Les Imposteurs démasqués et les Usurpateurs punis/Le faux Richard


LE FAUX RICHARD, en 1494.


La duchesse douairiere de Bourgogne, appellée la Junon du roi d’Angleterre (parce que sa haine contre lui étoit aussi implacable que celle de Junon contre Énée), ne s’étoit pas rebutée par le mauvais succès du faux Édouard ; elle lui substitua un faux Richard. Son premier soin fut de répandre que Richard, duc d’Yorck, second fils d’Édouard IV, vivoit encore ; qu’il avoit échappé aux mains des bourreaux par la compassion qu’il leur avoit inspirée, & qu’il les avoit même touchés à tel point de les engager à le soustraire à la cruauté de l’usurpateur, en lui aidant à sortir de la tour, & à chercher une retraite. Quand ce bruit fut assez accrédité, elle chercha un sujet propre à jouer le rôle de Richard : il s’en présenta un qui ne lui laissa rien à desirer pour remplir ses vues.

Son âge étoit à-peu-près le même que celui du duc d’Yorck, s’il eût vécu ; la nature avoit formé à son gré ce simulacre de roi ; son visage, sa taille avoient beaucoup de délicatesse ; son maintien noble & distingué prévenoit en sa faveur : on l’aimoit dès qu’on l’avoit vu. La duchesse se persuadoit aisément que ses mœurs, ses manieres persuasives, ses gestes même, étoient très-propres au personnage qu’il devoit jouer ; il avoit une inclination & un goût pour les voyages qui lui rendoient facile la nécessité où il devoit être de changer souvent de demeure. Nul pays ne lui étoit étranger, & nul étranger, long-tems inconnu. On ne sait par quel événement sa mere, quoique Flamande, & d’assez basse condition, étant accouchée de lui à Londres, Édouard IV avoit été son parein, ce qui l’avoit fait souvent appeller, par raillerie, le fils du roi. Il est vraisemblable que s’étant accoutumé à ce nom dès son enfance, il en fut encore plus flatté dans un âge où l’ambition fait apprécier ce beau nom.

Un bourgeois de Tournai, Juif d’extraction, mais converti à la foi chrétienne, nommé Jean Orbec, étoit pere de ce fourbe ; sa mere s’appelloit Catherine de Fare. Leurs affaires les ayant obligés de faire un voyage en Angleterre, ils y eurent l’enfant dont je parle. On l’appella depuis Warbec, apparemment du nom de son pere ; & son nom de baptême, Pierre, le fit nommer tantôt Perkin, tantôt Petrekin, qui en sont des diminutifs. Pendant son enfance, ses parens le ramenerent à Tournai. Peu de tems après, ils l’envoyerent à Anvers, chez un de ses parens. Les voyages qu’il fit d’une ville à l’autre l’accoutumerent à en faire de plus longs ; & le commerce qu’il eut avec quelques négocians Anglois, le mit à même d’apprendre leur langue.

Tel étoit l’état du fameux Perkin, lorsque sa bonne ou mauvaise fortune le fit connoître à la duchesse de Bourgogne, qui ne l’eut pas plutôt connu, qu’elle le jugea propre à son dessein. Elle le retint caché auprès d’elle ; & l’ayant préparé de longue main aux confidences qu’elle avoit envie de lui faire, elle lui parla un jour ainsi :

« Perkin, lui dit-elle, j’ai besoin de vous : c’est pour vous mettre en état de n’avoir plus besoin de personne. Vous avez des talens au-dessus de votre naissance : je veux vous faire une fortune proportionnée à vos talens ; aidez-moi seulement à vous faire une naissance capable d’une haute fortune ; je vous en donnerai les moyens, si vous êtes docile à écouter mes leçons. Vous savez l’aventure de Simnel, qui n’a manqué que d’une victoire, qui balança trois heures de suite entre son ennemi & lui, pour être aujourd’hui roi d’Angleterre. Ayez le courage de tenter si vous ne serez point plus heureux. Vous serez mieux instruit, vous aurez plus de secours, & on ne vous produira qu’à propos : apprenez seulement à parler en roi, j’aurai soin de vous frayer un chemin sûr à la royauté ».

