Les Imposteurs démasqués et les Usurpateurs punis/Le faux Patriarche de Constantinople

◄  Rienzi
Zisca  ►


LE FAUX PATRIARCHE DE CONSTANTINOPLE, vers l’an 1390.


Sil y a des fourbes, qui par de lâches impostures, se sont attribué les dignités séculieres, il y a des scélérats, qui sous le voile de la religion, ont pris le titre des places les plus éminentes de l’Église. Tel étoit un imposteur nommé Paul Tigrin : il étoit né de parens pauvres, dans l’Isle de l’Archipel. Comme il étoit d’un esprit délié, & d’une figure avantageuse, il quitta sa patrie, de concert avec quelques fripons, pour jouer le rôle de patriarche de Constantinople.

Cet imposteur parut sur la scene dans l’Isle de Chipre & sa premiere fonction, fut de couronner le Roi de sa main, qui lui donna 30000 florins d’or. Cet heureux début l’encouragea, on venoit de toutes parts lui demander comme au pape, des graces qu’il accordoit au même prix. Ce manege adroit lui ayant valu beaucoup d’argent, il eut l’impudence de venir à Rome pour jouer le même personnage, mais le pape Urbain VI, plus difficile à tromper que le roi de Chipre, & plus intéressé à ne pas l’être, le soumit à l’examen de quelques voyageurs qui revenoient du Levant, ils lui soutinrent en face, que la même année, ils avoient vu dans la Grece le véritable patriarche de Constantinople. Paul ainsi convaincu d’imposture, fut mis en prison par ordre du pape, qui confisqua le fruit de ses brigandages, & qui le laissa dans les fers pendant tout son pontificat.

Mais au couronnement de Boniface IX, il fut élargi avec les autres prisonniers suivant la coutume. Alors il vint en Savoie, & sachant que le véritable patriarche de Constantinople étoit parent du comte, il alla trouver ce prince en qualité de patriarche. Ce fourbe impudent montra une généalogie, à laquelle le prince fut trompé ; & dans cette confiance, le prétendu patriarche fut fêté, & comblé de présents. Il le fit habiller selon sa dignité, & l’envoya avec douze chevaux à Avignon, le recommandant au pape Clément comme son parent, & patriarche de Constantinople. Clément fut sa dupe ; Paul lui raconta les maux qu’Urbain lui avoit fait souffrir à Rome, & pour se faire un mérite auprès de lui, Je prenois, dit-il, votre parti, & je représentais vivement à Urbain, qu’il étoit obligé en conscience de se démettre des clefs de Saint-Pierre, & à vous reconnoître pour le vrai pape. Clément le combla de générosités. Notre heureux fripon vint ensuite visiter le roi de France, qui le reçut honorablement, & lui fit très-bon visage, pour me servir des termes de l’historien. Le faux patriarche, hypocrite dans l’ame, témoignoit à l’extérieur beaucoup de dévotion, visitant volontiers les églises & les monasteres. Il vint entr’autres à celui de Saint Denis, où il dit à l’abbé & aux moines : « Je sais que vous avez le corps de votre Saint, mais j’en ai encore de belles choses, comme sa ceinture, & plusieurs bons livres qu’on n’a pas dans ce pays ci. Je vous les ferai voir si vous voulez me donner deux de vos religieux ». Le crédule abbé consentit à la demande. Il falloit que cet imposteur fût bien adroit pour duper des moines. Est-il vraisemblable (quelque devotion que ces bons religieux eussent aux reliques de leur saint), qu’ils se fussent décidés à suivre le faux patriarche à Constantinople, s’ils avoient cru n’en rapporter que la ceinture & des livres, qu’on pouvoit bien aisément leur faire passer ?

L’imposteur étant arrivé avec ses compagnons de voyage au lieu où il devoit s’embarquer, n’eut pas l’indiscrétion de les exposer au même danger ; il les laissa au port, après avoir pris à la dérobée ses richesses. Les moines quoique trompés & abusés, s’obstinerent à le suivre : ils allerent à Rome, où l’on apprit que le faux patriarche étoit un imposteur, & qu’il y étoit reconnu depuis long-tems à ce titre. On ignore la fin de cet aventurier, elle fut sans doute conforme à sa vie.

L’imposture de Paul Tigrin s’est renouvellée plus d’une fois, & rien n’étoit plus commun autrefois que de voir des évêques, & des patriarches Grecs, ou du moins des fourbes qui en prenoient le nom, venir sous prétexte de se réunir aux Latins, lever un impôt sur les peuples catholiques. Mais on a été trompé si souvent, qu’il est difficile à présent de faire des dupes. D’ailleurs les Gouvernements étant plus éclairés, on ne permet pas aux charlatans de s’enrichir aux dépens des imbéciles.