudes publiques. Mais à toute fin il faut un commencement. Le bon vouloir et la persévérance, encouragés par les premiers résultats obtenus, font le reste. C’est ainsi que les Anglais, stimulés par les menaces que « notre esprit guerrier, » impolitiquement et ridiculement, leur fit entendre dans les premières années du second empire[13], se sont mis à l’œuvre de la défense nationale avec la patience et la ténacité qui leur sont propres. Au point de vue de la fortification côtière et des dispositions maritimes qui la complètent, ils se sont donné, comme on pouvait s’y attendre, des sécurités de la plus haute valeur. Mais il est aujourd’hui constaté que, même au point de vue militaire, auquel par son tempérament, par ses traditions et en raison de sa position géographique, unique au monde, la population anglaise était restée absolument étrangère, d’étonnans résultats ont été obtenus. Les régimens de volontaires des comtés, bien plus sérieusement préparés et mieux dressés que les corps de notre ex-garde nationale, qu’il faut les féliciter de n’avoir pas pris pour modèles, tiendraient très utilement et honorablement leur place dans une ligne de bataille défensive. Ainsi les mœurs publiques ont pu se prêter à des travaux, des assujettissemens, des sacrifices qui ont réalisé un organisme militaire national susceptible d’une grande extension, à côté d’un organisme militaire officiel nécessairement restreint. Il ne faut pas perdre ici de vue que l’Angleterre, seule entre les autres états de l’Europe, n’est pas tenue, quant à présent, d’adopter le système de constitution d’armée dont les guerres foudroyantes de 1866 et de 1870 ont imposé à tous l’obligation. Elle est protégée par un fossé difficile à franchir, — incomparable avantage social, politique et militaire, — contre les contacts et contre les chocs auxquels nous devons la dure loi qui prépare aux armes toute la jeunesse et fait passer sous le drapeau toute la population valide de notre pays.

Ce grand travail de réformation de l’éducation nationale serait impérieusement commandé par le soin de la sécurité et de la paix publiques, alors même que l’intérêt militaire ne l’exigerait pas. Croit-on que, dans un pays incessamment révolutionné, où fermentent toutes les passions que peuvent exciter la compétition politique et toutes les autres compétitions qui en dérivent, il ne soit pas hasardeux de mettre indistinctement tous les citoyens en possession de l’aptitude militaire, et, dans des circonstances données, d’armer la nation tout entière, si elle n’a pas été préparée par l’enseignement de l’école à ces grands devoirs ? Les lois de la discipline militaire française ne créent, on le sait, dans l’armée, que les respects réglementaires, ne faisant aucune place aux respects de principe et de sentiment. Elles étaient insuffisantes dans l’état ancien, suffiront-elles dans l’état nouveau ? Non, et il faudra, pour soustraire à ce péril l’avenir du pays, qu’à la réforme de l’éducation de la jeunesse s’ajoute la réforme de l’éducation de l’armée, dont je me propose d’indiquer, dans la suite de ces études militaires, le but et les moyens.


V. — LES FAMILLES MILITAIRES.

Dans un temps où la civilisation a fait pénétrer au sommet de la société le raffinement, au milieu le confort, au bas des préoccupations de plus en plus accusées de bien-être, où le commerce, l’industrie, le savoir-faire et une singulière diversité d’entreprises qu’on appelle en langage moderne a la spéculation, » ont ouvert aux plus habiles, aux plus heureux, bien souvent aux plus osés, le chemin de la richesse, il est plus difficile qu’autrefois de trouver de bonnes gens qui se vouent par tradition et par goût à la carrière des armes.