Ce discours fut suffisant pour inspirer à Perkin toute l’ardeur qui animoit la princesse. Il étoit né pour les aventures, & il fut charmé d’une proposition qui le remplissoit de si grandes espérances. Après avoir rendu graces à la duchesse d’avoir jetté les yeux sur lui pour exécuter une si belle entreprise, Marguerite lui développa plus au long son dessein : c’étoit de le faire passer pour le duc d’Yorck, & de le mettre en état, par son crédit, par ses richesses & par ses amis, d’enlever la couronne à Henri. Elle commença par l’instruire de tout ce qu’il devoit savoir & feindre pour tromper le public ; elle lui apprit d’abord à parler en prince affligé & malheureux, qui, malgré les revers de la fortune, ne se laisse point abattre, & qui se plaint sans perdre courage ; elle lui fit connoître avec soin tout ce qui regardoit le duc d’Yorck, la figure, le visage, les traits du roi & de la reine dont il étoit fils, de ses freres même & de ses sœurs, & des domestiques qui avoient eu part à son éducation ; elle ajouta beaucoup de choses publiques & secretes arrivées à ce prince, jusqu’à la mort d’Édouard IV. Plusieurs de ces particularités avoient tout l’air de ces détails minutieux dont les enfans se rappellent, & que d’autres qu’eux oublient facilement. Elle démêla la circonstance de sa retraite dans l’asyle où la reine sa mere l’emporta, & de la maniere dont on l’en tira pour le conduire dans la tour de Londres. Quant à ce qui regardoit sa prison, la mort de son frere, & sa feinte évasion, il ne pouvoit y avoir que peu de personnes qui en eussent connoissance, lesquelles même étoient d’un caractere à être aisément contredites. Elle composa donc une fable d’autant plus vraisemblable, qu’elle étoit moins vraie, & exerça Perkin à la raconter d’un air naturel & touchant, qui en imposoit aux moins crédules. Aux talens qu’il avoit pour bien soutenir un mensonge, il réunissoit au suprême dégré ceux de feindre avec vraisemblance, de parler avec beaucoup de volubilité & de facilité, & de se démêler avec adresse. Ainsi la duchesse vit bien que personne ne pouvoit mieux seconder son dessein, & l’exécuter avec plus de succès.

Quand Perkin eut atteint le point de perfection desiré par la duchesse, il commença à voyager pour jetter les semences de son imposture. Il alla d’abord en Portugal, où il ne fit pas de grands progrès ; mais de-là il passa en Irlande, où il en fit de plus prompts qu’il n’eût osé espérer. Son histoire y trouva tant de croyance, malgré la catastrophe de Simnel, qu’il y fut reconnu, honoré & servi comme un duc d’Yorck. Le bruit de son aventure se répandit en France précisément dans le tems qu’Henri faisoit semblant d’y vouloir porter la guerre.

La conjoncture parut admirable à la duchesse de Bourgogne pour le succès de ses desseins. Elle intrigua à la cour de Charles VII, & un Anglois, nommé Frion, qui avoit trahi la cause de son roi, y fortifia beaucoup ses intrigues ; ils les pousserent si loin l’un & l’autre & en France & en Angleterre, qu’en peu de tems on vit Perkin invité & reçu à la cour de France, sous le nom du duc d’Yorck, quoique personne ne le crût tel ; il fut reconnu de si bonne foi en Angleterre, que Georges de Neville, Jean Tayler & plus de cent personnes avec eux, passerent la mer pour le joindre. La paix des couronnes fit évanouir les espérances que la faction de Perkin avoit fondées sur l’appui de Charles ; Henri ne put à la vérité obtenir de ce prince qu’il le lui mît entre les mains ; mais il fallut que l’imposteur allât chercher un autre théâtre pour jouer le dernier acte de fa comédie.

La cour de la duchesse de Bourgogne étoit pour lui un asyle ouvert : il s’y retira, en demandant la protection de cette princesse, comme s’il ne l’eût jamais connue, & comme l’unique refuge du sang d’Yorck dont il se disoit. La duchesse, de son côté, le questionna publiquement, comme si elle eût craint d’être trompée, & de trouver en Perkin un autre Simnel. Dès qu’elle feignit d’être satisfaite, elle se récria, en rendant graces au ciel du soin qu’il avoit pris de la conservation d’un prince innocent : elle l’embrassa, l’appella son neveu, & lui donna le joli nom de la Rose blanche d’Angleterre, & lui fit de pensions convenables à un si haut rang.

