Éditions Édouard Garand (p. 113-115).

IL NEIGE


À M. L. G. Jourdain, Amicalement.


La forêt maladive agonise en sa gloire.
L’automne a fui… L’hiver envahit les grands bois
Et sème dans nos cœurs cette joie illusoire,
Pleine du souvenir des choses d’autrefois.

Les sentes, les coteaux, tout est d’un blanc d’albâtre.
Une ouate au ciel gris s’abat sur les étangs.
Aux ravins, par les prés.    Il fait bon près de l’âtre
Écouter de grand’mère un conte du vieux temps.

Le vent hurle sa plainte aux angles des toitures,
Dans les bouleaux jaunis et les grands sapins noirs
Dont les sommets tangués, ainsi que des mâtures,
Bercent les nids mourants dans l’angoisse des soirs.

C’est la première neige. Elle tombe sans trêve
Menue, éparse et folle au vent capricieux.
Elle couvre sans bruit les chemins et la grève,
Les pâtis, les ruisseaux : tout est silencieux.


Elle obscurcit le jour de sa blancheur étrange,
Répandant sa toison sur les logis rêveurs.
Il neige au fond des bois, il neige sur la grange,
Et sur le lac, et sur la rive, et dans les cœurs.

Tout n’est plus qu’un linceul. Les moulins, les villages
Qu’on voit blottis au loin dans les sombres replis
Des vallons où sont morts la mousse et les feuillages,
Apparaissent vêtus d’un immense surplis.

Le sentiers sont déserts, déserts sont les bocages,
Car depuis que le Sol se refuse au travail,
Les prés jadis en fleurs, n’étaient plus que pacages ;
L’étable sous son toit protège le bétail.

Or, souvent au sillon béant comme une plaie,
Un coutre abandonné songe à de meilleurs jours ;
Un mannequin sans tête, émergeant d’une haie,
Croule, battu des vents, sur le brun des labours.


Seule, parfois s’ébroue au milieu d’une mare
Une oie éclaboussant le blanc manteau soyeux
Dont le sol se revêt comme on cache une tare ;
Un pâle soleil meurt au fond lointain des cieux.

Aux solives des toits, veufs, sont les nids d’argile,
Car depuis que le vent — ce fureteur d’arceaux —
Passe en sifflant sa haine en leur âme fragile,
Les oiseaux, tour à tour, ont quitté leurs berceaux,

Qu’importe ! tombe encore, ô neige toute blanche !
Sème des papillons au sein des soirs rêveurs !
Neige, tombe sans cesse, oui, tombe en avalanche,
Et sur les champs et sur la rive et dans les cœurs !