Éditions Édouard Garand (p. 49-52).


PASTORALE


Ô fortunatos nimium, sua si bona

norint, Agricolas.

Virgile. (Géorgiques, 11.)


Oh ! combien sont charmants tes matins, bel Avril !
Dès l’aube de retour, la campagne s’éveille
Au chant guerrier des coqs, sous la brume, pareille
À quelque ruche d’où s’élève un doux babil.

Des toits silencieux, lentement, la fumée,
Tel un panache blanc, monte vers l’horizon ;
Un volet s’ouvre, et l’on voit bientôt la maison
Reprendre avec le jour sa vie accoutumée.

D’une enfant, dans la cour, les appels éclatants
Se mêlent à l’écho fugitif des sonnailles,
Cependant qu’à travers fougères et broussailles,
Par les sentiers remonte un couple « d’habitants ».

Ils s’en vont à cette heure au marché de la ville.
L’homme portant au bras dans un large panier
Les produits de la ferme, et, même, en braconnier.
Quelques grasses perdrix, fruit d’une chasse habile.

Tous deux sont revêtus « d’étoffe du pays »,
De cette étoffe chaude à nulle autre pareille,
Et que tissa, le soir, près du ber qu’elle veille,
L’épouse — cette abeille active du logis. —


Bientôt, c’est un ruisseau jaseur qui les arrête.
Et Pierre à sa Jeannotte indique de la main
Sur les cailloux luisants, plats et secs, le chemin
Qu’elle suit en songeant à n’être pas distraite.

Ils ont vite franchi l’obstacle en quelques bonds…
Et dans l’air des baisers et des rires fous pleuvent,
Effrayant les oiseaux qui dans l’onde s’abreuvent ;
Et le couple joyeux repart, en vagabonds.

Mais l’homme, malgré tout, reste songeur et triste.
Son regard soucieux, — peut-être sans raison —
Voit la crainte mortelle, à l’instar d’un poison,
S’insinuer en lui comme un remords persiste.

« Moi, dit-il, le front bas, je ne veux pas mourir
« Dans cette humble campagne où l’on a peine à vivre ».
Et sa femme répond : « Ami, pourquoi poursuivre
« En ton âme, ce rêve, et d’espoir, le nourrir… ? »

« Pourquoi quitter ce coin qui jadis nous vit naître… ?
« On te salue, on dit : c’est Durant, le faucheur !
« Reste, car la Cité dont le geste est menteur,
« Sous son luxe apparent ne saurait te connaître ! »


« Au sein de la cohue où tu seras noyé,
« De longs jours couleront sans but, sans espérance,
« Et l’exil faisant comble à la moindre souffrance,
« Ton être par l’ennui sera bientôt broyé. »

« Elle est âpre, sans doute, et rétive, et marâtre
« La terre où nous jetons sans regret le froment ;
« Mais la huche jamais ne fut vide un moment ;
« Les bûches, chaque hiver, animent toujours l’âtre ».

« Ce sol que nous aimions, un soir, près d’un mourant.
« N’as-tu donc pas juré d’y conserver la trace,
« Et le culte, et l’amour de ceux-là dont la race
« N’espère plus qu’en toi, le dernier des Durant… ?

« Vois, là-haut, ce clocher à la parole altière ;
« Un vieux prêtre y bénit, en juillet, nos amours
« Tel il unit jadis, comme nous, pour toujours,
« Nos chers défunts couchés là-bas, au cimetière.

« Et tu veux déserter les prochaines moissons… ?
« Toi dont les bras musclés et la rude nature
« Révèlent des aïeux la puissante ossature,
« Toi dont les larges mains arrachent des buissons… ? »


« Tu veux tout délaisser pour la cité fatale… ?
« Non, non ! Sache, qu’un jour, nos fils à ton orgueil
« Sauront bien réclamer cette place au soleil
« Que tu dois leur garder sur la terre ancestrale ! »

« Combien de paysans, — comme ces matelots
« Partis avec espoir sur l’océan tranquille,
« Ne sont point revenus. — Hélas ! combien la ville
« N’en cache-t-elle pas dans ses immondes flots… ? »

« Mille sont morts de faim pour deux qu’elle fit riches !
« Oh ! tu pleures, ami… ! Pierre, sèche tes yeux !
« Nos morts ont pardonné ton désir oublieux,
« Car demain, comme hier, nous irons par nos friches ! »

Cet homme reconquis s’arrête, et saluant
Le bien de ses aïeux, l’acclame de son geste
Digne d’un conquérant, et dit : « Femme, je reste ! » —
Et le couple joyeux sourit en s’embrassant.