Les Historiettes/Tome 1/23

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 1p. 129-131).


MADEMOISELLE DE SENECTERRE.


Mademoiselle de Senecterre[1] fut fille d’honneur de Catherine de Médicis. Après la mort de sa maîtresse, elle s’en retourna en Auvergne, son pays ; mais ayant été nourrie à la cour, et étant d’un esprit qui n’aimoit guère le repos, elle revint bientôt à Paris, et s’alla loger dans un petit logis sur le quai des Augustins, où elle vivoit assez petitement, car elle étoit pauvre. Plusieurs personnes la visitoient ; elle avoit de l’esprit et savoit toutes les nouvelles. Feu M. de Nemours[2], le bonhomme qu’on avoit nommé auparavant le prince de Genevois, qui étoit un des plus galants de la cour et le premier qui se soit adonné à faire des galanteries en vers, et qui se soit mis en peine de se rendre capable de faire des desseins de carrousels et de ballets, y alloit assez souvent comme voisin.

En ce temps-là il faisoit quelquefois des voyages à Turin, où il demeuroit deux à trois ans tout de suite. Durant ces voyages, une grande partie de l’hôtel de Nemours demeuroit vide. La première fois qu’il y alla, depuis que mademoiselle de Senecterre étoit de retour à Paris, elle lui demanda permission de loger à l’hôtel de Nemours pendant son absence, ce qu’il lui accorda facilement. Étant là, elle eut la connoissance d’un cadet de feu M. de Bouillon La Mark, nommé le marquis de Bresne. Ce cadet-là ne faisoit point de honte à son aîné. Il n’étoit pas plus habile que lui ; mais il étoit bien fait et jeune, et mademoiselle de Senecterre étoit laide et vieille. (Elle avoit peut-être pu passer en sa jeunesse, et je ne doute pas qu’elle n’ait fait comme les autres de la cour des Valois.) Cependant je ne sais quelle tentation du malin le prit, mais la pucelle s’en plaignit hautement, et le marquis de Nesle, qui étoit son ami, prit la querelle pour elle, et on fut très-long-temps sans les pouvoir accommoder lui et le marquis de Bresne.

Mademoiselle de Senecterre, qui étoit naturellement intrigante et qui avoit besoin de se pousser, voyoit le plus de monde qu’elle pouvoit. Elle fit donc soigneusement sa cour à madame la comtesse de Soissons, qui étoit veuve, et sut si bien ménager cet esprit facile, qu’elle fut reçue dans la maison, et peu de temps après y fit aussi entrer son frère en qualité de gouverneur de feu M. le comte. Senecterre avoit aussi grand besoin que sa sœur d’une semblable fortune, car il étoit logé chez Codeau, marchand linger de la rue Aubry-le-Boucher, qui le logeoit, le nourrissoit, lui, un cheval et un laquais, à tant par an. Cet homme a été plus de huit ans depuis la fortune de Senecterre sans pouvoir être payé.

Elle a fait un roman où il y a assez de choses de son temps. On l’a imprimé depuis sa mort[3] ; il n’est pas trop mal écrit, mais elle affecte un peu trop de paroître savante. C’est le vice de la plupart des femmes qui écrivent.

Elle a vécu fort long-temps, mais elle revint en enfance quelques années avant de mourir.

  1. Madeleine de Saint-Nectaire (on prononçoit Senneterre) mourut fort âgée en 1646.
  2. Henri de Savoie, duc de Nemours et de Genevois, qui épousa Anne de Lorraine, fille de Charles, duc d’Aumale, et mourut en 1632.
  3. Ce roman a pour titre : Orasie, où sont contenues les plus mémorables aventures et les plus curieuses intrigues qui se soient passées en France vers la fin du seizième siècle, par une dame illustre. Paris, Ant. de Sommaville, 1646, 4 vol. in-8o.