Les Hirondelles (Esquiros)/L’Étranger.

Eugène Renduel (p. 151-156).




L’ÉTRANGER




__Mon âme était éperdue en vous quittant, ne sachant plus à qui me confier ou quand je pourrais vous revoir. Parfois je désire en mon cœur de devenir le reflet de la lune dans la mer, quand aussitôt je voudrais être le nuage qui passe sur les hautes montagnes.
Sou-Hioui,



L’étranger


Que la nature est belle en un jour de printemps !
Qu’il est doux de s’asseoir sur l’herbe refleurie
Et de voir l’hirondelle errer dans la prairie ;
Que ce soleil nouveau me plairait à quinze ans ;
Que ces lieux seraient beaux, s’ils étaient ma patrie !


Heureux qui n’a connu que son pauvre hameau,
Le toit de ses ayeux, le nid de sa colombe,
L’onde pure du lac et les fruits du rameau ;
Heureux qui vit paisible, et qui place sa tombe
Aux lieux où trembla son berceau !
 
Content de ses moissons et du peu qu’il espère,
Animant sous ses doigts la flûte sans accord,
Il s’assied sur le banc où s’asseyait son père,
Et fier du fruit fécond de son hymen prospère,
Berce sur un rameau son enfant qui s’endort.

Tranquille, il voit ses grains tomber sous la faucille,
Vieillit avec l’ormeau que ses mains ont planté ;
Et pareil à l’oiseau resté sous la charmille,
Il ne pleure jamais le toit de sa famille
Ni le pays qu’il a quitté !

Etranger, j’aime encore un beau ciel qui s’azure ;
Quand à mes yeux distraits des pleurs ont échappé,
J’aime à les voir tomber dans un ruisseau d’eau pure ;
Et mon cœur désormais s’attache à la nature
Comme au seul être enfin qui ne l’a pas trompé.


Le cœur plein de regrets, d’espérances flétries,
Oui, je veux reposer sous ces ombrages frais !
Prêtez-moi, beaux vallons, ô montagnes chéries,
Prêtez à l’étranger un coin dans vos prairies,
Une place sous vos cyprès ;

Car ma vie est fanée et se soutient à peine,
Car j’ai dit à ce monde un triste et long adieu ;
Et sur vos frais gazons, sous votre beau ciel bleu,
Il me semble aujourd’hui que je rendrais sans peine,
Mon corps à la poussière et mon ame à son Dieu.
 
La brise sur ma tombe effeuillera la rose ;
La colombe plaintive y chantera le soir ;
L’hirondelle ira boire au ruisseau qui l’arrose,
Et peut-être mon père un jour viendra s’asseoir,
Sur le gazon où je repose :

Courbez-vous, longs rameaux, sur ses cheveux blanchis ;
Chantez, oiseaux du ciel : Vierge de la vallée,
Dites-lui qu’en ces lieux je m’asseyai jadis ;
Baisant ses vieilles mains parlez-lui de son fils,
Mais cachez sous des fleurs son humble mausolée !


Et puis, si quelque ami que je pleure aujourd’hui,
Cherche un jour le repos au sein de la retraite ;
Quand de mes tristes jours le dernier aura lui,
Qu’il vienne dans ces lieux, et qu’heureux il s’arrête
Sous l’arbre où je pensais à lui !

Avril 1830.