Les Historiettes/Tome 2/39

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 2p. 310-311).


ARNAULD (JEANNE).


Il y eut une Arnauld qui demeura fille ; on l’appeloit mademoiselle Jeanne Arnauld. Elle étoit huguenote. C’étoit un original ; elle avoit fait un lit de réseau, qui lui sembloit admirable. Elle pria une personne qui avoit habitude chez le cardinal de Richelieu de faire qu’on parlât de ce lit à Son Éminence, et que, pour cela, elle se contenteroit d’une maison pour se loger ; puis, quelque temps après, elle la pria de n’en point parler, « parce que, disoit-elle, quand je songe qu’un prêtre coucheroit dans un lit qu’une pucelle huguenote a fait de ses propres doigts, j’en ai horreur, et ne saurois m’y résoudre. »

Au commencement de la régence, quand on eut une terreur panique à Charenton, elle disoit qu’elle avoit « tiré son petit couteau pour mourir avec sa fleur virginale. » Il n’y eût pas eu, je pense, grande presse à la lui ôter ; elle n’avoit que soixante ans, mais en revanche elle étoit toujours habillée comme en sa jeunesse ; toujours de la dentelle du temps de Henri IV. Elle avoit de la raison en une chose, c’est qu’elle conseilloit aux filles de se marier, et qu’il n’y avoit rien de si ridicule qu’une vieille fille.

Il lui prit une vision de se faire faire un tombeau à Charenton[1] ; mais elle avoit honte d’en avoir et que mademoiselle Anne de Rohan n’en eût pas. Elle alla donc parler à madame de Rohan la jeune dans sa place à Charenton, et lui dit : « Madame, il y a long-temps que j’ai quelque chose à vous dire. Cela est honteux que M. le maréchal de Gassion ait un tombeau, et que mademoiselle votre tante n’en ait point, elle qui étoit, sans comparaison, de meilleure maison que lui : faites-lui-en faire un. » Madame de Rohan, au lieu de rire de cela, comme eût fait sa mère, lui répondit d’un ton aigre : « Mademoiselle, de quoi vous mêlez-vous ? Ma tante a voulu être enterrée dans le cimetière, et, s’il falloit que je fisse faire des tombeaux à tous mes parents, vraiment je n’aurois pas besogne faite. » La pucelle s’en plaignit à tout le monde : « Voyez, quelle fierté ! disoit-elle ; je veux bien qu’elle sache que je suis aussi bien demoiselle qu’elle est dame ! »

À propos de tombeau, elle avoit fait faire une bière de menuiserie la mieux jointe qu’il y eût au monde, car, disoit-elle sérieusement, je ne veux point sentir le vent coulis. Elle fait elle-même un drap mortuaire de satin blanc brodé pour ses funérailles, en intention de le donner à l’église pour servir à toutes les filles, et elle gardoit, depuis je ne sais combien de temps, trois douzaines de petits cierges ou chandelles dorées pour ses funérailles. Regardez quelle vision pour une huguenote. Il lui fallut promettre qu’on les porteroit à son enterrement ; mais ce fut dans un carrosse, et on ne les en tira pas, comme vous pouvez penser.

  1. En 1649. (T.)