Les Imposteurs démasqués et les Usurpateurs punis/Manahem

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MANAHEM, prétendu roi des Juifs.


Dans les troubles qui agiterent Jérusalem, & qui produisirent enfin son entiere destruction, il s’éleva plusieurs imposteurs : Manahem, fils de Judas Galiléen, fut un des plus célebres. Son pere étoit Sophiste. Du tems de Cyrenius, il avoit voulu persuader aux Juifs de secouer le joug des Romains, pour n’obéir qu’à Dieu, c’est-à-dire, pour n’obéir à personne. Le fils hérita de ses sentimens. Ayant attiré à lui plusieurs personnes de condition, il prit de force Mastada, où étoit l’arsenal du roi Hérode. Après avoir armé un grand nombre de gens que la misere détermine à tout, il choisit pour ses gardes des voleurs qui se joignirent à lui. S’étant mis à la tête de ces brigands, il retourna à Jérusalem avec tout l’appareil de la majesté royale, se rendit chef des rébelles, & ordonna de continuer le siege du haut palais que les Romains occupoient.

Il manquoit de machines, & ne pouvoit venir à la sappe à cause des traits que les assiégés lançoient d’en-haut ; il fut obligé d’avoir recours à une mine. On commença de loin à y travailler ; & lorsqu’elle eut été conduite jusques sous l’une des tours, on en sappa les fondemens, & on la soutint ensuite avec des pieces de bois auxquelles on mit le feu avant que de se retirer. Quand ce bois fut brûlé, la tour tomba ; mais les assiégés ayant prévu ce qui pouvoit arriver, un mur qu’ils avoient bâti avec une extrême diligence surprit & arrêta les assiégeans. Les assiégés ne laisserent pas d’envoyer vers Manahem & les autres chefs de séditieux pour demander de se retirer en sûreté, & ils l’accorderent seulement aux troupes du roi Agrippa & aux Juifs.

Ainsi les Romains demeurerent seuls dans une grande consternation ; ils ne pouvoient espérer de résister à un si grand nombre d’ennemis, & ils croyoient, d’un autre côté, qu’il seroit honteux pour eux de traiter avec des révoltés, & que quand même ils y seroient résolus, ils ne pouvoient se fier à leur parole. Dans cette extrémité, ils prirent le parti d’abandonner le lieu où ils étoient, nommé Stratopedon, parce qu’ils auroient pu aisément y être forcés. Ils se retirerent dans les tours royales, dons l’une portoit le nom d’Hippichos, l’autre, de Phazaël, & la troisieme, de Marianne. Les factieux occuperent aussitôt les lieux abandonnés par les Romains, tuerent ceux qui s’y rencontrèrent, & mirent le feu au Stratopedon.

Le grand sacrificateur qui s’étoit caché dans les égouts du palais, fut pris le lendemain, & tué par ces séditieux, avec Ezéchias, son frere, & ils assiégerent les tours, afin que nul des Romains ne pût s’échapper.

La mort de ce grand sacrificateur, & tant de lieux si bien fortifiés emportés de force, rendirent Manahem si orgueilleux & si insolent, que, ne croyant personne plus capable de gouverner, il devint un tyran insupportable. Alors Eléazar, l’un des principaux du peuple, & quelques autres s’étant assemblés, dirent « qu’après s’être révoltés contre les Romains pour recouvrer leur liberté, il leur seroit honteux de recevoir pour maître un homme de leur propre nation, & sur-tout un homme tel que Manahem, & que s’ils avoient à obéir à quelqu’un, il seroit le dernier qu’ils devoient choisir pour leur commander ». Résolus de secouer le joug de cette nouvelle domination, ils courent aussi-tôt au temple où Manahem, revêtu avec la magnificence d’un roi, & accompagné de plusieurs gens armés, étoit entré en grande pompe pour adorer Dieu. Ils se jettent sur lui, & le peuple prend des pierres pour le lapider, persuadé que sa mort rendroit le calme à la ville.

Ceux qui accompagnoient Manahem firent d’abord quelque résistance ; mais lorsqu’ils voient que tout le peuple s’élévoit contre lui, ils prirent la fuite. On tua ceux qui se laisserent atteindre, & on chercha ceux qui se cachoient ; quelques-uns se sauverent à Massada. Eléazar, parent de Manahem, fut de ce nombre, & ce fut par le moyen de cette place qu’il exerça son tyrannique brigandage.

Quant à Manahem, il fut trouvé dans un lieu nommé Ophlas, où il s’étoit caché. On l’en retira, & on l’exécuta en public, après lui avoir fait souffrir les plus cruels tourmens. On traita avec la même rigueur les principaux chefs de sa rébellion. (Josephe, Hist. des Juifs.}