Les Historiettes/Tome 2/43

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 2p. 317-319).


LE MAISTRE (ANTOINE).


Un maître des comptes, nommé Le Maistre (Isaac), qui étoit originaire des Pays-Bas et fils d’un marchand linger de la rue Aubry-Boucher, épousa une sœur de M. d’Andilly. Ce bonhomme, sur la fin de ses jours, se fit de la religion. Toute la famille des Arnauld, catholique, se mit à le persécuter à tel point qu’ils lui imposèrent assez de choses pour le faire mettre à la Bastille. On a dit que c’étoit un extravagant et qui maltraitoit sa femme. Son fils même ne l’épargna pas, et ce pauvre homme mourut dans la persécution. Sa veuve fut gouvernante de mademoiselle de Longueville. Au sortir de là, elle se retira à Port-Royal, abbaye auprès de Chevreuse, dont une de ses sœurs étoit et est encore abbesse. Le Maistre, l’avocat, son fils, s’y retira après, et eut au commencement permission d’y faire accommoder une chambre dans la basse-cour. Il travailloit de ses mains, béchoit la terre, portoit la hotte en habit de bure, gros chapeau et gros souliers, et faisoit aussi les affaires de la maison. Après, les religieuses, à cause du lieu malsain, ayant été transférées en partie au faubourg Saint-Michel, M. d’Andilly s’y retira, mais avec son équipage ordinaire, et il y fit un fruitier et quelque petit logement séparé des religieuses. Il a toujours été jardinier, et, par une curiosité ridicule, il avoit à Andilly jusqu’à trois cents sortes de poires dont on ne mangeoit point[1]. D’autres se joignirent à eux, M. Arnauld, M. de Singlin, M. Rebours et autres ; ils firent faire aussi dans Port-Royal du faubourg un logement pour eux dans la basse-cour. Ils ne donnent rien à l’extérieur. Leur autel est fort simple, et on dit que c’est un autel fort dévot. De grands seigneurs se sont depuis faits des leurs, et ce sera bientôt un grand parti.

Pour revenir à M. Le Maistre, il auroit eu la réputation d’Hortensius s’il n’eût point fait imprimer.

Le chancelier voulut que ses trois présentations fussent données au public. Dans le monde, c’étoit un monsieur d’une morale assez gaillarde ; on croit que quand il a fait retraite, ç’a été de dépit de ne pouvoir être avocat-général : il espéroit cela de M. le chancelier. D’autres ont pensé qu’il avoit dessein de se mettre à prêcher, mais que la dévotion l’a attrapé en chemin ; il avoit formé son éloquence dans les Pères. Il retira tous ses plaidoyers des mains de M. le chancelier. Comme il eut porté des œufs au marché à Linas, il alla avec le meneur aux plaids, et, voyant que cet homme ne disoit pas bien le fait, il se mit à parler. Tout le monde fut surpris de voir cela ; mais après on sut qui c’étoit.

Durant la Fronde, qu’on imprimoit tout, ses plaidoyers furent imprimés. Depuis, à l’âge de cinquante ans, il les revit, et les donna au public plus corrects[2].

  1. On ne sait comment Tallemant a pu trouver ridicule qu’Arnauld d’Andilly, retiré à Port-Royal-des-Champs, ait fait de la culture des arbres fruitiers l’objet d’une innocente distraction. La postérité, plus juste que les contemporains envers cet honnête homme, n’oubliera pas qu’on lui doit les notions les plus utiles sur la culture des arbres fruitiers. Modeste par système, il a donné, en 1652, sous le nom de Le Gendre, curé d’Hénonville, un livre intitulé : La Manière de bien cultiver les arbres fruitiers. Il a perfectionné les espaliers ; il a inventé les contre-espaliers, et sa plus douce récompense a été l’honneur qu’Anne d’Autriche lui faisoit d’accepter, chaque année, quelques-uns de ses plus beaux fruits. (Voyez l’Histoire de la vie privée des François, par Le Grand d’Aussy, Paris, 1782, t. I, p. 169 et suiv.)
  2. C’est l’édition de 1654, in-4o.