Les Hypothèses cosmogoniques/Chapitre IV

Gauthier-Villars (p. 35-61).

CHAPITRE IV.

EXAMEN DES OBJECTIONS FAITES À L’HYPOTHÈSE DE LAPLACE.


J’arrive maintenant à l’examen des objections qui ont été faites à l’hypothèse cosmogonique de Laplace.

1o  La formation des anneaux, tels que les suppose Laplace, est impossible.

2o  Ces anneaux ne pourraient donner naissance qu’à une multitude de planètes très petites, qui rempliraient toute l’étendue de la nébuleuse primitive, et non à de grosses planètes, séparées par des intervalles vides.

3o  Les planètes nées de ces anneaux devraient avoir un mouvement de rotation rétrograde.

4o  Le premier satellite de Mars et les anneaux intérieurs de Saturne sont plus proches de leurs planètes et tournent plus vite que ne le permet l’hypothèse de Laplace.

5o  Les mouvements des satellites d’Uranus et de Neptune sont rétrogrades, ainsi que très probablement les rotations de ces planètes.


1o  Impossibilité de la formation d’anneaux séparés. — Si l’on suppose la nébuleuse primitive homogène et restant homogène pendant sa contraction, sa période de rotation, d’abord excessivement lente, diminue, suivant la loi des aires, comme le carré du rayon. Si donc elle était de 164,6 années, durée de la révolution de Neptune, lorsqu’elle remplissait l’orbite de cette planète, elle aurait été réduite à 67 ans au moment de sa contraction dans l’orbite d’Uranus, à 16,7 années lorsqu’elle serait diminuée au rayon de l’orbite de Saturne, à 4,94 années pour le rayon de celle de Jupiter, et enfin à 0j,0014 pour le rayon du globe du Soleil actuel. Telles devraient être aussi les durées de révolution des planètes et de rotation du Soleil. De plus, ce dernier ne serait pas un globe presque sphérique, mais un ellipsoïde très fortement aplati. Enfin, dans cette hypothèse, la pesanteur à l’équateur de la nébuleuse, une fois devenue égale à la force centrifuge, lui reste constamment inférieure pendant la contraction ultérieure ; d’où un abandon continu de matière, et non une formation d’anneaux indépendants.

La nébuleuse primitive doit donc être considérée tout autrement ; et Laplace, en effet, a toujours supposé en son centre un globe de densité relativement considérable, sur la surface duquel venait peu à peu se précipiter la matière atmosphérique, de manière à augmenter lentement la rapidité de son mouvement de rotation. Le frottement de ce globe contre l’atmosphère et les frottements intérieurs des couches de celle-ci maintenaient d’ailleurs l’uniformité du mouvement angulaire dans toute l’étendue de la nébuleuse, et par réaction empêchaient aussi le globe du Soleil de tourner aussi vite que l’auraient exigé sa propre contraction et la précipitation de matière à sa surface. La nébuleuse forme ainsi une véritable atmosphère de forme ellipsoïdale, dont l’aplatissement ne peut dépasser une limite déterminée, où le rapport des axes est celui de deux à trois (Laplace, Méc. céleste, Liv. III, Chap. VII).

Si nous adoptons l’idée actuelle de la nébuleuse solaire, nous devons supposer que, dès l’origine, les matériaux les plus denses se sont condensés vers le centre, et y ont produit une sorte de noyau qui a joué le rôle que Laplace attribuait au globe même du Soleil. Par une analyse fondée sur d’ingénieuses suppositions, M. Trowbridge a cherché à calculer la loi de variation de densité à l’intérieur du sphéroïde solaire, pendant la formation des anneaux planétaires. Il a trouvé les valeurs suivantes du rayon principal de gyration de ce sphéroïde aux époques de formation des neuf planètes, les astéroïdes étant comptés comme la cinquième à partir du Soleil :

Milles.
Mercure ....... 468 900
Vénus ....... 749 300
Terre ....... 955 500
Mars ....... 1 311 000
Astéroïdes ....... 2 216 000
Jupiter ....... 3 292 000
Saturne ....... 5 186 000
Uranus ....... 8 759 000
Neptune ....... 12 260 000
Rayon actuel du Soleil 441 000

Ces valeurs montrent que, déjà au moment de la formation de l’anneau de Neptune, le sphéroïde solaire était très condensé vers le centre ; et que probablement plus de la moitié de la masse était en dedans de l’orbite actuelle de la Terre, et la plus grande partie de cette moitié en dedans de l’orbite de Mercure. La densité des régions équatoriales, immédiatement avant l’abandon de l’anneau de Neptune, ne devait être, d’après M. Trowbridge, qu’un demi-millionième de la densité des couches situées au voisinage de l’orbite actuelle de Mercure [Trowbridge, On the nebular hypothesis, (Silliman’s amer. Journal of Science, 2e  série, t. XXXVIII, p. 344 à 360 ; 1864)]. Nous retrouvons donc l’hypothèse de La place, un noyau central de densité relativement considérable, entouré d’une atmosphère extrêmement raréfiée[1].

Mais cela ne suffit pas encore. D’après Laplace, les planètes sont actuellement aux distances mêmes où se sont détachés les anneaux. Il faudrait donc qu’après la formation du premier anneau, celui de Neptune par exemple, la nébuleuse se fût contractée, sans nouvelle perte de matière, jusqu’à l’orbite d’Uranus, c’est-à-dire à un rayon à peu près moitié. Pourquoi un pareil état d’équilibre, persistant pendant de longues périodes, séparées par un brusque renversement du rapport de la gravité à la force centrifuge ?

Il est bien clair qu’une loi quelconque de la variation de densité de la nébuleuse du centre à la circonférence, si elle reste la même pendant la contraction, ne peut donner lieu à de telles alternatives. M. Faye a démontré en effet (Comptes rendus, t. XC, p. 570 ; 1880) que dans de telles conditions une nébuleuse à condensation centrale, où l’on suppose un décroissement des densités aussi rapide que l’on voudra, n’aurait jamais abandonné la moindre parcelle de sa masse en se contractant. M. Kirkwood (Monthly Notices of the R. A. S., t. XXIX, p. 96) considère les choses autrement et fait voir que l’équilibre, une fois troublé, n’a pas dû se rétablir ; et que, par suite, une continuelle succession d’anneaux étroits ont dû se détacher très proche les uns des autres ; telle est aussi la conséquence du mode de contraction indiqué par M. S. Newcomb (voir plus haut, p. 588). Ainsi, ou pas d’anneaux, ou un abandon continu de matière, formant des anneaux très voisins, desquels résulteront, non pas de grosses planètes séparées par des intervalles vides, mais des corpuscules planétaires remplissant tout l’espace circomsolaire ; telle est la conséquence d’une contraction lente et régulière de la nébuleuse primitive.

M. Roche est le seul, je crois, qui ait cherché à rendre compte des ruptures brusques d’équilibre à des moments déterminés, séparés les uns des autres par de longues périodes de repos, telles que l’exige l’hypothèse de Laplace (Roche, Essai sur la constitution du système solaire ; Montpellier, 1873). Il est nécessaire d’entrer ici dans quelques détails sur ce travail très original, parce que nous aurons souvent à y revenir dans la suite de cette discussion.

