Les Historiettes/Tome 1/28

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 1p. 196-203).


MADEMOISELLE PAULET.


Mademoiselle Paulet étoit fille d’un Languedocien qui inventa ce qu’on appelle aujourd’hui la Paulette, invention qui ruinera peut-être la France[1]. Sa mère étoit de fort bas lieu et d’une race fort diffamée pour les amourettes. Elle disoit que son père étoit gentilhomme ; sa mère menoit une vie assez gaillarde. Mademoiselle Paulet avoit beaucoup de vivacité, étoit jolie, avoit le teint admirable, la taille fine, dansoit bien, jouoit du luth, et chantoit mieux que personne de son temps[2] ; mais elle avoit les cheveux si dorés qu’ils pouvoient passer pour roux. Le père, qui vouloit se prévaloir de la beauté de sa fille, et la mère, qui étoit coquette, reçurent toute la cour chez eux. M. de Guise fut celui dont on parla le premier avec elle. On disoit qu’il avoit laissé une galoche en descendant par une fenêtre. Il disoit qu’il lui sembloit avoir toujours le petit chose de la petite Paulet devant les yeux. M. de Chevreuse suivit son aîné, et ce fut ce qui la décria le plus, car il lui avoit donné pour vingt mille écus de pierreries dans une cassette : elle la confia à un nommé Descoudrais, à qui il la fit escamoter.

Le ballet de la Reine-mère, dont nous avons parlé dans l’Historiette de madame la Princesse[3], se dansa en ce temps-là. Elle y chanta des vers de Lingendes qui commençoient ainsi :

« Je suis cet Amphion, etc. »


Or, quoique cela convînt mieux à Arion, elle étoit pourtant sur un dauphin, et ce fut sur cela qu’on fit ce vaudeville :

« Qui fit le mieux du ballet ?
« Ce fut la petite Paulet
« Montée sur le dauphin,
« Qui monta sur elle enfin. »


Mais cela a été un pauvre monteur que ce monsieur le Dauphin. Son père y monta au lieu de lui. Henri IV, à ce ballet, eut envie de coucher avec la belle chanteuse. Tout le monde tombe d’accord qu’il en passa son envie. Il alloit chez elle le jour qu’il fut tué ; c’étoit pour y mener M. de Vendôme : il vouloit rendre ce prince galant ; peut-être s’étoit-il déjà aperçu que ce jeune monsieur n’aimoit pas les femmes. M. de Vendôme a toujours depuis été accusé du ragoût d’Italie. On en a fait une chanson autrefois :

« Monsieur de Vendôme..........(bis.)
« Va prendre Sodôme ;............(bis.)
« Les Chalais, les Courtauraux[4],
« Seront des premiers à l’assaut.
« Ne sont-ils pas vaillants hommes ?
« Chacun leur tourne le dos. »

J’ai ouï conter qu’en une partie de chasse, un bon gentilhomme, oyant chanter cette chanson, dit : « Ah ! que mon cousin un tel, qui est à M. le Prince, verra de belles occasions à ce siége ! — Mais vous, lui dit-on, n’y voulez-vous point aller ? » On le piqua d’honneur, et on lui fit acheter un cheval pour la guerre de Sodôme.

Le chevalier de Guise fut aussi amoureux de mademoiselle Paulet. M. Patru, dont le père étoit tuteur de mademoiselle Paulet, car alors le sien étoit mort, m’a dit qu’un frère qu’elle avoit, qui venoit chez le père de M. Patru pour apprendre la pratique, y apporta le cartel du baron de Luz au chevalier de Guise. Il falloit que le chevalier fût bien familier chez la demoiselle. On disoit alors en goguenardant : « Un bon concert à trois. » M. de Bellegarde, M. de Termes et M. de Montmorency en furent aussi épris. M. de Termes traitoit son amour en badinant, mais il étoit effectivement amoureux ; son frère ne l’étoit pas autrement, mais il auroit été fâché que son frère eût été mieux que lui avec elle. Ce M. de Termes fit un vilain tour à mademoiselle Paulet. Un garçon de bon lieu, de Bordeaux, et à son aise, nommé Pontac, la vouloit, à ce qu’on dit, épouser. Termes, sans dire gare, lui donna des coups de bâton. Lui se retira à Bordeaux, et elle ne voulut jamais depuis voir un amant qui traitoit si cruellement ses rivaux.

