Les Historiettes/Tome 1/27

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 1p. 155-196).


MALHERBE[2].


François de Malherbe naquit à Caen en Normandie, environ l’an 1555 ; il étoit de la maison de Malherbe Saint-Aignan, qui s’est rendue plus illustre en Angleterre, depuis la conquête que le duc Guillaume fit de cet État, qu’au lieu de son origine, où elle s’étoit tellement rabaissée, que le père de Malherbe n’étoit qu’assesseur à Caen. Le bon homme se fit de la religion avant que de mourir ; son fils, qui n’avoit alors que dix-sept ans, en reçut un si grand déplaisir qu’il se résolut de quitter son pays, et suivit M. le Grand Prieur en Provence, dont il étoit gouverneur, et fut avec lui jusqu’à sa mort[3].

Pendant son séjour en Provence, il gagna les bonnes grâces de la fille d’un président d’Aix, nommé Coriolis, veuve d’un conseiller de ce parlement, et l’épousa depuis. Il en eut plusieurs enfants, entre autres une fille, qui mourut de la peste à l’âge de cinq ou six ans, laquelle il assista jusqu’à la mort, et un fils qui fut tué malheureusement à l’âge de vingt-neuf ans, comme nous dirons ensuite.

Les actions les plus remarquables de sa vie sont que, pendant la Ligue, lui et un nommé La Roque, qui faisoit joliment des vers, et qui est mort à la suite de la reine Marguerite[4], poussèrent M. de Sully deux ou trois lieues si vertement, qu’il ne l’a jamais oublié, et c’étoit la cause, à ce que disoit Malherbe, qu’il n’avoit jamais pu rien avoir de considérable d’Henri IV, depuis que M. de Sully fut dans les finances.

Dans un partage de quelque butin qu’il avoit fait, un capitaine l’ayant maltraité, il l’obligea à se battre contre lui, et lui donna d’abord un coup d’épée au travers du corps qui le mit hors de combat.

Depuis la mort de M. le Grand Prieur[5], il fut envoyé avec deux cents hommes de pied au siége de la ville de Martigues, qui étoit infectée de contagion, et que les Espagnols assiégeoient par mer, et les Provençaux par terre, pour empêcher que la maladie ne s’étendît dans le pays. Ils la tinrent assiégée par ligne de communication, si étroitement qu’ils réduisirent le dernier vivant à mettre le drapeau noir sur la muraille, avant que de lever le siége.

Son nom et son mérite furent connus de Henri IV par le rapport avantageux que lui en fit M. le cardinal du Perron[6], car un jour le Roi lui ayant demandé s’il ne faisoit plus de vers, le cardinal lui dit que depuis qu’il lui avoit fait l’honneur de l’employer à ses affaires, il avoit tout-à-fait quitté cette occupation, et qu’il ne falloit plus que personne s’en mêlât après un gentilhomme de Normandie, habitué en Provence, qu’on appeloit M. de Malherbe. Il avoit trente ans quand il fit cette pièce à M. Du Perrier, qui commence :

Ta douleur, Du Perrier, sera donc éternelle.

Ses premiers vers étoient pitoyables ; j’en ai vu quelques-uns, et entre autres une élégie qui débute ainsi :

Doncque tu ne vis plus, Généric fut, et la mort
En l’avril de tes ans te montre son effort, etc.

Il n’avoit pas beaucoup de génie ; la méditation et l’art l’ont fait poète. Il lui falloit du temps pour mettre une pièce en état de paroître. On dit qu’il fut trois ans à faire l’Ode pour le premier président de Verdun, sur la mort de sa femme[7], et que le président étoit remarié, avant que Malherbe lui eût donné ces vers.

Balzac dit en une de ses lettres que Malherbe disoit que quand on avoit fait cent vers ou deux feuilles de prose, il falloit se reposer dix ans. Il dit aussi que le bon homme barbouilla une demi-rame de papier pour corriger une seule stance. C’est une de celles de l’Ode à M. de Bellegarde ; elle commence ainsi :

Comme en cueillant une guirlande
L’homme est d’autant plus travaillé, etc.[8].

Le Roi se ressouvint de ce que le cardinal du Perron lui avoit dit, et il en parloit souvent à M. des Yveteaux, qui étoit alors précepteur de M. de Vendôme. M. des Yveteaux lui offrit plusieurs fois de le faire venir ; ils étoient de même ville ; mais le Roi, qui étoit ménager, n’osoit le faire, de peur d’être chargé d’une nouvelle pension. Cela fut cause que Malherbe ne fit la révérence au Roi que trois ou quatre ans après que M. du Perron lui en eut parlé. Encore fut-ce par occasion. Étant venu à Paris pour ses affaires particulières, M. des Yveteaux en avertit le Roi, qui aussitôt l’envoya quérir. Ce fut en l’an 1605. Comme le Roi étoit sur le point de partir pour aller en Limosin, il lui commanda de faire des vers sur son voyage. Malherbe en fit, et les lui présenta à son retour. C’est cette pièce qui commence ainsi :

Ô Dieu, dont les bontés de nos larmes touchées, etc.[9].

Le Roi la trouva admirable, et désira de le retenir à son service ; mais, par une épargne, ou plutôt une lésine, que je ne comprends point, il commanda à M. de Bellegarde, alors premier gentilhomme de la chambre, de le garder jusqu’à ce qu’il l’eût mis sur l’état de ses pensionnaires. M. de Bellegarde lui donna mille livres d’appointements avec sa table, et lui entretenoit un laquais et un cheval[10].

Ce fut là que Racan, qui alors étoit page de la chambre sous M. de Bellegarde, et qui commençoit déjà à rimailler, eut la connaissance de Malherbe, et en profita si bien que l’écolier vaut quasi le maître.

À la mort de Henri IV, la Reine Marie de Médicis donna cinq cents écus de pension à Malherbe, qui depuis ce temps-là ne fut plus à charge à M. de Bellegarde. Depuis il a fort peu travaillé, et on ne trouve de lui que les odes à la Reine-mère, quelques vers de ballets, quelques sonnets au feu Roi, à Monsieur et à quelques particuliers, avec la dernière pièce qu’il fit avant de mourir ; c’est sur le siége de La Rochelle[11].

Pour parler de sa personne, il étoit grand et bien fait, et d’une constitution si excellente, qu’on a dit de lui aussi bien que d’Alexandre, que ses sueurs avoient une odeur agréable.

Sa conversation étoit brusque, il parloit peu, mais il ne disoit mot qui ne portât. Quelquefois même il étoit rustique et incivil, témoin ce qu’il fit à Desportes. Régnier l’avoit mené dîner chez son oncle ; ils trouvèrent qu’on avoit déjà servi. Desportes le reçut avec toute la civilité imaginable, et lui dit qu’il lui vouloit donner un exemplaire de ses Psaumes qu’il venoit de faire imprimer. En disant cela il se met en devoir de monter à son cabinet pour l’aller quérir, Malherbe lui dit rustiquement qu’il les avoit déjà vus, que cela ne méritoit pas qu’il prît la peine de remonter, et que son potage valoit mieux que ses Psaumes. Il ne laissa pas de dîner, mais sans dire mot, et après dîner ils se séparèrent, et ne se sont pas vus depuis. Cela le brouilla avec tous les amis de Desportes ; et Régnier, qui étoit son ami, et qu’il estimoit pour le genre satirique à l’égal des anciens, fit une satire contre lui qui commence ainsi :

Rapin, le favori d’Apollon et des Muses, etc.[12].

Desportes, Bertaut, et des Yveteaux même, critiquèrent tout ce qu’il fit. Il s’en moquoit, et dit que s’il s’y mettoit, il feroit de leurs fautes des livres plus gros que leurs livres mêmes.

Des Yveteaux lui disoit que c’étoit une chose désagréable à l’oreille que ces trois syllabes : ma, la, pla, toutes de suite dans un vers :

Enfin cette beauté m’a la place rendue[13].

« Et vous, lui répondit-il, vous avez bien mis : pa, ra, bla, la, fla.

— Moi, reprit des Yveteaux, vous ne sauriez me le montrer. — N’avez-vous pas mis, répliqua Malherbe :

« Comparable à la flamme ? »

De toute cette volée, il n’estimoit que Bertaut, encore ne l’estimoit-il guère : « Car, disoit-il, pour trouver une pointe, il faisoit les trois premiers vers insupportables. Il n’aimoit pas du tout les Grecs, et particulièrement il s’étoit déclaré ennemi du galimatias de Pindare.

Virgile n’avoit pas l’honneur de lui plaire. Il y trouvoit beaucoup de choses à redire, entre autres ce vers où il y a :

……Euboïcis Cumarum allabitur oris.
……Euboïcis CumÆneidos lib. 6, vers 2.


lui sembloit ridicule. « C’est, dit-il, comme si quelqu’un alloit mettre aux rives françoises de Paris. » Ne voilà-t-il pas une belle objection ! Stace lui sembloit bien plus beau. Pour les autres, il estimoit Horace, Juvénal, Martial, Ovide, et Sénèque le tragique.

Les Italiens ne lui revenoient point ; il disoit que les sonnets de Pétrarque étoient à la grecque, aussi bien que les épigrammes de mademoiselle de Gournay.