Au bruit que firent cette réception & cette reconnoissance, les factieux de la mer, un peu déconcertés par la paix, reprirent courage, & se confirmerent plus que jamais dans la croyance que Perkin étoit le duc d’Yorck, reconnu, disoient-ils, en Irlande, vendu en France, honoré en Flandre conformément à sa naissance. Henri craignant les suites de cette rebellion, commença à prendre des mesures pour la détruire dans son principe. Il ne crut pas qu’il fût à propos de courir le premier aux armes, ne voulant pas que les factieux s’apperçussent qu’il les craignoit : il fit, par politique, ce qu’ils faisoient par nécessité ; il se cacha pour rendre plus sûrs les moyens qu’il prit pour les perdre ; il en choisit, entr’autres, trois.

Le premier fut de divulguer la mort des enfans d’Édouard IV par ceux mêmes qui en avoient été les ministres. Ce moyen fut peu efficace. Il ne restoit que deux de ces parricides, & ils méritoient peu d’être crus. Le deuxieme eut plus de succès : ce fut de faire faire par-tout, par des émissaires secrets, des informations authentiques sur la naissance, la vie, les aventures de Perkin : il falloit en donner l’histoire au public, non dans des livres, ni dans des actes qui auroient pu être suspects, mais dans des lettres & des nouvelles écrites par des gens apostés, avec une grande affectation d’écrire, sans autre dessein que de mander à leurs amis ce qui piquoit le plus la curiosité.

Cette voie réussit mieux que l’autre ; mais celle qui eut le plus d’effet, fut les espions que le roi commit, soit en Flandre, soit en Angleterre, premiérement pour découvrir ceux qui entroient dans cette cabale, ensuite pour en débaucher quelques-uns qui en savoient le secret, particuliérement Cliford. Il poussa cet artifice si loin, que, pour mieux couvrir la marche de ceux qu’il employoit à ses découvertes, il les faisoit excommunier nommément dans Saint-Paul de Londres avec ses autres ennemis, comme on le pratiquoit alors : abus du glaive de l’église Romaine, dit le P. d’Orléans, dans un roi chrétien, mais beaucoup plus encore dans ceux qui ayant reçu ce glaive en dépôt, s’en permettoient un tel usage.

Quand Henri fut bien instruit de tout, il envoya des ambassadeurs au jeune archiduc Philippe d’Autriche, alors prince des Pays-Bas, pour le prier de réprimer la duchesse douairiere de Bourgogne ; mais ce prince, ou plutôt son conseil, répondit aux ambassadeurs que la duchesse étoit maîtresse de faire ce qui lui plaisoit sur ses terres. Cette réponse n’ayant point satisfait Henri, il tâcha de découvrir chez lui les conspirateurs, & il y réussit. Le supplice de Daubeney, de Ratlif, de Montford, de Fits-Gautier & plus encore que tout cela, celui de Guillaume Stanley, déféré & accusé par Cliford, jetta la consternation dans l’esprit des autres, & en obligea plusieurs à implorer la clémence du roi. Il en usa envers quelques-uns, & envoya Poyning, un de ses officiers, en Irlande, qui y porta le même tempérament de sévérité & d’indulgence. En coupant tant de têtes illustres, Henri ne put empêcher que, de leurs cendres, il ne s’élevât des voix lugubres qui, dans des libelles sanglans, l’accusoient de cruauté, & faisoient des vœux publics pour le faux Richard. La duchesse de Bourgogne jugeant par-là que son imposteur avoit encore des partisans en Angleterre, fut d’avis que le faux duc d’Yorck iroit tenter une descente sur les côtes de la province de Kent.

Cette résolution étant prise, elle leva des troupes composées en grande partie de ces vagabonds qui cherchent à se soustraire à la misere, & à éviter le bras de la justice. Les vaisseaux furent prêts à tems par les soins de l’infatigable duchesse, & l’embarquement assez prompt pour être en mer au mois de juillet. Le trajet ne fut pas moins heureux, & ne dura que le tems ordinaire.

