Les Historiettes/Tome 3/43

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 3p. 274-278).


COIFFIER.


Coiffier est fils de Coiffier qui a été commissaire au Châtelet, et dont la mère étoit cette célèbre pâtissière qui fut la première qui s’avisa de traiter par tête. Le père avoit eu quelque habitude avec le président Le Bailleul, lorsqu’il étoit lieutenant-civil ; de sorte que, s’étant mêlé de finances quand le président fut fait surintendant, il prit Coiffier pour premier commis ; d’Émery le continua. C’est un homme grave et terriblement cérémonieux. On disoit que d’Émery avoit Guerapin pour tenir parole, Chabenats pour fourber et, Coiffier pour faire des révérences. Madame Pilou disoit de lui que, pour commissaire du Châtelet, c’étoit un honnête homme, mais que pour un homme à carrosse, ce n’étoit qu’un benêt ; sa femme étoit aussi sotte que lui et par-delà. Ils avoient un fils assez honnête garçon, qui ne les pouvoit souffrir, et il étoit toujours absent ; ce fils mourut fort jeune. Son cadet est bien fait ; mais vous verrez par la suite quel homme c’est. Il est à cette heure maître des comptes. Son père le maria, il y a quelques années, avec la fille de Vanel, celui qui, avec La Raillière, avoit fait le traité des aisés. C’est une petite créature qu’on peut dire jolie ; mais après les nains, il n’y a rien de si petit : il est vrai qu’elle est bien proportionnée. Cette petite créature, élevée par une mère dévote, fut ravie de trouver un garçon qui fût un peu dans le monde. Par malheur pour lui et pour elle, le père et la mère de Coiffier n’étoient pas alors à Paris, ou du moins en partirent aussitôt après : de sorte que la voilà en son ménage. Le mari, qui avoit ouï dire dans le monde qu’un galant homme devoit donner de la liberté à sa femme, lui laissoit faire en partie ce qu’elle vouloit : il lui donnoit même à faire la dépense ; notez que c’étoit un oison. Elle ne se levoit qu’à midi, faisoit semblant de compter avec le valet-de-chambre de son mari, et ne comptoit point ; tout alloit comme il plaisoit à Dieu : l’argent ne lui coûtoit rien. Elle donna une table de bracelet[1] de trente-cinq pistoles à une demoiselle de sa mère qui l’étoit venue coiffer quelquefois, et à la femme-de-chambre un mouchoir de quinze pistoles.

Il n’y avoit que trois jours que le père de sa mère étoit mort ; elle s’habilloit de couleur, et quand sa mère venoit elle se mettoit entre deux draps tout habillée, et on a jeté quelquefois sur le fond du lit la tourte qu’elle alloit manger avec quelques jeunes garçons du quartier.

Logée dans un des pavillons qui sont autour du jardin du Palais-Royal, elle avoit une porte pour y entrer ; elle s’y promenoit avec sa demoiselle jusqu’à deux heures après minuit, et le mari fut contraint de faire cacher des gens qui lui firent peur, afin qu’elle n’y fût plus si tard. Cette grande liberté que cet homme lui donna durant l’absence de sa belle-mère la gâta entièrement, et quand les bonnes gens furent revenus, elle avoit déjà pris un fort méchant pli ; d’ailleurs elle est naturellement étourdie, et par malheur elle a toujours eu affaire à des étourdis.

Le premier qui s’avisa de lui faire les doux yeux fut un garçon de la ville, lieutenant aux gardes, nommé Busserolles, si fou qu’il alla attaquer lui seul à la Don Quichotte une bande de sergents qui menoient un homme en prison, et le délivra sans le connoître ; il est vrai que son hausse-col, car il étoit de garde, imprima quelque terreur aux sergents. Depuis, il a parlé au Roi si sottement qu’on l’a cassé, au lieu de le laisser traiter d’une compagnie. Ce galant homme alla un jour pour voir la petite dame. On lui dit qu’elle étoit là auprès, chez sa belle-sœur Vanel, de qui on médit furieusement avec Servien. Busserolles y va : la petite femme revient ; on lui dit cela ; elle court chez sa belle-sœur ; ils se parlent. La belle-sœur, qui savoit que déjà on étoit en soupçon chez le mari, ne trouva cela nullement bon, et fit dire à Busserolles qu’il ne revînt plus chez elle. Voilà grande rumeur au logis : on défend à la petite femme de voir sa belle-sœur ; elle ne voyoit pas même sa mère, car la belle-sœur et la mère logeoient ensemble. Elle disoit une fois : « Jésus ! que faire au Cours ? Le Roi est parti. »

Il y en a aussi qui en sont fâchés. Tantôt elle a permission d’aller au Cours avec sa gouvernante, tantôt on la resserre tout de nouveau : le mari est devenu tout sauvage. Il a un frère qui a fait quelques campagnes ; on l’appelle d’Orvilliers. Ce garçon est bien fait et étoit assez raisonnable ; mais à cette heure il garde sa belle-sœur : on croit qu’il en est amoureux. Elle le hait comme la peste.

Le beau-père, la belle-mère, et tous leurs gens, sont tous les espions de la jeune femme. Le bonhomme en usa fort sottement, car il rompit en visière plusieurs fois à de jeunes gens qui alloient là-dedans ; et enfin le portier eut ordre de ne la laisser voir à pas un homme. Quand on la demandoit il disoit : « Elle n’y est pas. » Et elle, qui étoit toujours à la fenêtre, crioit : « J’y suis ; » mais cela ne servoit de rien.

Busserolles découvrit un jour qu’elle alloit au sermon avec la famille : il envoie un grand laquais qui fait si bien qu’il garde une place tout auprès de la petite dame, et il causa avec elle à la barbe à Pantalon tant que le sermon dura.

Elle fut assez long-temps en cette misère, n’allant en aucun lieu que sa belle-mère n’y fût, elle qui mouroit d’envie de voir des hommes. Enfin je ne sais par quelle rencontre on ne put s’empêcher de la laisser aller jouer dans le voisinage, chez le président Tubeuf. Son fils aussitôt en conte à la belle ; dès le premier soir elle lui permet de lui écrire, et non contente de cela, elle ne faisoit que chuchotter le lendemain à la messe avec lui. Le laquais de Tubeuf, aussi habile que son maître, rencontra Coiffier à la porte, qui lui fit avouer qu’il portoit un poulet à sa femme, et lui donnant un louis d’or. Il lui dit : « Je t’en donnerai autant toutes les fois. » Il faisoit réponse pour sa femme. Je pense que la demoiselle ou sa mère l’écrivoit. Au bout de huit jours le mari se lassa de donner des louis, et écrivit à Tubeuf : « Monsieur, soyez une autre fois plus fin ; » puis conta toute l’affaire à sa femme. La belle-mère meurt quelque temps après : cette petite étourdie ne put s’empêcher d’en témoigner de la joie, et elle vouloit aller à l’enterrement avec un collet clair : le mari dit qu’il le jetteroit dans le feu ; cela acheva d’aigrir les gens. Elle fut depuis comme prisonnière, jusqu’à entendre la messe chez elle, et à n’avoir permission de regarder à la fenêtre que certains jours. Quand Tubeuf alla à Francfort, elle et le mari, entendant passer bien des gens, mirent la tête à la fenêtre ; il cria : « Il y en a qui sont bien aises ! »

  1. On appeloit table de bracelet une pierre précieuse dont la surface est plate et qui est enchâssée dans un chaton d’or ou d’argent. (Dict. de Trévoux.)