Les Historiettes/Tome 2/5

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 2p. 15-18).


M. DE NOYERS ET L’ÉVÊQUE DE MENDE.


M. de Noyers[1] s’appeloit Sublet. Il étoit parent de messieurs de La Motte-Houdancourt ; le second de ces messieurs-là étoit évêque de Mende, et fort bien auprès du cardinal de Richelieu. Ce fut lui qui lui donna M. de Noyers. Je dirai ce que j’ai appris de ce M. de Mende. C’étoit un homme actif et fier, et qui vouloit qu’on lui tînt ce qu’on lui avoit promis. Une fois M. Bouthillier, qui étoit jaloux de lui, lui refusa l’entrée dans la chambre du cardinal, disant, comme il étoit vrai, qu’il avoit ordre de ne laisser entrer personne, et qu’il s’en alloit dire à Son Éminence que M. de Mende étoit là. La porte étoit entr’ouverte, M. de Mende la pousse ; M. Bouthillier tombe ; l’évêque passe brusquement à la ruelle ; le cardinal étoit au lit : « Monsieur, lui dit-il, je trouve fort étrange que M. Bouthillier me vienne fermer la porte au nez : je suis bien assuré que vous ne lui avez pas ordonné de me traiter ainsi. » Le cardinal ne dit rien. M. de Mende s’en va chez lui en Picardie, et ne voulut pas s’en tourmenter davantage. « S’ils me laissent ici, disoit-il, ils me feront plaisir ; j’étudierai ; j’ai du bien plus qu’il ne m’en faut. » Le cardinal ne s’en put passer. Il le renvoya quérir. Ce fut lui qui disposa tout pour le siége de La Rochelle ; et, en mourant, car il mourut durant le siége, il ordonna qu’on l’enterrât dans la ville lorsqu’elle seroit prise. Ce fut lui qui fit résoudre Barradas à donner sa démission de la charge de premier écuyer de la petite écurie pour cent mille écus. Le Roi avoit impatience de l’avoir pour Saint-Simon. Le cardinal vouloit différer à payer cette somme, et faire que cela n’allât à rien avec le temps. L’évêque lui dit : « Monsieur, c’est sur ma parole que M. de Barradas a traité ; je vendrai plutôt mes bénéfices que de ne tenir pas ce que j’ai promis. » Le cardinal ne put résister, et Barradas fut payé.

M. de Noyers avoit une vraie âme de valet. Montreuil, secrétaire des commandemens de madame d’Orléans, l’étoit de feue Madame, qui, étant grosse, étoit regardée comme la Reine, et faisoit un parti dans la cour. Madame témoignoit assez de bonne volonté à Montreuil qui avoit été précepteur de M. de Guise d’aujourd’hui. Un jour de Noyers, qui étoit allié de Montreuil, se promenoit avec lui : « Ne craignez-vous point, lui dit Montreuil en riant, que cela ne vous nuise de vous voir promener avec moi ? » De Noyers le quitte aussitôt, et depuis ne lui parla point que Madame ne fût morte. Il est vrai que quand il fut en faveur, il se ressouvint un peu de lui.

Ce petit homme vouloit tout faire et étoit jaloux de tout le monde. Il a nui en tout ce qu’il a pu à Desmarets, qui s’entend à tout, et qui a beaucoup d’inclination pour l’architecture, de peur que cet homme ne lui ôtât quelque chose ; car il s’est assez tourmenté de faire sa charge de surintendant des bâtimens, et il avoit bonne envie d’achever le Louvre, et de faire dorer la galerie tout du long, comme il y en a un bout : ce fut lui qui le fit faire. Sa cagoterie parut en ce qu’il brûla quelques nudités de grand prix qui étoient à Fontainebleau. En récompense, il entretenoit assez bien les maisons du Roi. Il étoit concierge de Fontainebleau[2].

Une fois que le cardinal vouloit faire venir un notaire : « Il n’est pas besoin, monseigneur, lui dit-il ; je suis secrétaire du Roi, je ferai bien ce qu’il faut. » Le cardinal rompit un jour par hasard une petite canne fort jolie qu’il aimoit assez. Le petit bon homme la prend, la rajuste et la rapporte à Son Éminence. On disoit qu’il ne voloit pas, mais il laissoit voler sous lui. Il avoit fait les vœux de Jésuite depuis son veuvage, mais il étoit exempt de porter l’habit et de vivre autrement qu’un séculier. Il fit tout le pis qu’il put à l’Université. Il a laissé un pauvre benêt de fils[3]. Ce fut lui qui découvrit au feu Roi que le cardinal avoit cinq cent mille écus chez Mauroy. Sa disgrâce est dans les Mémoires de la Régence.

Ce fut lui qui fut cause de la mort de Saint-Prueil, et Saint-Prueil[4] le dit bien : « C’est un cagot ; il ne me pardonnera jamais. » Saint-Preuil avoit donné sur les oreilles à un petit d’Aubray qu’il avoit mis à Arras pour les finances.

Le maréchal de Brezé, pour faire enrager de Noyers, mettoit toujours des ordures dans les lettres qu’il lui écrivoit, comme : « Allez vous faire f.... avec vos f..... ordres. » Le moyen, disoit le petit homme, que les affaires du Roi prospèrent après ces abominations-là ! Il avoit le département de la guerre.

Ce n’est pas que Saint-Prueil ne fût un homme violent et un tyran, mais galant homme du reste, et qui dépensoit tout. Il y a dans son procès imprimé une lettre du feu Roi, qui est une ridicule lettre. La voici : « Brave et généreux Saint-Prueil, vivez de concussion, plumez la poule sans crier ; faites comme font tels et tels ; faites ce que font beaucoup d’autres dans leurs gouvernements ; tout est bien fait pour vous ; vous avez tout pouvoir dans votre empire ; tranchez, coupez ; tout vous est permis ! »

  1. François Sublet de Noyers, né en 1578, mort à Dangu, le 20 octobre 1645.
  2. Ce fut lui qui fonda l’Imprimerie royale, d’abord établie dans les galeries du Louvre.
  3. Le fils de M. de Noyers, appelé La Boissière, ne manque nullement d’esprit ; c’est une espèce de visionnaire et d’avaricieux qui mène une vie retirée, et qui ne s’occupe guère à rien. On a retiré sur lui la terre de Dangu que son père avoit achetée sans prendre bien garde à sa sûreté. Il l’a perdue ; il vit encore en l’an 1672. (T.)
  4. François de Jussac, seigneur de Saint-Prueil, maréchal-de-camp, gouverneur d’Arras, décapité pour satisfaire la haine du cardinal de Richelieu.