Les Imposteurs démasqués et les Usurpateurs punis/Le faux Alexis

Jacob  ►


LE FAUX ALEXIS, vers l’an 1191.


LOrient a produit autant d’imposteurs que l’Occident. Lorsque Isaac l’Ange fut monté sur le trône de Constantinople, plusieurs personnes tenterent de le dépouiller de la pourpre dont sa mollesse & sa cruauté sembloient le rendre indigne. Un certain Alexis, natif de Constantinople, fut un des premiers à tenter ce projet par une fourberie qui n’étoit point nouvelle. Il imagina de se faire passer pour fils de l’empereur Manuel, qui avoit porté le même nom. Il lui ressembloit beaucoup de visage ; ses cheveux étoient blonds, comme ceux du prince, & il bégayoit comme lui. À la faveur de cette ressemblance, étant passé en Asie, il en imposa dans plusieurs villes aux environs du Méandre, & alla représenter au sultan de Cogni qu’ayant été ami de l’empereur Manuel, il ne pouvoit se dispenser de venger les injustices que l’on faisoit à son fils, seul héritier légitime de la couronne.

Le sultan s’informa de l’ambassadeur de Constantinople qui résidoit à sa cour, s’il étoit vrai que ce jeune homme fût fils de Manuel. L’ambassadeur lui répondit qu’il étoit public qu’Alexis, fils unique de Manuel, s’étoit noyé avant la mort de son pere, & que celui qui en prenoit le nom étoit un imposteur. Malgré ce témoignage, le sultan lui donna des lettres, nommées mansour chez les Turcs, par lesquelles il lui permettoit de lever des troupes par-tout où il voudroit, sans néanmoins s’engager de le défendre.

En peu de tems le faux Alexis se vit à la tête de 8000 hommes. Il prit plusieurs villes à composition ; il en emporta d’autres par force, & répandit au loin la terreur par les ravages & les violences qu’il exerça par-tout où il trouva de la résistance. Alexis, frere de l’empereur, qui monta depuis sur le trône, ne jugea pas à propos d’en venir aux mains avec lui ; il se contenta de retenir dans l’obéissance ceux qui ne s’en étoient pas écartés. Un prêtre d’Asie, indigné contre ce rebelle qui pilloit les églises, sans aucun égard pour la sainteté du lieu, se crut destiné à terminer cette guerre civile. Il attendit ce faux Alexis au sortir d’un grand repas où il avoit pris du vin avec excès, se saisit de son épée, & la lui plongea dans le cœur. Ainsi finit la révolte, l’an 1191, graces au zele pieux de ce prêtre.