Là cependant, comme ailleurs, la fortune aveugle chemine sur sa roue, exaltant ceux-ci, écrasant ceux-là, mais son évolution dans l’armée offre un caractère tout particulier. Elle permet aux heureux d’atteindre à des positions enviables, brillantes quelquefois, lucratives jamais, et de plus, le risque, — un risque que le commun des hommes n’envisage pas tranquillement, quoi qu’on dise, — est toujours à côté de l’effort. La plupart des familles d’aujourd’hui gardent d’ailleurs et se transmettent le souvenir des sacrifices douloureux, quelquefois accablans, qu’elles ont faits pour les guerres toujours renouvelées, presque toujours insensées, du siècle. Elles prémunissent leurs enfans contre des perspectives de poésie et de gloire, derrière lesquelles elles aperçoivent des perspectives d’invalidité, de mutilation et de mort. À ce sujet, je place incidemment ici quelques réflexions que je m’étonne de ne pas rencontrer dans l’œuvre des statisticiens qui mettent en ce moment même le comble à nos anxiétés en nous montrant que le chiffre de l’indigénat français tend à devenir stationnaire, pendant que la population de presque tous les états de l’Europe s’accroît dans des proportions de plus en plus considérables. Ils cherchent l’explication de cette infériorité, si menaçante pour l’avenir de la France, dans des considérations de morale sociale dont je ne conteste pas la valeur. Mais parmi ses causes apparentes, nos guerres incessantes, lointaines ou prochaines, toujours destructives, de 1792 à 1870, ne figurent-elles pas pour une part importante ? Sait-on qu’en ajoutant aux statistiques officielles, supposées sincères, des morts par le fer ou par le feu et des morts par la maladie sous le drapeau (champs de bataille, ambulances, hôpitaux), la statistique des morts par suite d’épuisement, dans leurs familles, postérieurement à la guerre, des infirmes et des mutilés, on constaterait la suppression ou l’invalidation par la guerre de plusieurs millions de reproducteurs, à peu près tous dans la force de l’âge et prélevés par le recrutement sur l’élite virile du pays, qui auraient été pour la plupart, chacun dans une famille, la souche de plusieurs générations supprimées avec eux ! S’imagine-t-on ce qu’ont coûté à la race française, — quantité et qualité, — les tueries sans intermittence du premier empire, les tueries périodiques du second, et pendant vingt ans cette guerre permanente de la conquête algérienne, poursuivie dix ans par un effectif de 100,000 hommes, assujetti, sous un climat dévorant, à d’accablans travaux ! Aucune nation au monde, de bien loin, n’a été soumise dans la même période de temps à de tels sévices. La statistique n’y pense pas, la France n’y pense plus, mais les mères françaises y penseront toujours.

Ainsi, les tendances générales de la société contemporaine, à la recherche du bien-être et de la richesse, les tendances particulières des familles dominées par les amers souvenirs de la guerre, détournent les jeunes hommes du service militaire considéré comme une carrière. Ils se bornent à l’envisager comme l’acquit d’une dette dont il faut se libérer le plus tôt et le plus vite possible, et c’est à cet état des esprits qu’il faut spécialement attribuer la difficulté croissante, dont tout le monde parle à présent, peut-être sans la bien saisir, de former solidement les cadres supérieurs et inférieurs de l’armée. Pour combattre efficacement des dispositions si préjudiciables à ce grand intérêt national, il faut employer des moyens capables de transformer les habitudes d’une partie de la population. Il faut rattacher son existence, par des liens de sympathie et de solidarité intéressées, à l’existence de l’armée. Je signale entre ces moyens celui dont les effets me paraissent le plus certains.

La France, pendant longtemps, a compté nombre de familles qui restaient étrangères aux calculs, aux spéculations et aux appréhensions dont j’ai parlé. Héréditairement vouées au service militaire, elles étaient une ressource précieuse pour la formation des cadres et de tous les élémens constitutifs permanens des corps de troupes (officiers, sous-officiers, musiciens, chefs-ouvriers, ouvriers). Ces familles disparaissent tous les jours, détruites, en tant qu’esprit et tradition, par l’indifférence de l’état et de la législation pour les intérêts qu’elles représentent, bien plus que par les aspirations vers les carrières civiles, qui ont pénétré l’ensemble de la population. Ce sont les familles militaires. C’est à elles que l’ancien régime demandait les élémens dont se composaient ses cadres supérieurs. C’est en elles, aujourd’hui répandues dans toutes les classes de la nation, que la démocratie française doit trouver la partie la plus solide des cadres supérieurs et inférieurs de l’armée. Est-il possible de faire revivre ces familles et de les multiplier, avec leurs principes, leurs traditions et leurs exemples qui seraient pour l’esprit militaire, dans la population et dans l’armée, des excitans permanens ? Je crois que oui.

Des études spéciales terminées par des examens et par des concours peuvent préparer pour toutes les carrières des sujets suffisans. Les excellens se rencontreront presque toujours parmi ceux qui auront recueilli par surcroît, dans la famille et dès l’enfance, avec les directions nécessaires, le goût de la carrière qu’ils embrassent. C’est la vocation transmise que je viens de définir, la seule ordinairement qui ait le double caractère de la fixité et de la durée, la seule qui résiste aux déceptions, aux dégoûts, aux épreuves dont à certaines heures, du plus au moins, toutes les carrières sont l’occasion. Dans le service militaire, les mérites de cette vocation sont supérieurs à ce point, qu’ils peuvent suppléer aux études préparatoires, et que beaucoup de sujets à qui elles ont manqué deviennent dans l’armée, par la fermeté de leur vocation et par l’expérience acquise, de très utiles auxiliaires du commandement.