De tous leurs ouvrages il ne pouvoit souffrir que l’Aminte du Tasse[14].

À l’hôtel de Rambouillet on amena un jour je ne sais quel homme, qui disloquoit tout le corps aux gens et le remettoit sans leur faire mal. On l’éprouva sur un laquais. Malherbe, qui y étoit, voyant cela, lui dit : « Démettez-moi le coude. » Il ne sentit point de mal. Après il se le fit remettre aussi sans douleur. « Cependant, dit-il, si cet homme fût mort tandis que j’avois comme cela le coude démis, on auroit crié au curieux impertinent[15]. »

Il faisoit presque tous les jours sur le soir quelque petite conférence dans sa chambre avec Racan, Colomby[16], Maynard et quelques autres. Un habitant d’Aurillac, où Maynard étoit alors président, vint une fois heurter à la porte en demandant : « M. le président n’est-il point ici ? » Malherbe se lève brusquement à son ordinaire, et dit à ce monsieur le provincial : « Quel président demandez-vous ? Sachez qu’il n’y a que moi qui préside ici. »

Lingendes[17], qui étoit pourtant assez poli, ne voulut jamais subir la censure de Malherbe, et disoit que ce n’étoit qu’un tyran, et qu’il abattoit l’esprit aux gens[18].

Un jour Henri IV lui montra des vers qu’on lui avoit présentés. Ces vers commençoient ainsi :

Toujours l’heur et la gloire
Soient à votre côté,
De vos faits la mémoire
Dure à l’éternité.

Malherbe, sur-le-champ et sans en lire davantage, les retourna ainsi :

Que l’épée et la dague
Soient à votre côté ;
Ne courez point la bague
Si vous n’êtes botté.


Et là-dessus se retira, sans en dire autrement son avis.

Le Roi lui montra une autre fois la première lettre[19] que M. le Dauphin, depuis Louis XIII, lui avoit écrite, et ayant remarqué qu’il avoit signé Loys sans u, il demanda au Roi si M. le Dauphin avoit nom Loys. Le Roi demanda pourquoi : « Parce qu’il signe Loys et non Louys. » On envoya quérir celui qui montroit à écrire à ce jeune prince pour lui faire voir sa faute, et Malherbe disoit qu’il étoit cause que M. le Dauphin avoit nom Louis.

Comme les États-généraux se tenoient à Paris[20], il y eut une grande consternation entre le clergé et le Tiers-État, qui donna sujet à cette célèbre harangue de M. le cardinal du Perron. Cette affaire s’échauffant, les évêques menaçoient de se retirer et de mettre la France à l’interdit[21]. M. de Bellegarde avoit peur d’être excommunié ; Malherbe lui dit, pour le consoler, que cela lui seroit fort commode, et que devenant noir comme les excommuniés, il n’auroit pas la peine de se peindre la barbe et les cheveux.

Une autre fois il lui disoit : « Vous faites bien le galant ; lisez-vous encore à livre ouvert ? » C’étoit sa façon de parler pour dire : Être toujours prêt à servir les dames. M. de Bellegarde lui dit que oui. « Ma foi, répondit-il, je vous envie plus cela que votre duché-pairie. »

Il y eut grande contestation entre ceux qu’il appeloit du pays d’Adiousias (ce sont ceux de delà la rivière de Loire) et ceux de deçà qu’il appeloit du pays de Dieu vous conduise, pour savoir s’il falloit dire une cueiller ou une cueillère. Le Roi et M. de Bellegarde, tous deux du pays d’Adiousias, étoient pour cueillère, et disoient que ce mot étant féminin, devoit avoir une terminaison féminine. Le pays de Dieu vous conduise alléguoit, outre l’usage, que cela n’étoit pas sans exemple, et que perdrix, met[22], mer et autres étoient féminins et avoient pourtant une terminaison masculine. Le Roi demanda à Malherbe de quel avis il étoit. Malherbe le renvoya aux crocheteurs du Port-au-Foin, comme il avoit accoutumé ; et comme le Roi ne se tenoit pas bien convaincu, il lui dit à peu près ce qu’on dit autrefois à un empereur romain : « Quelque absolu que vous soyez, vous ne sauriez, Sire, ni abolir, ni établir un mot, si l’usage ne l’autorise. »

À propos de cela, M. de Bellegarde lui envoya demander un jour lequel étoit le meilleur de dépensé ou de dépendu. Il répondit sur-le-champ que dépensé étoit plus françois, mais que pendu, dépendu, répendu, et tous les composés de ce vilain mot, étoient plus propres pour les Gascons.

Il perdit sa mère environ l’an 1615, qu’il étoit âgé de plus de cinquante-huit ans ; et comme la Reine lui eut fait l’honneur de lui envoyer un gentilhomme pour le consoler, il dit au gentilhomme qu’il ne pouvoit se revancher de la bonté de la Reine qu’en priant Dieu que le Roi pleurât sa mort aussi vieux qu’il pleuroit celle de sa mère[23]. Il délibéra long-temps s’il devoit en prendre le deuil, et disoit : « Je suis en propos de n’en rien faire ; car regardez le gentil orphelin que je ferois ! » Enfin pourtant il s’habilla de deuil.

Un jour, au cercle, je ne sais quel homme, qui faisoit fort le prude, lui fit un grand éloge de madame la marquise de Guercheville[24], qui étoit alors présente, comme dame d’honneur de la Reine-mère, et, après lui avoir compté toute sa vie et comme elle avoit résisté aux poursuites amoureuses du feu roi Henri le Grand, il conclut son panégyrique par ces mots en la lui montrant : « Voilà, monsieur, ce qu’a fait la vertu. » Malherbe, sans hésiter, lui montra la connétable de Lesdiguières, qui étoit assise auprès de la Reine, et lui dit : « Voilà, monsieur, ce qu’a fait le vice[25]. »

Sa façon de corriger son valet étoit plaisante. Il lui donnoit dix sols par jour, c’étoit honnêtement en ce temps-là, et vingt écus de gages ; et quand ce valet l’avoit fâché, il lui faisoit une remontrance en ces termes : « Mon ami, quand on offense son maître, on offense Dieu, et quand on offense Dieu, il faut, pour en obtenir le pardon, jeûner et donner l’aumône. C’est pourquoi je retiendrai cinq sous de votre dépense que je donnerai aux pauvres à votre intention, pour l’expiation de vos péchés. »

Tout son contentement étoit d’entretenir ses amis particuliers, comme Racan, Colomby, Yvrande et autres, du mépris qu’il faisoit de toutes les choses qu’on estimoit le plus dans le monde. Il disoit souvent à Racan, qui est de la maison de Bueil, que c’étoit une folie de se vanter d’être d’une ancienne noblesse ; que plus elle étoit ancienne, plus elle étoit douteuse ; et qu’il ne falloit qu’une femme lascive pour pervertir le sang de Charlemagne et de saint Louis[26].

Il ne s’épargnoit pas lui-même en l’art où il excelloit, et disoit souvent à Racan : « Voyez-vous, mon cher monsieur, si nos vers vivent après nous, toute la gloire que nous pouvons en espérer, c’est qu’on dira que nous avons été deux excellents arrangeurs de syllabes, et que nous avons été tous deux bien fous de passer toute notre vie à un exercice si peu utile et au public et à nous, au lieu de l’employer à nous donner du bon temps, et à penser à l’établissement de notre fortune. »

Il avoit un grand mépris pour tous les hommes en général, et il disoit, après avoir conté en trois mots la mort d’Abel : « Ne voilà-t-il pas un beau début ? Ils ne sont que trois ou quatre au monde, et ils s’entretuent déjà ; après cela, que pouvoit espérer Dieu des hommes pour se donner tant de peine à les conserver ? »

Il parloit fort ingénument de toutes choses ; il ne faisoit pas grand cas des sciences, principalement de celles qui ne servent qu’à la volupté, au nombre desquelles il mettoit la poésie. Et comme un jour un faiseur de vers se plaignoit à lui qu’il n’y avoit de récompense que pour ceux qui servoient le Roi dans ses armées et dans les affaires d’importance, et que l’on étoit trop cruel pour ceux qui excelloient dans les belles-lettres, Malherbe lui répondit que c’étoit une sottise de faire le métier de rimeur pour en espérer autre récompense que son divertissement ; et qu’un bon poète n’étoit pas plus utile à l’État qu’un bon joueur de quilles.

Pendant la prison de M. le Prince[27], le lendemain que madame la Princesse, sa femme, fut accouchée de deux enfants morts pour avoir été incommodée de la fumée qu’il faisoit dans sa chambre au bois de Vincennes, il trouva un conseiller de province de ses amis en une grande tristesse chez M. le garde-des-sceaux Du Vair. « Qu’avez-vous ? lui dit-il. — Les gens de bien, lui dit cet homme, pourroient-ils avoir de la joie après qu’on vient de perdre deux princes du sang ? » Malherbe lui repartit : « Monsieur, monsieur, cela ne doit point vous affliger : ne vous souciez que de bien servir, vous ne manquerez jamais de maître. »

Allant dîner chez un homme qui l’en avoit prié, il trouva à la porte de cet homme un valet qui avoit des gants dans ses mains ; il étoit onze heures. « Qui êtes-vous, mon ami ? lui dit-il. — Je suis le cuisinier, monsieur. — Vertu Dieu ! reprit-il en se retirant bien vite, que je ne dîne pas chez un homme dont le cuisinier, à onze heures, a des gants dans ses mains[28]. »

Étant allé avec feu Du Moustier et Racan aux Chartreux pour voir un certain Père Chazerey, on ne voulut leur permettre de lui parler qu’ils n’eussent dit chacun un Pater ; après le Père vint et s’excusa de ne pouvoir les entretenir. « Faites-moi donc rendre mon Pater, » dit Malherbe[29].

