Les Historiettes/Tome 3/52

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 3p. 333-335).


VILLEMONTÉE.


Villemontée est d’une assez bonne famille de Paris. Il épousa la sœur de La Barre, dont nous avons parlé ; il devint maître des requêtes, et eut l’intendance de Poitou, où sa femme et lui, aussi bons ménagers l’un que l’autre, faisoient une fort grande dépense. Elle devint amoureuse, à La Rochelle, d’un gentilhomme du grand-prieur de la Porte, nommé L’Épinay. Cette amourette passa bien avant, et le mari surprit un billet de sa femme en ces termes : « Notre soutane va aux champs ; viens vite, car je meurs d’envie............ » Villemontée est pourtant bien fait ; mais peut-être........ On a dit que le grand-prieur, en colère de ce que l’intendante l’avoit refusé, avoit fait avertir le mari par des Jésuites. J’ai de la peine à le croire, car c’étoit un bon homme. Le mari fut assez fou pour faire du bruit de cette lettre. Il mit en prison, dans un château, une bossue de La Rochelle, nommée La Villepoux, qu’on accusoit d’avoir été la Dariolette[1] ; et, après l’y avoir tenue long-temps, il la laissa aller, et il mit sa femme en religion : depuis, il la relégua à une terre. Il eut assez d’enfants de sa femme, entre autres une fille, qui étoit l’aînée. Elle ne voulut pas déshonorer sa mère en faisant autrement qu’elle ; elle trouva de très-bonne heure un L’Épinay. Ce fut un nommé Ruelle, que mademoiselle de Bussy avoit donné au père pour secrétaire. Elle eut l’honnêteté de lui permettre de lui faire un enfant ; elle n’avoit que douze ans. Le père se contenta de le faire fouetter dans une cave et le chassa, car il ne sauroit s’empêcher d’être toujours un peu fou. Cette aventure ne fut pas trop divulguée, et elle n’empêcha pas que Belloy, qui a été depuis capitaine des gardes de M. d’Orléans, ne l’épousât. Elle étoit pour lors auprès de madame de Fontaines, dame d’atour de Madame, où Villemontée l’avoit mise. Belloy fut attrapé en toutes façons, car on dit qu’il n’a point eu ce qu’on lui avoit promis en mariage, les affaires du beau-père étant si décousues qu’il fut contraint de vendre ses terres pour payer une partie de ses dettes ; de peur même qu’on ne le mît en prison, il se fit prêtre, et sa femme retourna dans un couvent.

Cependant M. Le Tellier, protecteur de Villemontée, le faisoit subsister par les emplois qu’il lui procuroit. Enfin, en 1657, M. de Saint-Malo (Villeroy) rendit au cardinal l’évêché de Saint-Malo de trente-six mille livres de rente, pour celui de Chartres de vingt-cinq mille livres, à cause du voisinage de Paris. Le Tellier fit donner Saint-Malo à Villemontée, qui n’en jouit encore que par économat, à cause que sa femme n’a point fait de vœux, mais a seulement protesté devant le Saint-Sacrement qu’elle ne vivroit point comme une femme avec son mari. Elle étoit si folle que, sous le prétexte qu’elle étoit la femme d’un évêque, elle ne vouloit pas céder à une maréchale de France, disant qu’elle ne devoit céder qu’aux princesses. Apparemment quand on le reçut prêtre, ou qu’on le fit évêque, on ne se souvint pas du canon du concile de Trente.

  1. Voir la note 3 de la page 48 du tome I.