Les Imposteurs démasqués et les Usurpateurs punis/Andriscus


ANDRISCUS, 152 ans avant Jesus-Christ


Quiconque a lu l’histoire Romaine, connoît le nom & les actions de Persée, roi de Macédoine, mené à Rome en triomphe par Paul Émile. Ce Prince infortuné mourut dans les fers, après avoir orné les chars de son vainqueur. Quinze ou seize ans après sa mort, un homme de la lie du peuple, nommé Andriscus, né à Adramyte, ville de Troade, eut le front de se donner pour son fils. Il prit le nom de Philippe, & entra en Macédoine, dans l’espérance de s’y faire reconnoître roi. Cet imposteur voulant s’attirer de la considération, avoit composé sur sa naissance une fable qu’il débitoit par-tout avec l’air de la vérité. Il prétendoit qu’il étoit né d’une concubine de Persée, & que ce prince l’avoit fait élever secrétement à Adramyte, afin qu’il pût rester un rejetton de la race royale, en cas qu’il succombât à la guerre que les Romains lui avoient déclarée. Il ajoutoit qu’après la mort de Persée, il avoit été nourri & élevé à Adramyte jusqu’à l’âge de douze ans ; que celui qui passoit pour son pere se voyant près de mourir, avoit révélé le secret à sa femme, & lui avoit confié un écrit signé de la main de Persée, qui attestoit son origine, & qui devoit lui être remis lorsqu’il seroit en âge de sentir cette noble fierté, le partage de ceux qui sont nés près du trône ; que son mari l’ayant conjuré de tenir la chose absolument cachée jusques-là, elle avoit été très-fidelle à garder le secret, en le pressant de sortir du pays avant que ce bruit fût parvenu aux oreilles d’Eumene, ennemi déclaré de Persée, de peur qu’il ne le fît mourir.

Andriscus persuadé qu’on ajouteroit foi à son roman, & ressemblant d’ailleurs beaucoup à Persée par la figure & par la taille, s’imaginoit de trouver des esprits crédules, & exciter dans la Macédoine une grande révolution en sa faveur. Quand il vit que tout y demeuroit tranquille, il se retira en Syrie chez Demetrius Soter, dont la sœur avoit épousé Persée. Ce prince reconnut tout d’un coup le fourbe, il le fit arrêter, & l’envoya à Rome. Comme il ne produisoit aucune preuve de son illustre origine, & que son extérieur & ses manieres démentoient les prétentions de son rang, le sénat le crut plus ridicule que redoutable, & le traita avec beaucoup de mépris. On se mit peu en peine de le garder exactement, & de le tenir resserré de fort près : il profita de la négligence de ses gardes, & s’échappa de Rome.

Ce prétendu fils de Persée ayant trouvé le moyen de lever une armée assez considérable chez les Thraces, qui voulurent bien le croire pour pouvoir se délivrer du joug des Romains, il se rendit maître de la Macédoine, de gré ou de force, il prit les marques de la dignité royale. Non-content de cette premiere conquête, qui lui avoit peu coûté, il attaque la Thessalie, & en soumet une partie à ses loix.

La chose pour lors commença à paroître plus sérieuse aux Romains ; ils nommerent Scipion Nasica pour aller appaiser ce tumulte dans sa naissance. Ce général, non moins habile négociateur que guerrier intrépide, avoit l’art de manier les esprits, & de les ramener à la persuasion ; & si cette révolution devoit être terminée par les armes, il étoit très-capable de former un projet avec sagesse, & de l’exécuter avec courage. Dès qu’il fut arrivé en Grece, & qu’il eut été exactement instruit des affaires dans la Macédoine & dans la Thessalie, il en donna avis au sénat ; il parcourut ensuite les villes des alliés, afin de lever promptement des troupes pour la défense de la Thessalie. Les Achéens, alors le peuple le plus puissant de la Grece, furent ceux qui lui en fournirent le plus grand nombre. Avec ce secours, il enleva bientôt au faux Philippe toutes les villes qu’il avoit prises dans la Thessalie, en chassa les garnisons, & les repoussa lui-même dans la Macédoine.