Racan le trouva une fois qui comptoit cinquante sols. Il mettoit dix, dix et cinq, et après dix, dix et cinq. « Pourquoi cela ? dit Racan. — C’est, répondit-il, que j’avois dans ma tête cette stance, où il y a deux grands vers et un demi-vers, puis deux grands vers et un demi-vers. »

Que d’épines, Amour, etc.[30] !

Une fois il ôta les chenets du feu. C’étoient des chenets qui représentoient de gros satyres barbus ; « Mon Dieu, dit-il, ces gros B.... se chauffent tout à leur aise, tandis que je meurs de froid[31]. »

Un de ses neveux le vint voir une fois, après avoir été neuf ans au collége. Il lui voulut faire expliquer quelques vers d’Ovide, à quoi ce garçon se trouvoit bien empêché. Après l’avoir laissé ânonner un gros quart-d’heure, Malherbe lui dit : « Mon neveu, croyez-moi, soyez vaillant, vous ne valez rien à autre chose. »

Un gentilhomme de ses parents étoit fort chargé d’enfants ; Malherbe l’en plaignoit, l’autre lui dit qu’il ne pouvoit avoir trop d’enfants, pourvu qu’ils fussent gens de bien. « Je ne suis point de cet avis, répondit notre poète, et j’aime mieux manger un chapon avec un voleur qu’avec trente capucins. »

Le lendemain de la mort du maréchal d’Ancre, il dit à madame de Bellegarde, qu’il trouva allant à la messe : « Hé quoi, madame, a-t-on encore quelque chose à demander à Dieu, après qu’il a délivré la France du maréchal d’Ancre ? »

Une année que la Chandeleur avoit été un vendredi, Malherbe faisoit une grillade le lendemain, entre sept et huit heures, d’un reste de gigot de mouton qu’il avoit gardé du jeudi. Racan entre et lui dit : « Quoi ! monsieur, vous mangez de la viande, et Notre-Dame n’est plus en couche. — Vous vous moquez, dit Malherbe, les dames ne se lèvent pas si matin[32]. »

Il alloit fort souvent chez madame des Loges[33]. Un jour, ayant trouvé sur sa table le gros livre de M. Dumoulin contre le cardinal du Perron[34], et l’enthousiasme l’ayant pris à la seule lecture du titre, il demanda une plume et du papier, et écrivit ces vers :

Quoique l’auteur de ce gros livre
Semble n’avoir rien ignoré,
Le meilleur est toujours de suivre
Le prône de notre curé.
Toutes ces doctrines nouvelles
Ne plaisent qu’aux folles cervelles ;
Pour moi, comme une humble brebis,
Sous la houlette je me range ;
Il n’est permis d’aimer le change
Qu’en fait de femmes et d’habits.

Madame des Loges ayant lu ces vers, piquée d’honneur et de zèle, prit la même plume, et de l’autre côté écrivit ces autres vers :

C’est vous dont l’audace nouvelle
A rejeté l’antiquité,
Et Dumoulin ne vous rappelle
Qu’à ce que vous avez quitté.
Vous aimez mieux croire à la mode :
C’est bien la foi la plus commode
Pour ceux que le monde a charmés.
Les femmes y sont vos idoles ;
Mais à grand tort vous les aimez,
Vous qui n’avez que des paroles[35].

Il ne traita guère mieux M. de Méziriac que Desportes. Car un jour que cet honnête homme lui apporta une traduction qu’il avoit faite de l’arithmétique de Diophante, auteur grec, avec des commentaires[36], quelques-uns de leurs amis communs se mirent à louer ce travail, en présence de l’auteur, et à dire qu’il seroit fort utile au public. Malherbe leur demanda seulement s’il feroit diminuer le pain et le vin. Il appeloit M. de Méziriac, M. de Miseriac. Il en répondit presqu’autant à un gentilhomme huguenot, et lui dit, pour toute réplique à la controverse qu’il avoit débitée : « Dites-moi, monsieur, boit-on de meilleur vin à La Rochelle et mange-t-on de meilleur blé qu’à Paris ? »

Un président de Provence avoit mis une méchante devise sur sa cheminée, et croyant avoir fait merveilles, il dit à Malherbe : « Que vous en semble ? — Il ne falloit, répondit Malherbe, que la mettre un peu plus bas[37]. »

Quand il soupoit de jour, il faisoit fermer les fenêtres et allumer de la chandelle, autrement, disoit-il, c’étoit dîner deux fois[38].

Quelqu’un lui dit que M. Gaumin avoit trouvé le secret d’entendre la langue punique et qu’il y avoit fait le Pater noster : « Je m’en vais tout à cette heure vous en faire le Credo. » Et à l’instant il prononça une douzaine de mots barbares, et ajouta : « Je vous soutiens que voilà le Credo en langue punique. Qui est-ce qui me pourra dire le contraire ? »

Il avoit un frère aîné avec lequel il a toujours été en procès ; et comme quelqu’un lui disoit : « Des procès entre des personnes si proches ! Jésus, que cela est de mauvais exemple ! — Et avec qui voulez-vous donc que j’en aie ? avec les Turcs et les Moscovites ? je n’ai rien à partager avec eux[39]. »

On lui disoit qu’il n’avoit pas suivi dans un psaume le sens de David : « Je crois bien, dit-il, suis-je le valet de David ? J’ai bien fait parler le bon homme autrement qu’il n’avoit fait[40]. »

Un jour il dit des vers à Racan, et après il lui en demanda son avis. Racan s’en excusa, lui disant : « Je ne les ai pas bien entendus, vous en avez mangé la moitié. » Cela le piqua ; il répondit en colère : « Mordieu, si vous me fâchez, je les mangerai tout entiers. Ils sont à moi, puisque je les ai faits ; j’en puis faire ce qu’il me plaira. »

Il se mettoit en colère contre les gueux qui lui disoient : « Mon noble gentilhomme, » et disoit en grondant : « Si je suis gentilhomme, je suis noble. »

Il n’étoit pas toujours si fâcheux, et il a dit de lui-même qu’il étoit de Balbut en Balbutie[41]. C’étoit le plus mauvais récitateur du monde. Il gâtoit ses beaux vers en les prononçant. Outre qu’on ne l’entendoit presque point, à cause de l’empêchement de sa langue et de l’obscurité de sa voix, avec cela il crachoit au moins six fois en disant une stance de quatre vers. C’est pourquoi le cavalier Marini disoit qu’il n’avoit jamais vu d’homme plus humide ni de poète plus sec. À cause de sa crachotterie, il se mettoit toujours auprès de la cheminée.

Il disoit à M. Chapelain, qui lui demandoit conseil sur la manière d’écrire qu’il falloit suivre : « Lisez les livres imprimés, et ne dites rien de ce qu’ils disent[42]. »

Ce même M. Chapelain le trouva un jour sur un lit de repos qui chantoit :

D’où venez-vous, Jeanne ?
Jeanne, d’où venez-vous ?


et ne se leva point qu’il n’eût achevé. « J’aimerois mieux, lui dit-il, avoir fait cela que toutes les œuvres de Ronsard. » Racan dit qu’il lui a ouï dire la même chose d’une chanson où il y a à la fin :

Que me donnerez-vous ?
Je ferai l’endormie.

Il avoit effacé plus de la moitié de son Ronsard, et en colloit les raisons à la marge. Un jour Racan, Colomby, Yvrande[43], et autres de ses amis, le feuilletoient sur sa table, et Racan lui demanda s’il approuvoit ce qu’il n’avoit point effacé. « Pas plus que le reste, » dit-il. Cela donna sujet à la compagnie, et entre autres à Colomby, de lui dire qu’après sa mort ceux qui rencontreroient ce livre croiroient qu’il avoit trouvé bon tout ce qu’il n’avoit point rayé. « Vous avez raison, » lui répondit Malherbe. Et sur l’heure il acheva d’effacer le reste.

Il étoit mal meublé et logeoit d’ordinaire en chambre garnie, où il n’avoit que sept ou huit chaises de paille ; et comme il étoit fort visité de ceux qui aimoient les belles-lettres, quand les chaises étoient toutes occupées, il fermoit sa porte par dedans, et si quelqu’un heurtoit, il lui crioit : « Attendez, il n’y a plus de chaises, » disant qu’il valoit mieux ne les point recevoir que de les laisser debout.

Il se vantoit d’avoir sué trois fois la v....., comme un autre se vanteroit d’avoir gagné trois batailles, et faisoit assez plaisamment le récit du voyage qu’il fit à Nantes pour aller trouver un homme qui guérissoit de cette maladie dans une chaire ; sans doute c’étoit avec des parfums. Par son crédit, il se fit céder cette chaire par un autre qui l’avoit déjà retenue, et il écrivoit qu’il avoit gagné une chaire à Nantes où il n’y avoit pourtant point d’université. On l’appeloit chez M. de Bellegarde le Père Luxure[44].

