Les Imposteurs démasqués et les Usurpateurs punis/Zaga Christ

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ZAGA CHRIST, vers l’an 1632.


Hasse Jacob, roi des Abissins portoit aussi comme les souverains de ce pays, le nom de prêtre Jean ; ayant régné sept ans assez paisiblement, il conçut le dessein d’exterminer les catholiques qui étoient dans son empire. Mais Susméas cousin du roi qui prétendoit à la couronne, & qui favorisoit les chrétiens du rit latin, se servit de cette occasion pour lui déclarer la guerre. Jacob fut blessé dans une bataille donnée en 1618, & mourut quelques jours après ; il laissa deux fils, Côme âgé de 18 ans, & Zaga Christ d’environ 16. Le nom de ce dernier signifie trésor de Christ ; ces deux princes étoient alors dans l’Isle de Meroé, dans la ville d’Aich où l’on éleve ordinairement les fils du roi des Abissins. Voici comme ils en sortirent, suivant les auteurs qui ont écrit leur histoire romanesque.

Nazurena leur mere voulant pourvoir à la sûreté de ses deux enfans, leur donna promptement avis de se retirer chez quelque prince, ami de leur pere, & leur envoya beaucoup d’or & de pierreries pour s’entretenir pendant leur retraite. Le prince Côme qui étoit l’aîné, tourna vers la partie méridionale, du côté du Cap-de-Bonne-Espérance, & l’on ignore ce qu’il devint.

Zaga Christ accompagné d’environ 500 hommes voyagea du côté du nord pour gagner le royaume de Sanar, son patrimoine, & passa par le royaume de Fundi, où régnoit alors un roi Païen nommé Orbat, vassal & tributaire du prêtre Jean. Ce roi reçut avec la plus grande distinction Zaga Christ, & voulut même lui donner sa fille en mariage. Mais le prince refusa sa main, par respect pour son beau nom de trésor de Christ, qui auroit été prophané en couchant avec une princesse Païenne. Le préjugé à part, ce n’est point la différence de religion, mais l’opposition d’humeur & de caractere, qui trouble la douceur du mariage. En Angleterre, & ailleurs on voit tous les jours des catholiques épouser des protestantes, & couler des jours heureux & paisibles.

Orbat indigné de ce refus le retint prisonnier, & depêcha un courrier vers Susneos, qui envoya aussitôt une compagnie de ses gardes pour enlever Zaga Christ. Il choisit pour capitaine de cette compagnie un gentilhomme Venitien, nommé Lombarde, renégat en apparence, mais aussi bon catholique que le pape. Cet officier retarda deux jours l’exécution de sa commission, & fit avertir Zaga Christ par un chrétien Cophte. Ce prince infortuné résolut de passer les déserts de l’Arabie, où 50 de ses gens seulement le suivirent. Il fut volé par un prince Arabe qui lui enleva une partie de son bagage, & plusieurs de ceux qui lui restoient, périrent en chemin.

Lorsqu’il fut arrivé au Caire, les Cophtes lui firent l’accueil qu’ils devoient à un prince de leur secte, & au fils d’un empereur qui avoit perdu la vie & l’empire pour maintenir leur religion. Le bacha même qui commandoit à cette grande ville, & à toute l’Égypte, fit venir Zaga Christ dans son château, & l’y traita avec magnificence pendant quelques jours. Après avoir pris quelque repos, ce prince se remit en chemin, avec quinze de ses plus fideles serviteurs. Les autres avoient manqué de force & de courage pour le suivre. Il étoit accompagné de huit religieux recolets, missionnaires du royaume d’Égypte. Il arriva avec eux à Jerusalem au commencement du carême de l’an 1632, & se retira chez les religieux Abissins.

Dans la semaine sainte il fut curieux d’assister aux cerémonies des Cophtes ; mais comme dans toutes les religions, il y a des fourbes qui ne cherchent qu’à abuser de la crédulité des sots, il apprit d’un prêtre Éthiopien, que le feu qu’on disoit descendre du ciel le samedi saint, se faisoit avec un fusil dans le saint sépulcre ; ce qui l’excita à quitter les erreurs des Abissins, & à embrasser la religion catholique. Il n’en fit pas d’abord profession publique, parce que le gardien des cordeliers craignoit que son changement n’attirât la colere du cadi, & du bacha de Jerusalem contre lui, & contre tous les religieux. Ce pere lui conseilla de sortir secrétement pour être plus en liberté.

Le jour étant pris, il sortit un soir avec trois de ses serviteurs & huit religieux pour aller à Nazareth ; il y arriva le second jeudi après pâques, & y demeura jusqu’au mois de Septembre ; pendant ce tems, il apprit l’italien, & fut reçu à la communion de l’église catholique. Le pape instruit des aventures de ce prince, ordonna au gardien de Jérusalem de le faire partir pour Rome. Lorsqu’il y fut arrivé, le pontife charmé d’avoir un prosélite d’une naissance aussi illustre, lui donna un palais pour son logement, & l’entretint près de deux ans. Le duc de Créqui étoit alors ambassadeur à Rome, il persuada à ce prince de voir la France, & de venir à Paris. Il parut dans cette ville en 1635, & soit qu’on le considérât comme fils du roi d’Éthiopie, ou comme un imposteur, il y excita la curiosité publique.

Après y avoir vécu trois ans, il mourut à Ruel près de Paris, dans la maison de campagne du cardinal de Richelieu. Il n’étoit encore âgé que de vingt-huit ans. Son corps fut enseveli fort honorablement, mais un méchant poète à tous égards publia une épitaphe où il parle de lui comme d’un imposteur.


Zaga Christ publié pour roi d’Éthiopie,
Ayant imbu Paris de ses grands accidens,
Fut cru tant seulement en être la copie,
Et non l’original par les gens de bons sens.