Les Historiettes/Tome 2/14

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 2p. 88-97).
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M. D’ORLÉANS (GASTON)[1].


M. d’Orléans étoit fort joli en son enfance, et on lui faisoit dire, il y a sept ou huit ans, en voyant le Roi et M. d’Anjou : « Ne vous étonnez de rien ; j’étois aussi joli que cela. » Il fit pourtant une chose fort ridicule à Fontainebleau, où il fit jeter dans le canal un gentilhomme qui, à son avis, ne lui avoit pas assez porté de respect. Il y eut du bruit pour cela ; il ne vouloit point demander pardon à ce gentilhomme, quoiqu’on lui rapportât l’exemple de Charles IX qui, étant roi, et ayant su qu’un homme, auquel, dans l’ardeur de la chasse, il avoit donné un coup de houssine (l’autre s’étant mis mal à propos dans son chemin), étoit gentilhomme, dit : « Je ne suis que cela, » et lui en fit satisfaction. L’autre pourtant ne voulut jamais paroître à la cour. La Reine-mère vouloit qu’il eût le fouet, et cela l’y fit résoudre. M. d’Orléans s’est plaint plusieurs fois qu’on ne lui avoit donné pour gouverneur qu’un Turc et qu’un Corse : M. de Brèves, qui avoit été si long-temps à Constantinople qu’il en étoit devenu tout mahométan, et le maréchal d’Ornane, fils d’Alphonse de Corse. Ce maréchal avoit un plaisant scrupule : il n’osoit toucher à aucune femme qui eut nom Marie, tant il avoit de dévotion pour la Vierge ; amoureux de madame de Gravelle, il la fit peindre avec des rayons qui lui sortoient des yeux, et il y avoit au bas :

Et de ses yeux sortoient de grands rayons.

Gaston a un peu fait le fou en sa jeunesse, et la nuit il a brûlé plus d’un auvent de savetier. Il a toujours été assez bon, et il ne manque point d’esprit. Un jour, comme il y avoit beaucoup de courtisans avec lui à son lever, une montre d’or sonnante qu’il aimoit fort fut volée. Quelqu’un dit : « Il faut fermer les portes et fouiller tout le monde. » Monsieur dit humainement : « Au contraire, messieurs, sortez tous, de peur que la montre vienne à sonner et à découvrir celui qui s’en est accommodé ; » et il les fit tous sortir.

Il a beaucoup de mémoire ; il sait tous les simples par cœur. À propos de cela, Brunier, son premier médecin, un jour que dans le Jardin des Simples il lui contoit je ne sais quoi qu’il avoit fait, qui n’étoit pas trop raisonnable, lui dit naïvement : « Monsieur, les aliziers font les alizes, et les sottisiers font les sottises. »

Bezançon, qui le quitta depuis, lui chanta une fois en une débauche un impromptu sur une chanson qui couroit à la louange du cabaret, dont la reprise étoit :

Mais parce qu’au tac du couteau
On a tout ce que l’on demande.

Gaston qui savez mieux que nous
Tous les secrets de la taverne,
De celui-ci souvenez-vous,
Ou bien je crains qu’on ne vous berne.
Ma foi ne faites pas le veau :
Frappez si fort qu’on vous entende,
Puisqu’au seul tac tac du couteau
On a tout ce que l’on demande.

Il voyoit les personnes de qualité, et ne faisoit point comme on veut que M. d’Anjou fasse.

La plus belle chose qu’il ait faite en sa vie, c’est d’avoir gardé la foi à sa seconde femme[2], et n’avoir jamais voulu l’abandonner. C’est une pauvre idiote, et qui pourtant a de l’esprit. Quand on les remaria à Meudon, après la mort du cardinal, elle pleuroit, parce qu’elle croyoit avoir été en péché mortel jusque là. Elle est belle, mais elle a les dents gâtées et tient la tête entre les épaules. Il est vrai qu’elle se redresse en dansant et danse bien. C’est tout le contraire de sa devancière qui étoit fière comme un dragon. Le Roi se réjouit fort quand il vit qu’elle n’avoit fait qu’une fille, et cria : « Tout est fendu. »