M. Roche admet l’idée fondamentale de Laplace, le Soleil primitif entouré à grande distance d’une atmosphère très légère, tournant avec la même vitesse que le globe central. Cette atmosphère est soumise aux lois que M. Roche a étudiées, d’une façon spéciale, dans son Mémoire sur la figure des atmosphères des corps célestes [Mémoires de l’Académie de Montpellier, t. II, p. 399 (1854), et t. V, p. 263 (1862)]. Les couches de niveau sont de révolution Figure des atmosphères des corps célestes, d’après Roche. autour de l’axe de rotation, aplaties aux pôles, et l’aplatissement croît avec la distance au centre. La surface libre est la plus grande des surfaces de niveau, qui enveloppent le noyau sans sortir de la surface limite LL : celle-ci est définie par la condition qu’en un point quelconque la force centrifuge y fait équilibre à la pesanteur. Le fait nouveau découvert par M. Roche est l’existence à l’équateur, sur la courbe génératrice de la surface libre, d’un point double A, où les deux tangentes font entre elles un angle de 120°. En tournant autour de l’axe, cette courbe engendre une surface qui offre elle-même une arête saillante, tout le long de l’équateur : c’est la ligne de jonction de la partie fermée de la surface libre, avec ses deux nappes illimitées. Au delà, la surface de niveau n’est plus fermée, elle s’ouvre à l’équateur et se développe suivant deux nappes indéfinies.

Lorsque, par suite de la contraction, la vitesse de rotation augmente, la surface limite LL se rapproche en L′L′ ; la matière comprise entre L′ et L cesse donc d’appartenir à l’atmosphère du Soleil. De plus, pour que la surface libre prenne la forme de la surface de niveau passant par A′, il faut qu’une autre portion de matière abandonne aussi le Soleil : c’est celle qui est comprise entre la surface B′A′, la surface BA et la surface limite L′L′ ; elle coule tout le long des surfaces de niveau du pôle vers l’équateur et se déverse suivant l’arête saillante.

De toute cette matière, toute molécule qui auparavant décrivait un grand cercle continue à le suivre avec la même vitesse, « parce que sa force centrifuge est exactement balancée par la pesanteur ». On a donc : 4π²a/ = M/a², a désignant le rayon décrit par la molécule, T la durée de sa révolution. Chacune d’elles se meut donc suivant les lois de Kepler, et leur ensemble constitue un anneau de Laplace. Nous verrons plus tard ce qu’il doit devenir.

Mais la matière qui descend des pôles vers l’équateur n’a qu’une vitesse linéaire moindre que celle de l’équateur, d’autant plus faible qu’elle descend de plus haut. Chaque particule commence donc à se mouvoir tangentiellement à l’équateur, en décrivant dans le plan de l’équateur une ellipse autour du centre O du Soleil comme foyer, ellipse d’autant plus allongée que la vitesse propre de la particule est plus faible. Si donc nous considérons l’atmosphère solaire comme extrêmement légère, cette particule y rentrera et y décrira son ellipse propre. L’ensemble des particules parties du point A avec la même vitesse tangentielle décrivent la même ellipse et constituent une traînée elliptique. Chaque point de l’équateur est l’origine de pareilles traînées. M. Roche montre ensuite comment, de ces diverses traînées, les plus profondes étant annulées par la résistance du milieu, la matière qui les forme tombe sur le Soleil ; tandis que les plus extérieures, dont la vitesse tangentielle diffère peu de la vitesse équatoriale, forment un anneau circulaire qui tourne à l’intérieur, très près de l’équateur, avec la même vitesse que l’atmosphère. Si celle-ci est extrêmement raréfiée, les traînées elliptiques se convertissent en un anneau intérieur plus rapproché du centre.

L’existence de ces anneaux intérieurs constitue le point le plus original des développements apportés par M. Roche à l’idée primitive de Laplace et servira à expliquer plusieurs points importants de l’histoire des satellites et de la rotation du Soleil actuel. Il ne faut pas oublier que tout l’édifice de M. Roche, comme celui de Laplace, repose sur l’existence, au milieu de la nébuleuse, d’une condensation centrale, dont l’attraction l’emporte énormément sur celle de son atmosphère.

Il faut maintenant expliquer comment a pu se produire, dans la contraction de la nébuleuse solaire, la série des alternatives a > L et a < L, qui seule a pu donner naissance à des planètes séparées par des intervalles vides. L est le rayon de la surface limite, a le rayon équatorial de l’atmosphère.

M. Roche rend compte de ces alternatives en remarquant que la contraction de la nébuleuse et la variation de sa vitesse de rotation résultent de deux causes, le refroidissement par la surface et la condensation par précipitation de la matière vers le centre. Soit à un certain moment L = a. Si alors la précipitation vers le centre devient très active pour la matière située vers ce centre, L devient moindre que a ; car le moment d’inertie du système diminue, la vitesse de rotation augmente, sans que a ou l’étendue de l’atmosphère varie sensiblement. Une couche superficielle est donc abandonnée. Mais sa disparition favorise le refroidissement de la nouvelle surface libre, sans diminuer L, puisque la masse abandonnée est très faible. Le rayon équatorial diminue et rentre en deçà de L, l’équilibre se rétablit et la formation des anneaux cesse brusquement. Les alternatives résultent ainsi de ce que la condensation de la matière a lieu, tantôt au centre, tantôt à la surface.

La formation des traînées elliptiques favorise ces alternatives. En effet, la matière qui rentre dans l’atmosphère se rapprochant du centre, le moment d’inertie diminue, la vitesse augmente, L diminue et peut devenir moindre que a. Mais il faut remarquer que, dans ce procédé de condensation, c’est le centre de la nébuleuse qui commence à tourner plus vite ; la communication du mouvement se fait progressivement du centre vers l’extérieur ; donc L, après avoir diminué rapidement, devient presque constant. Le refroidissement diminue alors progressivement a, qui devient à son tour moindre que L, et la formation des anneaux cesse jusqu’à ce que la vitesse de rotation se soit uniformisée. Alors L diminue brusquement et un nouvel anneau se détache.

On peut donc admettre que le refroidissement se fait d’une façon à fort peu près continue, tandis que la distance au centre de la surface limite varie par saccades. De cette hypothèse résulte une loi très curieuse des époques auxquelles se sont formées les planètes. En effet, d’une part, la loi de Bode exprime les distances réelles D des planètes au Soleil par la formule

D = A + Ban,

n recevant des valeurs entières successives. Ces valeurs de D sont aussi celles de la limite L, au moment où cesse de se former un anneau, c’est-à-dire celles qui correspondent à L = a. D’autre part, la loi de Dulong appliquée au refroidissement d’une masse gazeuse donne pour son rayon a, en fonction du temps, l’expression

a = A1 + B1e−rt.

L’égalité L = a exige donc que

A + Ban = A1 + B1e−rt.

Et, comme les planètes se sont formées à des distances telles que n soit représenté par la série des nombres entiers, il faut aussi que les époques t de leur formation ou de l’abandon des anneaux forment une progression arithmétique. La loi de Bode revient donc dans l’hypothèse de Laplace à celle-ci : les planètes se sont formées à des époques également espacées dans le temps[2].


2o  Impossibilité de la formation de grosses planètes aux dépens des anneaux. — La formation d’une planète de grande dimension exige, d’après Laplace, la réunion en une seule masse des petites masses sphéroïdiques dans lesquelles l’anneau a dû se rompre peu de temps après sa formation. Cette réunion résulterait de la prépondérance d’une de ces masses par rapport aux autres, et de la petite différence de leurs périodes de révolution. M. Kirkwood a fait remarquer (Proceedings of the Amer. Phil. Society, avril 1880 et The Observatory, t. III, p. 409) que cette réunion exigerait un temps énorme, incompatible avec la formation ultérieure des satellites. « Deux portions de l’anneau neptunien placées de part et d’autre du Soleil ne produiraient aucune perturbation sensible sur leur mouvement relatif. Bien plus, si les fragments de l’anneau étaient distribués, le long de l’orbite, à peu près uniformément, leurs actions perturbatrices se détruiraient à très peu près les unes les autres. » On ne peut donc invoquer, en faveur de la réunion des portions un peu éloignées, que la différence de leurs vitesses de révolution. Or, « si l’on considère deux fragments A et B de l’anneau de Neptune, distants de 180° en longitude, et dont les moyennes distances au Soleil différeraient de 1 000 milles, il est aisé de montrer que la différence des vitesses angulaires qui en résulterait ne pourrait les réunir en un même noyau qu’au bout de 150 millions d’années ». Mais il faudrait qu’au bout de ce temps et après la formation complète de Neptune, celui-ci fût encore nébuleux pour donner naissance à son satellite d’après les idées de Laplace. Donc de ce chef et considérant aussi les données de la thermodynamique sur l’âge du système planétaire, la formation d’une grande planète aux dépens d’un anneau est impossible.

