Les Historiettes/Tome 3/25

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 3p. 185-188).


MADAME D’ATIS.


Madame d’Atis avoit été jolie en sa jeunesse, et on en avoit un peu médit. Son mari, qui étoit Viole[1], avoit toujours maille à partir avec elle, et il engrossoit toujours quelque servante ; cependant elle en parloit comme d’un Mausole. « Je l’aimois si fort, disoit-elle (car il n’y eut jamais une créature plus phébus), que si j’eusse pu, me faisant servante, le faire empereur, je l’eusse fait ; je lui étois attachée par de si beaux liens que la chair et le sang n’y avoient aucune part. »

Un jour qu’on parloit du cardinal de Richelieu : « C’étoit un grand génie, dit-elle ; mais la grande connoissance qu’il avoit du mérite des hommes m’a coûté bien cher ; il choisit M. d’Atis, et il ne pouvoit faire autrement, pour aller établir le roi de Portugal. » La vérité est qu’Atis avoit fait ici un grand exploit, car il avoit tué un des portiers du Pont-Rouge pour ne pas payer un double. Il alla en Portugal, où la disette de gens le fit considérer ; il y fut tué commandant quelques corps de François en petit nombre. Après sa mort, le Roi envoya son ordre à son fils, et donna pension à la mère. Elle se disoit veuve d’un général d’armée et d’un gouverneur de province ; et, allant consoler madame la maréchale de Guébriant, c’étoit environ en même temps : « Ah ! madame, lui dit-elle, vous avez perdu le héros du Rhin, et moi j’ai perdu le héros du Tage ! » Or, comme elle faisoit chez elle l’oraison funèbre de son héros, dont elle ne faisoit que d’apprendre la perte, sa sœur Du Menillet, autre savante, s’amusoit avec quelqu’un au coin du feu à démêler l’intrigue du Cid.

Elle faisoit, disoit-elle, lit à part, quoiqu’elle n’eût qu’un seul enfant, parce que M. d’Atis étoit d’une trop bonne maison pour faire des gueux. Jamais elle n’a appelé sa cuisine, quoique fort médiocre, que des offices. Elle a montré vingt ans durant jusqu’à sa mort le plan d’une maison magnifique qu’elle devoit faire bâtir. Un jour qu’elle parloit de cela, je ne sais quel sot, car il falloit qu’elle rencontrât une fois en sa vie quelqu’un qui lui damât le pion en fait de phébus, je ne sais quel impertinent, voyant que son fils avoit été taillé, lui dit sérieusement, pensant lui dire une belle chose, que tout contribuoit à contenter la passion qu’elle avoit de bâtir, et qu’il n’y avoit pas même jusqu’aux reins de monsieur son fils qui ne lui voulussent fournir des pierres pour ses bâtiments.

Ce fils étoit assez grand et assez débauché. Elle ne le vouloit pas laisser aller à la guerre : il s’en alla un beau matin en Hollande sans lui dire adieu : « Ah ! disoit-elle, il étoit bien difficile de retenir ce jeune lion. » En Hollande, il empruntoit de l’argent à l’ambassadeur de Portugal, et disoit : « Ma putain de mère ne me donne rien. » De là il alla en Portugal, où il mourut de trois coups d’épée, après avoir tué, à ce qu’elle dit, le capitaine d’une compagnie de chevau-légers et mis le lieutenant hors de combat. On le voulut porter dans un couvent de religieux là auprès. Ces religieux ne vouloient recevoir personne ; mais, dès qu’il se fut nommé : « C’est, dirent-ils, le fils de ce généreux François ? qu’il vienne. » Il mourut là de ses blessures, qui étoient toutes par devant. « Le père et le fils, ajoutoit-elle, me coûtent plus de cent mille livres, et je perds la terre d’Atis, qui étoit substituée à ce pauvre garçon. »

Elle, qui s’en étoit plainte mille et mille fois durant sa vie, après qu’il fut mort, en disoit des merveilles ; c’étoit la plus grande perte du monde. « Il me dit, disoit-elle, un peu devant que de s’en aller, une chose qui mérite d’être gravée en lettres d’or sur le marbre. Je lui reprochois ses dettes ; il me dit : Je n’en ferai plus ; mais, promettez-moi de payer celles que j’ai faites ; car, quoique je n’aie pas l’âge, il n’y a point de minorité devant Dieu. »

Elle disoit d’un pauvre livre du père Du Bosc sur la matière de la grâce, dont l’épître au cardinal Mazarin avoit été toute refaite par Patru : « Le livre est bon, mais l’épître est ridicule. » Elle disoit au même père Du Bosc : « C’est l’opinion de Molinus. — Vous m’excuserez, répondit-il, c’est celle de Jansenia. »

Je fus une fois chez elle avec Patru ; elle nous dit « qu’une sotte femme qu’on appeloit madame d’Atis » (elle ne croyoit pas dire si vrai), « avoit fait deux réflexions sur le cardinal Mazarin : l’une, qu’il avoit inventé le hoc, que la France étoit bien malheureuse d’être gouvernée par un homme qui avoit le loisir d’inventer des jeux ; l’autre, qu’il avoit mis sa bibliothèque au-dessus de ses écuries, et que c’étoit parfumer les Muses avec du fumier. »

Elle mourut en 1656, et un certain pédant gascon, nommé Solon, qui étoit son domestique, on ne sait pourquoi, prit la peine de voler sa cassette quand il vit la dame à l’extrémité.

  1. C’est une maison de robe et d’épée tout ensemble. (T.) — C’étoit une famille du Parlement de Paris.