En une débauche où chacun contoit quelque chose pour se moquer du cardinal de Richelieu, M. de Chavigny en fit aussi un conte. M. d’Orléans lui dit en souriant : Et tu quoque, fili, car on disoit qu’il étoit fils du cardinal, qui étant jeune avoit couché avec madame Bouthillier (elle est Bragelonne). C’est cette femme qui a fait la fortune de la maison. Elle fit mettre son mari chez la Reine-mère, et ensuite il devint surintendant des finances. Elle fit aussi donner la coadjutorerie de Tours à son beau-frère.

Parlons un peu des amours de Monsieur. Étant veuf, il étoit bien jeune encore, il disoit : « Je ne suis guère propre à la galanterie qui règne encore de faire le malade, d’être pâle et de s’évanouir. » En effet, il a toujours été vermeil. Je pense qu’il a eu des amourettes en Flandre, mais je n’ai rien trouvé de mémorable. À son retour, il devint amoureux d’une belle personne du quartier Saint-Paul, nommée madame de Ribaudon : elle étoit Bragelonne. On en fit des vaudevilles :

La Ribaudon, quand Monsieur la regarde,
Père, frère, mari, tout le monde est en garde,
  Tout doux, etc.....

  Tout doux, etc...AUTRE.

  Monsieur dit à la Ribaudon :
  Si tu le veux nous le ferons,
   Tutaine, tuton,
   Tutaine, tutu,
   Ton mari cocu ;

     Ton ton
    Monsieur Ribaudon
   Tutaine tuton tutaine.

La belle lui a répondu :

  Vous êtes un gentil luturlu,
   Tutaine tuton tutaine
    Tu tu,
   Pour faire cocu
    Ton ton
   Monsieur Ribaudon,
   Tutaine tuton tutaine.

En ce temps-là, il jouoit et mangeoit fort souvent avec les dames du voisinage de cette belle. Il faisoit cas de madame de Ribaudon, mais on ne dit point qu’il en ait reçu aucune faveur. Depuis, elle mourut pour ne s’être pas assez conservée. Elle étoit délicate, et vouloit faire tout ce que font les plus robustes.

Après madame de Ribaudon, Monsieur aima une fille de Tours, appelée Louison Roger. Elle appartenoit aux principaux de la ville. M. de Montbazon, qui avoit du bien auprès de Tours, et y étoit souvent, avant cela, lui avoit donné une petite plaque d’argent ; Monsieur lui en donna une grande. Cette fille étoit plaisante, et avoit l’esprit vif. Un jour, comme ils causoient, elle se mit à crier : « Ah ! mon Dieu, la grande plaque de Monsieur a pensé engloutir la petite plaque de M. de Montbazon. » Elle fut deux ans à ne vouloir pas souffrir que Monsieur lui parlât qu’en présence de deux prudes. Une fois il fit semblant de se vouloir tuer. Les parents, lâches et intéressés, fermoient les yeux à tout. Il en jouit à la fin. Elle devint si sotte, qu’elle ne faisoit pas asseoir les dames de la ville. Il y eut bien des réjouissances durant cette amourette, mais la jalousie s’y mit bientôt, car L’Épinay, gentilhomme de Normandie, qui étoit alors comme le favori de Monsieur[3], fut disgracié, et Louison aussi. Ce L’Épinay, à ce qu’on dit, avoit servi si fidèlement son maître auprès de cette fille, qu’on a cru qu’il y avoit passé le premier. Il vécut avec si peu de discrétion, que le bruit en vint aux oreilles du Roi. Il ne manqua pas d’en railler Monsieur, qui jusque là ne s’étoit douté de rien, quoiqu’il soit honnêtement soupçonneux. La première fois qu’il vit la belle, il lui fit tout confesser, et L’Épinay, sachant cela, fut si imprudent, qu’au lieu de lui écrire qu’il s’étonnoit qu’elle dît le contraire de ce qu’elle savoit, lui écrivit par le comte de Brion une lettre par laquelle il la prioit de lui envoyer de ses cheveux. Louison ne la voulut pas recevoir, et en avertit Monsieur. Il fit fouiller Brion, et ne lui trouva point la lettre ; mais quand on fut chercher à son logis, elle fut trouvée dans la paillasse de son lit. La Rivière disoit que M. d’Orléans avoit trouvé dans les chausses de M. de Brion une lettre de Louison à L’Épinay. Il délibéra de le faire poignarder, et en parla au feu Roi, qui en fut d’avis, car, outre qu’il étoit naturellement un peu cruel, il croyoit que cet exemple retiendroit ceux qui s’émancipoient d’en conter à mademoiselle d’Hautefort. Mais le cardinal de Richelieu, qui fut de ce conseil, empêcha la chose. Le cardinal n’aimoit pas que la cour s’accoutumât à faire assassiner les gens. Monsieur fit pourtant mettre des gardes autour du logis de Louison, la nuit, avec ordre de tuer L’Épinay s’il y venoit.