Il est d’intérêt national d’étendre dans le pays le cercle des vocations militaires en les encourageant, et le plus sûr moyen d’atteindre le but, c’est de favoriser les familles militaires, de leur assurer la protection effective de la loi et la sollicitude de l’état. Elles sont sous ce rapport réduites à l’assistance, très insuffisante dans ses effets et mal entendue dans son application, que leur offrent :

1° La fondation du prytanée militaire de La Flèche[14], qui reçoit des fils d’officiers ou assimilés, à titre gratuit pour quelques-uns, à titre partiellement gratuit pour la plupart ;

2° La concession d’un certain nombre de bourses et demi-bourses à des familles sans fortune, militaires ou civiles indistinctement, dont les enfans ont été admis par concours dans les écoles de l’état ;

3° L’institution des enfans de. troupe à la suite des régimens, dont les résultats, dans son mode actuel, fort ancien, de fonctionnement, ne servent pas moralement les intérêts de la famille et ne servent pas militairement les intérêts de l’armée ;

4° L’institution de la Légion d’honneur (pour les filles des légionnaires),

Ces moyens d’assistance, si étroitement mesurés à un petit nombre de familles militaires, sont-ils dignes d’une grande nation qui prétendait, quand ils furent créés, à la prépondérance dans les armes, qui vient à présent de tripler, si l’on tient compte de ses élémens prévus de renouvellement, la puissance de son état militaire ?

Les concessions de bourses et demi-bourses, très-justement considérées comme la rémunération, dans la personne des jeunes aspirans aux écoles militaires, des efforts faits, des sacrifices accomplis, des services rendus dans l’armée par leurs ascendans, devaient être dans l’origine exclusivement attribuées aux familles militaires qui les sollicitaient. C’était, personne n’y contredira, le procédé le mieux justifié, le plus moral, le plus digne, le plus encourageant pour les intéressés, le mieux trouvé pour assurer à l’armée le concours de générations d’officiers pénétrés de cette vocation que j’ai appelée la vocation transmise. Mais le bénéfice en fut d’abord étendu aux familles qui avaient acquis dans les services publics civils des titres à l’intérêt de l’état, et puis la révolution de 1848 arriva. Elle fit prévaloir dans le gouvernement des vues qui avaient le mérite, que je ne conteste pas, d’être égalitaires, mais qui avaient l’inconvénient, qu’il faut toujours considérer, d’être fausses. Elles étaient fausses, parce que, servant certains principes et certains intérêts, qui semblaient les plus considérables du moment, elles compromettaient gravement d’autres intérêts, qui étaient en réalité les plus considérables de tous les temps. C’est à une succession d’erreurs graves de ce genre, qui jetèrent le trouble dans les esprits, que l’empire dut une part du prodigieux succès de suffrage universel qu’il obtint peu après contre la république de 1848, précédent que les amis de la république d’aujourd’hui ne sauraient trop lui rappeler.

Elle voulut notamment proclamer le principe de la gratuité absolue de l’enseignement (principe dont l’avenir verra peut-être la réalisation, mais qui était alors, comme aujourd’hui, financièrement impossible), à commencer par les écoles de l’état, libérant ainsi quelques familles, qui en portaient volontairement le poids d’une dette que le budget (c’est-à-dire la masse des contribuables), dont la situation était difficile, et même précaire, se défendait énergiquement d’acquitter pour elles. Reconnaissant son impuissance à réaliser ce dessein, elle décida, pour s’en consoler, qu’à l’avenir l’attribution des bourses et demi-bourses, dans ces écoles, serait réglée non par la comparaison des services que les familles civiles ou militaires en instance auraient rendus au pays, mais par la comparaison des divers degrés d’indigence, dont elles feraient la preuve devait les conseils municipaux chargés de constater leur situation.