Il a toujours été fort adonné aux femmes, et se vantoit en conversation de ses bonnes fortunes et des merveilles qu’il y avoit faites[45].

Il disoit qu’il se connoissoit en deux choses, en musique et en gants. Voyez le grand rapport qu’il y a de l’un à l’autre !

Dans ses Heures il avoit effacé des Litanies tous les noms des saints et des saintes, et disoit qu’il suffisoit de dire : « Omnes sancti et sanctæ, Deum orate pro nobis. »

Un soir, qu’il se retiroit après souper, de chez M. de Bellegarde avec son homme qui lui portoit le flambeau, il rencontra M. de Saint-Paul, homme de condition, parent de M. de Bellegarde, qui le vouloit entretenir de quelque nouvelle de peu d’importance. Il lui coupa court en lui disant : « Adieu, monsieur, adieu, vous me faites brûler pour cinq sols de flambeau, et ce que vous me dites ne vaut pas un carolus. »

Le feu archevêque de Rouen[46] l’avoit prié à dîner pour le mener après au sermon qu’il devoit faire en une église proche de chez lui. Aussitôt que Malherbe eut dîné, il s’endormit dans une chaise, et comme l’archevêque le pensa réveiller pour le mener au sermon : « Hé ! je vous prie, dit-il, dispensez-m’en ; je dormirai bien sans cela. »

Un jour, entrant dans l’hôtel de Sens, il trouva dans la salle deux hommes qui, disputant d’un coup de trictrac, se donnoient tous deux au diable qu’ils avoient gagné. Au lieu de les saluer, il ne fit que dire : « Viens, Diable, viens vite, tu ne saurois faillir, il y en a l’un ou l’autre à toi. »

Quand les pauvres lui disoient qu’ils prieroient Dieu pour lui, il leur répondoit « qu’il ne croyoit pas qu’ils eussent grand crédit auprès de Dieu, vu le pitoyable état où il les laissoit, et qu’il eût mieux aimé que M. de Luynes ou M. le surintendant lui eût fait cette promesse. »

Un jour qu’il faisoit un grand froid, il ne se contenta pas de bien se garnir de chemisettes, il étendit encore sur sa fenêtre trois ou quatre aunes de frise verte, en disant : « Je pense qu’il est avis à ce froid que je n’ai plus de quoi faire des chemisettes. Je lui montrerai bien que si. »

En ce même hiver, il avoit une telle quantité de bas, presque tous noirs, que pour n’en mettre pas plus à une jambe qu’à l’autre, à mesure qu’il mettoit un bas il mettoit un jeton dans une écuelle. Racan lui conseilla de mettre une lettre de soie de couleur à chacun de ses bas, et de les chausser par ordre alphabétique. Il le fit, et le lendemain il dit à Racan : « J’en ai dans l’L, » pour dire qu’il avoit autant de paires de bas qu’il y avoit de lettres jusqu’à celle-là. Un jour chez madame des Loges il montra quatorze tant chemises que chemisettes, ou doublure. Tout l’été il avoit de la panne, mais il ne portoit pas trop régulièrement son manteau sur les deux épaules. Il disoit, à propos de cela, que Dieu n’avoit fait le froid que pour les pauvres ou pour les sots, et que ceux qui avoient le moyen de se bien chauffer et de se bien vêtir ne devoient point souffrir le froid.

Quand on lui parloit d’affaires d’État, il avoit toujours ce mot à la bouche qu’il a mis dans l’Épître liminaire de Tite-Live, adressée à M. de Luynes[47], qu’il ne faut point se mêler de la conduite d’un vaisseau où l’on n’est que simple passager.

M. Morand, Trésorier de l’épargne, qui étoit de Caen, promit à Malherbe et à un gentilhomme de ses amis, qui étoit aussi de Caen, de leur faire toucher à chacun quatre cents livres pour je ne sais quoi, et en cela il leur faisoit une grande grâce. Il les convia même à dîner. Malherbe n’y vouloit point aller, s’il ne leur envoyoit son carrosse. Enfin le gentilhomme l’y fit aller à cheval. Après dîner, on leur compta leur argent. En revenant, il prend une vision à Malherbe d’acheter un coffre-fort. « Et pourquoi ? dit l’autre. — Pour serrer mon argent. — Et il coûtera la moitié de votre argent. — N’importe, dit-il, deux cents livres sont autant à moi que mille à un autre. » Et il fallut lui aller acheter un coffre-fort[48].

Patrix[49] le trouva une fois à table : « Monsieur, lui dit-il, j’ai toujours eu de quoi dîner, mais jamais de quoi rien laisser au plat[50]. »

Il donna pourtant un jour à dîner à six de ses amis. Tout le festin ne fut que de sept chapons bouillis, à chacun le sien, disant qu’il les aimoit tous également, et ne vouloit être obligé de servir à l’un la cuisse et à l’autre l’aile[51].

Pour aborder M. de La Vieuville, surintendant des finances, et lui rendre grâces de quelque chose, il s’avisa d’une belle précaution. Dès qu’on disoit à cet homme : Monsieur, je vous… il croyoit qu’on alloit ajouter demande, et il ne vouloit plus écouter. Malherbe y alla, et lui dit : « Monsieur, remercier je vous viens[52]. »

Retournons à la poésie. Il lui arrivoit quelquefois de mettre une même pensée en plusieurs lieux différens, et il vouloit qu’on le trouvât bon : « car, disoit-il, ne puis-je pas mettre sur mon buffet un tableau qui aura été sur ma cheminée ? » Mais Racan lui disoit que ce portrait n’étoit jamais qu’en un lieu à la fois, et que cette même pensée demeuroit en même temps en diverses pièces[53].

On lui demanda une fois pourquoi il ne faisoit point d’élégies : « Parce que je fais des odes, dit-il, et qu’on doit croire que qui saute bien pourra bien marcher[54]. »

Il s’opiniâtra fort long-temps à faire des sonnets irréguliers (dont les deux quatrains ne sont pas de même rime). Colomby n’en voulut jamais faire et ne les pouvoit approuver. Racan en fit un ou deux, mais il s’en ennuya bientôt ; et comme il disoit à Malherbe que ce n’étoit pas un sonnet, si on n’observoit les règles du sonnet : « Eh bien, lui dit Malherbe, si ce n’est pas un sonnet, c’est une sonnette. » Enfin il les quitta, comme les autres, quand on ne l’en pressa plus, et de tous ses disciples il n’y a eu que Maynard qui ait continué à en faire.

Il avoit aversion pour les fictions poétiques, si ce n’étoit dans un poème épique ; et en lisant une élégie de Régnier à Henri IV, où il feint que la France s’enleva en l’air pour parler à Jupiter, et se plaindre du misérable état où elle étoit pendant la Ligue, il demandoit à Régnier en quel temps cela étoit arrivé, qu’il avoit demeuré toujours en France depuis cinquante ans, et qu’il ne s’étoit point aperçu qu’elle se fût enlevée hors de sa place.

Un jour que M. de Termes reprenoit Racan d’un vers qu’il a changé depuis, où il y avoit, parlant de la vie d’un homme des champs,

Le labeur de ses bras rend sa maison prospère,


Racan lui répondit que Malherbe avoit bien dit :

Oh ! que nos fortunes prospères, etc.


Malherbe, qui étoit présent : « Eh bien, mordieu, si je fais un pet, en voulez-vous faire un autre ? »

Quand on lui montroit des vers où il y avoit des mots qui ne servoient qu’à la mesure ou à la rime, il disoit que c’étoit une bride de cheval attachée avec une aiguillette.

Un homme de robe de fort bonne condition lui apporta d’assez mauvais vers qu’il avoit faits à la louange d’une dame, et lui dit, avant que de les lui lire, que des considérations l’avoient obligé à les faire. Malherbe les lut d’un air fort chagrin, et lui dit : « Avez-vous été condamné à être pendu, ou à faire ces vers ? car, à moins que de cela, on ne vous le sauroit pardonner. »

Il se prenoit pour le maître de tous les autres, et avec raison. Balzac, dont il faisoit grand cas, et de qui il disoit : « Ce jeune homme ira plus loin pour la prose que personne n’a encore été en France, » lui apporta le sonnet de Voiture pour Uranie, sur lequel on a tant écrit depuis. Il s’étonna qu’un aventurier, ce sont ses propres termes, qui n’avoit point été nourri sous sa discipline, qui n’avoit point pris attache de lui, eût fait un si grand progrès dans un pays dont il disoit qu’il avoit la clef[55].

Il ne vouloit point qu’on fît des vers en une langue étrangère, et disoit que nous n’entendions point la finesse d’une langue qui ne nous étoit point naturelle ; et, à ce propos, pour se moquer de ceux qui faisoient des vers latins, il disoit que si Virgile et Horace revenoient au monde, ils donneroient le fouet à Bourbon[56] et à Sirmond[57].

Quand il eut fait cette chanson qui commence :

Cette Anne si belle, etc.[58],


qui est une chanson pitoyable, Bautru la retourna ainsi :

Ce divin Malherbe,
Cet esprit parfait,
Donnez-lui de l’herbe :
N’a-t-il pas bien fait ?