J’ai su d’un de mes amis, qui le tenoit de l’abbé de La Rivière, que M. L’Épinay s’en allant à Paris, après que Monsieur l’eut chassé, rencontra M. de Brion à Étampes, à qui, comme à son ami, il donna une lettre pour Louison, où il y avoit que sa disgrâce n’étoit un malheur pour lui qu’à cause qu’elle l’éloignoit de ce qu’il aimoit, et qu’il n’avoit pour toute consolation que le plaisir de baiser le bracelet de cheveux qu’elle lui avoit donné. Monsieur est averti que M. de Brion avoit vu L’Épinay en chemin. Il attend que Brion fût couché, puis il va dans sa chambre, et se saisit de son haut-de-chausses, où étoit la lettre. Voilà ce qui l’acheva de persuader que Louison lui avoit fait infidélité.

L’Épinay chassé s’en alla en Hollande, où il eut facilement accès chez la reine de Bohème. Comme il y entra avec la réputation d’un homme à bonne fortune, il y fut tout autrement regardé qu’un autre, et, dans l’ambition de n’en vouloir qu’à des princesses ou à des maîtresses de princes, on dit qu’il cajola d’abord la mère, et après la princesse Louise, car les Louises étoient fatales à ce garçon. On dit que cette fille devint grosse, et qu’elle alla pour accoucher à Leyde, où l’on n’en faisoit pas autrement la petite bouche. La princesse Élisabeth[4], son aînée, qui est une vertueuse fille, et une fille qui a mille belles connoissances, et qui est bien mieux faite qu’elle, ne pouvoit souffrir que la Reine, sa mère, vît de bon œil un homme qui avoit fait un si grand affront à leur maison. Elle excita ses frères contre lui ; mais l’électeur se contenta de lui jeter son chapeau à terre un jour qu’étant à la promenade à pied, il s’étoit couvert par ordre de la Reine, à cause qu’il pleuvoit un peu. Mais le plus jeune de tous, nommé Philippe (il fut tué depuis à la bataille de Rhétel), ressentit plus vivement cette injure, et un soir, proche du lieu où l’on se promène à La Haye, il attaque L’Épinay, qui étoit accompagné de deux hommes, et lui n’en avoit pas davantage. Ils se battirent quelque temps : il survint des gens qui les séparèrent. Tout le monde conseilla à L’Épinay de se retirer, mais il n’en voulut jamais rien faire. Enfin, un jour qu’il avoit dîné chez M. de La Tuilerie, ambassadeur de France, il sortit avec Des Loges (fils de M. Des Loges). Si l’on eût cru que le prince Philippe eût osé le faire assassiner en plein jour, on n’eût pas manqué de le faire accompagner, et il s’en fallut peu que M. de La Vieuville (le duc aujourd’hui), qui avoit dîné chez l’ambassadeur, ne prît le même chemin. Il fut donc attaqué par huit ou dix Anglois, en présence du prince Philippe. Des Loges ne mit point l’épée à la main ; L’Épinay seul se défendit le mieux qu’il put ; mais il fut percé de tant de coups, que les épées se rencontroient dans son corps. Il voulut tâcher à se sauver, mais il tomba ; toutefois il fit encore quelque résistance à genoux, et enfin il rendit l’esprit.