Ce régime, qui a présentement vingt-six ans de durée, a singulièrement découragé les familles militaires et réduit le nombre de celles qui destinaient traditionnellement leurs enfans à l’armée. Voici un officier général ou supérieur, chef d’une famille dont les mâles, élevés pour ainsi dire au milieu des troupes et en vue du drapeau, n’inclinent pas ordinairement vers le commerce, l’industrie ou les emplois publics civils. Le père a plusieurs enfans, il est sans fortune, selon la règle commune à la plupart des officiers français, et quand l’heure de la retraite sera venue, sa vie sera difficile, souvent disputée, bien qu’il ait actuellement, pour le dehors, l’état de maison que comporte son grade avec le traitement et les avantages particuliers qui s’y rattachent. Il a fait de longs, quelquefois de durs sacrifices pour l’éducation et pour l’instruction de ses fils, qu’il a conduits jusqu’au seuil de l’École militaire, et sa carrière touche à sa fin. S’il veut obtenir pour eux une bourse, une demi-bourse, il faut préalablement qu’il se résigne, — non sans combat, avec un légitime sentiment de dignité personnelle et professionnelle, « — à demander à un conseil municipal, où l’intérêt des choses militaires et la sollicitude des services rendus dans l’armée n’ont pas ordinairement de représentation spéciale, une déclaration qui n’est autre qu’un certificat de pénurie. S’il se rencontre devant ce conseil un autre impétrant, étranger à l’armée, vivant d’un travail manuel quotidien, notoirement dépourvu de ressources, à qui des circonstances particulières ont permis d’assurer à son fils l’instruction nécessaire pour le concours, son instance primera presque inévitablement la première.

C’est un résultat qui répond, je le sais, aux préoccupations habituelles de la démocratie française ; il est expressément préjudiciable à ses intérêts bien compris, à sa sécurité, à son avenir. Elle ne considère pas assez, malgré les avertissemens qu’elle en a, qu’elle est comme isolée dans le monde politique européen, isolée et entourée tout à la fois ; qu’elle a été amenée par ces avertissemens, tardivement, à s’armer tout entière pour la défense de ses principes, de ses frontières et de ses foyers ; que les armées ainsi faites ont à un bien plus haut degré que les armées d’autrefois, qui étaient peu nombreuses et rompues au métier des armes, besoin de direction et d’encadrement ; que ces deux forces nécessaires, direction et encadrement, lui seront spécialement apportées par les familles qui consacrent leurs enfans au drapeau pour la plus grande part de leur vie.

Si ces idées et d’autres du même ordre, que je me propose de développer successivement, étaient accueillies, la France reconnaîtrait que l’énorme organisme militaire dont elle cherche à réunir et à condenser les élémens repose sur des bases absolument insuffisantes. Elle reconnaîtrait notamment qu’un système d’écoles militaires spéciales, bien plus étendu que celui qui pourvoyait aux besoins de l’ancienne armée, l’ensemble couronné par une école supérieure de la guerre, est indispensable à la création et à l’entretien des cadres supérieurs dans la nouvelle armée, — qu’au-dessous de ces centres d’instruction supérieure et secondaire, plusieurs écoles de sous-officiers et plusieurs écoles d’enfans de troupe, en vue d’assurer par des sujets bien préparés le recrutement d’une partie des cadres inférieurs, devront être instituées. J’ai déjà exprimé cette opinion[15] ; j’y insiste aujourd’hui, et j’y reviendrai encore pour exposer les principes et les règles qui doivent présider à la création des nouvelles institutions militaires que je proposerai.

Le jour où ces nombreux établissemens d’éducation professionnelle, auront pris parmi nos institutions militaires la place que leur assignent les exigences de la guerre moderne, tous les efforts des législateurs et des gouvernans devront tendre à en ouvrir l’accès, largement et par privilège spécial, aux familles militaires du haut et du bas de l’échelle sociale (familles des officiers généraux, des officiers supérieurs et inférieurs, des sous-officiers, des soldats). Il ne faut pas oublier en effet qu’il y aura, dans l’armée nouvelle, des familles de sous-officiers à peu près inconnues, des familles de soldats totalement inconnues dans l’ancienne.

Faites des familles militaires, aidez-les, honorez-les. De premiers résultats montreront, sans tarder, l’abondance des sources de force militaire qu’une législation étroite, passionnée pour la théorie politique, inconsciente des intérêts de la défense nationale, dont alors elle ne soupçonnait pas les périls, avait presque taries. Et la France d’aujourd’hui, responsable des maux qui l’accablent, aura racheté une part de ses erreurs et de ses fautes, en préparant, pour les transmettre à la France de l’avenir, les moyens de les réparer.

