Les Historiettes/Tome 3/47

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 3p. 297-302).


MADAME DE MAINTENON[1]
ET SA BELLE-FILLE[2].


Madame de Maintenon étoit héritière de la maison de Salvert d’Auvergne, une bonne maison, mais non pas des principales de la province. Elle épousa M. de Maintenon d’Angennes, qui étoit à la vérité un des plus riches de la maison, mais non pas des plus habiles. Cette femme, qui étoit assez bien faite, ne mena pas une vie fort exemplaire ; entre autres, on en a fort médit avec feu M. d’Épernon. Un jour, comme elle étoit à Metz, elle s’avisa, elle qui n’avoit point accoutumé d’en user ainsi, d’aller prendre congé de madame la princesse de Conti. L’autre lui demanda où elle alloit : « Je m’en vais, lui dit-elle, trouver M. d’Épernon. — Vous, madame ! répondit la princesse, et qu’avez-vous à démêler avec M. d’Épernon ? — C’est, madame, reprit-elle, qu’il m’a priée d’aller régler sa maison. » Une autre fois, comme on dansoit un ballet au Petit-Bourbon[3], et qu’il y avoit un grand désordre à la porte, on ouït cette femme crier à haute voix : « Soldats des gardes, frappez ! tuez ! je vous en ferai avouer par votre colonel en toutes choses. » Elle le prenoit de ce ton-là ; et, sous ombre que M. d’Épernon, durant les brouilleries de la Reine-mère, l’avoit peut-être employée à quelque bagatelle, elle vouloit qu’on crût qu’il ne s’étoit rien fait en France où elle n’eût eu bonne part. Un jour elle alla au Palais à la boutique d’un libraire qui est à un des piliers de la grand’salle, et, en présence de bon nombre d’avocats, elle demanda le tome du Mercure François de ce temps-là : elle regarda à l’endroit où elle s’imaginoit être ; et, ne s’y étant point trouvée, elle dit en jetant le livre : « Il a menti ! Si je lui eusse donné de l’argent, il n’eût pas mis un autre à ma place. »

Pour son malheur elle avoit eu une grand’mère de la maison de Courtenay ; ces Courtenay prétendent être princes du sang : cela l’acheva de rendre insupportable sur sa noblesse. Elle s’en instruisit, et ayant trouvé qu’un Pierre de Courtenay, comte d’Auxerre, avoit été empereur de Constantinople, elle disoit à tout bout de champ : l’emperière ma grand’mère.

Étant veuve, et espérant épouser M. d’Épernon, elle se faisoit servir à plats couverts et avoit un dais. Mon beau-père[4] a une terre vers Chartres, et elle y en avoit une aussi. Une fois que j’y étois, il lui donna à manger : elle nous dit des vanités les plus extravagantes du monde, entre autres sur le propos des bâtards : elle nous dit qu’elle se pouvoit vanter que ses bâtards, aussi bien que ceux des princes, étoient gentilshommes. Pour moi, je trouvois assez plaisant qu’une femme dît mes bâtards. Comme héritière et aînée de la maison, elle croyoit qu’il falloit parler ainsi. À son tour elle nous convia à dîner. En attendant qu’on servît, elle nous pria de nous asseoir. Je fus tout étonné que cette folle se plantât à la place d’honneur, et sa belle-fille auprès d’elle, sur des chaises où il y avoit des carreaux, et dit à toute la compagnie, dont la moitié étoit des femmes, qu’ils s’assissent. Mais devinez sur quoi ? Sur de belles chaises de bois qui n’avoient jamais été garnies, car il n’y eut jamais petite-fille d’emperière si mal meublée. Elle avoit, disoit-elle, des meubles magnifiques à Salvert, en Auvergne ; mais il y avoit un peu bien loin pour y envoyer quérir des siéges. À dîner, elle se mit au haut bout, et nous vîmes je ne sais quel quinola[5], qui la menoit d’ordinaire, servir sur table l’épée au côté et le manteau sur les épaules. Ce même officier avoit servi le jour de devant sur table, tête nue (ce qui ne se fait jamais), chez un de ses voisins, à qui elle l’avoit prêté. Je ne doute pas que ce ne fût par ordre, et que dans sa cervelle creuse elle ne s’imaginât que sa grandeur paroissoit en ce que ce même homme qui servoit nu-tête chez un particulier avoit l’épée au côté chez elle.