Pour ce qui est de la princesse Louise, elle a changé de religion, et est abbesse de Maubuisson, où elle mène une vie exemplaire. Madame de Longueville écrivoit de La Haye, où elle la vit en allant à Munster : « J’ai vu la princesse Louise, et je ne crois pas que personne envie à L’Épinay la couronne de son martyre. » Pour la reine de Bohème, on croit seulement qu’elle étoit bien aise que sa fille se divertît. L’Épinay étoit bien à la cour du prince d’Orange, qui n’étoit pas fâché qu’il fût souvent avec son fils. L’Épinay avoit l’esprit adroit, et assurément il y auroit fait fortune.

Cependant la pauvre Louison, voyant que Monsieur ne vouloit pas reconnoître le fils dont elle étoit accouchée, se mit en religion à Tours, aux Filles de la Visitation, donna à ses amies tout ce qu’elle avoit pu avoir de chez elle et de Monsieur, et ne laissa que vingt mille livres à son fils, du revenu desquelles on l’entretiendroit jusqu’à ce qu’il fût reconnu, ou qu’il fût en état de s’aller faire tuer à la guerre, si on ne le vouloit pas reconnoître. Ce petit garçon mit une fois l’épée à la main ; quelqu’un lui dit : « Rengaînez, petit vilain ; voilà le vrai moyen de n’être jamais reconnu. » Monsieur n’est nullement brave[5]. Elle vit bien. Étant supérieure du couvent, on lui vint dire : « Madame, on a fait quatre cents toises de muraille. — Je n’entends point cela, répondit-elle ; combien sont-ce d’aunes ? » Il n’y a que quatre ans que Monsieur, passant à Tours, eut envie de la voir. Madame l’en empêcha. Elle envoya du fruit à Madame. Mademoiselle a pris amitié pour ce petit garçon, qui est fort joli, et elle l’a auprès d’elle. Monsieur n’a garde de le reconnoître, car, outre qu’il croit que L’Épinay en est le père, il lui faudroit donner du bien.

M. d’Orléans a toujours l’esprit un peu page. Un jour qu’il vit un des siens qui dormoit la bouche ouverte, il lui alla faire un pet dedans. Ce page, demi-endormi, cria : « B....., je te ch.. dans la gueule. » Monsieur avoit passé outre. Il demande à un valet-de-chambre, nommé Du Fresne : « Qu’est-ce qu’il dit ? — Il dit, monseigneur, dit gravement le valet-de-chambre, qu’il ch.. dans la gueule à Votre Altesse Royale. »

Ce même homme, qui fait comme cela des tours de page, a une sotte gloire, comme de ne vouloir pas qu’on se couvre jamais dans son carrosse, non pas même en voyage. Le feu Roi s’en moquoit hautement. Il est si inquiet, qu’il faut le boutonner en courant. Il a toujours son chapeau comme un gloriot, siffle toujours, et a toujours la main dans ses chausses. Nous dirons le reste dans les Mémoires de la Régence.

  1. Gaston, Jean-Baptiste de France, duc d’Orléans, frère de Louis XIII, né le 25 avril 1608, mort le 2 février 1660.
  2. Marguerite de Lorraine.
  3. Lui qui s’est toujours laissé gouverner, se plaignit que le cardinal de Richelieu gouvernât le Roi son frère. (T.)
  4. C’est avec cette princesse que Descartes correspondoit.
  5. Le vieux Lambert, gouverneur de Metz, qui avoit servi long-temps sans recevoir une égratignure, disoit en riant : « Un tel (j’en ai oublié le nom), monsieur d’Orléans et moi, quoique nous ayons bien été aux coups, n’avons pourtant jamais été blessés. » (T.)