Les Imposteurs démasqués et les Usurpateurs punis/Avertissement

Amulius  ►


AVERTISSEMENT.

Troubler l’ordre de la société, prophaner la religion, & la faisant servir à des vues de rapine & de cupidité, s’écarter de tous les liens qui caractérisent l’honnête-homme & le bon citoyen ; abuser d’une puissance passagere & usurpée pour se familiariser avec le crime, & se porter à des cruautés inouies, & souvent peu vraisemblables : tels ont été la plupart de ces fourbes audacieux dont nous donnons l’histoire au public.

Le funeste desir de régner par des voies illégitimes a été dans tous les tems la source de l’imposture & du crime ; c’est d’une ambition démesurée que naissent presque toujours injustice & les plus horribles attentats. Il faut que tout cede à cette passion violente ; le poison, le fer, les droits de la nature violés (ce n’est point trop dire, on en jugera d’après ces exemples), servent tour-à-tour d’instrument à sa cruauté.

Tous ceux qui ont osé envahir le trône sans avoir le droit d’y monter, ont employé différentes ruses pour parvenir à leurs fins ; les uns, sous le voile spécieux de la religion, n’ont cherché qu’à masquer les artifices de la politique ; les autres, pour fasciner l’esprit d’un peuple crédule & simple, ont eu recours à tout ce qui peut nourrir la superstition. Tout est prestige pour les sots. La plupart de ces imposteurs n’étoient que trop convaincus de cette vérité : voilà pourquoi on a regardé si souvent comme des miracles ce qu’on ne devoit attribuer qu’à des effets très-naturels.

On ne verra point sans surprise dans l’histoire des faux Messies, des faux Prophetes, jusqu’à quel point ces charlatans en ont imposé ; on regardoit ces visionnaires comme des hommes inspirés de Dieu, & ils profitoient du pouvoir étrange qu’ils avoient sur les esprits, pour se soustraire aux loix, pour exciter des séditions, ou pour déposséder les vrais & légitimes héritiers du trône. Rien de si ordinaire pour les imposteurs Juifs que de ressusciter des morts, donner la santé aux malades, faire ouvrir les prisons, se rendre invisibles, diviser les eaux de la mer comme des autres Moïses. À la faveur de ces prétendus prodiges, le vulgaire stupide leur rendoit hommage, & se croyoit trop heureux lorsque la divinité vouloit bien leur faire la grâce d’accepter leurs offrandes.

Ne passons pas sous silence ceux qui, sur une ressemblance de figure seulement (quoique nés dans la plus vile condition) ont voulu ressusciter des princes morts sur le champ de bataille. Ce qu’il y a de bien singulier, c’est que les imposteurs de cette espèce ont presque tous réussi dans leurs desseins, & qu’ils ont eu l’art de persuader à la plus grande partie, le peuple, qu’ils étoient les successeurs de la couronne ; mais le tems & l’incapacité de gouverner démasquoient ces fourbes qu’on faisoit périr du dernier supplice. Ceux même qui les avoient reçus avec des transports de joie & des acclamations réitérées, les maltraitoient le plus cruellement dès qu’ils avoient reconnu le mensonge & l’audace.

On ne sauroit employer trop de célérité pour s’opposer aux désordres & aux excès de ceux qui veulent se soustraire à l’autorité souveraine. Des circonstances malheureuses, le fanatisme des peuples, l’attrait de la nouveauté, les injustices de la politique qui a soutenu quelquefois, & prêté des secours à un brigand au préjudice d’un légitime possesseur de la couronne, ont souvent empêché qu’on éteignît le feu de la révolte dans son principe. Voilà la source de tant de crimes & de cruautés ; voilà la cause de tant de sang répandu, de pillages, de concussions & de rapines. Pourquoi chercher à secouer le joug sous lequel on doit plier (si toutefois c’en est un) lorsqu’on est gouverné par un prince juste, & qui est jaloux de faire le bonheur de ses sujets ? Il n’est rien de plus doux & de moins pénible que d’obéir à un bon roi, & de se soumettre à lui. C’est d’après ce principe que les François ont toujours été les plus fideles à leurs souverains, & qu’ils sacrifieroient leurs vies pour défendre celle du prince qui les rend heureux.

