Les Historiettes/Tome 2/38

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 2p. 308-310).


ARNAULD LE PÉTEUX[1].


Arnauld le péteux étoit demeuré garçon et étoit huguenot ; il avoit été contrôleur des restes[2] par la faveur de M. de Sully ; mais c’étoit un pauvre garçon qui fit bien mal ses affaires. Il ne ressembloit à ses frères ni en esprit ni en vanité. On le surnomma le péteux, à cause que de jeunesse, il s’étoit accoutumé à péter partout. Madame Des Loges lui dit une fois : « Vois-tu, mon pauvre garçon, tous les Arnauld ont du vent ; la différence qu’il y a, c’est que les autres l’ont à la tête, et toi tu l’as au cul. » Il logeoit avec sa sœur L’Hoste et son neveu de Montfermeil, un grand mélancolique qui n’est pas plus sage qu’un autre. Il falloit que ce pauvre bon homme attendît que ce neveu se réveillât lui-même pour se lever les dimanches, car Montfermeil est aussi huguenot, et quelquefois ils arrivoient à mi-presche : ce fou ne veut pas qu’on l’éveille. Il vivoit avec tant de cérémonie avec cet oncle qui étoit un boute-tout-cuire[3], que cet homme n’osoit manger une langue de carpe, sans la lui présenter. Un jour ils furent si long-temps à faire des compliments sur cela, qu’un valet la prit, et dit que c’étoit de peur qu’ils ne se battissent. Montfermeil maria sa seconde sœur avec un gentilhomme normand, mal en ses affaires, nommé Hequetot, qui devroit plutôt être picard, car il épousa une laide et vieille fille sans toucher le mariage. Ne pouvant en rien tirer, il alla durant les troubles (1649) se mettre dans Montfermeil, vendit ce qu’il put, et n’en sortit point qu’on ne l’eût satisfait en quelque sorte. Le premier gendre est bien meilleur homme, car, quoiqu’il n’ait touché guère davantage, il ne demande rien. Il est fort riche, mais un peu fou, et quelquefois jusques à être lié. Il dit d’une maison qu’il a sur un coteau, au bord de la Seine[4] : « Chose étrange ! plus on monte à ma maison, plus on a belle vue ! »

Cette mademoiselle L’Hoste, la mère, se mit une chose dans la tête qui fait bien voir la vanité de la famille. Un peu après le malheur de Philipsbourg, un de nos ministres, nommé Daillé, dit, à propos de son texte, que quand les hommes abandonnoient la cause de Dieu, il permettoit qu’ils tombassent dans l’ignominie. Elle s’en plaignit, et dit qu’on avoit parlé contre M. Arnauld de Corbeville qui avoit changé de religion.

Une Arnauld, mariée à un gentilhomme nommé M. de Canzillon, disoit qu’il n’y avoit de feu bien sain que celui de cotrets ; ils firent, son mari et elle, si beau feu qu’ils n’avoient pour subsister que ce que leurs parents leur donnoient.

  1. Louis Arnauld, secrétaire du Roi, contrôleur-général des restes, étoit, dit Arnauld d’Andilly, le seul de tant de frères qui n’avoit pas l’esprit fort élevé. (Mémoires d’Arnauld d’Andilly, dans la Collection des Mémoires relatifs à l’histoire de France, deuxième série, tome 33, pag. 324.) Le neveu se donne bien de garde de donner à son oncle le beau surnom qui distinguoit ce dernier des autres Arnauld.
  2. Restes, reliqua rationum, débits des comptables. (Dictionnaire de Trévoux.)
  3. Terme populaire qui se dit d’un dissipateur qui mange tout. (Dict. de Trévoux.)
  4. Meudon, vers Saint-Germain. (T.)