Cette objection est capitale. Mais il faut remarquer qu’elle s’applique à tout système qui fera naître les planètes de la condensation d’anneaux, extérieurs ou intérieurs à la nébuleuse solaire. Je ne crois pas qu’il y ait été donné de réponse satisfaisante. Si l’on admet l’origine annulaire des planètes, il faut admettre en outre l’existence, dans chaque anneau, d’un centre de condensation autour duquel s’est immédiatement réunie la plus grande partie de sa matière, au moment même de la rupture ou auparavant, le reste n’ayant donné naissance qu’à de la poussière de planètes. Dans l’expérience de Plateau, on voit bien un anneau se résoudre le plus souvent en un petit nombre de musses considérables, quelquefois en une seule accompagnée de très petits globules ; mais il existe dans le liquide une force de cohésion dont nulle trace ne se retrouve dans la nébulosité annulaire de Laplace. Il faut avouer d’ailleurs que les suppositions par lesquelles on a essayé de remplacer les anneaux de Laplace ne sont pas fort heureuses. M. Kirkwood (Proceedings of the Amer. Phil. Society, avril 1880 ; The Observatory, t. III, p. 446) admet que « chaque planète, à l’origine, s’est séparée d’un arc très limité de la protubérance équatoriale ; ou, en d’autres termes, qu’au lieu de produire un anneau, la force centrifuge a produit une rupture au point de moindre résistance dans la zone équatoriale… Par suite de cette séparation, la tendance à la dislocation le long de l’équateur s’est calmée pour un temps, et l’ellipticité du sphéroïde a été diminuée. Une condensation ultérieure accroît de nouveau la force centrifuge, jusqu’à ce qu’il en résulte une nouvelle rupture ou projection de matière. «

M. Kirkwood assimile cette projection aux éruptions d’hydrogène incandescent qui ont produit l’éclat temporaire de l’étoile de la Couronne en 1867 ; mais il est difficile de comprendre le rapport qui peut exister entre la nébuleuse solaire et une étoile déjà probablement encroûtée. Il semble que le hasard joue un trop grand rôle dans l’hypothèse de M. Kirkwood, pour qu’on puisse la placer à la base de la cosmogonie des planètes, dont l’harmonie actuelle ne peut être le résultat que d’un jeu de forces parfaitement régulier.

De quelque manière que se soit produite la nébuleuse planétaire, il n’est nullement certain qu’elle puisse subsister d’une manière durable. Il faut pour cela qu’elle satisfasse à certaines conditions qui ont été étudiées d’abord par M. Roche [Mémoire sur la figure d’une masse fluide soumise à l’attraction d’un point éloigné (Mém. de l’Acad. de Montpellier, années 1849, 1850 et 1851, t. I, p. 243 et 333 ; t. II, p. 21)], puis par M. Vaughan (Phil. Mag., nov. 1860). M. Roche a déduit de son analyse des résultats curieux.

La nébuleuse planétaire à son origine n’est pas un noyau entouré d’une atmosphère ; il faut plutôt l’assimiler à une masse fluide sensiblement homogène ; celle-ci est animée d’un mouvement lent de rotation, et soumise à l’attraction du noyau central de la nébuleuse solaire. Elle s’allonge donc sous la forme d’un ellipsoïde à axes inégaux, dont le plus grand est constamment dirigé suivant le rayon vecteur. De là une tendance à tourner constamment vers le Soleil les mêmes points de sa surface et, par suite, égalité de durée des mouvements de rotation et de révolution, qui a dû se rencontrer chez toutes les planètes dans la première phase de leur existence. C’est là, nous l’allons voir, un point d’une extrême importance.

La condensation de la nébuleuse continuant sous l’influence du refroidissement et de la gravité intérieure, l’attraction solaire, sensiblement proportionnelle au volume de la nébuleuse homogène, diminue et devient insuffisante à maintenir l’égalité des deux mouvements. La vitesse de rotation augmente, et, si la distance au Soleil est suffisamment grande, la nébuleuse planétaire prend la même forme que la nébuleuse solaire, celle d’un sphéroïde aplati, avec une marée solaire en plus.

M. Roche démontre que, pour que la nébuleuse planétaire sous son premier état puisse persister, il faut que le rapport

U = M/ρa³,

dans lequel M est la masse du corps troublant, a la distance des deux astres, et ρ la densité du fluide, soit inférieur à une certaine limite dont il donne la valeur numérique. Or la fonction M/ρa³ a varié sans cesse pendant la formation du système planétaire. En effet, a diminue depuis la planète la plus éloignée jusqu’à la plus voisine du Soleil, et ρ a très probablement augmenté. Si la nébuleuse solaire s’était conservée homogène pendant la contraction du système, ρ eût varié en raison inverse du volume et le produit ρa³ fût demeuré constant. Mais nous avons admis forcément la préexistence d’une forte condensation centrale ; l’accroissement de ρ est donc plus grand vers le centre qu’à la périphérie : donc ρa³ diminue à la surface extérieure de la nébuleuse. Ainsi il arrivera que, pour une zone abandonnée et pour la nébuleuse planétaire qui en dérive, U sera une fonction croissante qui pourra atteindre et dépasser la limite où l’équilibre cesse d’exister. À partir de là, l’existence de la planète sous forme ellipsoïdale devient impossible.

Or notre système planétaire semble porter aujourd’hui la trace d’un pareil trouble. Les quatre planètes les plus éloignées sont très grosses et de très faible densité, les quatre autres plus petites et beaucoup plus denses. La matière de la nébuleuse qui a formé les unes et les autres a donc dû à un certain moment subir une modification profonde, qui nous est révélée d’une autre façon par l’existence de l’anneau d’astéroïdes compris entre Mars et Jupiter. La matière extérieure de la nébuleuse restant la même, le rapport U allait en croissant et, après la formation de Jupiter, s’est trouvé trop grand pour qu’une nébulosité ait pu subsister sous forme permanente. Dès lors la substance de l’anneau correspondant, au lieu de s’agglomérer en un grand sphéroïde, a dû se résoudre en nébulosités partielles, se mouvant et se condensant isolément. Le refroidissement rapide de ces petites masses leur a donné bien vite une densité suffisante pour que la fonction U devînt inférieure à la limite voulue ; elles ont pris une figure d’équilibre et sont devenues des planètes télescopiques. Mais, pour qu’après elles, aient pu apparaître de nouvelles planètes de grande dimension, il a fallu qu’il survînt dans la nébuleuse solaire un changement de densité, peut-être même de nature, suffisant pour que U retombât au dessous de la limite voulue : de là des planètes de densité quatre à cinq fois plus grande que celle des planètes extérieures à l’anneau des astéroïdes.

M. Roche montre ensuite que cette différence des densités est également liée à la différence des durées de rotation ; mais cette considération m’éloignerait de mon sujet actuel, et je renverrai le lecteur au Mémoire même de notre savant auteur.


3o  Les planètes nées des anneaux de Laplace devraient avoir un mouvement de rotation rétrograde. — Cette objection a été surtout mise en valeur par M. Faye, et il importe de la discuter avec soin, d’autant plus qu’elle a été déduite des expressions mêmes employées par Laplace, pour montrer comment le mouvement de rotation a pu être direct.