Comme le fourbe étoit circonspect, il n’exposa pas d’abord toutes ses troupes ; il jetta l’ancre à la vue de Sandswik, & mit seulement à terre quelques compagnies pour sonder les esprits, & les exciter à la révolte. Il auroit pu réussir, s’il eût paru à la tête de son armée quelques personnes de considération, & des chefs dont le nom & les qualités guerrieres pussent inspirer de la confiance ; mais le peuple ne voyant dans ces troupes que des gens inconnus, & aussi redoutables à leurs amis qu’à leurs ennemis par leur avidité pour le butin, offrit aux grands seigneurs qui avoient leurs maisons dans ces quartiers-là, de se joindre à eux contre les ennemis du toi.

Les seigneurs voulurent profiter du zele du peuple, & se servir de lui pour attirer Perkin à terre avec le reste de ses soldats. Ils en mirent le plus grand nombre en embuscade, & envoyerent le reste au faux Richard, pour feindre de se joindre à lui, & le tirer hors de ses vaisseaux. L’imposteur eut l’adresse d’observer de son bord ce qui se passoit sur le rivage : ne voyant point dans les troupes qui l’invitoient à descendre ce tumulte qui accompagne presque toujours la rebellion, il se tint sur son vaisseau, & c’est ce qu’il pouvoit faire de mieux. Ceux de ses gens qui étoient descendus furent taillés en pieces, & tous les soldats qu’on prit subirent la punition qu’ils méritoient, & périrent par la corde, comme rebelles.

Perkin n’ayant pas été plus heureux dans une descente qu’il fit en Irlande, résolut de se rendre en Écosse. Jacques IV y régnoit alors : c’étoit un prince sort aimable & fort aimé, qui avoit pour la nation Angloise & pour son roi les yeux & le cœur d’un bon Écossois. Il reçut Perkin avec distinction, & lui fit épouser Catherine de Gourdon, sa parente, jeune demoiselle aussi distinguée par sa beauté & par sa naissance, que par ses richesses & par sa vertu.

Jacques IV & Perkin s’étant étroitement unis par cette alliance, on leva des troupes qui pénétrerent dans la province de Northumberland. À peine Perkin y fut-il entré, qu’il publia, sous le nom de Richard IV, un édit de proscription contre Henri : il y mettoit sa tête à prix, & promettoit de grandes recompenses à ceux qui contribueroient avec lui à chasser du trône le tyran d’Angleterre : c’étoit le nom que ce fourbe téméraire lui donnoit.

Cet édit n’auroit été que ridicule, si une sédition excitée dans la province de Cornouaille, à l’occasion d’un subside qu’exigeoit Henri, ne l’avoit fait valoir. Un serrurier & un docteur en droit se mirent à la tête des mutins, avec le baron Andley. Cette révolte occupa pendant quelque mois les armes de Henri ; mais enfin les trois chefs furent pris & punis de mort. Le roi pardonna aisément au peuple, mettant, dit Bacon, de la différence entre un soulevement que cause la pauvreté, & celui que produit l’esprit de révolte.

La guerre d’Écosse que l’émotion de Cornouaille rendoit assez vive, languit bientôt, quand on apprit cette défaite des mutins. Ferdinand, roi d’Aragon & de Castille, qui vouloit menager les liaisons qu’il prit depuis avec Henri, envoya alors un ambassadeur offrir sa médiation aux deux rois pour la paix ; mais elle fut retardée par la demande d’Henri, qui vouloit que Perkin lui fût livré entre les mains, & qu’il ne put obtenir. Le roi d’Écosse néanmoins ayant engagé l’imposteur à chercher un asyle hors des terres de fa domination, les deux rois furent bientôt de bonne intelligence : on fit une treve, & Perkin fut contraint de se retirer avec sa femme encore une fois chez les Irlandois. Henri venoit d’ailleurs de conclure un traité avec l’archiduc, portant expressément que Perkin ne seroit plus toléré en Flandre, même sur les terres données en douaire à la duchesse de Bourgogne.