La modération des desirs est au moral ce qu’une bonne constitution est au physique. Pour pouvoir être heureux, il faut savoir se restreindre dans les bornes de son état. Quand on sort des limites que la raison, le devoir & les loix nous prescrivent, on s’attire des peines & des malheurs proportionnés aux desseins ambitieux qui nous font agir. Icare n’eût pas été précipité dans les flots, s’il n’avoit eu la folle manie de vouloir regarder de trop près l’astre qui nous éclaire.

Qu’il est glorieux de régner, lorsque les droits de la naissance & l’amour du peuple appellent un souverain au trône ! Qu’il est doux de se reposer sur la tendresse & sur le cœur de ses sujets, pour assurer les forces de son autorité ! Pourroit-on s’imaginer que, sans ces prérogatives, il y ait eu des hommes assez hardis & assez téméraires pour oser entreprendre de vouloir envahir le rang suprême ? Ces insensés, à qui l’ambition fascinoit les yeux, ne connoissoient pas le poids d’une couronne, sur-tout lorsqu’on veut l’obtenir par la voie du crime & de l’usurpation, c’est-à-dire, lorsqu’on s’en rend indigne par d’exécrables forfaits. Peut-on jouir en paix & sans remords de ce qu’on acquiert par la violence & la force ? Celui qui se voit dépouillé n’a-t-il pas toujours le droit de se plaindre, & d’employer toutes ses forces pour rentrer dans son héritage, & pour en chasser celui qui a voulu le lui ravir ? Il n’est malheureusement que trop vrai qu’une politique injuste emploie souvent la loi du plus fort, qu’elle est sourde aux cris & aux plaintes, & qu’elle se familiarise avec cet axiome : Possideo quia possideo.

Sous un roi juste & équitable, si tous les hommes soumis à ses loix suivoient son exemple, & étoient animés des mêmes principes qui le dirigent dans l’amour du bien public, il n’y auroit personne de mécontent ; on ne connoîtroit pas ces sombres esprits, ces censeurs extravagants, qui osent fronder les vues d’un sage ministere, & qui ne sont capables de rien. Nous observons néanmoins avec regret, & à la honte de ceux qui n’ont pas su apprécier le meilleur des rois, qu’il fut longtems en butte aux traits de la plus noire calomnie, lui qui étoit l’appui & le pere de son peuple, lui qui sacrifioit son repos pour le rendre heureux. La jalousie de ses rivaux avoit armé contre lui des hommes qui auroient dû prêcher la douceur & la paix, & qui néanmoins, par un zele mal entendu, ou pour faire oublier leur obscurité, osoient outrager les actions du modèle des rois. Mais que la postérité fait bien le dédommager de ces injures passageres ! Les noms de ses ennemis seront à jamais en horreur, & sa mémoire sera éternellement chere à tous les bons François ! Ils regretteroient encore plus vivement le grand Henri, s’il ne revivoit, pour le bonheur de la nation, dans l’auguste Personne de Louis XVI.

L’histoire particuliere de chacun de ces fourbes mettra le lecteur à portée de distinguer les simples rebelles qui ont mis leurs desseins à découvert, de ceux qui ont usurpé le trône par la force & la violence.

La plupart des livres aujourd’hui sont plus agréables qu’utiles ; on diroit qu’on est plus jaloux de s’amuser que de s’instruire. Il est néanmoins bien essentiel de réunir ces deux avantages précieux, & nous osons dire que nous y avons réussi dans l’heureux choix du sujet que nous avons traité ; on y trouvera tout l’intérêt du roman : aucun de ces ouvrages éphémeres ne fournit des événemens si variés, des circonstances si singulieres, & un si grand fonds d’intrigue, d’astuce, de souplesse & de duplicité. La vérité de l’histoire donne un nouveau prix à tout ce que nous avançons dans ce recueil : c’est d’après les meilleurs historiens que nous parlons.

Nous avons abrégé la matiere autant qu’il nous a été possible, persuadés qu’on doit éviter avec soin l’ennui des lectures inutiles.