Pour s’excuser, il disoit tantôt qu’on l’avoit trop pressé, tantôt que c’étoit pour les empêcher de lui demander sans cesse des vers pour des récits de ballet ; puis, qu’il les falloit ainsi pour s’accommoder à l’air ; et il enrageoit de n’avoir pas une bonne raison à dire[59].

On a aussi retourné ces couplets où il y a à la reprise :

Cela se peut facilement,


et puis

Cela ne se peut nullement[60] ;


mais c’étoient des couplets que M. de Bellegarde avoit faits, et que Malherbe n’avoit fait que raccommoder. La parodie en est plaisante. Elle est dans le Cabinet satirique. C’est Berthelot qui l’a faite[61].

Il avoit pour ses écoliers Racan, Maynard, Touvant et Colomby[62]. Il en jugeoit diversement, et disoit, en termes généraux, que Touvant faisoit bien des vers, sans dire en quoi il excelloit ; que Colomby avoit beaucoup d’esprit, mais qu’il n’avoit point de génie pour la poésie ; que Maynard étoit celui de tous qui faisoit mieux des vers, mais qu’il n’avoit point de force, et qu’il s’étoit adonné à un genre de poésie, voulant dire l’épigramme, auquel il n’étoit pas propre, parce qu’il n’avoit pas assez de pointe d’esprit ; pour Racan, qu’il avoit de la force, mais qu’il ne travailloit pas assez ses vers ; que bien souvent, pour mettre une bonne pensée, il prenoit de trop grandes licences, et que de ces deux derniers on en feroit un grand poète. Il disoit à Racan qu’il étoit hérétique en poésie. Il le blâmoit de rimer indifféremment aux terminaisons en ant et en ent, en ance et en ence. Il vouloit qu’on rimât pour les yeux aussi bien que pour les oreilles. Il le reprenoit de rimer le simple et le composé, comme temps et printemps, jour et séjour ; il ne vouloit pas qu’on rimât les mots qui avoient quelque connivence ou qui étoient opposés, comme montagne et campagne[63], offense et défense, père et mère, toi et moi ; il ne vouloit pas non plus qu’on rimât les mots dérivés d’un même mot, comme, admettre, commettre, promettre, qui viennent tous de mettre ; ni les noms propres les uns avec les autres, comme Thessalie et Italie, Castille et Bastille, Alexandre et Lisandre ; et sur la fin il étoit devenu si scrupuleux en ses rimes, qu’il avoit même de la peine à souffrir qu’on rimât les verbes en er qui avoient tant soit peu de convenance, comme, abandonner, ordonner, pardonner, et disoit qu’ils venoient tous trois de donner. La raison qu’il en rendoit est qu’on trouvoit de plus beaux vers en rapprochant les mots éloignés, qu’en rimant ceux qui avoient de la convenance, parce que ces derniers n’avoient presque qu’une même signification. Il s’étudioit fort à chercher des rimes rares et stériles, sur la créance qu’il avoit qu’elles lui faisoient trouver des pensées nouvelles, outre qu’il disoit que cela sentoit un grand poète de tenter les rimes qui n’avoient point encore été rimées. Il faut entendre cela principalement pour les sonnets où il faut quatre rimes. Il ne vouloit point qu’on rimât sur bonheur ni sur malheur, parce que les Parisiens n’en prononcent que l’u, comme s’il y avoit bonhur, malhur, et de le rimer à honneur il le trouvoit trop proche. Il défendoit de rimer à flame, parce qu’il l’écrivoit et le prononçoit avec deux m, flamme, et le faisoit long en le prononçant, de sorte qu’il ne le pouvoit rimer qu’avec épigramme.

Il reprenoit Racan de rimer qu’ils ont eu avec vertu ou battu, parce, disoit-il, qu’on prononçoit à Paris les mots eu en deux syllabes.

Au commencement que Malherbe vint à la cour, qui fut en 1605, comme nous avons dit, il n’observoit pas encore de faire une pause au troisième vers des stances de six, comme il se peut voir dans celles qu’il fit pour le Roi allant en Limosin, où il y en a deux ou trois où le sens va jusqu’au quatrième vers, et aussi en cette stance du psaume Domine, Deus noster :

Sitôt que le besoin excite son désir,
Qu’est-ce qu’en ta largesse il ne trouve à choisir ?
Et par ton mandement, l’air, la mer et la terre
 N’entretiennent-ils pas
Une secrète loi de se faire la guerre,
À qui de plus de mets fournira ses repas[64] ?

Il demeura presque toujours en cette espèce de négligence durant la vie d’Henri IV, comme il se voit encore dans une des pièces qu’il fit pour lui, lorsqu’il étoit amoureux de madame la Princesse.

Que n’êtes-vous lassées,
Mes tristes pensées, etc.[65].

Mais à une autre pièce qu’il fit pour ce prince amoureux, il a observé de finir exactement le sens au troisième vers ; c’est :

Que d’épines, Amour, etc.[66].

Le premier qui s’aperçut que cette observation étoit nécessaire aux stances de six, ce fut Maynard, et c’est peut-être la raison pourquoi Malherbe l’estimoit l’homme de France qui faisoit mieux les vers. D’abord Racan, qui jouoit un peu du luth et aimoit la musique, se rendit, en faveur des musiciens qui ne pouvoient faire leur reprise aux stances de six, s’il n’y avoit un arrêt au troisième vers ; mais quand Malherbe et Maynard voulurent qu’aux stances de dix ou en fît encore un au septième vers, il s’y opposa, et ne l’a presque jamais observé. Sa raison étoit que ces stances ne se chantent presque jamais, et que, quand elles se chanteroient, on ne les chanteroit point en trois reprises ; c’est pourquoi il suffiroit d’en faire une au quatrième vers.

Malherbe vouloit que les élégies eussent un sens parfait de quatre vers en quatre vers, même de deux en deux, s’il se pouvoit ; à quoi jamais Racan ne s’est accordé.

Il ne vouloit pas que l’on nombrât en vers avec ces nombres vagues de cent et de mille, comme mille, ou cent tourments, et disoit assez plaisamment, quand il voyoit cent : « Peut-être n’y en avoit-il que quatre-vingt-dix et neuf. » Mais il disoit qu’il y avoit de la grâce à nombrer nécessairement comme en ce vers de Racan :

Vieilles forêts de trois siècles âgées.

C’est encore une des censures à quoi Racan ne se pouvoit rendre, et néanmoins il n’a osé le faire que depuis la mort de Malherbe.

À propos de nombres, quand quelqu’un disoit : « Il a les fièvres, » il demandoit aussitôt : « Combien en a-t-il de fièvres[67] ? »

Il se moquoit de ceux qui disoient qu’il y avoit du nombre dans la prose, et il disoit que de faire des périodes nombreuses, c’étoit faire des vers en prose. Cela a fait croire à quelques-uns que la traduction des Épîtres de Sénèque n’étoit point de lui, parce qu’il y a quelque nombre dans les périodes.

On voit par une de ses lettres que c’étoit un amoureux un peu rude. Il a avoué à madame de Rambouillet, qu’ayant eu soupçon que la vicomtesse d’Auchy[68] (c’est Caliste dans ses Œuvres) aimoit un autre auteur, et l’ayant trouvée seule sur son lit, il lui prit les deux mains d’une des siennes et de l’autre la souffleta jusqu’à la faire crier au secours. Puis quand il vit que le monde venoit, il s’assit comme si de rien étoit. Depuis il lui en demanda pardon[69].

Racan, de qui j’ai eu la plus grande part de ces mémoires, dit que, sur les vieux jours de Malherbe, s’entretenant avec lui du dessein qu’ils avoient de choisir quelque dame de mérite et de qualité pour être le sujet de leurs vers, Malherbe nomma madame la marquise de Rambouillet, et lui madame de Termes qui étoit alors veuve[70]. Il se trouva que toutes deux avoient nom Catherine, l’une Catherine de Vivonne, et l’autre Catherine Chabot. Le plaisir que prit Malherbe en cette conversation lui fit venir l’envie d’en faire une églogue ou entretien de bergers sous les noms de Mélibée pour lui et d’Arcan pour Racan. Il lui en a récité plus de quarante vers. Cependant on n’en a rien trouvé parmi ses papiers.

Le jour même qu’il fit le dessein de cette églogue, craignant que ce nom d’Arthenice, s’il servoit pour deux personnes, ne fît de la confusion dans cette pièce, il passa toute l’après-dînée avec Racan à retourner ce nom-là. Ils ne trouvèrent que Arthénice, Eracinthe et Carinthée. Le premier fut jugé le plus beau ; mais Racan s’en étant servi dans la pastorale qu’il fit peu de temps après, Malherbe laissa les deux autres et prit Rodanthe.