Perkin ne pouvoit demeurer en Irlande, alors soumise au roi légitime, qu’errant obscur & inconnu. Cet état d’abandon auroit dû lui faire perdre de vue ses projets ; mais à force de vouloir persuader aux autres qu’il étoit le duc d’Yorck, il sembloit se l’être persuadé à lui-même. La sédition de Cornouaille ayant recommencé, il eut des nouveaux motifs à espérer. Les rebelles députerent à Richard IV (c’étoit le nom que prenoit l’imposteur) ; ils lui persuaderent de passer le détroit qui les séparoit de lui, & de venir se mettre à leur tête. Aussi-tôt qu’il y fut, ils convinrent ensemble de recommencer la guerre civile par quelque conquête importante qui donnât de la réputation à leurs armes, & qui leur servît au besoin de retraite & de place de sûreté. Dans ce dessein, ils assiégerent Excester, & l’attaquerent assez vivement pour le prendre avant qu’Henri fût en état de le secourir, s’ils eussent eu de l’artillerie & un peu plus de discipline ; mais l’un & l’autre leur manquoient. Le roi survint ; il fit lever le siege : Perkin se retira à Taunton. Après avoir employé le jour à se préparer au combat, il se retira durant la nuit dans un asyle du pays ; il abandonna ainsi son armée à elle-même & à la discrétion du roi, qui pardonna encore une fois à cette populace inconsidérée, après en avoir puni quelques-uns.

Henri étoit assez content de tenir Perkin assiégé dans l’asyle où cet imposteur avoit voulu choisir sa retraite. Plusieurs conseillerent au roi de l’en retirer par force, & de lui faire porter sur le champ la peine de ses impostures ; mais le violement de l’asyle paroissant à ce prince circonspect une affaire trop délicate, il prit un parti tout contraire, qui fut d’inviter le coupable de se mettre entre ses mains, en promettant de lui sauver la vie. Perkin accepta la proposition, apparemment parce qu’il n’espéroit rien de mieux, & fut mené dans la tour de Londres.

Sa femme mit le comble à ses vertus par son amour conjugal ; les revers ni les faveurs de la fortune ne l’altérerent jamais, il se soutint toujours avec la même pureté. Le prince ne l’eut pas plutôt vu, qu’il l’aima, mais d’une maniere qui ne blessa pas la vertu. Il la donna à la reine. Ses procédés avec elle furent si respectueux & si pleins de circonspection, que, malgré la malignité des courtisans, & la délicatesse de la reine, la réputation de la fidelle Gourdon sut se préserver des traits de la médisance. Elle eût été aussi heureuse à la cour d’Henri qu’elle méritoit de l’être, si elle eût moins aimé un mari si peu digne de l’être.

La prise de ce téméraire lui avoit donné un chagrin mortel ; sa mort la rendit inconsolable. Cet esprit inquiet s’attira lui-même le supplice que la clémence du roi s’obstinoit à lui épargner. Il s’étoit sauvé de la tour : le roi lui avoit encore pardonné ; mais de pareils excès devoient ensanglanter la scene, & avoir une fin tragique. Perkin ne put s’empêcher de cabaler ; il gagna quatre de ses gardes, qui devoient tuer le gouverneur, se saisir des clefs, ouvrir les portes, donner la liberté à Perkin & au vrai comte de Warwick, qui avoit pris, selon quelques-uns, des liaisons avec lui contre Henri. Cette conjuration découverte, Perkin fut enfin condamné au supplice qu’il avoit tant de fois mérité.

La mort de ce fameux imposteur, arrivée en 1499, n’auroit pas souillé la gloire de Henri, si elle n’eût servi d’occasion à celle du comte de Warwick, reste du sang des Plantagenets, encore précieux à l’Angleterre. Je dis qu’elle lui servit d’occasion : car la vraie cause de cette mort, fut une politique cruelle de ce prince & de son ami Ferdinand, roi d’Aragon, qui, pour marier Catherine, sa fille, à Artus, fils aîné de Henri, fit entendre au monarque Anglois qu’il ne se tiendroit point assuré de marier sa fille à un roi, pendant que ce comte vivroit. Par-là ce prince infortuné fut la victime de ce mariage. Catherine attribua toujours les malheurs qui en furent les suites, au sang du comte de Warwick, qui en avoit souillé les liens.