Les Hirondelles (Esquiros)/Mon tombeau.

Eugène Renduel (p. 145-149).




MON TOMBEAU.




Exegi monumentum.
Hor.



Mon Tombeau


Lorsque dans le cercueil il me faudra descendre.
Sous vos froids monumens n’écrasez pas ma cendre :
Surtout n’y gravez pas mon nom :
N’importe quel mortel a passé sur la terre,
Pourvu que le chrétien, par la croix solitaire,
Y reconnaisse un compagnon.


Je veux, pour reposer durant ma nuit obscure,
Un lit qu’auront creusé les mains de la nature,
Et son vert gazon pour coussin ;
Comme l’enfant bercé dans les bras de sa mère,
Moi, je veux en sortant de cette vie amère
Dormir et rêver sur son sein.

Qu’elle orne mon tombeau des fleurs si tôt fanées :
Que les feuilles des bois par le vent moissonnées
Tapissent mon dernier séjour ;
Que l’arbre qui renait sur la terre bénie,
Me dise en me montrant sa branche rajeunie ;
« Ainsi tu revivras un jour ! »

Qu’il s’élève au penchant d’une verte colline,
Pour qu’aux heures du soir, quand le soleil décline,
Il lui jette un dernier coup d’œil ;
Pour qu’au matin, les fleurs humides de rosée
Inclinant sur mon front leur tête balancée,
Pleurent autour de mon cercueil :

Qu’un ruisseau passe auprès ; que l’oiseau qu’on repousse
Y suspende son nid de duvet et de mousse,
Loin des embûches des vivans.
Si tout autre m’oublie, au moins quand le jour tombe
Qu’il me reste ici-bas, pour veiller sur ma tombe
Un cyprès qui frémit aux vents.


Suspendez aux rameaux une lyre brisée,
Pour que le doux zéphyr et la brise glacée
En tirent de sombres accords ;
Pour que, durant la nuit, la vierge échevelée
Fasse entendre des sons au pied du mausolée,
Tristes comme la voix des morts.

Qu’un banc de vert gazon sous l’ombrage s’élève
Pour que le passager s’y repose, et qu’il rêve ;
Que, grave et dans un saint transport,
Regardant à ses pieds, il dise : « Je voyage ;
Des peines du chemin, après un long orage,
Un jour, ce sera là le port. »

Alors, ombre du ciel, parfois quand le jour tombe.
Je reviendrai m’asseoir, à côté de ma tombe
Avec ma robe de vapeur.
Je me rappellerai les peines de la vie,
Et puis, par les enfans vainement poursuivie
Je fuirai sans leur faire peur.

Septembre 1831.