Les Hirondelles (Esquiros)/Les deux Anges.

Eugène Renduel (p. 171-177).


LES DEUX ANGES.




Ela m’aparve (…)
Una donna soletta che si gia
Cantando e scegliendo fior da fiore
Ond’era pinta tutta la sua via.
il dante.



Les deux anges.


BALLADE.


Deux anges éclos d’un sourire
Un jour, sur les lèvres de Dieu,
Abandonnèrent au zéphyre
Leurs ailes dans l’horizon bleu ;
Jumeaux de goûts, de forme et d’âge,
Un même amour est leur partage ;
Souvent le regard des élus
Ne distinguait pas les deux frères,
Et Dieu qui les créa naguères
Déjà ne les reconnait plus.


Leurs yeux conversaient sans parole :
Tous deux aimaient la même fleur :
Ils portaient le même symbole
Et l’azur était leur couleur :
Auprès de la couche timide
Ils veillaient dans la nuit humide ;
Et protégeant la chasteté,
Entre leurs doigts tressaient la rose
Que l’hymen promet et dépose
Au front de la virginité.

Du jeune enfant à la lumière,
Quand il dormait dans son berceau,
Leur baiser ouvrait la paupière ;
Sa mère levant le rideau,
Et voyant son sourire étrange,
Disait : Il joue avec un ange !
Ses yeux rêvaient de beaux palais,
Et de sa langue embarrassée
Leur main toujours plus empressée
Déliait les tendres filets.

Si même à son printemps, l’enfance
Laissait tomber dans un cercueil
La couronne de l’innocence ;
Les anges tissaient son linceul,

Et puis, déliant sa belle ame,
Portaient sur leurs ailes de flamme
Ce nouvel ange au paradis.
Ils disaient : C’est un jeune frère
Que nous dérobons à la terre
Et qui fuit les bommes maudits !
 
Un soir, sur le bord d’une rive
Où des saules pleurent sur l’eau,
Où de son haleine plaintive
Le vent soulève un vert rideau,
Ils s’arrêtèrent, et de l’onde
Qui fuit devant eux vagabonde,
Ils virent (songe merveilleux !)
Sortir le sein d’une baigneuse :
C’était Nanette la glaneuse
Qui regarde avec des yeux bleus.

Personne ne lui fut rebelle,
Car l’enfant lui rit au berceau,
Car les vieillards la trouvent belle,
Et les filles de son hameau,
Quand on danse sur les pelouses,
N’osent plus en être jalouses.

Sur les anges sa vue agit ;
Car leur front sur leur sein se penche
Et du bout de son ailel)lanche
L’un se voila ; — l’autre rougit.

Le lendemain ils s’en allèrent,
L’un pour rallumer le soleil,
L’autre, quand les cieux s’éclairèrent,
D’un enfant bercer le réveil.
— Ne retourne pas sur la rive,
Dit l’ange d’une voix craintive,
Eve perdit l’homme innocent.
Ne crains rien, répondit son frère,
Mon regard n’est pas téméraire ;
Adieu, je pars en t’embrassant.

Quand du ciel la sainte milice
Revint se ranger au saint lieu.
De l’amour portant le calice
Pour étancher la soif de Dieu ;
Au milieu du cercle splendide,
Hélas I une place était vide ;
Son frère pleura ; Salomon
Le premier devina l’histoire ;
En vain on refusa d’y croire…
L’ange n’était plus qu’un démon.


II.


À son loyer, le soir, on attendit Nanette,
Mais vainement ; la lune en sa chambre muette
Pâlissait ; sur la rive, on reconnut ses pas
Et ceux d’un étranger : on trouva sa dentelle,
On vit le long du bord blanchir deux plumes d’aile,
Mais elle, ne reparut pas.

Juillet 1833.