Les Imposteurs démasqués et les Usurpateurs punis/Le comte d’Attholes

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LE COMTE D’ATTHOLES


On peut comparer l’histoire d’Écosse à ces peintures effrayantes qui ne représentent que des morts & des blessés ; on ne peut la parcourir sans y voir des meurtres & des traces de sang ; celui même des rois, quoique sacré, n’a pas été respecté. Il est bien singulier qu’une couronne si petite (si l’on peut parler ainsi) ait occasionné tant de factions, & qu’elle ait été souillée si souvent de la mort de ceux qui l’ont portée.

Celle de Jacques I fut des plus tragiques ; le siecle d’Œdipe & d’Atrée ne nous fournissent pas d’exemples de cruauté semblables.

Le comte d’Attholes, tourmenté du démon de l’ambition, & de ce desir de régner qui ose tout, jusqu’aux parricides, conspira contre le roi Jacques, son neveu ; & comme il ne pouvoit le déposséder que par la mort, il résolut de la lui donner, pour usurper la couronne. Toujours opiniâtre dans cette criante injustice, il ne cherche qu’à corrompre de sujets fideles, & à trouver des gens déterminés pour exécuter son entreprise. Au jour assigné, un valet-de-chambre du roi les introduit, & leur montre la porte sans défense. Ce traître gagné par le comte, avoit ôté les serrures pour laisser l’entrée libre à son corrupteur & à ceux de son parti.

Tout étoit prêt pour cette cruelle exécution, le moment du dernier acte approchoit ; mais un officier qui découvrit les conjurés, & qui vouloit rentrer dans la chambre du roi, d’où il venoit de sortir, attira sur lui les premiers coups, & fut la victime de leur fureur. Au bruit de ce premier assassinat, Catherine Duglas, qui étoit au service de la reine, court à la porte, mais elle la trouva sans résistance. Pressée de son courage & de la nécessité, qui fait arme de tout, elle met le bras à la place du verrouil, que le perfide valet-de-chambre avoit enlevé ; mais la foible défense que leur opposa la fidelle Duglas fut repoussée au premier effort : on la jetta par terre, & ces monstres eurent la cruauté de lui passer sur le corps. Après toutes ces horreurs, ils entrerent avec autant de fureur que de précipitation chez le roi, qui étoit seul avec la reine.

Cette illustre princesse ne s’effraya point à la lueur des armes, quoique déja teintes de sang, & fumantes encore du meurtre qui venoit d’être fait à la porte. Elle s’avança devant son mari avec un courage & une fermeté héroïques, & lui fit une garde de fa personne ; mais la partie étoit trop foible ; & la fidélité abandonnée & sans armes, pouvoit-elle résister à la foule, & vaincre la fureur armée ?

Le roi étant renversé par terre, la reine se jette sur lui, le couvre de son corps, pour n’avoir pas la douleur de survivre à son mari, & pour recevoir la premiere le coup de la mort. Son sexe ne fut point respecté ; ces barbares insensibles à tant de vertus, lui porterent deux coups sur le corps du roi, & l’en arracherent enfin avec violence. Ce prince infortuné rendit les derniers soupirs dans les larmes & dans le sang de son illustre épouse. L’auteur de cet exécrable parricide, & ceux de son parti, furent bientôt punis du dernier supplice : il semble que la justice divine le réclamoit, & qu’elle avoit ouï la voix de ce sang qui demandoit vengeance contre eux. Le genre de mort ne fut pas le même : chacun subit celle qui étoit proportionnée au crime, & le peuple, par ces différens exemples, eut tout le loisir de s’instruire, & de s’occuper de leur juste punition. Le détestable comte d’Attholes fut réservé pour le dernier acte de cette sanglante tragédie, qui dura trois jours. Chaque jour il parut exposé en public avec le triste appareil qui est analogue au crime. On inventa un nouveau genre de supplice : on employa, pour lui donner la torture, différentes machines qui inspiroient la terreur, & qui lui préparoient, par gradations, une mort aussi violente que cruelle. On mit sur la tête de ce parricide une couronne de fer ardent, ce qui vérifia malheureusement, & dans un sens opposé, la vaine prédiction d’une femme, qui l’avoit assuré qu’il seroit un jour couronné solemnellement, & devant une grande assemblée de peuple. Cet exemple frappant doit désabuser les gens crédules, & leur prouver, en même tems combien il est dangereux d’hasarder des crimes & des attentats sur les promesses d’un donneur de bonne aventure.