Éditions Édouard Garand (p. 65-66).

LE JOUR DES MORTS


Comme s’il devait par décret
À l’horizon faire antichambre,
À peine le soleil paraît
Par ce matin du deux novembre
Au regard du jour indiscret.

Et voici que, de leurs chaumières,
Dont l’aube éclaire un peu le seuil,
Sortent paysans et fermières
Courbés sous le poids de leur deuil ;
Des pleurs brillent à leurs paupières.

Silencieux, par les champs nus
Où l’oiseau tait son babillage,
Suivant des raccourcis connus,
Vers l’humble église du village,
Ils vont songeant aux sons ténus

Que leur redit la voix tremblante
D’une cloche égrenant sur eux
Sa plainte grave et douce et lente…
Ils vont, écoutant, les aïeux,
Du passé la chanson dolente.

Ils se parlent tout-bas, tout bas…
On dirait même que la route
Voile jusqu’au bruit de leurs pas,
Tant la campagne entière écoute
L’appel agonisant du glas.


Un calme lourd et monotone
Semble régner depuis toujours,
Car la tristesse que l’automne
Laisse au cœur esseulé des jours,
En nous-mêmes vibre et résonne.

Déjà le vent rude et glacé
Sème la mort sur son passage,
Cependant que le sol gercé
Tout au fond nu du paysage
Semble un tableau demi brossé.

Voilà pourquoi, malgré la bise,
Courbés sous le fardeau des ans,
S’en vont sur quelque pierre grise
S’agenouiller ces paysans,
Au sortir de la vieille église.

Et pendant que sur le pays
Les cloches pleurent dans l’espace,
L’âme pieuse des logis
Pour les défunts demandant grâce
Entonne un long De Profundis.