Cette femme faisoit la jeune et ne l’étoit nullement ; elle se faisoit craindre comme le feu à ses valets et à ses paysans : aussi ne savoit-elle ce que c’étoit que de pardonner. Ses enfants étoient presque tous mal avec elle. Elle avoit marié l’aîné à la fille de M. du Tremblay[6], gouverneur de la Bastille. La mère, madame du Tremblay, étoit de bien meilleure maison que son mari ; elle étoit de La Fayette ; on en avoit fort médit. Cette fille étoit belle, mais elle ne dégénéroit pas ; c’étoit, et c’est encore une des plus grandes écervelées qu’on puisse voir. Quand elle sortit de la Bastille pour aller chez son mari, on disoit que M. du Tremblay lui avoit dit : « Ma fille, vous sortez d’une maison où l’on a toujours vécu en honneur ; mais vous allez être sous la charge d’une belle-mère de qui on a assez mal parlé ; ne vous laissez pas corrompre, et ayez toujours devant les yeux la vie de votre mère ; » et quand elle entra chez son mari, madame de Maintenon lui dit : « Ma fille, vous venez d’un lieu où vous n’avez pas eu tous les bons exemples imaginables ; vous entrez dans une famille où vous ne trouverez rien qui ne soit à imiter. Je vous conjure donc d’oublier tout ce que vous avez vu, et de vous conformer à tout ce que vous verrez. »

Cette jeune femme, de quelque côté qu’elle tournât, ne pouvoit manquer de prendre le bon chemin. Elle n’y faillit pas ; aussi son mari l’ennuya bientôt. Il est vrai que c’étoit un ridicule homme, et qui avoit l’âme aussi basse que sa mère : ajoutez qu’elle aimoit à chopiner. La première chose qui éclata, ce fut je ne sais quel rendez-vous à Montleu avec Bullion ; mais M. de Bullion, son père, lui défendit de continuer. Le prince de Harcourt ensuite fit autrement de bruit, et elle ne s’en cachoit pas trop ; et sans son frère Tremblay, le maître des requêtes, qui le découvrit, elle se faisoit enlever par son galant. Elle le fit tenir lui ou un autre trois semaines durant dans une métairie comme un paysan, afin qu’il la pût voir tous les jours sans que le mari s’en doutât. Un jour, chez M. du Vigean, on apporta un poulet de sa part à Roquelaure : le voilà aussitôt à en faire parade. On vint dire à un autre homme de la cour, qui y étoit aussi, qu’un petit page le demandoit : c’étoit un poulet de la même. Il le montra aussi pour rabattre le caquet à l’autre. On disoit qu’elle contoit toujours toute sa vie à son dernier galant, et qu’il savoit toutes les aventures de ses prédécesseurs. Après, elle se mit dans un couvent, ne pouvant, disoit-elle, demeurer à la campagne avec son mari. La belle-mère vient à mourir, elle sort du couvent. Je me souviens d’une lettre qu’écrivit Maintenon à une de ses sœurs avec laquelle il étoit mal : il y avoit pour tout potage : « Ma sœur, ma mère est morte ; ne parlons plus de rien. De Gredin, à six lieues de Loches, à l’enseigne du Cheval-Noir, le 6 de février 1650, si je ne me trompe. »

Cette femme est étourdie en toutes choses. Un jour de cour, durant le carnaval, elle logeoit à la rue Saint-Antoine ; elle avoit fait mettre auprès d’elle à la fenêtre son portrait ; elle étoit peinte en Madeleine. Elle a une fille plus belle qu’elle. Deux de ses parentes, madame d’Aumont et madame de Fontaines, toutes deux d’Angennes, et toutes deux veuves, donnèrent de quoi marier cette fille, de peur d’accident, et la marièrent à un M. de Villeré, du pays du Maine. Pour la seconde, on l’a mise avec madame de Saint-Étienne à Reims[7] ; elle n’est pas trop belle.

Depuis la mort de la bonne femme, elle fut encore plus en liberté. Elle menoit sa fille au bal qu’elle n’avoit encore que dix ans. Cette enfant, en 1654, étoit habillée magnifiquement ; mais l’année d’après on ne vit point cette magnificence, car Troubet le jeune, qui donnoit les robes, étoit mort. On disoit que cette femme l’avoit tué. On trouve en quelques endroits, dans les Mémoires de la régence, où il est parlé d’elle, à propos du duc de Brunswick, prince étranger, à qui elle fit faire une espèce d’affront dans une assemblée. À cette heure, pour cinquante pistoles on couche avec elle.

  1. Françoise-Julie de Rochefort, dame de Blainville, de Salvert et de Saint-Gervais, avoit épousé en 1607 Charles d’Angennes, marquis de Maintenon. Elle mourut en 1647.
  2. Marie Le Clerc Du Tremblay, mariée en 1640 à Louis d’Angennes de Rochefort de Salvert, marquis de Maintenon. Elle est morte en 1702. Ce fut son fils Charles-François d’Angennes, marquis de Maintenon, qui vendit à Françoise d’Aubigné, veuve Scarron, la terre dont elle a depuis porté le nom.
  3. Voir tome I, p. 51, note 2.
  4. Tallemant avoit épousé une fille de Rambouillet, le financier.
  5. Quinola. On appeloit ainsi un homme gagé qui accompagnoit une dame. (Dict. de Trévoux.)
  6. Il s’appeloit Leclerc, et étoit frère du Père Joseph. (T.)
  7. Madame de Saint-Étienne étoit une fille du marquis de Rambouillet. (Voyez plus haut son article, t. 2, p. 256 et suiv.)