  1. Ces remaniemens d’une législation récents sont presque inévitables, et il faut se résoudre à les subir. En matière de constitution militaire, c’est la pratique expérimentale, souvent contraire aux promesses de la théorie, qui décide du mérite des solutions adoptées. La Prusse a employé un demi-siècle de paix à porter ses institutions militaires et son armée au degré de perfection où elles sont.
  2. Marmont, Grouchy.
  3. De la Mer du Nord à l’Adriatique.
  4. Le grand ministre Stein, l’initiateur des réformes politiques et administratives qui ont préparé les destinées de la Prusse d’aujourd’hui, combattait avec une ardente énergie l’excès de la centralisation gouvernementale. Il l’appelait la machinerie de l’écritoire. Il écrivait : « J’ai vu tomber une de ces machineries prussiennes, la machinerie militaire, le 14 octobre 1806 (bataille d’Iéna). Peut-être la machinerie de l’écritoire aura-t-elle aussi son 14 octobre ! »
  5. Pour arriver à ce résultat, que les événemens rendaient très pressant, les jeunes soldats prussiens appelés, sous les drapeaux n’y restaient que six mois, bien court noviciat qui ne les empêcha pas de faire dans les campagnes de 1813, 1814 et 1815 l’effort que leur pays, attendait d’eux !
  6. Il va sans dire qu’il ne s’agit ici que des zouaves d’autrefois, dont la participation aux travaux de la conquête algérienne a été considérable et glorieuse, mais qui devinrent avec le temps, en grande majorité, des produits du remplacement. Les zouaves d’aujourd’hui, jeunes et animes de l’esprit nouveau, ont par complément l’esprit de corps resté traditionnel dans ces régimens. Ce sont d’excellentes troupes qui feront revivre à la guerre la renommée de leurs devanciers sans en avoir les défauts.
  7. Annales historiques.
  8. Toutes les fois qu’on occupe partiellement un pays dont la plus grande étendue reste aux mains de la population armée, il faut l’y poursuivre et l’y remplacer pour lui enlever les ressources de l’impôt et du recrutement, à l’aide desquelles elle renouvelle incessamment ses attaques. Il n’est donc pas possible de fixer des limites de convention à la conquête commencée. C’est une loi dont les Anglais dans l’Inde et les Français en Algérie ont fait l’expérience.
  9. Cent vingt-trois hommes.
  10. Les Arabes avaient amené deux pièces d’un modèle étrange. Ils ne savaient pas les servir. L’une d’elles, surchargée, éclata, tuant ou blessant les gens autour d’elle ; l’autre brisa son affût, qui fut remplacé par un tronc de figuier à branches fourchues. Ne pouvant utiliser cette singulière artillerie, ils tentèrent sur un point l’escalade, à défaut d’échelles, avec quelques perches à crochet. Ils auraient fait des pertes énormes dans cette inconcevable entreprise, si les assiégés n’avaient pas eu à ménager leurs cartouches.
  11. Par un revirement de l’opinion, plus facile à expliquer qu’à justifier, à l’engoûment d’autrefois a succédé, dans le public et dans l’armée, l’indifférence pour les efforts des troupes en Afrique ; ils restent cependant très méritoires et du plus haut intérêt. Beaucoup de régimens et de détachemens stationnés au loin sont aux prises, sous un climat très épuisant, avec des difficultés d’existence et de fonctionnement, avec des fatigues qui les entretiennent dans l’action. Les officiers de cette armée, aujourd’hui assujettis aux mêmes études professionnelles que les officiers de l’armée de l’intérieur, sont en outre appliqués ou peuvent s’appliquer à des travaux spéciaux (affaires indigènes, administration coloniale, etc.), qui ouvrent à l’activité de leur esprit un champ très étendu. Enfin, en dehors des cas d’opérations militaires devenus rares, les réunions de troupes pour les manœuvres, où les terrains les plus divers sont à leur libre disposition, ont un intérêt effectif, une réalité qu’elles sont loin de rencontrer en France. Je me persuade que dans les luttes possibles de l’avenir le 19e corps d’armée, transporté sur le théâtre de la guerre, y apparaîtrait comme une réserve d’élite.
  12. Archives de la marine. Colbert, contrôleur général des finances, n’avait joint à ces attributions celles du département de la marine qu’en 1669.
  13. Des adresses parties de l’armée et rendues publiques furent mises sous les yeux de l’empereur à l’occasion de l’attentat d’Orsini. Elles le conviaient à l’invasion de l’Angleterre.
  14. J’étudierai dans la suite de ce travail le mode actuel de constitution et de fonctionnement de nos différentes écoles militaires.
  15. Voyez l’étude sur la Question des sous-officiers dans la Revue du 1er janvier.