Les Historiettes/Tome 3/42

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 3p. 270-274).


JALOUX.


DES BIAS.


Des Bias (d’une terre auprès d’Avranches), frère aîné de Monferville, dont nous avons parlé ci-dessus à l’article de Thémines[1], avant que d’être marié ne bougeoit, à Paris, du b....l et du cabaret. Il étoit grand et bien fait, mais mal propre autant qu’on le peut être : quand sa chemise étoit noire comme la cheminée, il la troquoit contre une neuve chez une lingère, et en changeoit dans sa boutique. Il y a plus de treize ans qu’il est marié à une personne de bon lieu, bien faite et bien raisonnable ; cependant il en est si jaloux qu’après avoir été long-temps sans vouloir que personne allât dîner chez lui (il demeure à la campagne), bien moins d’y coucher, il devint jaloux de ses valets même, et non content de l’avoir enfermée au troisième étage, afin qu’elle fût hors d’escalade, et qu’on n’y montât pas avec des échelles de corde, il chassa enfin tous ses gens, et quoique huguenot, il prit un Carme, à qui il se fioit, pour gouverner tout chez lui. Ce moine avec le temps lui devint suspect, et il le chassa aussi. Sa femme souffroit toutes ces extravagances avec une constance admirable. Elle a eu quatre enfants, et, parce que ce mari a un petit doigt de la main gauche estropié et tout crochu, et qu’il dit que si elle fait des enfants qui ne l’aient pas de même ils ne seront pas à lui, tous ceux qu’elle a ont le petit doigt de la main gauche crochu, soit par la force de l’imagination de la mère, soit que la sage-femme gagnée le leur rompe en naissant.

Ce maître fou porte toujours sur lui tous ses papiers les plus importants et ses principales clefs. Une fois, sur le point de partir de Rouen, avant cette grande jalousie, il dit en lui-même : « Je me tue à faire mes affaires moi-même, il faut prendre des secrétaires. » Il en prend trois, et s’en va à la dînée ; il songe : « Ai-je de quoi occuper trois secrétaires ? » Il en renvoie un, à la couchée un autre, et le lendemain un troisième, disant : « J’ai bien fait mes affaires jusqu’ici, je les ferai bien encore. » Il a de l’esprit et faisoit bonne chère à ses amis, quand il n’étoit pas si abîmé dans sa jalousie. Son père étoit gouverneur de Lectoure ; il l’avoit été de Pontorson.


RAPOIL.


Un médecin de Soissons, nommé Rapoil, avoit une femme bien faite, mais elle avoit une dartre à la joue qui se renouveloit tous les mois, en sorte qu’elle n’avoit par mois que quinze jours de beauté. Il en étoit jaloux, et, quoiqu’il dît qu’il savoit bien le moyen de la guérir, par jalousie il ne la voulut jamais guérir entièrement. Il n’y gagna rien : elle étoit fort coquette et enfin elle se fit démarier. Elle enrageoit quand on l’appeloit madame Poilra au lieu de madame Rapoil.


MOISSELLE.


Un beau garçon de Paris, nommé Hérouard, sieur de Moisselle, se trouvant avec peu de bien, à cause que son père avoit mal fait ses affaires, prit l’épée, et en Hollande, ayant acquis quelque réputation, une dame de quelque âge, mais riche, l’épousa. C’est la plus folle de jalousie qui fut jamais : dès qu’il regarde une servante, elle la chasse. À Paris, elle eut soupçon que son mari regardoit de trop bon œil une belle fille de ses parentes, et à table, en mangeant après avoir été long-temps sans parler, elle s’écrioit : « Oui, en ma foi ! je le voudrois de tout mon cœur qu’elle fût cent pieds sous terre, cette mademoiselle Marton. » C’étoit le nom de la belle. Et dans cette vision une cassette lui ayant été volée, elle disoit que c’étoit cette fille qui l’avoit volée, et qu’une sorcière la lui avoit fait voir dans son ongle. Elle devint jalouse de la grand’mère de son mari. Elle étoit venue de Hollande ici pour le ramener, et d’ici elle le suivit en Poitou, où il est allé voir ses parents. Il est contraint, quand il est levé, de sortir jusqu’au soir, et s’est accoutumé à la laisser criailler tout son soûl.


TENOSI, PROVENÇAL.


Voici une histoire plus étrange que toutes les autres. Un gentilhomme provençal, nommé Tenosi, s’en allant faire un voyage en Levant, recommanda sa femme à un autre gentilhomme, avec lequel il faisoit profession d’une amitié très-étroite : cette femme étoit belle ; cet ami en devint bientôt amoureux, et enfin la femme ne fut pas plus fidèle que lui. Ils vécurent de sorte que tout le monde savoit leurs amours. Au bout de quelque temps le bruit courut que le mari étoit mort ; mais ce bruit étoit faux, et il revint la même année. Ces amants, comme j’ai dit, avoient eu si peu de discrétion qu’ils ne doutoient point que le mari ne fût bientôt averti de tout ; ils se résolurent de s’en défaire, et l’empoisonnèrent : ils sont pris et condamnés à avoir la tête coupée, tous deux en même temps, et sur un même échafaud. On les mène donc au supplice : cet homme étoit le plus abattu qu’on eût pu voir, et la femme paroissoit beaucoup plus résolue que lui. Comme on le vouloit exécuter le premier, il demanda qu’on ne l’exécutât qu’après cette dame, et le demanda avec tant d’instance, et dit des choses qui firent si fort croire qu’autrement il mourroit comme un furieux, qu’on fut contraint de le lui promettre, de peur de le mettre au désespoir. Mais il n’eut pas plus tôt vu la tête de sa maîtresse à bas, qu’il témoigna une constance admirable et mourut, s’il faut ainsi parler, avec quelque satisfaction. On sut de ses amis particuliers que c’étoit par jalousie, et qu’il étoit tellement possédé de cette passion, qu’il avoit eu peur, s’il étoit exécuté le premier, que la dame ne fût sauvée par quelque miracle, et qu’un autre n’en jouît après : ce fut ce qui l’avoit fait résoudre à empoisonner son ami, comme il l’empoisonna, le jour même qu’il fut arrivé, sans lui donner le loisir de coucher avec sa femme.

  1. Voir précédemment, pag. 236.