Cependant à Rome on vit bien, sur les lettres de Scipion, que la Macédoine avoit besoin d’un prompt secours ; le prêteur P. Juventius Thalna eut ordre d’y passer au plutôt avec une armée. Il s’y rendit ; mais ne regardant Andriscus que comme un roi de théâtre, il ne crut pas devoir prendre de grandes précautions. Il s’engagea témérairement dans un combat où il perdit la vie avec une partie de son armée ; le reste ne se sauva qu’à la faveur de la nuit, avec la honte d’avoir été vaincu par l’objet de leur mépris.

Le vainqueur enorgueilli par cet heureux succès, & croyant son autorité suffisamment établie, suivit les mouvemens de son cœur corrompu. Tour-à-tour méchant, avare, fier & cruel, on le vit bientôt se souiller de meurtres, de violences, de confiscations de biens. Profitant de la terreur que la défaite des Romains avoit jettée dans les esprits, il recouvra tout ce qu’il avoit perdu en Thessalie. Une ambassade que les Carthaginois, qui étoient alors attaqués par les Romains, lui envoyerent, avec promesse d’un prompt secours, lui enfla extrêmement le courage, & ne fit qu’augmenter ses excès.

Q. Cecilius Metellus, nommé récemment prêteur, avoit pris la place de Juventius : Andriscus avoit résolu d’aller à sa rencontre, mais il ne crut pas devoir s’éloigner beaucoup de la mer. Il s’arrêta à Pydna, où il fortifia son camp : le prêteur Romain l’y suivit bientôt : les deux armées étoient en présence : il y avoit tous les jours des escarmouches. Andriscus remporta un avantage assez considérable dans un petit combat de cavalerie : le moindre succès aveugle un général peu expérimenté dans l’art de la guerre, & le moindre revers l’abbat. Andriscus, dis-je, se croyant très-supérieur aux Romains, affoiblit son armée par un gros détachement qu’il envoya pour défendre ses conquêtes en Italie. Ce fut une faute grossiere ; & Metellus qui étoit attentif à tout, ne manqua pas d’en profiter.

L’armée restée en Macédoine fut battue, & Andriscus obligé de prendre la fuite. Il s’étoit retiré chez les Thraces, d’où il revint bientôt avec une nouvelle armée. Il eut la témérité de hasarder une seconde bataille, qui fut encore moins heureuse pour lui que la premiere. Il y eut dans ces deux combats plus de 25,000 hommes de tués ; il ne manquoit à la gloire du général Romain que de se saisir d’Andriscus, qui s’étoit réfugié chez un petit roi de Thrace, à la bonne foi duquel il s’étoit abandonné : mais chez les Thraces tout cédoit à l’intérêt. Celui-ci remit son hôte & son suppliant entre les mains de Metellus, pour se rendre les Romains favorables. Il fut envoyé à Rome, où il orna le triomphe de Metellus.

Un autre aventurier, qui se disoit aussi fils de Persée, & qui se faisoit nommer Alexandre, eut le même sort que le premier ; mais Metellus ne put l’arrêter ; il s’étoit retiré dans la Dardanie, où il s’étoit caché, & où l’on ne put le découvrir.

Ce fut pour lors que la Macédoine fut entiérement soumise aux Romains, & réduite en province.

Un troisieme usurpateur, quelques années après, parut encore sur les rangs, & se donna pour fils de Persée, sous le nom de Philippe. Sa prétendue royauté fut de peu de durée : il fut vaincu & tué en Macédoine par Trémelius, surnommé Scrofa, parce qu’il avoit dit qu’il dissiperoit les ennemis, ut Scrofa Porcos. (Rollin, Hist. anc.)