Quelque temps après elle se sépara de sa mère, et se retira pour quelques jours à Châtillon[5] avec une honnête femme, nommée madame Du Jardin, chez qui elle demeuroit à Paris. Elle avoit déjà donné congé à M. de Montmorency, qui étoit alors fort jeune. Lui, qui s’imagina pouvoir entrer plus aisément chez elle à la campagne qu’à Paris, part seul à cheval pour y aller. Des charbonniers en assez bon nombre, car c’est le chemin de Chevreuse, où il se fait beaucoup de charbon, voyant ce jeune homme si bien fait, tout seul, se mirent en tête qu’il s’alloit battre, l’entourèrent et lui firent promettre qu’il ne passeroit pas outre. C’étoit si près de Châtillon que mademoiselle Paulet le reconnut, et pensa mourir de rire de cette aventure. Il y a apparence que, de peur d’être reconnu, il aima mieux s’en retourner. Cette madame Du Jardin, qui étoit dévote, se retira bientôt à la Ville-L’Évêque, où elle étoit comme en religion. Cela obligea mademoiselle Paulet à prendre une maison en particulier. Ce fut en ce temps-là que sa mère vint à mourir.

Madame de Rambouillet, qui avoit eu de l’inclination pour cette jeune fille dès le ballet de la Reine-mère, après avoir laissé passer bien du temps pour purger sa réputation, et voyant que dans sa retraite on n’en avoit point médit, commença à souffrir, à la prière de madame de Clermont-d’Entragues, femme de grande vertu et sa bonne amie, que mademoiselle Paulet la vît quelquefois. Pour madame de Clermont, elle avoit tellement pris cette fille en amitié qu’elle n’eut jamais de repos que mademoiselle Paulet ne vînt loger avec elle. Le mari, fort sot homme du reste, soit qu’il craignît la réputation qu’avoit eue cette fille, soit, comme il y a plus d’apparence, car madame de Clermont n’étoit point jolie, qu’il crût que sa femme donnoit à mademoiselle Paulet, qui alors pour ravoir son bien plaidoit contre diverses personnes, le mari, dis-je, avoit traversé longuement leur amitié ; mais enfin on en vint à bout. Ce fut ce qui servit le plus à mademoiselle Paulet pour la remettre en bonne réputation, car après cela madame de Rambouillet la reçut pour son amie, et la grande vertu de cette dame purifia, pour ainsi dire, mademoiselle Paulet, qui depuis fut chérie et estimée de tout le monde.

Elle retira environ vingt mille écus de son bien, avec quoi elle a fait de grandes charités. Nous en verrons des preuves en l’Historiette suivante. Elle nourrissoit une vieille parente chez elle.

L’ardeur avec laquelle elle aimoit, son courage, sa fierté, ses yeux vifs et ses cheveux trop dorés lui firent donner le surnom de Lionne. Elle avoit une chose qui ne témoignoit pas un grand jugement, c’est qu’elle affectoit une pruderie insupportable. Elle fit mettre aux Madelonettes une fille qu’elle avoit, qui se trouva grosse. Depuis, je ne sais quel petit commis l’épousa et devint après un grand partisan. Après elle en prit une si laide que le diable en auroit eu peur. Je lui ai ouï dire qu’elle voudroit que toutes celles qui avoient fait galanterie fussent marquées au visage. Elle n’écrivoit nullement bien, et quelquefois elle avoit la langue un peu longue[6]. Elle aimoit et haïssoit fortement, nous le verrons dans l’Historiette de Voiture. Ce furent madame de Clermont et elle qui introduisirent M. Godeau, depuis évêque de Grasse, à l’hôtel de Rambouillet. Il étoit de Dreux, et madame de Clermont avoit Mézières là tout auprès. Enfin il logea avec elles, et l’abbé de La Victoire[7] appeloit mademoiselle Paulet madame de Grasse. Un soir elle alla, déguisée en oublieuse, à l’hôtel de Rambouillet. Son corbillon étoit de ces corbillons de Flandre avec des rubans couleur de rose ; son habit de toile tout couvert de rubans avec une calle[8] de même. Elle joua des oublies, et on ne la reconnut que quand elle chanta la chanson.

