Éditions Édouard Garand (p. 67-69).

POÈME HIVERNAL


L’hiver est revenu triste et silencieux ;
La neige étale aux champs son blanc manteau d’hermine ;
Le dernier laboureur vers sa maison chemine
Le regard lourd et terne et le front soucieux.

Plus de feuilles, de fruits ; pas une voile au large ;
Voilà plus d’un long mois que les flots en courroux
Ne charroient plus des bois l’épais feuillage roux
Dont l’oiseau prémuni se faisait une targe.

Pas un canard sauvage attardé dans les airs.
Même, ces grands troupeaux d’outardes à la file
Qu’on entend, dans le soir, survolant quelque ville ;
Pas un ne passe au bruit de leurs cris brefs et clairs.

Là-bas, entre les rangs clairsemés des érables,
Un moulin gesticule, et ses longs bras mouvants
Craquent sous la morsure et le souffle des vents ;
Closes sont les maisons, closes sont les étables.


Les cèdres rabougris et les aulnes tremblants
Où se cachent le lièvre et la perdrix farouches ;
Les buissons dans lesquels gisent les nids, les souches ;
Sur ces choses, la neige épand ses flocons blancs.

Les bons gros yeux rêveurs et givrés des fenêtres
Dont, au loin, les rideaux semblent d’épais sourcils,
Ne reconnaîtront plus sous les frimas subtils,
Passant par le chemin, l’étranger ou les maîtres.

Ils pourront du logis approcher lentement
Sans qu’ils soient reconnus sous leurs simples livrées,
Sans que le bruit trop lourd de leurs bottes ferrées
Ne suscite du chien le farouche aboiement.

Si bon leur semble, alors, ils pourront de passage
Rôder inaperçus au fond des basses-cours ;
Car le gel lui faisant prêt de son blanc concours,
La vitre en cachera jusqu’aux traits du visage.


Le village est désert… pas un être en chemin…
Les grands porcs aux flancs creux, qui vont à l’aventure
Cherchant, fouillant du groin une maigre pâture,
Seuls, affrontent le froid mortel à tout humain.

Non… ! Quelqu’un, à l’orée un peu sombre du bois,
Vers le bourg endormi lentement s’achemine
Courbé sous un bissac qu’un long bâton termine ;
Il grelotte, et son corps a des frissons parfois.

Le sceau noir de la mort a marqué son visage.
Et tandis qu’en la bise erre le triste gueux,
Je songe que j’ai vu passer d’un pas boiteux
La Misère en haillons au fond du paysage.