« Laplace supposait, dit M. Faye[3], que, dans les anneaux nébuleux dérivés du Soleil, …, le frottement des diverses couches concentriques aurait opéré comme dans l’atmosphère d’une planète, laquelle finit par tourner tout d’une pièce avec le globe central. De la sorte, les couches marginales extérieures auraient eu des vitesses linéaires, supérieures à celles des couches plus rapprochées du centre, et la condensation de l’anneau aurait donné lieu à des satellites directs (et à une rotation directe de la planète). Il est facile de montrer que cette manière de voir n’est pas tout à fait exacte (comme preuve de fait, il suffira de citer les anneaux de Saturne). Les couches d’une atmosphère pèsent les unes sur les autres ; de plus, les couches extérieures ne résistent que par leur inertie à la communication du mouvement rotatoire, qui tend à s’établir entre le globe central et les couches extrêmes de son atmosphère. Mais, dans un anneau nébuleux, les couches concentriques ne pèsent pas les unes sur les autres comme dans une atmosphère, car elles circulent chacune en vertu de la vitesse propre à sa distance au Soleil. De plus, le retard des couches situées près du bord extérieur sur les couches, internes ne tient pas à leur inertie, mais aux lois mêmes de leur mouvement. Si donc le système solaire avait été formé conformément à l’hypothèse de notre grand géomètre, toutes les planètes circuleraient bien autour du Soleil dans le sens direct, mais leurs rotations et leurs satellites seraient rétrogrades ». « Dès lors, ajoute M. Faye, l’hypothèse cosmogonique de Laplace, fondée sur une erreur de théorie mise en pleine évidence par les faits, est inacceptable » (Sur l’Origine du Monde, p. 135).

L’objection de M. Faye peut paraître légitime, appliquée aux anneaux tels que les conçoit Laplace. Pour lui, les zones de vapeurs, successivement abandonnées, forment les anneaux par leur condensation et l’attraction mutuelle de leurs molécules. Chaque zone a donc bien sa vitesse linéaire propre, moindre pour les plus extérieures, plus grande pour les intérieures. Laplace admet que, lorsqu’elles se réunissent pour former un anneau, ces zones égalisent en même temps leurs vitesses angulaires, par le frottement mutuel de leurs molécules.

C’est cette égalisation que M. Faye ne veut pas admettre, parce que les diverses couches ne pressent pas les unes sur les autres. Cependant, dès que l’on suppose avec Laplace que l’attraction mutuelle de leurs molécules suffit pour constituer un anneau par la réunion de plusieurs zones, il semble difficile de se refuser à croire qu’elle ne puisse suffire, aidée des frottements intérieurs, à produire et maintenir l’égalité de vitesse angulaire. Ainsi considérée, l’objection de M. Faye reviendrait à dire que des anneaux capables de former une planète ne peuvent se former par la réuniion de matières successivement abandonnées par la nébuleuse solaire, et rentrerait ainsi dans le premier cas que nous avons examiné.

M. Hirn (Mémoire sur les conditions d’équilibre et sur la nature probable des anneaux de Saturne, p. 31) a précisément étudié les conditions d’existence d’un anneau fluide, tel que ceux de Laplace. Il montre que si, dans un tel anneau, chaque nappe cylindrique a eu, à l’origine, une vitesse différente, correspondant à sa distance à l’axe de rotation, ce fait n’a aucun caractère de durée. Toutes les nappes, quelque fluides qu’on suppose les parties de l’anneau, frotteraient les unes contre les autres, en raison de leur différence de vitesse ; leur vitesse absolue tendrait donc à se partager, leur vitesse angulaire tendrait à s’égaliser, et cet effet se produirait réellement en un temps plus ou moins court, dont la durée dépendrait de la nature de fluidité de l’anneau. Le résultat final, et relativement rapide, serait une même vitesse angulaire commune à toutes les parties, et une élévation de température qui serait fonction de la somme de force vive perdue par les parties de l’anneau. Cette égalité de vitesse ne pourrait d’ailleurs elle-même être que passagère ; c’est pourquoi M. Hirn regarde les anneaux de Saturne comme formés d’une foule de petits satellites. Nous retenons seulement ici ce point qu’à un certain moment, précédant sa rupture, l’anneau tournait tout d’une pièce, et que, par suite, les sphéroïdes, dans lesquels il a pu se décomposer, ont dû tourner sur eux-mêmes dans le sens même de leur révolution.

Si l’on conçoit les anneaux planétaires à la manière de M. Roche, comme résultant d’un retrait brusque de la surface limite, toute la matière ainsi séparée d’un seul coup continue à tourner d’une seule pièce avec la vitesse que possédait chaque molécule, quand elle faisait partie de l’atmosphère solaire. Les couches extérieures sont donc animées d’une vitesse linéaire plus grande que celle des couches intérieures, et la planète qui résultera de la rupture de l’anneau sera elle-même animée d’un mouvement de rotation directe. Il semble même ici que la rupture de l’anneau nébuleux devra être la conséquence de la tendance de chaque molécule à circuler isolément, suivant les lois de Kepler, autour du centre de la nébuleuse solaire. Si je ne me trompe, les remarques de M. Hirn et l’ingénieuse explication de la formation des anneaux que nous devons à M. Roche font disparaître entièrement l’objection de M. Faye.

Mais on peut aller plus loin. Admettons avec M. Faye que la nébuleuse planétaire, formée par la condensation de l’anneau, ait eu à l’origine un mouvement de rotation rétrograde ; ce mouvement ne pourra persister. En effet, dans la première période de son existence, cette nébuleuse, sous l’action attractive de la masse centrale, est soumise à une puissante marée qui l’allonge en forme d’ellipsoïde dont le grand axe est constamment dirigé vers le centre du système. De là, au bout d’un temps relativement court, l’établissement d’une égalité parfaite entre les durées des mouvements de révolution et de rotation, et par conséquent déjà une rotation directe. Par le progrès de la condensation, la vitesse de rotation augmente et la marée diminue. Mais, au moment où l’égalité cesse, la vitesse orbitale des parties les plus extérieures est plus grande, et la vitesse orbitale des parties intérieures moindre que celle du centre de la nébuleuse planétaire. Le sens du mouvement de rotation est donc nécessairement direct, qu’elles qu’aient été les conditions primitives. Cette remarque importante, dont j’emprunte le principe à M. Roche et à M. Daniel Kirkwood [On certain harmonies of the solar system (Silliman’s Amer. Journal of Science and Arts, 2e  série, t. XXXVIII, p. 3)], s’applique certainement aux planètes les plus voisines du Soleil. Tout au plus pourrait-on en contester l’exactitude quant aux planètes très éloignées, comme Uranus et Neptune. Cette dernière pourrait donc avoir, même dans l’hypothèse de Laplace, en admettant l’objection de M. Faye, un mouvement rétrograde : c’est là un point important, sur lequel nous aurons à revenir. Mais, pour les planètes moins éloignées du Soleil, l’objection de M. Faye me paraît complètement écartée ; quel qu’ait été à l’origine le sens de la rotation de la nébulosité, la planète qui en est sortie a nécessairement, une fois formée, la rotation directe[4].


4o  Plusieurs satellites sont à des distances de leur planète incompatibles avec l’hypothèse de Laplace. — Telle est la Lune, dont la distance à la Terre est plus grande que n’a pu être le rayon de l’atmosphère terrestre, à l’époque de sa formation ; tels sont, à l’opposé, le premier satellite de Mars et l’anneau intérieur de Saturne, dont la durée de révolution est moindre que la durée actuelle de rotation de la planète.