Elle ne laissa pas d’avoir des amants depuis sa conversion, mais on n’a médit de pas un. Voiture dit qu’elle avoit pour serviteurs un cardinal, car le cardinal de La Valette l’appeloit, en riant, ma maîtresse ; un docteur en théologie[9] ; un marchand de la rue Aubry-Boucher[10] ; un commandeur de Malte[11] ; un conseiller de la cour[12] ; un poète[13], et un prévôt de la ville[14]. Ce monsieur de la rue Aubry-Boucher étoit un original. Il prit à cet homme une grande amitié pour madame de Rambouillet, mais celle qu’il avoit pour mademoiselle Paulet se pouvoit appeler amour. À l’entrée qu’on fit au feu Roi, au retour de La Rochelle, il s’avisa, car il étoit capitaine de son quartier, d’habiller tous ses soldats de vert, parce que c’étoit la couleur de la belle. Tous ses verts-galants firent une salve devant la maison où elle étoit avec madame de Rambouillet, madame de Clermont et d’autres. La Lionne, qui ne prenoit pas plaisir à être aimée de cet animal-là, en rugit une bonne heure. Cependant il se fallut apaiser et aller avec ces dames au jardin du galant, dans le faubourg Saint-Victor, où il leur donna la collation. Sa femme vint à mourir ; il se remaria avec une personne qu’il voulut à toute force, parce qu’elle avoit de l’air de mademoiselle Paulet. À soixante ans il alla par dévotion à Rome. Si la Lionne eût été encore au monde quand la fille de cet homme fit tant l’acariâtre contre madame de Saint-Étienne[15], comme elle l’auroit dévorée[16] !

J’oubliois une galanterie que madame de Rambouillet fit à mademoiselle Paulet, la première fois qu’elle vint à Rambouillet. Elle la fit recevoir à l’entrée du bourg par les plus jolies filles du lieu, et par celles de la maison, toutes couronnées de fleurs, et fort proprement vêtues. Une d’entre elles, qui étoit plus parée que ses compagnes, lui présenta les clefs du château, et quand elle vint à passer sur le pont, on tira deux petites pièces d’artillerie qui sont sur une des tours.

Mademoiselle Paulet mourut, en 1651, chez madame de Clermont, en Gascogne, où elle étoit allée pour lui tenir compagnie. M. de Grasse (Godeau) y alla exprès de Provence pour l’assister à la mort. Elle ne paroissoit guère que quarante ans et en avoit cinquante-neuf. Tout le monde vouloit qu’elle fût beaucoup plus vieille qu’elle n’étoit. Cela venoit de ce qu’elle avoit fait du bruit de bonne heure.

  1. Charles Paulet, secrétaire de la chambre du Roi, a été l’inventeur et le premier fermier de cet impôt, qui consistoit dans une somme que les officiers de judicature ou de finances payoient chaque année aux parties casuelles, afin de conserver, en cas de mort, leurs charges à leurs veuves et à leurs héritiers ; autrement elles auroient été déclarées vacantes au profit du Roi. Ce droit, établi par un édit du 12 septembre 1604, fut d’abord de quatre deniers pour livre, et depuis 1618, il étoit du soixantième denier du tiers du prix de la charge.
  2. On raconte que l’on trouva deux rossignols morts sur le bord d’une fontaine où elle avoit chanté tout le jour. (T.)
  3. Voyez plus haut, page 101 de ce volume.
  4. Depuis M. de Souvray. (T.)
  5. Village par-delà Mont-Rouge, à une lieue de Paris. (T.)
  6. Portée à la médisance.
  7. Claude Duval, sieur de Coupeauville, abbé de La Victoire, auprès de Senlis. Tallemant en parle plus bas.
  8. Bonnet aplati qui couvre les oreilles et est échancré par-devant. (Dict. de Trévoux.)
  9. C’étoit un impertinent nommé Dubois. (T.)
  10. Bodeau, marchand linger. (T.)
  11. Le commandeur de Sillery. (T.)
  12. C’est pour augmenter les diverses conditions. (T.)
  13. Bordier, poète royal pour les ballets, un impertinent qui la pensa faire devenir folle. (T.)
  14. Saint-Brisson Séguier, un gros dada qui tous les matins demandoit l’avoine : son valet de chambre s’appeloit ainsi. Il y avoit un vaudeville :

    Et le gros Saint-Brisson
    Dépense plus en son
    Que Guillaume en farine. (T.)

  15. L’abbesse de Saint-Étienne de Reims étoit une demoiselle d’Angennes. (Voyez plus loin son article à la suite de celui de madame de Rambouillet, sa mère.)
  16. Voyez, sur une pièce de vers intitulée le Récit de la Lionne, une note de l’article Chapelain dans le volume suivant.