Madame de Rambouillet dit qu’elle n’a jamais ouï parler de Rodanthe[71], mais qu’un jour Malherbe lui dit : « Ah ! madame, si vous étiez femme à faire faire des vers, j’ai trouvé le plus beau nom du monde en tournant le vôtre. » Elle ajoute que quelque temps après il lui dit qu’il étoit fort en colère contre Racan, qui lui avoit volé ce beau nom, et qu’il vouloit faire une pièce qui commenceroit ainsi :

Celle pour qui je fis le beau nom d’Arthenice,


afin qu’on sût que c’étoit lui qui l’avoit trouvé dans ses lettres. Elle dit que dans cette petite élégie qui commence :

Et maintenant encore en cet âge penchant
Où mon peu de lumière est si près du couchant, etc.,


Malherbe vouloit parler d’elle, quand il dit :

« Cette jeune bergère à qui les Destinées
« Sembloient avoir donné mes dernières années, etc. »

Elle m’a assuré que ce sont les seuls vers qu’il ait faits pour elle[72].

Elle m’a conté que Malherbe ne l’ayant pas trouvée, s’étoit amusé un jour à causer chez elle avec une fille, et qu’on tira par hasard un coup de mousquet dont la balle passa entre lui et cette demoiselle. Le lendemain il vint voir madame de Rambouillet, et comme elle lui faisoit quelque civilité sur cet accident : « Je voudrois, lui dit-il, avoir été tué de ce coup. Je suis vieux, j’ai assez vécu, et puis on m’eût peut-être fait l’honneur de croire que M. de Rambouillet l’auroit fait faire[73]. »

M. Racan soutient pourtant que c’est pour elle qu’il fit cette chanson :

Chère beauté, que mon âme ravie, etc.[74]


et cette autre ou Boisset mit un air :

Ils s’en vont ces rois de ma vie,
 Ces yeux, ces beaux yeux[75], etc.

Racan, qui avoit trente-quatre ans moins que Malherbe, changea son amour poétique en un véritable et légitime amour. C’est ce qui donna lieu à Malherbe de lui écrire une lettre où il y avoit des vers qui sont ceux où il est parlé de madame de Rambouillet, pour le divertir de cette passion ; parce qu’il avoit appris que madame de Termes se laissoit cajoler par le président Vignier, qu’elle a épousé depuis[76]. Et quand il sut que Racan étoit décidé de se marier en son pays du Maine, il le manda aussitôt à madame de Termes par une lettre qui est imprimée.

Environ en ce temps-là son fils fut assassiné à Aix, où il étoit conseiller. Malherbe ne vouloit pas qu’il le fût : cela lui sembloit indigne de lui. Il ne s’y résolut qu’après qu’on lui eut représenté que M. de Foix, nommé à l’archevêché de Toulouse, étoit bien conseiller au parlement de Paris, lui qui étoit allié de toutes les maisons souveraines de l’Europe. Voici comme ce pauvre garçon fut tué. Deux hommes d’Aix ayant querelle prirent la campagne ; leurs amis coururent après ; les deux partis se rencontrèrent en une hôtellerie ; chacun parla à l’avantage de son ami. Le fils de Malherbe étoit insolent, les autres ne le purent souffrir, ils se jetèrent dessus et le tuèrent. Celui qu’on en accusoit s’appeloit Piles. Il n’étoit pas seul sur Malherbe, les autres l’aidèrent à le dépêcher[77]. Or on soupçonnoit celui pour qui Piles[78] étoit, d’être de race de Juifs ; c’est ce que veut dire Malherbe en un sonnet qu’il fit sur la mort de son fils. Ce sonnet n’est pas imprimé.

On lui parla d’accommodement, et un conseiller de Provence, son ami particulier, lui porta paroles de six mille écus ; il en rejeta la proposition. Depuis, ses amis lui firent considérer que la vengeance qu’il désiroit étoit apparemment impossible, à cause du crédit de sa partie, et qu’il ne devoit pas refuser cette légère satisfaction qu’on lui présentoit. « Hé bien ! dit-il, je suivrai votre conseil, je prendrai de l’argent, puisqu’on m’y force, mais je proteste que je n’en garderai pas un teston pour moi, j’emploierai le tout à faire bâtir un mausolée à mon fils. » Il usa du mot de mausolée, au lieu de celui de tombeau, et fit le poète partout.

Depuis, ce traité n’ayant pas réussi, il alla exprès au siége de La Rochelle en demander justice au Roi, dont n’ayant pas eu toute la satisfaction qu’il espéroit, il disoit tout haut à Nesle, dans la cour du logis où le Roi logeoit, qu’il vouloit demander le combat contre M. de Piles. Des capitaines aux gardes et autres gens qui étoient là sourioient de le voir à cet âge-là parler d’aller sur le pré, et Racan, qui y étoit, et qui commandoit la compagnie des gendarmes du maréchal d’Effiat, comme son ami, le voulut tirer à part pour lui dire qu’on se moquoit de lui, et qu’il étoit ridicule à l’âge de soixante-treize ans de se vouloir battre contre un homme de vingt-cinq ; mais Malherbe, l’interrompant brusquement, lui dit : « C’est pour cela que je le fais. Je hasarde un sol contre une pistole. »

Le bon homme gagna à ce voyage la maladie dont il mourut à son retour à Paris, un peu devant la prise de La Rochelle[79].

Il n’étoit pas autrement persuadé de l’autre vie, et disoit, quand on lui parloit de l’enfer et du paradis : « J’ai vécu comme les autres, je veux mourir comme les autres, et aller où vont les autres. »

On eut bien de la peine à le résoudre à se confesser ; il disoit pour ses raisons qu’il n’avoit accoutumé de se confesser qu’à Pâques. Il observoit pourtant assez régulièrement les commandements de l’Église, et ne mangea de la viande ce samedi d’après la Chandeleur[80] que par mégarde ; même il demandoit d’ordinaire permission d’en manger quand il en avoit besoin, et alloit à la messe toutes les fêtes et les dimanches. Il parloit toujours de Dieu et des choses saintes avec respect, et un de ses amis lui fit un jour avouer, en présence de Racan, qu’il avoit une fois fait vœu, durant la maladie de sa femme, d’aller, si elle en revenoit, d’Aix à la Sainte-Baume à pied et tête nue. Néanmoins il lui échappoit quelquefois de dire que la religion du prince étoit la religion des honnêtes gens.

Yvrande acheva de le résoudre à se confesser et à communier, en lui disant : « Vous avez toujours fait profession de vivre comme les autres. — Que veut dire cela ? lui dit Malherbe. — C’est, lui répondit Yvrande, que quand les autres meurent ils se confessent communément, et reçoivent les autres sacrements de l’Église. » Malherbe avoua qu’il avoit raison, et envoya quérir le vicaire de Saint-Germain-l’Auxerrois qui l’assista jusqu’à la mort[81].

On dit qu’une heure avant que de mourir, il se réveilla comme en sursaut d’un grand assoupissement, pour reprendre son hôtesse, qui lui servoit de garde, d’un mot qui n’étoit pas bien françois à son gré ; et comme son confesseur lui en voulut faire réprimande, il lui dit qu’il n’avoit pu s’en empêcher, et qu’il avoit voulu jusqu’à la mort maintenir la pureté de la langue françoise.

  1. C’est par erreur que cet article a été classé ici. Il n’auroit dû trouver place que dans le volume suivant, parmi les articles des habitués de l’hôtel Rambouillet.
  2. Tallemant dit plus loin, dans le cours de cette Historiette : « Racan, de qui j’ai eu la plus grande part de ces Mémoires…… » Racan ayant pris le parti, après qu’il eut communiqué tous ces renseignements à Tallemant, de faire imprimer sa Vie de Malherbe, tous les faits rapportés dans cette Vie se retrouvent ici. Mais Tallemant en a ajouté un grand nombre qui sont en général les plus piquants, et il en a reproduit plusieurs avec une franchise que Racan, qui s’attendoit bien à ce que son travail seroit prochainement imprimé, s’est cru forcé d’adoucir. Nous indiquerons par des notes tous les passages qui ne se trouvent pas dans la Vie donnée par Racan, et qui fut imprimée pour la première fois dans un Recueil intitulé : Divers Traités d’Histoire, de Morale et d’Éloquence. Paris, 1672, in-12, publié par P. de Saint-Glas, abbé de Saint-Ussans. Des bibliographes avoient cité une édition de cette Vie, publiée selon eux en 1651. Personne ne l’a vue, et aux preuves de sa non existence données par M. Beuchat dans la Biographie universelle de Michaud, tom. 36, pag. 497, note, nous pouvons ajouter que si cette Vie avoit été imprimée en 1651, Tallemant, qui écrivoit ces historiettes postérieurement à cette époque, n’en auroit pas reproduit les principaux faits ; il se fût borné à y renvoyer. Évidemment il n’a pu connoître qu’un travail manuscrit de Racan.
  3. Ce M. le Grand Prieur étoit bâtard de Henri II, et frère de madame d’Angoulême, veuve du maréchal de Montmorency, dont nous avons parlé dans l’historiette du connétable de Montmorency. (T.)
  4. Les œuvres de ce poète ont été réunies sous ce titre : Œuvres du sieur de La Roque de Clairmont en Beauvoisis, dédiées à la reine Marguerite, Paris, 1606, petit in-12.
  5. M. le Grand Prieur fut tué par un nommé Altoviti, qui avoit été corsaire, et alors capitaine de galère, après avoir enlevé une fille de qualité, la belle de Rieux-Château-Neuf, qu’Henri III pensa épouser ; ce fut elle qui lui dit qu’il parlât pour lui un jour qu’il lui parloit pour un autre. Henri III le tenoit comme espion auprès de M. le Grand Prieur, qui, l’ayant découvert, alla chez lui en dessein de lui faire affront. Mais Altoviti, blessé à mort par ce prince, lui donna un coup de poignard dont il mourut*. Il est vrai qu’il reçut cent coups après sa mort, car les gens du gouverneur se jetèrent tous sur lui.