La formation des satellites est indiquée en quelques lignes dans le texte de Laplace ; il ne pouvait d’ailleurs se préoccuper d’exceptions peu ou point connues de son temps. Cependant j’ai déjà fait remarquer (p. 26) qu’il avait indiqué, à propos des satellites de Jupiter, une cause d’altération de la vitesse d’un satellite, qui a pu en réduire l’orbite et l’amener en deçà de la limite posée par le principe même de l’abandon des anneaux. Mais une analyse plus complète des phénomènes est nécessaire ; nous la devons encore à M. Roche [Essai sur la constitution du système solaire ; Remarques sur les satellites de Mars (Mémoires de l’Académie de Montpellier, 1877, t. IX, p. 123)], et, bien qu’elle n’explique pas encore tous les cas d’une façon entièrement satisfaisante, je vais la résumer brièvement.

Les satellites n’ont pas pu se former pendant la période primitive de la nébuleuse planétaire : celle-ci s’allonge dans le sens du rayon vecteur, la durée de sa rotation reste égale à la durée de sa révolution, la limite L reste invariable, et par suite il n’y a pas abandon d’anneaux. On peut déjà conclure de là que les satellites existants n’ont pas de satellites de second ordre, puisqu’ils ont conservé l’égalité des durées de rotation et de révolution. Ce fait tient : 1o  à ce que ces satellites sont bien plus voisins de leur planète que celle-ci ne l’est du Soleil ; 2o  à ce qu’ils ne se sont formés qu’aux dépens de la planète déjà très avancée en condensation, et qu’ils ont eu ainsi dès l’origine une densité considérable. Ainsi le rayon actuel du premier satellite de Jupiter est le 1/4 de l’atmosphère initiale de ce satellite, le rayon de la Lune le 1/36, tandis que la nébuleuse terrestre s’est contractée à un rayon qui n’est que le 1/230 de son rayon initial.

Durant la deuxième période de sa condensation, la nébuleuse planélaire tourne sur elle-même dans un temps moindre que celui de sa révolution ; mais elle est toujours soumise à une forte marée solaire, sous l’influence de laquelle l’abandon de matière s’effectue, comme pour les comètes, par les deux extrémités opposées du grand axe, qui varie sans cesse de position dans l’espace et par rapport à la planète. Il n’y a donc pas encore d’anneau régulier et par suite point de satellites.

La production d’un tel anneau ne peut commencer que lorsque, par l’accroissement de la densité, la marée solaire est devenue assez faible, et le noyau intérieur déjà assez dense, pour que la nébuleuse soit assimilable à la nébuleuse solaire elle-même. M. Roche calcule qu’au moment de la formation des satellites extérieurs, les allongements devaient être pour la Terre 0,0677, pour Jupiter 0,0039, pour Saturne 0,0074 et pour Uranus 0,035.

Il suit de là que les planètes les plus rapprochées du Soleil, étant soumises à une marée plus forte, n’ont pu donner naissance à leurs satellites que plus tard et à une moindre distance s’ils se sont formés normalement. La Lune étant très loin de la Terre, des circonstances exceptionnelles ont dû présider à sa naissance.

Déjà cette grande distance a été présentée comme une objection à l’hypothèse de Laplace, la nébulosité terrestre n’ayant pu s’étendre, dit-on, à l’époque où s’est formée la Lune, à 60 fois le rayon actuel de la Terre. La limite de cette nébulosité est, à toute époque, le point où la force centrifuge combinée avec l’attraction solaire fait équilibre à l’attraction terrestre. Cet énoncé de Laplace, appliqué dans le sens rigoureux de ses termes, montre qu’à l’époque où la rotation de la nébuleuse s’effectuait en 27j,3, durée de la révolution de la Lune, l’atmosphère terrestre ne s’étendait qu’aux trois quarts de la distance de la Terre à la Lune.

M. Roche a fait remarquer, en 1851 [Note sur la théorie des atmosphères (Procès-verbaux de l’Acad. de Montpellier) ; Mémoire sur la figure des atmosphères des corps célestes (Acad. de Montpellier, t. II, p. 399)], qu’il faut appliquer, dans le calcul de cette limite, non pas l’attraction absolue vers le Soleil, mais, comme dans le calcul des marées, l’attraction relative, c’est-à-dire la différence entre l’attraction exercée sur une molécule de l’atmosphère et celle qui s’exerce sur le centre de la Terre. On trouve ainsi qu’à l’époque indiquée, le grand axe de la nébuleuse terrestre atteignait précisément la valeur de 60 rayons terrestres actuels.

Mais cette nébuleuse avait la forme d’un ellipsoïde dont les trois axes étaient entre eux comme les nombres 60, 56 et 40, le plus grand étant constamment dirigé vers le Soleil. Dans ces conditions, il n’est pas d’anneau extérieur possible.

M. Roche suppose donc que la formation de la Lune est due à la matière qui, abandonnée à l’extrémité du grand axe avec une vitesse insuffisante, est rentrée déjà refroidie dans l’intérieur de la nébuleuse et y est devenue le noyau d’une condensation progressive. Cet amas participe, dès le début, à la circulation du fluide atmosphérique dans lequel il nageait, pour ainsi dire ; il a dû en même temps prendre et conserver un mouvement de rotation égal à son mouvement de translation, autour d’un axe parallèle à l’axe de rotation de la Terre. Sa densité augmente peu à peu, en même temps que celle du fluide environnant diminue ; et lorsque, dans le mouvement de retrait du système, la limite L est atteinte, le noyau se détache et continue son mouvement en toute liberté.

M. Roche fait remarquer que ces déductions de sa théorie sont d’accord avec les conclusions d’un savant Mémoire publié en 1869 par M. Ch. Simon [Mémoire sur la rotation de La Lune (Annales de l’École Normale, 1re  série, t. VI)]. De l’étude du mouvement actuel de rotation de la Lune, cet auteur a déduit que l’abandon de ce satellite a dû se produire au moment de l’une des syzygies et au voisinage de l’un des solstices. C’est aussi ce qui a dû se passer dans l’hypothèse de M. Roche. Cette même hypothèse rend également compte de la grande excentricité de l’orbite lunaire (p. 57 à 59 de l’Essai sur l’origine du système solaire).

La formation des anneaux intérieurs par la rencontre des traînées elliptiques, si heureusement ajoutés aux anneaux extérieurs de Laplace, lève immédiatement la difficulté relative au premier satellite de Mars, qui tourne plus vite que la planète et à une distance à laquelle un anneau de Laplace n’aurait pu se former. Un anneau intérieur ne peut d’ailleurs se former et subsister que dans un atmosphère très raréfiée. Phobos est donc d’origine relativement récente, et sa naissance ne remonte qu’à une époque où le noyau de Mars était déjà fortement condensé.

Des circonstances toutes semblables ont pu présider à la formation des anneaux de Saturne ; M. Roche a fait remarquer, en 1855 [Note sur la loi de Bode (Procès-verbaux de l’Académie de Montpellier)], que ces anneaux se trouvent en partie au dehors et en partie en dedans de la limite équatoriale actuelle de l’atmosphère théorique de Saturne. Cette limite est à deux rayons de la planète, ce qui correspond à peu près au milieu de l’anneau principal ou à la séparation de Cassini. Il faut donc admettre ou que ces anneaux, s’étant formés à l’extérieur de la limite 2r, ont diminué de rayon jusqu’à pénétrer en dedans, ou qu’ils se sont réellement formés, partie à l’extérieur, partie à l’intérieur de cette limite, dans la région qu’ils occupent encore.

Le rétrécissement d’un anneau n’est pas chose impossible et, d’après M. Hirn, est même une conséquence nécessaire de la nature fluide d’un anneau (Mémoire sur les anneaux de Saturne, 1872). L’autre explication est également acceptable, la production d’anneaux intérieurs étant, comme l’a montré M. Hoche, une conséquence directe de la théorie cosmogonique de Laplace. L’objection est donc complètement levée.

