Les Historiettes/Tome 2/16

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 2p. 99-102).
◄  Sauvage


M. DE MONTMORENCY[1].


Le dernier duc de Montmorency demeura maître de son bien à dix-neuf ans. Mais M. de Portes, son oncle, qui étoit un homme d’esprit, prit le soin de sa conduite, et fit aller long-temps toute sa maison. Quoiqu’il eût les yeux de travers, M. de Montmorency étoit pourtant de fort bonne mine. Il avoit le geste le plus agréable du monde : aussi parloit-il plus des bras que de la langue. On dit, à propos de cela, que M. de Montmorency étant entré en une compagnie où étoit feu M. de Candale[2], tout le monde lui fit fête, quoiqu’il n’eût fait proprement que remuer les bras : « Jésus, dit M. de Candale, que cet homme est heureux d’avoir des bras ! » Madame de Rambouillet dit qu’une fois il voulut conter quelque chose qu’il savoit fort bien ; mais il s’embrouilla tellement, que le cardinal de La Valette, par pitié, fut contraint de prendre la parole et d’achever le conte. Il commençoit souvent des compliments et demeuroit à mi-chemin. On avoit quelquefois bien de la peine à s’empêcher de rire. Il ne disoit pas de sottises, mais il avoit l’esprit court. En récompense, il étoit brave, riche, galant, libéral, dansoit bien, étoit bien à cheval et avoit toujours des gens d’esprit à ses gages, qui faisoient des vers pour lui[3], qui l’entretenoient fréquemment, et lui disoient quel jugement il falloit faire des choses qui couroient en ce temps-là.

Il donnoit beaucoup aux pauvres. Il étoit aimé de tout le monde, mais adoré de son quartier. Il étoit fort libéral. Il entendit qu’un gentilhomme disoit : « Si je trouvois vingt mille écus à emprunter seulement pour deux ans, ma fortune seroit faite. » Il les lui prêta. Au terme le gentilhomme lui rapporta l’argent. « Allez, lui dit-il, c’est assez que vous m’ayez tenu parole ; je vous les donne de bon cœur. »

On dit qu’il envoya une fois à la marquise de Sablé, durant sa grande passion, une donation de quarante mille livres de rente en fonds de terre, mais qu’elle ne la voulut pas recevoir.

Il aima d’abord la Choisy, fille de bon lieu, mais très-galante. Elle fut mariée depuis, et fit mettre sur son tombeau, comme l’on voit à Saint-Paul, qu’elle avoit été fort estimée des grands, et qu’elle avoit eu l’amitié de plusieurs.

Après, il fut amoureux de la Reine ; les Anglois l’interrompirent. C’étoit en même temps que M. de Bellegarde. Il recommença après. Il en avoit un portrait, et une fois il fit mettre un homme à genoux pour le lui montrer.

Bassompierre et lui eurent querelle. Bassompierre dansoit mal, et il s’en moqua à un bal. « Il est vrai, lui dit Bassompierre, que vous avez plus d’esprit que moi aux pieds, mais j’en ai aussi ailleurs plus que vous. — Si je n’ai pas aussi bon bec, j’ai bien aussi bonne épée, répondit Montmorency. — Oui dà, répliqua Bassompierre, vous avez celle du grand[4] Anne de Montmorency. » On les accorda avant qu’ils se séparassent.

Il eut encore une querelle avec le duc de Retz[5], petit-fils d’Albert de Gondi et fils du marquis de Belle-Île. M. de Montmorency avoit été accordé et même marié, mais sans coucher ensemble, avec l’héritière de Beaupréau ; mais la Reine-mère fit rompre le mariage pour lui donner une de ses parentes de la maison des Ursins[6] qu’elle fit venir exprès[7]. Depuis, M. de Retz épousa mademoiselle de Beaupréau, et M. de Montmorency, au lieu de duc de Retz, l’appela duc de mon reste. On les accorda sur l’heure.

Sa femme, qui n’étoit pas une fort agréable personne, devint bientôt jalouse de lui. Cependant, pourvu qu’il lui fît confidence de ses galanteries, elle ne lui donnoit point de peine, mais elle ne vouloit pas qu’il lui mentît. M. de Montmorency avoit une telle vogue, qu’il n’y avoit pas une femme de celles qui avoient un peu la galanterie en tête, qui ne voulût, à toute force, en être cajolée, et il en est venu des provinces exprès pour tâcher à lui donner dans la vue. C’est pour cela que la marquise de Sablé, toute délicate qu’elle étoit en gens, en faisoit un très-grand cas, et c’est avec lui qu’elle a le plus fait de galanteries.

Pour la guerre, c’étoit un fort ignorant homme ; il le fit voir quand il se fit prendre. On en trouva une centurie dans Nostradamus qui est étonnante. Il y a :

Neuve[8] obturée[9] au grand Montmorency,
Hors lieux prouvés[10] délivre à clere peine[11].

Mené à Toulouse au commencement, il déclina disant que c’étoit au Parlement des pairs à le juger ; mais il s’en désista en disant : « À quoi servira de chicaner ma vie ? Je serai aussi bien condamné à Paris qu’ici. » Il envoya sa moustache, sa cadenette (on n’en portoit qu’une au côté gauche en ce temps-là) à sa femme avec une lettre. Cette pauvre femme se retira à Moulins dans un couvent[12] où elle pleura tant, que de voûtée qu’elle étoit devenue d’une grande fluxion, elle devint droite comme auparavant, sa fluxion s’étant écoulée par les yeux. Mairet, en lui dédiant une tragédie, lui donna la qualité de Très-inconsolable princesse. Elle a fait faire un tombeau magnifique à son mari[13], et elle a pris cette année l’habit de religieuse.

  1. Henri II, duc de Montmorency né à Chantilly, le 30 avril 1595, décapité à Toulouse le 30 octobre 1632. L’Histoire de Henri, dernier duc de Montmorency, pair et maréchal de France, a été publiée par Simon Ducros ; Paris, 1663, in-4o.
  2. M. le duc de Candale étoit fils aîné du duc d’Épernon, et l’un des hommes les plus recherchés de son temps.
  3. Théophile, Mairet. (T.)
  4. Il jouoit sur âne. (T.)
  5. Il vit encore, et a marié sa fille au frère aîné du cardinal de Retz. (T.)
  6. Marie Félice des Ursins, née en 1600.
  7. Un Ursin épousa la sœur du grand-père de la Reine-mère. (T.)
  8. Neuve, Castelnaudary. (T.)
  9. Obturée, fermée. On ne lui voulut pas ouvrir les portes. (T.)
  10. Prouvés, publics. On ne le fit pas mourir en place publique. (T.)
  11. Clere peine, manière de prononcer du Parlement de Toulouse. (T.)

    Nostradamus, centurie 9, quatrain 18.
  12. Dans le couvent de la Visitation dont elle mourut supérieure le 5 juin 1666.
  13. Ce monument funéraire existe encore.