    Un jour ce M. le Grand Prieur, qui avoit l’honneur de faire de méchants vers, dit à Du Perrier : « Voilà un sonnet ; si je dis à Malherbe que c’est moi qui l’ait fait, il dira qu’il ne vaut rien ; je vous prie, dites-lui qu’il est de votre façon. » Du Perrier montre ce sonnet à Malherbe en présence de M. le Grand Prieur. « Ce sonnet, lui dit Malherbe, est tout comme si c’étoit M. le Grand Prieur qui l’eût fait. » (T.)

    * Le 2 juin 1586.

  6. C’étoit en 1601. Le cardinal n’étoit encore qu’évêque d’Évreux.
  7. Voyez les stances à M. le premier président de Verdun pour le consoler de la mort de sa première femme. (Poésies de Malherbe, Paris, Barbou, 1764, in-8o, pag. 239.)
  8. Elle fut composée en 1608. Voyez cette ode, pag. 103 du volume précité. La strophe dont les deux premiers vers sont rappelés ici est la cinquième dans l’édition de Barbou.
  9. Édition Barbou, pag. 65.
  10. Racan, on le pense bien, s’est donné de garde d’entrer dans ces détails sur la lésine du Roi, et de la laisser même entrevoir.
  11. Voyez l’ode à Louis XIII. Édition Barbou, pag. 258.
  12. Régnier, satire 9.
  13. Stances qui commencent par ce vers. Édition Barbou, pag. 28.
  14. Toute cette partie a bien moins d’étendue dans Racan.
  15. Cette anecdote ne fait pas non plus partie du récit de Racan. Il y est fait allusion à la nouvelle de Cervantes insérée dans son roman, liv. 7, ch. 33. (Voyez l’Histoire de l’admirable Don Quichotte, tom. 2, pag. 82, Amsterdam, 1768.)
  16. François de Cauvigny, sieur de Colomby, parent de Malherbe ; poète très-médiocre, membre de l’Académie française. « Il avoit une charge à la cour qui n’avoit point été avant lui, et n’a point été depuis ; car il se qualifioit orateur du roi pour les affaires d’État : et c’étoit en cette qualité qu’il recevoit douze cents écus tous les ans. » (Pellisson, Histoire de l’Académie, tom. I, pag. 289, Paris, 1730.) On trouve quelques détails sur les ouvrages de Colomby dans la Bibliothèque françoise de l’abbé Goujet, tom. 16, pag. 105.
  17. Jean de Lingendes, poète assez remarquable pour son temps. Ses vers sont épars dans les Recueils. Il mourut en 1616.
  18. Omis par Racan.
  19. Cette lettre n’est point celle que les éditeurs de l’Isographie ont découverte dans les manuscrits de Béthune de la Bibliothèque du roi, puisque Louis XIII n’a signé que dauphin et non Loys ; mais elle nous a paru tellement curieuse que nous la donnons ici avec l’orthographe du jeune prince. Elle est sans date, mais il devoit être très-enfant, lorsqu’il l’écrivit :
      « Papa,

    « Depuy que vous ete pati, j’ay bien donné du paisi à maman. J’ay été a la guere dans sa chambe, je sui allé reconete les enemy, il été tous a un tas en la ruele du li a maman ou j dormé. Je les ay bien éveillé ave mon tambour. J’ay été à vote asena papa, moucheu de Rong ma monté tou plein de belles ames, e tan tan de go canon, e puy j m’a donné de bonne confiture e ung beau peti canon d’agen, j ne me fau qu’un peti cheval pour le tire. Maman me renvoie demain à Sain Gemain où je pieray bien Dieu pou bon papa afin qu’il vou gade de tou dangé et qu’il me fasse bien sage, e la gache de vou pouvoi bien to faire tes humbe sevices. J’ay fort envie de domi papa, Fe Fe Vendome* vou dira le demeuran, et moy que je suj vote tes humbe e tes obeissan fi papa et seviteu.

    « Dauphin. »

    * César de Vendôme, fils d’Henri IV et de la belle Gabrielle.

  20. En 1614. Ils se tenoient au Petit-Bourbon.
  21. Le sujet de cette querelle étoit un article devenu le premier de la déclaration du clergé de France de 1682. Le Tiers-État vouloit que l’on posât ce principe d’éternelle vérité que l’autorité spirituelle n’a aucun droit sur la puissance temporelle du Roi, et le Tiers-État fut traité d’hérétique ! (Voyez les Mémoires de Fontenay-Mareuil, première série de la Collection des Mémoires relatifs à l’histoire de France, tom. 50, pag. 258.)
  22. C’est un mot de province pour huche. (T.) — La plupart de nos paysans se servent encore de ce mot.
  23. Racan a omis tout ce qui termine cet alinéa.
  24. Voyez les Amours du grand Alcandre. Madame de Guercheville y est désignée sous le nom de Scilinde.

    La maison de La Roche-Guyon, une des bonnes de France, étoit tombée en quenouille. L’héritière, au lieu de se donner à quelqu’un des grands seigneurs qui la recherchoient, se donna à un gentilhomme de son voisinage, nommé M. de Silly, qui prit le nom de La Roche-Guyon. Le fils de cet homme-là épousa une fille de la maison de Pons. C’est cette madame de Guercheville. Elle demeura veuve fort jeune avec un seul fils, qui étoit le feu comte de La Roche-Guyon. Henri IV étant à Mantes, qui est près de ce lieu, fit bien des galanteries à madame de La Roche-Guyon, qui étoit une belle et honnête personne. Il y trouva beaucoup de vertu, et pour marque d’estime, il la fit dame d’honneur de la feue Reine-mère, en lui disant : « Puisque vous avez été dame d’honneur, vous le serez. » Entre deux, cette dame avoit épousé M. de Liancourt, premier écuyer de la petite écurie, et par pruderie elle se fit appeler madame de Guercheville, à cause qu’on appeloit alors madame de Beaufort madame de Liancourt. Le comte de La Roche-Guyon mort sans enfants, M. de Liancourt, en donnant le surplus en argent, eut la terre de La Roche-Guyon pour les conventions matrimoniales de sa mère. (T.) — L’abbé de Choisy rapporte dans ses Mémoires le fait relatif à Henri IV, que Tallemant s’est contenté d’indiquer ici. (Voyez les Mémoires de Choisy, tom. 63, pag. 515 de la deuxième série de la Collection des Mémoires relatifs à l’histoire de France.)

  25. Voir précédemment l’historiette du connétable, où sa femme joue un très-grand rôle.
  26. Racan fait ajouter à Malherbe : « Tel qui pense être issu de ces grands héros est peut-être venu d’un valet-de-chambre ou d’un violon. »
  27. Henri de Bourbon, père du grand Condé.
  28. Cette anecdote ne se trouve pas dans Racan.
  29. Omis par Racan.
  30. Omis par Racan. Voici la première stance de cette pièce :

      Que d’épines, Amour, accompagnent tes roses !
      Que d’une aveugle erreur, tu laisses toutes choses
       À la merci du sort ?
      Qu’en tes prospérités à bon droit on soupire,
      Et qu’il est malaisé de vivre en ton empire
       Sans désirer la mort ?
      Et qu’il est(Poésies de Malherbe, édition Barbou, pag. 143.)