Mais une autre difficulté se présente. Pourquoi la nébulosité de l’anneau ne s’est-elle pas agglomérée en un sphéroïde pareil à tous les satellites ? Quelle est la constitution de l’anneau persistant ? Comment peut-il durer à une si petite distance de la planète, et combien de temps durera-t-il ? La solution complète de tous ces points a été donnée par les travaux de M. Roche [Mémoire sur la figure d’une masse fluide soumise à l’attraction d’un point éloigné (Comptes rendus de l’Académie des Sciences, 18 juin 1849)], de M. Vaughan (Phil. Mag., décembre 1860) et de M. Hirn dans son Mémoire sur les anneaux de Saturne. Les anneaux n’ont pu s’agglomérer en un satellite, parce que, au-dessous de la limite 2r,44 de la planète, l’action de celle-ci produirait sur un satellite nébuleux, de même densité que la planète, des marées incompatibles avec une forme permanente d’équilibre. Mais M. Hirn a fait voir que des anneaux fluides, gazeux ou liquides, n’auraient pu subsister et se seraient rapidement rétrécis jusqu’à tomber sur la planète. Un anneau solide est impossible, parce qu’il lui faudrait attribuer une cohésion incomparablement plus forte que celle d’aucun des corps que nous connaissons. M. Clerk Maxwell (Monthly Notices, 1859) et M. Hirn ont donc été conduits à considérer les anneaux comme formés de corpuscules très petits, circulant autour de Saturne chacun avec la vitesse qui convient à sa distance à la planète, et M. Hirn a donné (p. 45 du Mémoire cité) de très intéressants détails sur le mode possible de production de pareils anneaux pulvérulents. « Leur présence, dit-il, tout exceptionnelle aujourd’hui dans notre monde planétaire, dépend de ce fait, que, pour que leur formation et surtout leur durée devinssent possibles, il fallait que l’anneau primitif fût d’une composition chimique à la fois très simple, mais particulière, capable de donner lieu à des fragments solides, isolés les uns des autres. » Un anneau de composition chimique très complexe a dû au contraire se rompre et ses parties se réunir en sphéroïdes de grandes dimensions. Ces idées de M. Hirn, absolument en accord avec celles de M. Roche, ont jeté un grand jour sur le mode de formation des planètes aux dépens des anneaux de Laplace. Il est très curieux aussi de retrouver dans les anneaux de Saturne un phénomène tout semblable à celui qui a produit, en vertu des mêmes causes, l’anneau des planètes télescopiques autour du Soleil.

M. Kirkwood a fait remarquer un autre genre d’analogie entre ces deux systèmes d’astéroïdes. De même que l’anneau de Saturne est séparé en plusieurs zones, de même, en rangeant les petites planètes par ordre de distance au Soleil, on trouve qu’elles s’agglomèrent en zones séparées par de larges intervalles vides. Comme l’a montré plus tard M. Proctor, ces vides, reconnus lorsque le nombre des planètes déjà trouvées n’excédait pas une centaine, n’ont pas été comblés par la découverte ultérieure de plus de cent trente nouveaux astéroïdes : ils semblent donc être dus à une cause naturelle. Or ces hiatus se rapportent précisément aux distances telles que, s’il y avait là une planète, la durée de sa révolution serait en rapport simple avec celle de la révolution de Jupiter. Ils correspondent donc aux points où le mouvement d’une planète subirait, de la part de Jupiter, les plus fortes perturbations. Il en est exactement de même pour l’anneau de Saturne : la division de Cassini occupe l’espace dans lequel les périodes des satellites seraient commensurables avec celles des quatre satellites de Saturne les plus voisins, Dioné, Encelade, Mimas et Téthys. De même donc que la puissante attraction de Jupiter produit les vides observés dans la zone des astéroïdes, de même l’influence perturbatrice des satellites intérieurs de Saturne est la cause physique de l’intervalle permanent entre les deux grands anneaux [Kirkwood, On the Nebular hypothesis and the approximate commensurability of the planetary periods (Monthly Notices, XXXIX, 1868, p. 96. Sidereal Messenger, 21 février 1884). Proctor, Intellectual Observer, t. IV, p. 22. Meyer, Astronomische Nachrichten, no 2527].


5o  Les mouvements des satellites de Neptune et d’Uranus sont rétrogrades, et aussi très probablement les mouvements de rotation de ces planètes. — Cette objection à l’hypothèse de Laplace est considérée par M. Faye comme si importante[5], qu’il en a déduit une théorie nouvelle de la formation des planètes sur laquelle nous aurons à revenir bientôt. Il est donc nécessaire d’en bien apprécier la valeur.

Laplace n’ignorait point que les satellites d’Uranus ne tournent pas comme ceux des autres planètes : « Il paraît, dit-il, d’après les observations d’Herschel, qu’ils se meuvent tous sur un même plan presque perpendiculaire à celui de l’orbite de la planète, ce qui indique évidemment une position semblable dans le plan de son équateur. » (Exposition du système du Monde, t. II, p. 121.) Si donc il ne s’est pas laissé arrêter par une circonstance si exceptionnelle, s’il n’en a même pas parlé dans l’exposition, longuement méditée, de son système cosmogonique, c’est qu’il a considère ce fait comme étranger à l’origine même d’Uranus et comme devant être expliqué par des causes agissant postérieurement à la naissance de la planète. En effet, de quelque manière que l’on conçoive la nébuleuse primitive, dès que les mouvements des planètes résultent du mouvement de rotation de cette nébuleuse autour d’un axe, ces mouvements s’exécutent nécessairement, à l’origine, dans le plan équatorial de la nébuleuse. Que la nébuleuse tourne tout d’une pièce avec une même vitesse angulaire de ses particules, ou que, suivant la conception de M. Faye, que j’exposerai plus loin, la vitesse linéaire de ces particules aille d’abord en croissant avec la distance au centre pour décroître ensuite, les orbites des planètes et leurs équateurs sont nécessairement au premier moment compris dans le plan général de la rotation. Directe ou rétrograde, la rotation d’Uranus s’effectuait autour d’un axe perpendiculaire à ce plan, et il faut expliquer comment la planète a pu culbuter ensuite, de manière à coucher son axe dans le plan de son orbite. Ramenée à ces termes, la question se généralise d’une singulière façon ; car il n’y a aujourd’hui qu’une seule planète, Jupiter, qui ait conservé la perpendicularité de son axe au plan de son orbite. Les inclinaisons des équateurs sont pour les autres planètes très différentes de zéro. En voici le Tableau ; j’y joins les inclinaisons des plans des satellites :

Équateur Satellites
° °
Mercure ...... 70,00 »
Vénus ...... 49,48 »
Terre ...... 23,27 005,08
Mars ...... 24,52 025,34
Jupiter ...... 03,06 003,06 à 2,40
Saturne ...... 26,48 026,48 (anneau)
Uranus ...... 80 (Buffham), 57 (Henry) 098,01
Mars ...... » 146,08

Si l’on admet les inclinaisons, très incertaines il est vrai, données pour Mercure et Vénus, il est singulier de voir cet élément varier d’une façon très régulière et prendre sa valeur maxima aux deux extrémités du système, tandis qu’il s’annule presque pour la planète moyenne Jupiter. Quoi qu’il en soit de cette remarque, il faut trouver la cause d’une inclinaison qui n’existait pas à l’origine.

