Les Historiettes/Tome 2/1

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 2p. 1-3).

LE MARÉCHAL DE MARILLAC[1].


Le maréchal de Marillac étoit fils d’un avocat. En ce temps-là véritablement les avocats étoient plus considérés qu’à cette heure, à cause que la paulette[2] n’étoit pas encore établie, et qu’on prenoit de leur corps les présidents et les gardes-des-sceaux. On disoit que Marillac étoit gentilhomme, mais c’étoit un gentilhomme dubiæ nobilitatis. Cet homme, dans le dessein de se pousser à la cour, prit l’épée. Il étoit grand et bien fait, robuste et adroit à toutes sortes d’exercices. Il se mêle parmi les grands seigneurs ; et comme il avoit de l’esprit et du sens, il s’avisa de demander en mariage une fille de la Reine-mère, qui étoit Médicis, mais d’une branche si éloignée, que la Reine ne la reconnoissoit en aucune façon pour sa parente. Ce nom de Médicis ne fut pas inutile à Marillac. Il le fit valoir comme il avoit prétendu. C’étoit lui qui étoit toujours dépêché pour les affaires de la Reine-mère ; et, comme il s’acquittoit bien de toutes ses commissions, insensiblement il se rendit considérable. M. de Luçon[3] crut que cet homme ne lui seroit pas inutile ; les voilà unis. Dans les guerres d’Italie, Marillac demande de l’emploi ; il en a, et, hors de payer de sa personne, il faisoit tout admirablement bien. On croit qu’il eût pu devenir grand capitaine, car il y en a eu qui ont fait bien du bruit sans aller aux coups. Il est vrai qu’en France cela est plus difficile qu’en Espagne et qu’en Italie. On disoit qu’à Rouen, ayant pris querelle à la paume avec un nommé Caboche, et ayant été séparés, il le rencontra après, et le tua avant que l’autre ait eu le loisir de mettre l’épée à la main. C’étoit devant qu’il eût de l’emploi. Il prétendit être maréchal de France et le fut, et son frère aîné, qui étoit de robe, gardes-des-sceaux. Depuis, ils cabalèrent pour débusquer le cardinal, et Vaultier craignoit qu’ils eussent toute l’autorité chez la Reine. Le cardinal, qui dans son Journal appelle toujours ce maréchal Marillac l’Épée, le fit arrêter, et le fit condamner fort légèrement. Ce fut à Ruel, dans la propre maison du cardinal, que le maréchal de Marillac étoit gardé. Comme ce maréchal n’étoit pas un sot, il déclina, et ne voulut pas reconnoître des commissaires. Enfin on l’enjôla, et ses propres parents y servirent innocemment. On lui fit accroire qu’il ne pouvoit courir risque de la vie ; mais que s’il ne reconnoissoit ses juges, il seroit prisonnier pour le reste de ses jours. Il les reconnut, et eut le cou coupé. Il faut dire, à la louange d’un M. Frotté, son secrétaire, que le cardinal fit tout ce qu’il put au monde pour le gagner, mais il n’en put venir à bout. M. de Châteauneuf présidoit au jugement. Il n’étoit pas trop bien avec le cardinal ; il s’y remit bien par ce bel arrêt. Il ne laissa lire qu’une fois les avis, au lieu de trois fois, et puis dit : Il y a arrêt. Chastellet vouloit revenir. On assure que le cardinal dit, comme si cela l’eût lavé en quelque sorte : « Je ne croyois pas qu’il y eût de quoi faire mourir M. de Marillac ; mais Dieu donne des connoissances aux juges qu’il ne donne pas aux autres hommes. Il faut croire qu’il étoit coupable, puisque ces messieurs l’ont condamné[4]. » On ne lui fit son procès que sur des ordres de tirer tant et tant de certains villages du Verdunois, pour les exempter des gens de guerre, et lui, disoit qu’il avoit employé cet argent à bâtir la citadelle de Verdun ; mais il n’en avoit point d’ordre. Châteauneuf en a été bien payé. Depuis, Bretagne, conseiller à Dijon, fut pour cela premier président de Metz[5].

  1. Louis de Marillac, né en Auvergne en juillet 1572, décapité à Paris, le 10 mai 1632. La Gazette du 17 mai 1632 dit que l’empressement pour assister à son exécution fut si considérable, que telle fenêtre fut louée huit pistoles.
  2. On appeloit ainsi le droit que payoient tous les ans au Roi la plupart des officiers de justice et de finance, pour pouvoir disposer librement de leurs charges.
  3. Richelieu, qui n’étoit encore, à cette époque, qu’évêque de Luçon.
  4. Ce propos a été attribué également au cardinal de Richelieu par l’abbé de Marolles, dans son Abrégé de l’Histoire de France. Bayle dit à cette occasion, article Louis XIII : « Si j’avois ouï dire cela à ce cardinal, je croirois qu’il tint ce discours. »
  5. On le trouva brûlé ; car un jour, étant demeuré seul, il étoit tombé dans le feu, et, comme il étoit foible, il ne s’en put tirer. (T.)