  31. Omis par Racan.
  32. Omis par Racan.
  33. Marie Bruneau, dame des Loges ; c’étoit une femme très-renommée pour son esprit chez laquelle les gens de lettres se réunissoient souvent.
  34. Le Bouclier de la Foi.
  35. Tallemant ne tenoit pas cette anecdote de Racan. C’est Balzac qui le premier l’a rapportée ainsi : elle est inexacte. Ménage, dans ses Observations sur Malherbe, l’a rectifiée d’après le récit même de Racan, qui y jouoit un rôle : « J’ai su de M. Racan, dit-il, que c’est lui qui avoit fait ces vers que M. de Balzac attribue à Malherbe, et que Gombauld avoit fait ceux que M. de Balzac donne à madame des Loges. Madame des Loges, qui étoit de la religion réformée, avoit prêté à M. de Racan le livre de Dumoulin le ministre, intitulé le Bouclier de la Foi, et l’avoit obligé de le lire. M. de Racan, après l’avoir lu, fit sur ce livre cette épigramme que M. de Balzac a altérée en plusieurs endroits. L’ayant communiquée à Malherbe, qui l’étoit venu visiter dans ce temps-là, Malherbe l’écrivit de sa main dans le livre de Dumoulin, qu’il renvoya en même temps à madame des Loges de la part de M. de Racan. Madame des Loges, voyant ces vers écrits de la main de Malherbe, crut qu’ils étoient de Malherbe ; et comme elle étoit extraordinairement zélée pour sa religion, elle ne voulut pas qu’ils demeurassent sans réponse. Elle pria Gombauld, qui étoit de la même religion et qui avoit le même zèle, d’y répondre. Gombauld, je le sais de lui-même, qui croyoit, comme madame des Loges, que Malherbe étoit l’auteur de ces vers, y répondit par l’épigramme que M. de Balzac attribue à madame des Loges, et qu’il trouve trop gaillarde pour une femme qui parle à un homme. » (Les Œuvres de François de Malherbe, 1723, tom. 2, pag. 387.)
  36. Diophanti Alexandrini arithmeticorum libri sex, et de numeris multangulis liber unus, græcis et latinis commentariis illustratus. Paris, 1621, in-fol.
  37. Dans le feu. (T.) — Cette anecdote ne se trouve pas dans Racan.
  38. Également omis par Racan.
  39. Avec qui voulez-vous donc que j’en aie ? Ce mot d’un si bon comique ne se trouve pas dans Racan, dont le récit est presque continuellement pâle et froid.
  40. Omis par Racan.
  41. Ce mot n’est pas non plus rapporté dans Racan. La suite de cet alinéa y manque aussi ; mais Balzac a donné également les détails qu’il renferme.
  42. Cet alinéa et le suivant ne se trouvent pas dans la Vie par Racan.
  43. Yvrande étoit un de ses disciples, gentilhomme breton, page de la grande écurie. (T.)
  44. Omis par Racan.
  45. Cet alinéa et le suivant renferment également des détails que Racan ne donne pas.
  46. François de Harlay, auquel, en 1651, succéda son neveu, François Harlay de Champvallon, depuis archevêque de Paris.
  47. Épître dédicatoire de la Traduction du trente-troisième livre de Tite-Live.
  48. Omis par Racan.
  49. Patrix est gentilhomme ; il est de Caen, mais originaire de Languedoc. (T.)
  50. Omis par Racan.
  51. Omis par Racan.
  52. Omis par Racan.
  53. Omis par Racan.
  54. Omis par Racan.
  55. Omis par Racan.
  56. Nicolas Bourbon, dit le Jeune, dont les Œuvres furent recueillies en 1630, sous le titre de Poematia, et qui fut appelé en 1637 à l’Académie françoise, quoiqu’il n’eût jamais écrit d’une manière un peu supportable qu’en latin.
  57. Sirmond (Jean), également de l’Académie françoise, avoit composé quelques pièces latines qui lui avoient donné du renom. Elles furent rassemblées sous le titre de Carminum libri duo, quorum prior heroïcorum est, posterior elegiarum, 1654, in-8o.
  58. Poésies de Malherbe. Édition Barbou, 1764, pag. 216.
  59. Omis par Racan.
  60. Poésies de Malherbe ; Barbou, pag. 94.
  61. Cette parodie, fort piquante en effet, se trouve aussi dans le commentaire de Ménage sur Malherbe. Quand on l’aura lue, on s’expliquera pourquoi nous ne l’avons pas rapportée ici. En voici une stance : ce n’est pas la meilleure, mais c’est la seule que nous puissions décemment citer :

    Être six ans à faire une ode,
    Et faire des lois à sa mode,
    Cela se peut facilement :
    Mais de nous charmer les oreilles
    Par sa merveille des merveilles,
    Cela ne se peut nullement.


    « Malherbe, dit Ménage, pour réponse à ces vers, fit donner des coups de bâton à Berthelot, par un gentilhomme de Caen, nommé la Boulardière. »

  62. Ces deux derniers ne sont pas grand’chose. (T.)
  63. Il l’a rimé lui-même. (T.)
  64. Voyez dans les Poésies de Malherbe la paraphrase du psaume 8, pag. 60 de l’édition Barbou.
  65. Poésies de Malherbe, déjà citées, pag. 149.
  66. Poésies de Malherbe, déjà citées, pag. 143.
  67. Omis par Racan.
  68. Son Historiette suit immédiatement celle-ci.
  69. Ce fait très-curieux ne se trouve pas dans la Vie donnée par Racan.
  70. Racan a aimé madame de Moret, sa parente, car on voit dans ses vers qu’il parle de cet œil qu’elle perdit ou qu’elle feignit d’avoir perdu. Voyez l’Historiette de madame de Moret. (T.)
  71. On lit dans les Œuvres de Malherbe une chanson adressée à la marquise de Rambouillet, sous le nom de Rodanthe, pag. 234 de l’édition déjà citée.
  72. Voyez le fragment pour madame la marquise de Rambouillet, 1624 ou 1625, dans les Poésies de Malherbe, pag. 254 de l’édition Barbou. Tallemant paroît avoir cité de mémoire les vers que madame de Rambouillet disoit avoir été faits pour elle ; nous croyons devoir les rétablir ici :

    Cette belle bergère, à qui les Destinées
    Sembloient avoir gardé mes dernières années,
    Eut en perfection tous les rares trésors
    Qui parent un esprit et font aimer un corps.
    Ce ne furent qu’attraits, ce ne furent que charmes ;
    Sitôt que je la vis, je lui rendis les armes,
    Un objet si puissant ébranla ma raison.
    Je voulus être sien, j’entrai dans sa prison,
    Et de tout mon pouvoir essayai de lui plaire
    Tant que ma servitude espéra du salaire ;
    Mais comme j’aperçus l’infaillible danger
    Où, si je poursuivois, je m’allois engager,
    Le soin de mon salut m’ôta cette pensée ;
    J’eus honte de brûler pour une âme glacée,
    Et sans me travailler à lui faire pitié,
    Restreignis mon amour aux termes d’amitié.

  73. Cette curieuse anecdote et les détails qui la précèdent n’ont point été donnés par Racan.
  74. Cette chanson paroît avoir été adressée à la marquise de Rambouillet sous le nom de Rodanthe. On est d’autant plus porté à le croire que l’on y retrouve les mêmes images sur la froideur de sa maîtresse, que dans les fragments cités plus haut.

    Voici la seconde stance

      En tous climats, voire au fond de la Thrace,
       Après les neiges et les glaçons,
        Le beau temps reprend sa place,
      Et les été mûrissent les moissons ;
        Chaque saison y fait son cours ;
      En vous seule on trouve qu’il gèle toujours.

  75. Poésies de Malherbe, pag. 101. Ces vers sont indiqués dans toutes les éditions de Malherbe comme étant adressés à la vicomtesse d’Auchy. (Voyez l’Historiette de cette dame à la suite de l’article sur Malherbe.)
  76. Catherine Chabot, fille de Jacques, marquis de Mirebeau, veuve de César-Auguste de Saint-Lari, baron de Termes, se remaria à Claude Vignier, président au parlement de Metz ; elle mourut en 1662.
  77. On n’a vu ce fait rapporté nulle part ainsi et avec autant de détails. Ceux des contemporains qui ont parlé de la mort tragique du fils de Malherbe se sont tous accordés à dire qu’il avoit été tué en duel.
  78. Piles est Fortia, et les Fortia passent pour être venus des Juifs. (T.)

    Une satire virulente de Philippe Desportes contre François de Fortia, trésorier des parties casuelles, et des épigrammes de Jean de Baïf, où Fortia n’étoit pas plus ménagé, auront sans doute donné lieu au bruit alors répandu que la famille de Fortia étoit juive d’origine. Ces pièces existent encore dans un manuscrit de la Bibliothèque du Roi, n° 7652, t. 3, p. 3, et 2220 du fonds Colbert. On ne peut les attribuer qu’à l’esprit de vengeance ; François de Fortia ne s’étant sans doute pas montré fort empressé d’acquitter des assignations sur le trésor que Charles IX avoit accordées aux deux poètes trop libéralement et sans consulter l’état de ses finances. Des quatre frères de François, l’aîné, Jean de Fortia, avoit embrassé l’état ecclésiastique, et étoit aussi prêtre de la métropole de Tours ; Pierre, le plus jeune, étoit abbé de Saint-Acheul, et mourut en 1580, comme on le voit dans le Gallia Christiana, t. 10, pag. 1328. D’ailleurs, dès la fin du seizième siècle, toutes les branches de cette maison firent sans difficulté leurs preuves pour être admises dans l’ordre de Malte, où l’on exigeoit quatre degrés de noblesse dans chacune des lignes paternelles et maternelles. M. le comte de Fortia de Piles, membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, auquel la littérature et l’histoire doivent d’importantes publications, est aujourd’hui le dernier rejeton de cette famille noble et ancienne.

  79. Malherbe mourut en 1628, à l’âge de soixante-treize ans.
  80. Voir précédemment, pag. 171.
  81. On raconte différemment ce qui se passa à sa mort.

    Il est mort au mois d’octobre 1628. Son confesseur, voyant que sa maladie étoit dangereuse, le pressa de se confesser ; il s’en excusa en disant qu’il se confesseroit à la Toussaint, comme il avoit coutume de le faire : « Mais, monsieur, dit le confesseur, vous m’aviez toujours dit que vous vouliez faire comme les autres, en ce qui regarde le christianisme. Tous les bons chrétiens se confessent avant que de mourir. — Vous avez raison, reprit Malherbe, je veux donc aussi me confesser, je veux aller où vont tous les autres, on ne fera pas un paradis exprès pour moi, et il se confessa. » (Extrait d’un manuscrit du même temps.)