À cette déviation de la régularité primitive du système, il faut joindre encore celle-ci : les plans des orbites n’ont pas non plus conservé leur coïncidence primitive avec le plan de l’équateur de la nébuleuse. Ce dernier est très probablement représenté aujourd’hui par le plan du maximum des aires ou plan invariable du système. D’après les calculs de M. Stockwell (Smithsonian contributions to knowledge, vol. XVIII, p. 166, Washington), la position de ce plan est définie comme il suit par rapport à l’écliptique fixe de 1850 :

Longitude du nœud ascendant ...... 106.°14.06,000.
Inclinaison ............ ...... 001.55.19,376.

L’explication de ces inclinaisons n’a été qu’indiquée par Laplace : « Si le système solaire s’était formé avec une parfaite régularité, les orbites des corps qui le composent seraient des cercles dont les plans, ainsi que ceux des divers équateurs et des anneaux, coïncideraient avec le plan de l’équateur solaire ; mais on conçoit que les variétés sans nombre, qui ont du exister dans la température et la densité des diverses parties de ces grandes masses, ont produit les excentricités de leurs orbites, et les déviations de leurs mouvements, du plan de cet équateur. » (Exp. du Syst. du monde, t. II, p. 559.)

M. Trowbridge a cherché à préciser un peu plus ces causes d’altération de la régularité idéale du système : « Si les matériaux composant les anneaux étaient distribués de manière à faire qu’une plus grande masse fût détachée d’un côté de l’équateur que de l’autre, il en résulterait, au moment de la séparation de l’anneau, un changement dans la direction de l’axe de rotation du corps tournant (le sphéroïde solaire), et ainsi chaque anneau pourrait être incliné par rapport à celui qui s’est détaché avant lui ; mais, comme la masse d’un anneau n’a jamais été qu’une très petite fraction de la masse totale, la séparation de cet anneau n’a pu changer que très peu l’axe de rotation de la nébuleuse. On doit donc s’attendre à trouver les planètes confinées dans une zone étroite du ciel. » [Trowbridge, On the nebular hypothesis (Silliman’s Journal, 2e  série ; t. XXXVIII, p. 358)]. Il suivrait de là que la première planète formée doit avoir son orbite en coïncidence avec le plan invariable, et c’est en effet ce qui a lieu à très peu près pour Neptune. M. Trowbridge se hasarde même à prédire que, si l’on découvre jamais une planète extraneptunienne, son orbite se rapprochera plus encore de ce plan.

Il reste à expliquer l’inclinaison plus prononcée de l’orbite de Mercure, et les inclinaisons considérables de plusieurs des planètes télescopiques. Dans ses recherches astronomiques sur les inégalités séculaires (Annales de l’Observatoire, t. II, p. 165), Le Verrier a indiqué la cause possible de ces écarts : « Lors même que les inclinaisons relatives des orbites sont très petites à l’origine du temps, il ne s’ensuit pas qu’elles resteront éternellement très petites, quels que soient les rapports des grands axes. Il existe, par exemple, entre Jupiter et le Soleil, une position telle, que si l’on y plaçait une petite masse, dans une orbite d’abord peu inclinée à celle de Jupiter, cette petite masse pourrait sortir de son orbite primitive, et atteindre de grandes inclinaisons sur le plan de l’orbite de Jupiter, par l’action de cette planète et de Saturne. Il est remarquable que cette position se trouve à très peu près à une distance double de la distance de la Terre au Soleil, c’est-à-dire à la limite inférieure de la zone où l’on a rencontré jusqu’ici les petites planètes. Il existe entre Vénus et le Soleil une autre étendue où, en vertu des actions perturbatrices de Vénus et de la Terre, les inclinaisons d’une petite masse pourraient grandir considérablement. Mercure se trouve placé à l’une des extrémités de cette étendue, et ses inclinaisons sont considérables. Elles pourront atteindre jusqu’à près de relativement à l’orbite de Vénus. »

L’examen de la question ainsi indiquée par Le Verrier a été repris par M. F. Tisserand (Comptes rendus, t. XCIV, p. 997, 1884). Il a démontré qu’en effet l’inclinaison de l’orbite d’une petite masse m sous l’action de deux masses m′ et m″ très grandes peut devenir considérable. Mais il y a une limite à la valeur de cette inclinaison, qui est atteinte pour une distance 2,0548 et qui est 24° 43′ environ. Une seule des petites planètes, Pallas, a une inclinaison notablement supérieure à cette limite.

La question de l’obliquité des axes de rotation des planètes sur leurs orbites a été abordée d’abord par M. Ch. Simon, puis par M. G.-H. Darwin.

M. Ch. Simon, dans son Mémoire sur la rotation de la Lune, dont nous avons déjà parlé (Annales de l’École Normale, 1re  série, t. VI, p. 73 ; 1869), a été conduit à examiner la question qui nous occupe maintenant. Partant des formules données par Liouville (Conn. des Temps, 1809) pour déterminer le mouvement de précession d’un ellipsoïde animé d’un mouvement de rotation autour d’un axe incliné sur le plan de l’orbite, il montre que le globe fluide de la Terre, malgré sa contraction progressive et l’accroissement de vitesse qui en résultait et produisait un aplatissement de plus en plus considérable, aurait conservé constante l’inclinaison moyenne de son équateur sur l’écliptique ; mais une autre cause est intervenue pour changer cette obliquité. Si, après la formation de la Lune, il s’est formé autour de la Terre une série d’anneaux de Laplace, comme on n’en retrouve plus trace autour de la Terre, il faut supposer que ces anneaux, en se refroidissant, se sont contractés à la manière d’anneaux solides et ont fini par se réunir à la Terre. Or, sous l’action du Soleil ou du noyau central de la nébuleuse, l’inclinaison de ces anneaux sur l’écliptique augmente avec le temps. La réunion de pareils anneaux à la Terre, en changeant la forme du renflement équatorial, a donc dû accroître l’inclinaison de l’équateur terrestre sur l’écliptique.

On comprendrait donc comment les planètes les plus voisines du Soleil, Mercure et Vénus, qui n’ont pas de satellites, peuvent tourner autour d’un axe fortement incliné sur le plan de l’orbite ; comment aussi la Terre peut avoir son équateur incliné de 23° 30′, tandis que l’orbite lunaire n’est inclinée que de quelques degrés. Pour Mars, la formation des satellites est postérieure à la réunion des anneaux producteurs de l’obliquité, puisque les orbites de ces satellites coïncident avec l’équateur de la planète. Il n’y a pas là de difficultés, parce que ces satellites sont très voisins de la planète et se sont formés très tard. Mais, si nous arrivons à Saturne, à Uranus, pour lesquels la même coïncidence existe en même temps qu’une forte obliquité de l’équateur, on est en droit de se demander comment ces anneaux ont pu se former et subsister jusqu’à la réunion avec la planète, et comment, à si grande distance du Soleil, l’action perturbatrice de celui-ci a pu produire des obliquités considérables.

M. G.-H. Darwin, dans une série d’importants Mémoires présentés à la Société Royale et sur lesquels nous aurons à revenir, traite le sujet actuel de l’obliquité des axes des planètes à un point de vue complètement différent de celui qu’a envisagé M. Simon. Il suppose la planète à l’état de sphéroïde visqueux, dont la forme s’altère lentement par des causes externes et internes. De son analyse il ressort que tout accroissement de la protubérance équatoriale d’un tel sphéroïde doit tendre à augmenter l’obliquité de l’équateur sur le plan de l’orbite [The nebular hypothesis and the obliquity of the axis of planets to their orbits (The Observatory, t. I, p. 135)]. Il est vrai que, lorsqu’on calcule la grandeur de cet accroissement, on trouve qu’une surélévation du renflement de la Terre, égale en hauteur à l’Himalaya et de plusieurs degrés de largeur, rapprocherait les cercles arctiques des tropiques de quelques pouces seulement. Il suit de là que ce n’est pas depuis le commencement de l’époque géologique que s’est produite l’obliquité de l’équateur sur l’écliptique. Mais, s’il est permis d’appliquer à une masse nébuleuse les mêmes raisonnements qu’à une masse solide plastique, et c’est l’opinion de M. W. Thomson (Address to section A, British Association at Glasgow, sept. 1876), M. Darwin trouve que le changement d’obliquité s’est produit, mais si lentement que lorsque la Terre s’étendait jusqu’à remplir l’orbite lunaire, l’obliquité devait avoir déjà à peu près la même valeur qu’aujourd’hui. Elle n’était que de quelques minutes lorsque le diamètre de la nébuleuse terrestre était un millier de fois plus grand que le diamètre actuel de la Terre.

Dans le cas des planètes dépourvues de satellites, c’est le Soleil seul qui a produit la précession et par suite l’obliquité. Celle-ci doit donc être plus grande pour les planètes voisines du Soleil. Pour expliquer l’obliquité des équateurs des planètes éloignées, M. G. Darwin est donc obligé de faire intervenir l’action des satellites.

Mais en admettant même les hypothèses et la théorie de M. Darwin, on se heurte encore à bien des difficultés. Si l’obliquité de l’équateur terrestre était déjà de 23° à l’époque où s’est formée la Lune, pourquoi l’orbite de celle-ci n’est-elle inclinée que de sur l’écliptique ? Si les satellites de Saturne ont contribué, concurremment avec le Soleil, à produire l’inclinaison de l’équateur de Saturne, ils existaient donc avant cette obliquité et devaient circuler dans le plan de l’orbite de la planète qui était aussi le plan de son équateur ! Comment aujourd’hui se trouvent-ils tous, sauf un, dans le plan de l’équateur incliné ? La question me semble donc encore loin d’avoir sa solution.


En résumé, de toutes les objections qui ont été élevées contre les conceptions de notre grand géomètre, il me semble que la discussion précédente n’en a laissé subsister qu’un bien petit nombre. Sans doute, nous ne pouvons plus concevoir la nébuleuse solaire à la manière primitive de Laplace. Ainsi que l’a fait remarquer M. Faye, la préexistence d’un globe possédant toute la masse du système solaire et toute son énergie mécanique, dont l’atmosphère se dilue un jour jusqu’aux limites du monde actuel par l’action d’une chaleur intense, d’origine non définie, c’est là une pure hypothèse qui n’est fondée sur aucun fait d’observation. Déjà Laplace, nous l’avons vu, se faisait du Soleil, à la fin de sa vie, une idée bien différente de celle qu’il avait mise en avant en 1792. Les notions introduites par la Thermodynamique sont venues éclaircir l’origine mystérieuse de la chaleur solaire et modifier, par conséquent, le mode de contraction de la nébuleuse. Ce n’est plus le refroidissement seul, c’est surtout l’attraction qui produit la diminution de volume et donne naissance, dès l’origine, à cette condensation centrale, noyau du Soleil futur, qui remplace le globe solide ou liquide de Laplace, indispensable à la formation des planètes. Mais, une fois cet état de choses établi, nous sommes en face d’un système absolument semblable à celui que notre grand géomètre a placé à l’origine du monde planétaire. Les notions nouvelles n’ont donc fait que substituer une base scientifique à l’hypothèse qu’avait dû adopter Laplace ; elles n’ont rien changé au développement ultérieur de sa conception.

Sans doute aussi Laplace n’avait pas, dans les quelques pages qu’il a consacrées à l’exposition de son système cosmogonique, prévu toutes les difficultés, indiqué tous les cas singuliers que des découvertes ultérieures ont fait reconnaître ; cependant l’étude attentive de son texte montre le soin extrême qu’il avait apporté dans la discussion de la plupart de ces points délicats. L’œuvre de ses successeurs, et en particulier de M. Roche, a été de compléter sur certains points l’exposition de Laplace, de corriger parfois ce qu’elle avait de trop absolu dans ses termes ; et il en est résulté, à mon avis, un ensemble presque entièrement satisfaisant. Il ne reste, me paraît-il, que deux points obscurs : 1o  comment la matière d’un anneau a-t-elle pu se condenser en une seule planète de grande dimension ? 2o  comment a été produite la forte inclinaison des équateurs et des orbites des satellites de plusieurs planètes sur les plans de leurs orbites ? Mais ces deux difficultés ne sont pas particulières à la conception de Laplace ; elles se rencontrent dans toute hypothèse qui fait naître les planètes d’anneaux intérieurs ou extérieurs à une nébuleuse en mouvement de rotation. Nous allons les retrouver entières dans l’hypothèse que M. Faye a proposé, en 1880, de substituer à celle de Laplace.

  1. Dans une Note présentée à l’Académie des Sciences, le 2 novembre 1884, M. Maurice Fouché vient également de montrer qu’au moment de la formation des planètes, la condensation centrale de la nébuleuse devait être énorme, et que la masse de l’atmosphère ne pouvait être qu’une très minime fraction de la masse totale. De plus, il ressort de l’application de la troisième loi de Kepler et du principe de la conservation des quantités de mouvement, que la loi des densités a dû constamment varier pendant la formation des anneaux, l’atmosphère tendant de plus en plus vers l’homogénéité et devenant relativement plus dense (Comptes rendus, t. XCIX, p. 903).
  2. La loi de Bode a été étendue par M. Roche aux satellites des planètes. On doit aussi à M. Gaussin, ingénieur-hydrographe en chef, une Note très intéressante sur les lois de la distribution des astres du système solaire (Comptes rendus, t. XC, p. 518 et 593 ; 1880). On voit, par l’essai de M. Roche, de quel intérêt serait la connaissance de la loi vraie de distribution des planètes et des satellites, pour l’établissement d’une théorie cosmogonique définitive.
  3. Bulletin de l’Association scientifique de France, 2e  série, t. VIII, p. 392.
  4. Le principe de ce théorème doit en réalité être attribué à Laplace. C’est en effet par les marées produites sur la Lune par la Terre et sur les satellites en général par leur planète, que Laplace explique l’égalité des périodes de révolution et de rotation de ces corps. Une fois cette égalité établie, le mouvement est nécessairement direct. Ainsi se vérifie l’assertion que j’ai émise précédemment (p. 20) que Laplace a par avance répondu à presque toutes les objections qui ont été formulées contre son hypothèse. Le paragraphe suivant nous en offre un second exemple.
  5. M. H. Faye, Sur l’origine du Monde, p. 189, et Bulletin de l’Association scientifique de France, 2e  série, t. VIII, p. 869 et suiv. M. Faye fait à ce sujet une citation de Laplace que je ne puis considérer comme absolument exacte : « Newton et Laplace croyaient que toutes les rotations, toutes les circulations devaient être de même sens. Laplace est allé plus loin : il a appliqué à cette question le Calcul des probabilités. En tablant sur les planètes et les satellites connus de son temps, son analyse montre que, si l’on venait à découvrir un nouveau satellite ou une nouvelle planète, il y aurait des milliards à parier contre un que la circulation de ce système ou la rotation de cette planète serait directe, comme toutes les autres… L’étude des satellites d’Uranus et la découverte du système de Neptune n’ont pas tardé à réduire à néant cette probabilité et la célèbre cosmogonie de Laplace. » Le texte de Laplace, que j’ai déjà cité, est celui-ci : « Des phénomènes aussi extraordinaires (identité du sens des mouvements de circulation et de rotation) ne sont point dus à des causes irrégulières. En soumettant au calcul leur probabilité, on trouve qu’il y a plus de deux cent mille milliards à parier contre un qu’ils ne sont point l’effet du hasard ; ce qui forme une probabilité bien supérieure à celle de la plupart des événements historiques dont nous ne doutons point. Nous devons donc croire, au moins avec la même confiance, qu’une cause primitive a dirigé les mouvements des planètes. »